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Boileau

Nicolas Boileau-Despréaux, le législateur du Parnasse, est un écrivain français né en 1636 à Crône, ou suivant d'autres biographes à Paris, et mort en mai 1711. Il n'annonça pas dès son enfance ce qu'il devait être un jour. La faiblesse de sa constitution, les maladies qu'il essuya ne contribuèrent pas peu à retarder ses études. Il les avait commencées au collège d'Harcourt; mais ce ne fut qu'à celui de Beauvais, étant à sa troisième, qu'il se fit remarquer par sa passion pour la lecture des grands poètes de l'Antiquité. Après avoir suivi quelque temps le barreau et s'être fait recevoir avocat, il abandonna Cujas et Alciat, au grand scandale de sa famille et surtout de son beau-frère Dongois, le greffier, qui jugea dès lors qu'il ne serait qu'un sot toute sa vie.
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Boileau.
Nicolas Boileau (1636-1711).

La scolastique n'eut pas plus d'attraits pour ce disciple d'Horace, et il se livra dès lors tout entier aux lettres. Sa première satire parut dans un temps où, malgré les chefs-d'oeuvre de Corneille et de Molière, Chapelain était encore l'oracle de la littérature. Mais avant Boileau personne n'avait encore si bien écrit en vers, ni développé comme lui toutes les ressources de la langue poétique; les sept premières satires qui parurent en 1666, obtinrent un succès prodigieux, qu'accrut encore la haine maladroite des auteurs que le jeune poète avait critiqués. Il leur répondit par la 9e satire à son esprit, chef-d'oeuvre dans lequel il se surpassa lui-même, et où se trouve réunie à l'élégance continuelle du style une plaisanterie piquante et toujours de bon ton. Il fut moins bien inspiré dans la satire contre les femmes, qui pèche par la monotonie, et dans celles de l'équivoque et de l'homme, ses deux plus faibles.

Ce fut dans la maturité de l'âge qu'il composa ses épîtres, qui l'ont mis au-dessus d'Horace, auquel il est inférieur pour les satires. Mais il reprit sa supériorité dans l'Art poétique, où, surmontant de nombreuses difficultés, il s'élève plus haut qu'on ne devait l'attendre d'un tel sujet. Rien n'égale la régularité du plan et l'élégance ferme et soutenue du style. II définit chaque genre avec précision et pureté, et donne les règles du beau en même temps qu'il en offre le modèle: Le Lutrin suivit bientôt l'Art poétique, et ce charmant badinage, que l'auteur entreprit sur un défi du président de Lamoignon, devint un autre chef-d'oeuvre qui n'a rien de comparable en aucune langue, et qui répondit victorieusement à ceux qui l'accusaient de manquer de fécondité.
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Boileau à la campagne

« Oui, Lamoignon, je fuis les chagrins de la ville, 
Et contre eux la campagne est mon unique asile. 
Du lieu qui m'y retient veux-tu voir le tableau? 
C'est un petit village, ou plutôt un hameau,
Bâti sur le penchant d'un long rang de collines, 
D'où l'oeil s'égare au loin dans les plaines voisines. 
La Seine, au pied des monts que son flot vient laver, 
Voit du sein de ses eaux vingt îles s'élever, 
Qui, partageant son cours en diverses manières,
D'une rivière seule y forment vingt rivières.
Tous ses bords sont couverts de saules non plantés, 
Et de noyers souvent du passant insultés. 
Le village au-dessus forme un amphithéâtre; 
L'habitant ne connaît ni la chaux ni le plâtre; 
Et dans le roc, qui cède et se coupe aisément, 
Chacun sait de sa main creuser son logement. 
La maison du seigneur, seule un peu plus ornée, 
Se présente au dehors de murs environnée. 
Le soleil en naissant la regarde d'abord, 
Et le mont la défend des outrages du nord.

C'est là, cher Lamoignon, que mon esprit tranquille 
Met à profit les jours que la Parque me file. 
Ici, dans un vallon bornant tous mes désirs, 
J'achète à peu de frais de solides plaisirs. 
Tantôt, un livre en main, errant dans les prairies,
J'occupe ma raison d'utiles rêveries;
Tantôt, cherchant la fin d'un vers que je construi, 
Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avait fui. 
Quelquefois, aux appâts d'un hameçon perfide, 
J'amorce en badinant le poisson trop avide; 
Ou d'un plomb qui suit l'oeil, et part avec l'éclair, 
Je vais faire la guerre aux habitants de l'air. 
Une table au retour, propre et non magnifique, 
Nous présente un repas agréable et rustique. 
Là, sans s'assujettir aux dogmes de Broussain,
Tout ce qu'on boit est bon, tout ce qu'on mange est sain; 
La maison le fournit, la fermière l'ordonne, 
Et mieux que Bergerat l'appétit l'assaisonne. 
O fortuné séjour! ô champs aimés des cieux! 
Que, pour jamais foulant vos prés délicieux, 
Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde 
Et, connu de vous seuls, oublier tout le monde! »
 

(N. Boileau).

Des productions d'un si haut mérite, et la pureté de ses moeurs, lui valurent la protection de Louis XIV. Une pension de 2000 livres, le privilège pour l'impression de ses ouvrages, et l'honneur d'être associé à Racine pour écrire l'histoire du grand règne, furent la récompense de ses travaux. Les deux grands poètes suivirent quelque temps Louis dans ses triomphes, mais ne laissèrent rien d'important sur les événements dont ils furent témoins. Après la mort de Racine, Boileau ne revint que rarement à la cour, où il conserva toujours la dignité de son caractère. Dégoûté du monde, il ne sortait plus guère de sa retraite d'Auteuil, et, n'y recevait que des amis. 

