| Etienne Pasquier est un jurisconsulte français, né à Paris le 7 juin 1529, mort à Paris le 30 août 1615. Fils d'une famille sans doute originaire de la Brie, il fit ses études de droit à Paris, vers 1545, sous Hotman et Baudouin, à Toulouse (1547) sous Cujas, puis à Pavie et à Bologne sous Alciat et Socin. Dès 1549, il était avocat au Parlement de Paris. En 1557, il épousa une jeune veuve pour qui il avait plaidé, et qui lui apporta la fortune. En 1558, il faillit mourir pour avoir mangé des champignons vénéneux, et il resta longtemps malade. Il se mit alors à voyager, allant visiter les domaines de sa femme, à Amboise (où il arriva au milieu des supplices qui suivirent la célèbre conjuration), puis à Cognac. - Etienne Pasquier (1529-1615). De retour à Paris, il s'aperçut que son absence l'avait fait oublier, et il resta quelque temps éloigné du barreau. Il y rentra dès 1562, et, en 1565, il plaida une cause retentissante : celle de l'Université contre les Jésuites, qui étaient défendus par Versoris. Pasquier, qui était profondément gallican et qui haïssait la Société, obtint un grand succès d'éloquence; cependant le Parlement ajourna le procès. En 1571, il eut la joie de faire reconnaître l'innocence de d'Arconville, que tous croyaient coupable. Il défendit plus tard Montmorency disgracié, puis la ville d'Angoulême, accusée de lèse-majesté. Il prit part, comme avocat, aux grands jours de Poitiers (1579), où il fit la connaissance de Scévole de Sainte-Marthe, et à ceux de Troyes (1583). Nommé lieutenant général de Cognac, il devint, en 1585, avocat général à la chambre des comptes; avec. beaucoup d'indépendance, il résista aux nouvelles créations et combattit l'extension de l'hérédité des charges. Bien qu'il eût souvent servi d'avocat aux princes lorrains, il n'entra pas dans la Ligue et condamna l'émeute dite des Barricades. Député aux Etats de Blois, il s'y lia avec Montaigne. Il suivit Henri III à Tours; il refusa d'être avocat du roi au Parlement, et conserva ses fonctions dans la Chambre des comptes royaliste établie dans cette ville. Sa femme, qui était restée à Paris, fut emprisonnée deux années durant par les Seize, et mourut peu de temps après avoir rejoint son mari. Pasquier ne rentra à Paris qu'avec Henri IV, lors de la reconstitution des cours souveraines. En 1604, il renonça à son office en faveur de Théodore, l'aîné de ses cinq fils. Deux, qui étaient d'épée, moururent avant lui; des trois survivants, qui furent de robe, le plus connu est Nicolas. Pasquier mourut à quatre-vingt-six ans, presque immédiatement après avoir terminé un chapitre de son grand ouvrage. Il avait, au plus haut degré, le goût des lettres, et se retirait souvent, pour le satisfaire, en Brie ou dans sa maison d'Argenteuil. Etienne Pasquier a laissé une oeuvre immense, mêlée de recherches sérieuses et de badinages; il a été tour à tour humaniste, juriste, polémiste, poète latin (sous le nom de Paschasius), poète français et, il faut le dire, assez mauvais poète. Dès 1551, il publiait : le Monophile ou seul aimant, qui fut suivi d'ouvrages analogues, les Lettres amoureuses (1567), les Ordonnances d'amour (1564). C'est à la présence de Pasquier chez les demoiselles des Roches à Poitiers, que se rattache le recueil poétique de la Puce, et au portrait qu'il fit faire de lui-même à Troyes, celui de la Main. Des oeuvres plus sérieuses sont : la Congratulation au roi (1588); le Plaidoyer pour l'Université (1594); le Pourparler du prince (1569); le Pourparler de la loi (1581). Mais elles ont été éclipsées par les fameuses Recherches de la France, dont le premier livre avait paru en 1560, et qui allèrent s'enflant, sans cesse, dans les éditions de 1565 (Lyon), 1569, 1581, 1596, 1611 (en 6 livres), jusqu'à former neuf livres après sa mort (éd. de 1621, 1633, 1665). C'est un monument d'une érudition inouïe, pas toujours très solide assurément, mais très étendue, qui porte à la fois sur l'histoire des faits, des institutions, des usages, de la langue, de la littérature, monument dont il n'existait alors aucun modèle. L'auteur y reparaît avec son esprit subtil et un peu diffus, son style enchevêtré, son patriotisme royaliste et gallican. Ce dernier sentiment se retrouve dans ses Lettres, qu'il publia de son vivant (10 livres en 1586, 1590, 1597, 1598,1607, et 22 livres en 1619), et dans le Catéchisme des Jésuites (1602), réimpressions en 1677 et en 1717. - Ronsard et son école « Ce fut une belle guerre que l'on entreprit lors contre l'ignorance;... auparavant tous ceux-ci, nostre poesie Françoise consistoit en dialogues, chants royaux, ballades, rondeaux, epigrammes, elegies, epistres, eglogues, chansons, estrennes, epitaphes, complaintes, blasons [Descriptions d'une personne ou d'une chose; Marot les mit a la mode, ainsi que les coq-à-l'âne, petits poèmes décousus dont l'incohérence apparente recouvrait des traits satiriques déguisés sous des fadaises], satyres en forme de coq-a-l'asne;... la pluspart des quelles (pieces) despleut aux nouveaux poetes, par ce que Du Bellay en son second livre de la Deffence de la langue française, commande par exprès [= expressément] au poete qu'il veut former, de laisser aux jeux Floraux de Tholose et au Puy [les Puys étaient les académies littéraires du Moyen âge. Les juges des concours poétiques siégeaient sur une estrade, appelée puy (éminence).] de Rouen... telles espisseries (ce sont ses mots) qui corrompoient le goust de nostre langue et ne servoient sinon a porter tesmoignage de nostre ignorance. Et au lieu de cela introduisismes, entre autres, deux nouvelles especes de poesie, les odes dont nous empruntasmes la façon des Grecs et Latins, et les sonnets que nous tirasmes des Italiens... Quant a la comedie et tragedie, nous en devons le premier plant [ = la tige première] a Estienne Jodelle... Il fit deux tragedies, la Cleopatre et la Didon; et deux comedies, la Rencontre et l'Eugene [Erreur. Eugène ou la Rencontre ne fait qu'une comédie.]