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On confond
souvent l'églogue et l'idylle
(du grec eidullion, diminutif de eidos = petite pièce,
morceau détaché). On a vu cependant qu'à s'en tenir
à l'étymologie le mot églogue indiquait des morceaux
choisis sans acception de genre. Le mot idylle n'a pas de signification
beaucoup plus précise; il servait à désigner primitivement
de petits tableaux champêtres ou autres.
En fait, et non plus que les églogues
de Virgile, les idylles de Théocrite,
par exemple, n'avaient pour objet la peinture exclusive de la vie des champs.
Ainsi Théocrite a-t-il donné
le nom d'idylles à ses poèmes, qui roulent les uns sur des
sujets champêtres, les autres sur des sujets
érotiques, ou dramatiques, ou même épiques, etc.
Ausone a fait de même pour ses poésies
détachées, où l'on trouve des vers sur la Pâque,
un éloge funèbre de son père, une description de sa
petite campagne, etc.
Aujourd'hui, églogue et idylle sont
à peu près synonymes et s'appliquent à de petites
pièces de vers descriptives dont la nature fait tous les frais.
L'idylle ne diffèrerait de l'églogue
qu'en ce qu'elle est toujours un récit ou une description, qu'elle
ne prend pas la forme du dialogue, et qu'elle est moins animée.
On leur donne encore quelquefois un autre nom : celui de pastorales. Mais
les pastorales seraient plutôt des
idylles ou des églogues développées, portées
jusqu'au poème; le nom conviendrait également davantage qu'idylle
ou églogue, à certaines oeuvres en prose, comme l'Astrée,
Paul et Virginie,
la Mare au diable,
etc., qui mettent en scène des personnages et des moeurs empruntés
à la vie des champs.
Quoi qu'il en soit, et une fois admise
l'acception moderne du mot idylle, il serait aisé de reconnaître
dans des épisodes comme celui de Ruth ou d'Eliézer et Rebecca,
dans la scène des moissonneuses du bouclier d'Achille,
dans l'arrivée d'Ulysse chez Eumée,
etc., le dessin indicateur et comme les premiers linéaments du genre.
«
Bien plus, dit A. Henry, si l'on voulait se rapporter à d'antiques
traditions, la Grèce aurait eu sa poésie pastorale spontanée
antérieure à toutes les règles de l'art, comme elle
se glorifie d'avoir eu ses épopées naïves dans l'Iliade
et l'Odysée [...]. Un berger plus habile que les autres sur la flûte
et le chant, le Sicilien Daphnis, dont le nom seul a survécu aurait
été l'Homère pastoral de cette époque primitive,
puis les générations qui suivirent se seraient transmis pieusement
ses inspirations que Théocrite aurait enfin accommodées aux
lois de l'art. »
Ce n'est là qu'une légende.
Le vrai créateur de l'idylle chez les Grecs
fut Théocrite, « le seul des poètes bucoliques aujourd'hui
connus, dit Pierron, qui ait peint les bergers d'après nature ».
Bion et Moschus, qui
l'imitèrent à leur tour, gâtèrent leur modèle
par des grâce trop savantes. Virgile lui-même ne vit dans l'idylle
qu'un cadre à souhait pour sa mélancolie; ses bergers ont
étudié à Rome et ils discutent
aux champs comme chez Pollion. Stace,
avec ses Silves,
Columelle, avec sa Chose rustique, Némésien, Calpurnius,
etc., sont plus philosophes ou didactiques que pastoraux.
Au Moyen
âge, les faiseurs de pastourelles
du Midi et du Nord, Giraut Riquier, Marcabrun,
Thibaut de Navarre, etc., les auteurs plus ou moins anonymes du chante-fable
d'Aucassin et Nicolette
et du cycle de Robin et Marion
peuvent être rangés parmi les continuateurs du genre. On arrive
ainsi aux pastorales de Clément Marot, où,
devançant Ronsard, il change Louise de
Savoie en la bergère Loyse et Marguerite de Navarre en Margot. Les
idylles de Ronsard tombent dans le même convention et ce sera exceptionnel
qu'on en sorte ensuite.
Le plus qu'on puisse demander au genre,
c'est une certaine sincérité d'émotion, un sentiment
assez vif des choses de la nature. Encore ne trouverions-nous rien d'analogue,
au siècle suivant, chez Honoré d'Urfé,
dont l'Astrée, la Sylvanire, etc., imitées
des pastorales alambiquées de Gongora,
Sottomayor, etc., sont moins des idylles, d'ailleurs, que des conversations
galantes au frais, dans un parterre bien peigné. Racan
a quelques jolies stances sur la retraite;
Segrais voit la nature à travers l'Antiquité,
sans rien de personnel; des traits heureux, çà et là,
chez Théophile de Viau, chez Saint-Amand,
chez Mme Deshoulières, chez Fontenelle
lui-même qui se fit, en outre, le théoricien du genre, ce
serait tout l'actif du XVIIe siècle,
n'était cette immortelle histoire de Philémon et Baucis
qu'on peut donner en toute sécurité pour le modèle
des idylles mythologiques.
Au XVIIIe
siècle, La Motte-Houdard fait seul figure,
et assez triste, avec Florian, Boucher, quelques
autres, à qui Gessner ouvre la voie d'Allemagne,
jusqu'à Bernardin de Saint-Pierre et
André Chénier. Mais Paul et
Virginie dépasse les proportions d'une simple idylle; il faut
y voir la merveille des pastorales en prose. Les idylles d'André
Chénier, c'est l'antiquité retrouvée; l'immortelle
fraîcheur du vers survit au sujet et aux personnages, encore tout
conventionnels.
Pour entendre de vrais paysans et avoir
la complète jouissance d'une restauration de l'idylle à la
façon de Théocrite, il faut arriver à Brizeux
avec Marie; à Laprade, avec Pernette;
à Autran avec les Poèmes de la
mer;
à Mistral, avec Mireille, et ensuite,
écouter André Theuriet, l'un des
maîtres du genre, André Lemoyne, Gabriel Vicaire, Jean Aicard,
Jules Breton, Gabriel Marc, François Fabié, Jean
Richepin, etc., sans préjudice des romanciers qui comme George
Sand (la Petite Fadette, la Mare au diable, les Maîtres chanteurs,
etc.), Emile Pouvillon, Léon Cladel, Pierre
Loti, J. de Glouvet, Ferdinand Fabre, etc.,
ont donné dans la pastorale en prose. (Charles Le
Goffic). |
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