| François Villon est un poète né à Paris en 1431, mort après 1463. Son père était probablement de Montcorbier en Bourbonnais, et sa mère (qui vivait encore en 1461) de l'Anjou. Un de ses parents, maître Guillaume Villon, bachelier en droit canon, chapelain de l'église collégiale de Saint-Benoît le Bestourné (près de la Sorbonne), qui mourut en 1468, lui servit de père adoptif. Il fit ses études à l'Université de Paris. Bachelier en mars 1449 et maître ès arts dans l'été de 1452, il se fit inscrire probablement à la Faculté de Décret (Droit canon), mais alors il commença à « fuir l'école » et à mener une vie désordonnée, participant aux pires farces des étudiants, « tout aux tavernes et aux filles», en relations intimes avec des gens de sac et de corde, aventuriers, « enfants perdus », souteneurs. Dans ce monde-là, il passa par la suite pour très habile à se procurer des « repues franches », autrement dit à commettre des filouteries d'aliments. Son protecteur maître Guillaume l'avait, dit-il, « mis hors de maint bouillon », c.-à-d. tiré de plus d'un mauvais pas; cependant, il ne semble pas qu'il ait eu d'antécédents Judiciaires jusqu'en 1455. Cette année-là, le soir de la Fête-Dieu (5 juin), Villon blessa mortellement, rue Saint-Jacques, un prêtre, Philippe Sermoise, qui lui avait cherché querelle à propos d'une fille. A la suite de cette affaire, il « s'absenta » quelque temps. Il obtint sa grâce en janvier 1456. Mais, se trouvant sans ressources et aussi pour s'éloigner d'une femme « félonne et dure » qu'il aimait trop, il résolut de voyager; c'est à cette époque qu'il écrivit son poème des Lais. Sur ces entrefaites, un voleur de ses amis, nommé Colin des Cayeux, lui proposa un bon coup : il s'agissait de crocheter le coffre-fort de la Faculté de Théologie, déposé au collège de Navarre; ce qui fut fait. En récompense, Villon offrit à son associé de dévaliser ensemble un oncle à lui, qui passait pour riche, à Angers. En 1457, il était à Blois, sous le coup de plusieurs sentences de bannissement, et peut-être en prison. Puis il vagabonda, en traversant le Berry, jusqu'en Dauphiné. En 1461, son compère Colin des Cayeux était pendu à Montpipeau, près de Meng, en Orléanais, et lui-même passait l'été, enchaîné, dans les « basses fosses » du château de Meung, qui appartenait à l'évêque d'Orléans, sous l'inculpation de vol. L'amnistie, qui fut promulguée à l'occasion de l'avènement de Louis XI (juillet 1461) lui valut, cette fois encore, la liberté. Après un court séjour à Paris, il se retira dans un endroit tranquille (peut-être à Saint-Généroux, près de Parthenay, où il dit qu'il s'était fait des amies, « deux filles très belles et gentes-»), pour écrire son Testament. Vers la fin de 1462, il est de nouveau à Paris, dans son ancien logement du cloître Saint-Benoît. Pas pour longtemps. -- Ballade des pendus (1462) [Villon sur le point d'être pendu avec ses compagnons, écrivit cette ballade. Il suppose que les squelettes attachés au gibet de Montfaucon adressent la parole aux passants.] « Frères humains qui après nous vivez, N'ayez les coeurs contre nous endurcis. Car si pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tôt de vous merci. Vous nous voyez ci attachés cinq, six; Quant de la chair, crue trop avons nourrie, Elle est pieça dévorée et pourrie. Et nous, les os, devenons cendre et poudre. De notre mal personne ne s'en rie. Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre! Si vous clamons frères, pas n'en devez Avoir dédain, quoique fûmes occis Par justice; toutefois vous savez Que tous hommes n'ont pas bon sens assis. Excusez-nous, puisque sommes transis. Envers le fils de la Vierge Marie, Que sa grâce ne soit pour nous tarie, Nous préservant de l'infernale foudre. Nous sommes morts : âme ne nous harie. Mais priez Dieu que tous, nous veuille absoudre! La pluie nous a bués et lavés Et le soleil desséchés et noircis; Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés Et arraché la barbe et les sourcils; Jamais, nul temps, nous ne sommes rassis; Puis çà, puis là, comme le vent varie, A son plaisir sans cesser nous charrie, Plus becquetés d'oiseaux, que dés à coudre. Ne soyez donc de notre confrérie; Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre! Envoi. Prince Jésus, qui sur tous as maîtrie, Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie A lui n'avons que faire ni que soudre. Hommes, ici n'a point de moquerie, Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre! » (François Villon). La ballade des pendus. - Edition princeps du Grand