... Cette comedie et la Cleopatre furent representees devant le Roy Henry a Paris, en l'hostel de Reims avec un grand applaudissement de toute la compaignie, et depuis encore au college de Boncour, ou toutes les fenestres estoient tapissees d'une infinité de personnages d'honneur et la cour si pleine d'escoliers que les portes du college en regorgeoient. Je le dy comme celui qui y estois present, avec le grand Tornebus [Adrien Turnèbe (1512-1565)], en une mesme chambre. Et les entreparleurs estoient tous hommes de nom; car mesme Remy Belleau et Jean de la Peruse [auteur d'une tragédie intitulée Médée] jouoient les principaux roulets [= rôles]; tant estoit lors en reputation Jodelle envers eux... Quant aux hymnes et poemes heroïcques, tel qu'est la Franciade, nous les devons seuls et pour le tout a Ronsard... En tant que touche Remy Belleau, je le pense avoir esté, en matiere de gayetez [ = poésies légères], un autre Anacreon de nostre siecle. Il voulut imiter Sannazar aux oeuvres dont il nous a fait part, car tout ainsi que Sannazar, Italien, en son Arcadie, fait parler des pasteurs en prose... aussi fait le semblable nostre Belleau en sa Bergerie. La poesie de Philippe Des Portes est doux-coulante... Mais surtout on ne peut assez haut louer la memoire du grand Ronsard... Jamais poete n'escrivit tant comme lui... et toutesfois en quelque espece de poesie ou il ait appliqué son esprit, en imitant les anciens, il les a ou surmontez ou pour le moins esgalez; car quant a tous les poetes qui ont escrit en leurs vulgaires [en leurs langues vulgaires, non en latin], il n'a point son pareil... Petrarque n'escrivit qu'en un subject, et cestuy [ = celui- ci, Ronsard] en une infinité : il a en nostre langue representé uns [Au Iieu de un Homère, un Pindare, etc., on plaçait ainsi un au pluriel devant une enumeration] Homere, Pindare, Theocrite, Virgile, Catulle, Horace, Petrarque, et par mesme moyen diversifié son style en autant de manieres qu'il luy a pleu, ores [ = tantôt] d'un ton haut, ores moyen, ores bas. Chascun luy donne la gravité, et à Du Bellay la douceur, et quant a moy, il me semble que quand Ronsard a voulu doux-couler, comme vous voyez dans ses Elegies, vous ne trouverez rien de tel en l'autre... En Ronsard je ne fais presque nul triage, tout y est beau... Les troubles estant survenus vers l'an 1560, par l'introduction de la nouvelle religion, il escrivit contre ceux qui estoient d'avis de la soutenir par les armes. Il y avoit plusieurs esprits gaillards [ = vigoureux] de ceste partie, qui par un commun voeu armeront leurs plumes contre luy. Je lui imputois a malheur que luy, auparavant chéri, honoré, courtisé par tant d'escrits, se fust fait nouvelle butte [on dit de même : en butte aux moqueries.] de mocquerie; mais certes il eut interest de faire ce coup d'essay, par ce que les vers que l'on escrivit contre luy aiguiserent sa colere et son esprit de telle façon que je suis contraint de me dementir et dire qu'il n'y a rien de si beau en tous ses oeuvres que les responses qu'il leur fit, soit a repousser leurs injures, soit a haut-louer l'honneur de Dieu et de son Eglise. Conclusion : luy qui d'ailleurs en commune conversation estoit plein de modestie, magnifie sur toutes choses son nom par ses vers, et luy promet immortalité en tant de belles et diverses manieres, que la postérité auroit honte de ne luy enterine [= ratifier juridiquement] sa requeste. » (Etienne Pasquier, extrait du livre VII des Recherches de la France). | Ses premières oeuvres et ses poésies françaises furent réunies par lui-même dans la Jeunesse de Pasquier (1610). Ses poésies latines parurent en 1582 (Steph. Paschasii... epigrammatum libri VI) et 1585 (Poemata). Enfin toutes ses Oeuvres furent réunies en 1723, en 2 vol. in-fol., dans l'édition datée d'Amsterdam (en réalité de Trévoux). Son Interprétation des Institutes, restée inédite, n'a été publiée que par Ch. Giraud, en 1847. La renommée de Pasquier était telle que Loisel publia un ouvrage sous ce titre : Pasquier, ou Dialogue des Avocats. Les jésuites ne lui pardonnèrent ni son Plaidoyer, ni surtout son Catéchisme. En 1622, le P. Garasse lança contre sa mémoire un pamphlet injurieux, les Recherches des Recherches, et il l'attaqua ensuite, non moins violemment, dans sa Doctrine curieuse (1623) et dans son Apologie (1624). Les fils du jurisconsulte publièrent alors une Défense pour Estienne Pasquier (1624), qui reparut en 1627 sous le titre d'Antigarasse. (H. Hauser). | |