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On a donné
le nom de Précieuses, dans la première moitié
du XVIIe siècle, aux dames qui fréquentèrent
l'hôtel de Rambouillet.
Il n'eut, dans l'origine, rien que d'honorable, puisqu'il indiquait, chez
celles qui le portaient, l'amour des entretiens polis, des nobles études,
et des sentiments délicats et distingués. La marquise
de Rambouillet, femme qui joignait à l'élévation
du coeur la distinction de l'intelligence, blessée par la dépravation
et le ton goguenard qui régnaient à la cour de Henri
IV, ouvrit, vers 1608, sa chambre bleue aux nobles âmes et aux
beaux-esprits faits pour aimer encore, en dépit des habitudes générales,
la pureté des moeurs, le culte de la décence et de la vertu,
les conversations sérieuses de littérature et de morale,
et le beau langage. Là se rencontrèrent, avec quelques grands
seigneurs et les gens de lettres les plus en renom, des dames spirituelles
et gracieuses, qui formèrent autour de la marquise et de sa fille,
Julie d'Angennes, comme une brillante couronne.
La princesse de Condé et sa fille,
qui devint plus tard la célèbre Mme
de Longueville, Mme de Sablé, Mlle Paulet, la lionne de l'hôtel
et l'une des correspondantes de Voiture, Madeleine
de Scudéry, etc., telles furent les premières Précieuses.
Ce petit cercle d'élite n'a pas seulement jeté comme un vernis
d'élégance sur la corruption que les habitudes soldatesques
du XVIe siècle avaient léguée
à la société du temps de Louis
XIII; il prit une part notable à la formation de la langue française
classique. On a pu dire que Malherbe et Corneille
avaient créé la poésie, Descartes
et Pascal la prose : cette vérité
n'ôte pas aux Précieuses le mérite d'avoir recommandé
et répandu le goût du langage choisi, et enrichi la langue
d'expressions qui leur ont survécu. A leur insu, elles recommencèrent
l'oeuvre avortée de la Pléiade;
comme l'école de Ronsard, elles résolurent
de dévulgariser la langue : seulement elles eurent le bonheur d'ignorer
assez le grec et le latin pour ne pouvoir pas appeler à leur aide
ces langues mortes, et elles eurent le tact de faire sortir leur dictionnaire
d'objets connus et d'images ordinaires.
Elles trouvèrent qu'on pouvait dire
: laisser mourir la conversation; le mot me manque; revétir ses
pensées d'expressions nobles; elles donnèrent cours au mot
urbanité, que leur avait fourni Guez de
Balzac; de l'avis de Voiture, elles préférèrent
le mot car à la locution' pour
ce que; elles appelèrent les cheveux roux des cheveux d'un blond
hardi, pour adoucir une vérité désagréable
particulièrement à leur sexe; avant Molière,
elles appelèrent l'hypocrisie le masque de la vertu. En même
temps, elles s'appliquaient à l'orthographe, et retranchaient de
certains mots les lettres parasites, écrivant tête
au lieu de teste, éclat au lieu d'esclat. Enfin,
elles éclairèrent de leurs critiques les écrivains
qui leur soumettaient leurs oeuvres avant d'affronter l'écueil de
l'impression; si elles se trompèrent sur Polyeucte,
elles avaient applaudi aux autres chefs-d'oeuvre de Corneille, commenté
le Discours de la Méthode,
et l'on pourrait sans, injustice attribuer quelques-unes des Maximes
de La Rochefoucauld à Mme de Sablé
et à ses amies.
Malheureusement les choses ne tardèrent
pas à se gâter. Dès l'origine, les concetti
italiens, le gongorisme espagnol, et l'euphuisme anglais
avaient mêlé l'afféterie à la grâce, et
le raffinement au naturel. Pour n'avoir pas voulu s'encanailler, pour avoir
trop évité de contrôler leurs propres jugements par
des comparaisons salutaires avec le goût du grand public, les Précieuses
ne s'aperçurent pas qu'elles substituaient l'empire de la mode et
de l'esprit de camaraderie à celui du sens commun. Bientôt,
selon l'expression de La Bruyère,
"elles laissèrent
au vulgaire l'art de parler d'une manière intelligible; une chose
dite entre elles peu clairement en entrains une autre encore plus obscure,
sur laquelle on enchérissait par de vraies énigmes, toujours
suivies de longs applaudissements."
Il eût fallu, pour prévenir
ce péril, accepter l'épreuve de la publicité, courir
le risque des moqueries même brutales du vulgaire, et les Précieuses
n'eurent garde de s'y exposer. Le mal fut bientôt à son comble,
lorsque se furent formées, sur le modèle de l'hôtel
de Rambouillet, les ruelles de Chevreuse, de Scudéry, etc., et ces
alcôves de province où l'on n'était admis qu'à
la condition de connaître le fin des choses, le grand fin, le fin
du fin. Alors on appela un miroir le conseiller des grâces, et un
fauteuil les commodités de la conversation : en supposant que Molière
ait prêté gratuitement aux Précieuses ces termes ridicules,
elles furent capables d'en créer d'équivalents. Attaquées
par Desmarets dans sa comédie des Visionnaires dès
l'année 1637, puis par l'abbé de Pure, les Précieuses
succombèrent sous les coups que leur porta Molière dans ses
Précieuses ridicules, en 1659, et dans ses Femmes savantes,
en 1672. Sous l'influence du grand comique, on sembla dès lors admettre
généralement qu'une femme en sait toujours assez.
Quand la
capacité de son esprit se hausse
A connaître
un pourpoint d'avec un haut-de-chausse.
(Les Femmes savantes,
III, 7).
Les Précieuses ont péri; mais
la mode des salons, des ruelles et de la conversation, dont l'hôtel
de Rambouillet a le premier donné le modèle, leur a survécu.
(A.H.). |
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