Testament, Paris 1489. | Au mois de novembre, en sortant d'un souper trop arrosé, il fut impliqué avec plusieurs vauriens de son espèce dans une rixe, où maître François Ferrebouc, scribe de l'officialité de Paris, fut blessé. Après avoir subi la question, il fut condamné à la potence par le prévôt de Paris. Mais il en appela au Parlement, et, chose extraordinaire, la sentence du prévôt fut commuée en un bannissement de dix ans « hors de la ville, prévôté et vicomté de Paris». Cet arrêt du Parlement est le dernier document daté où Villon soit nommé. Rabelais raconte, d'après une tradition locale, qu'il se serait retiré en Poitou, près de Saint-Maixent (qui n'est pas loin de Saint-Généroux), « sous la faveur d'un homme de bien, abbé dudit lieu », et qu'il y aurait fait représenter un drame de la Passion « en langage poitevin ». La première édition datée des oeuvres de Villon est de 1489; l'auteur était mort (depuis longtemps, à ce que l'on croit) lorsqu'elle fut imprimée. Villon se représente, dans une pièce écrite lorsqu'il avait trente ans, comme « plus noir que mûre-», « plus maigre que chimère » et prématurément vieilli; cinq ans auparavant, il s'était dit « noir et sec comme écouvillon ». Il était déjà connu comme écrivain, en 1456, par des ballades morales, laudatives ou amoureuses, dans le genre d'Eustache Deschamps et d'Alain Chartier et par un roman comique, aujourd'hui perdu, qui roulait sur une querelle entre les élèves de l'Université et les gens du roi au sujet d'une grosse pierre, célèbre au quartier latin sous le nom de Pet-au-Diable. Il tenait dès lors à sa réputation littéraire, car il a eu la précaution de s'assurer la propriété de deux de ses premières ballades par un acrostiche inséré dans l'envoi. Il avait composé, en outre, avant de quitter Paris en 1456, - si les attributions chronologiques de G. Paris sont fondées, - plusieurs de ses ballades originales, qu'il inséra plus tard dans le Testament : la ballade pour sa mère, celle de la grosse Margot, les Regrets de la belle heaumière, les Dames du temps jadis, les Contredits de Franc Gantier. La ballade à « s'amie » serait de 1456, contemporaine des Lais. La pièce sur la naissance de Marie d'Orléans et la pièce : Je meurs de soif auprès de la fontaine datent du séjour à Blois en 1457. -- Sur la mort [Après sa Ballade des Dames du temps jadis, Villon se représente méditant dans le charnier du cimetière des Innocents, à Paris]. « Quand je considère ces têtes Entassées en ces charniers; Tous furent maîtres des requêtes Ou tous de la chambre aux deniers, Ou tous furent porte-paniers Autant puis l'un que l'autre dire; Car d'évêques ou lanterniers Je n'y connais rien à redire. Et icelles qui s'inclinaient Unes contre autres eu leurs vies; Desquelles les unes régnaient, Des autres craintes et servies; Là les vois, toutes assouvies Ensemble en un tas pêle-mêle. Seigneuries leur sont ravies : Clerc ni maître ne s'y appelle. De pauvreté me gourmentant Souventes fois me dit le coeur Homme, ne te doulouze tant, Et ne démène tel douleur, Si tu n'as tant qu'eust Jacques Coeur Mieux vaut vivre sous gros bureaux, Pauvre, qu'avoir été seigneur, Et pourrir sous riches tombeaux... Mon père est mort, Dieu en ait l'âme! Quant est du corps, il gît sous lame J'entends que ma mère mourra, Et le sait bien, la pauvre femme; Et son fils pas ne demourra. Je connais que pauvres et riches, Sages et fous, prêtres et lais, Noble et vilain, larges et chiches, Petits et grands, et beaux et laids, Dames à rebrassés collets, De quelconque condition, Portants atours et bourrelets, Mort saisit sans exception. Or sont-ils morts, Dieu ait leurs âmes! Quant est des corps, ils sont pourris. Aient été seigneurs ou dames, Souef et tendrement nourris De crème, fromentée ou riz, Leurs os sont déclinés en poudre Auxquels ne chaut d'ébat, ni ris... Plaise au doux Jésus les absoudre ! » (François Villon). | La ballade au duc de Bourbon pour lui demander « un prêt » paraît être de 1458. Dans son cachot de Meung (1461), Villon rima trois ballades, dont une de ses plus belles, le Débat du coeur et du corps de Villon. Les six ballades en argot se placent entre le Testament (1461) et le procès de 1462. Les deux dernières pièces connues sont la ballade des Pendus, qu'il fit au moment où il se croyait sur le point d'être exécuté, et ses remerciements au Parlement de Paris après la commutation de peine prononcée en sa faveur. - Voilà tout le bagage de Villon, avec les Lais (c.-à-d. legs) et le Testament. Les dates de ces deux poèmes, qui sont certaines, ont été indiquées plus haut. Le même cadre, original et souple, a été adopté pour l'un et l'autre : l'auteur, prêt à quitter le monde, fait des legs à un grand nombre de personnes qu'il a connues ici-bas et règle ses funérailles. Villon, cet écornifleur émérite, d'habitudes crapuleuses, souteneur de la grosse Margot et camarade des écumeurs de la place Maubert, est le plus grand poète lyrique du Moyen âge et sans doute un des premiers de tous les temps. Son oeuvre est contenue tout entière dans une mince plaquette. Encore serait-il facile d'en retrancher près de la moitié sans nuire à la gloire de l'auteur : les opuscules de jeunesse; les ballades en jargon; les pièces en style noble, adressées à de grands personnages, embarrassées, emphatiques et vulgaires; les morceaux de circonstance qui sont bourrés d'allusions dont la clé est à jamais perdue. Mais le reste - quelques pages - est d'une forme délicieusement aisée, d'une vie, d'une puissance et d'une variété admirables. Ces pages sont immortelles, parce que, avec des dons poétiques, d'observation et d'expression extraordinaires, l'auteur s'est peint lui-même en toute sincérité; or il avait une nature très intéressante : de la fantaisie et du bon sens, de la sensibilité et de la désinvolture, de la faiblesse avec une ardeur passionnée, de l'humour et la mélancolie désespérée de ceux qui savent les misères de la vie. On l'a souvent comparé, et on ne saurait en vérité, le comparer qu'à Heinrich Heine, proportions gardées. La première édition des oeuvres de Villon, donnée par le libraire Pierre Levet, d'après des manuscrits différents de ceux qui ont été conservés, est très fautive. Il y eut vingt éditions, conformes à la première, sauf l'addition de fautes nouvelles, de 1489 à 1533. En 1533 parut l'édition de Clément Marot, « raccoutrée » à l'aide de conjectures, qui ne sont pas toutes heureuses; elle fut reproduite dix fois jusqu'en 1542. Aucune réimpression de 1542 à 1723. A cette dernière date, le libraire Coustelier donna une nouvelle édition du texte de Marot, avec des remarques d'Eusèbe de Laurière. Les éditions de l'abbé Prompsault (1832), de P. Lacroix (1854-66-77) et de L. Moland (1884) marquèrent des progrès sensibles. Mais l'édition définitive est celle de A. Longnon (1892), avec une excellente introduction bio-bibliographique. Villon a été goûté et loué par Marot et par Rabelais. Puis de nouvelles modes littéraires le firent complètement oublier. Au XVIIe siècle, Boileau, qui, sans doute, ne l'avait pas lu, proclama que Villon avait su, le premier, « débrouiller l'art confus de nos vieux romanciers », peut-être parce que Patru avait dit auparavant : « Villon avait le goût aussi fin qu'on pouvait l'avoir pour son siècle ». Au XVIIe siècle, maître François retrouva quelques admirateurs et fut l'objet de recherches savantes : Voltaire, le P. du Cerceau, La Monnoye, Lenglet-Dufresnoy, Daunou. Au XIXe, les romantiques en parlèrent avec, intelligence (Philarète Chasles, Théophile Gautier), et les représentants de la tradition classique lui ont rendu justice (Nisard), peut-être à cause des fameux vers de Boileau. Baudelaire, Verlaine et leurs disciples l'ont, naturellement, considéré comme un précurseur. (Ch.-V. L.).
| En bibliothèque - G. Paris, François Villon; Paris, 1901, in-12 (avec des renseignements bibliographiques), dans la Collection des Grands écrivains français. - Enea Balmas etYves Giraud, Histoire de la littérature française. De Villon à Ronsard, Garnier-Flammarion, 1999. - Fritz Habeck, Villon ou la légende d'un rebelle, Mercure de France, 1974. - Pierre Guiraud, Le Testament de Villon ou le Gai savoir de la Basoche, Gallimard, 1994. En librairie - François Villon : Poésies complètes (prés. Claude Thiry), Livre de Poche, 1991. - Le Testament, Mille et une nuits, 2000. Etudes : Michael Edwards, Leçons de poésie (de Villon à TS Eliot), PUF, 2001. - David Mus, La poétique de François Villon, Champ Vallon, 2000. - Du même, Le sonneur de cloches (Villon, Shakespeare, Baudelaire, Mallarmé), Champ Vallon, 2000. - Pierre Demarolle, L'esprit de Villon, 2000. - Francis Carco, Le Roman de François Villon, Table Ronde, 1997. - Collectif, Villon, hier et aujourd'hui, Paris-bibliothèques, 1996. - Collectif, Les repues franches de maistre François Villon, Droz, 1995. - Italo Siciliano, François Villon et les thèmes poétiques, Librairie Nizet, 1991. - Jean Favier, François Villon, Fayard, 1982. - Jean Dufournet, Nouvelles recherches sur Villon, 1980. - Du même, Villon, ambiguité et carnaval, Slatkine. | | |