Philosophe chrétien, il supporta courageusement les infirmités de l'âge et le dépérissement d'une santé qui avait toujours été délicate, et fut enlevé aux lettres le 13 mai 1711, à la suite d'une hydropisie de poitrine, à l'âge de 75 ans. II laissa en mourant presque tous ses biens aux pauvres. En 1684, l'Académie française et celle des inscriptions et belles-lettres lui ouvrirent leurs portes. Comme poète, Boileau mérite à jamais la reconnaissance de la postérité pour avoir achevé d'expulser le mauvais goût, et fixé d'une manière invariantes les lois et les ressources de la véritable poésie. Élevé à l'école des grands poètes de l'Antiquité, qu'il défendit toujours contre les attaques de l'ignorance ou de l'injustice, il en avait surtout appris à travailler lentement, et ce fut d'après eux qu'il eut la gloire de former Racine.
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Bernard Picard : frontispice des Oeuvres de Boileau.
Frontispice d'une édition des Oeuvres de Boileau datée de 1729. Gravure de Bernard Picart.

Rarement injuste dans ses satires, genre où il est si facile de l'être, ses décisions sont encore admirées aujourd'hui pour la justesse, la solidité et le goût qui y règnent. Ce qui caractérise surtout ce grand poète, c'est l'art de conserver à chaque genre la couleur qui lui est propre, d'être vrai dans ses tableaux comme dans ses jugements, de faire valoir les mots par leur arrangement, de relever les petits détails, d'agrandir son sujet, d'enchâsser des pensées fortes et énergiques dans des vers harmonieux et plein de choses, mais toujours dominés par la raison, qui ne l'abandonne jamais dans ses écrits. 

Tant de qualités portées à un si haut degré lui assureront toujours, malgré l'injuste prévention des philosophes du XVIIIe siècle, la première place sur le Parnasse français. La bonté, la générosité et la solidité de son caractère, sa probité rigide et religieuse, son désintéressement, sa modestie, son impartialité, ne lui font pas moins d'honneur. Il n'était vraiment cruel qu'en vers, comme le disait elle Mme de Sévigné, et l'on était surpris de la douceur de sa conversation. Sa conduite était tellement irréprochable, qu'elle le mit toujours à l'abri des attaques des nombreux ennemis que ses satires ne pouvaient manquer de lui faire. Un des meilleurs éloges de Boileau est celui de Auger, couronné par l'Institut en 1805. (A19).
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Paris : la maison de Boileau.
La maison de Boileau à Auteuil (Paris).


En bibliothèque - Les principales éditions anciennes des Oeuvres de Boileau sont celles de Brossette, son ami, publiée par Souchay, Paris, 1740; de Didot, à l'usage du dauphin, Paris, 1789, 2 vol. in-4; de P. Didot, 1819, 2 vol. in-fol.; de Daunou, Paris, 1809, 3 vol., et 1825, 4 vol. in-8; de Amar, Paris, 1825, 4 vol. in-8. Cependant dant l'édit. de 1747, 5 vol. in-8, avec les remarques de Lefèvre de St-Marc, est encore recherchée. Editions plus récentes : Les satires, Ressouvenances, 2002; Epistres, STFM, 1937.

En librairie - Boileau, Racine, Correspondance, Bartillat, 2001. - Boileau, Oeuvres (t. 1 : Satires, le Lutrin), Flammarion (GF), 1993.

Pierre Hartmann, Du sublime de Boileau à Schiller, Presses universitaires de Strasbourg, 1998.

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Extrait de l'Art poétique

« Dans Florence jadis vivait un médecin, 
Savant hâbleur, dit-on, et célèbre assassin. 
Lui seul y fit longtemps la publique misère : 
Là le fils orphelin lui redemande un père;
Ici le frère pleure un frère empoisonné :
L'un meurt vide de sang, l'autre plein de séné; 
Le rhume à son aspect se change en pleurésie, 
Et par lui la migraine est bientôt frénésie.
Il quitte enfin la ville, en tous lieux détesté. 
De tous ses amis morts un seul ami resté 
Le mène en sa maison de superbe structure. 
C'était un riche abbé, fou de l'architecture. 
Le médecin d'abord semble né dans cet art, 
Déjà de bâtiments parle comme Mansart 
D'un salon qu'on élève il condamne la face;
Au vestibule obscur il marque une autre place;
Approuve l'escalier tourné d'autre façon. 
Son ami le conçoit, et mande son maçon. 
Le maçon vient, écoute, approuve, et se corrige. 
Enfin pour abréger un si plaisant prodige,
Notre assassin renonce à son art inhumain; 
Et désormais, la règle et l'équerre à la main, 
Laissant de Galien la science suspecte, 
De méchant médecin devient bon architecte.
Son exemple est pour nous un précepte excellent.
Soyez plutôt maçon, si c'est votre talent, 
Ouvrier estimé dans un art nécessaire, 
Qu'écrivain du commun, et poète vulgaire. 
Il est dans tout autre art des degrés différents, 
On peut avec honneur remplir les seconds rangs;
Mais, dans l'art dangereux de rimer et d'écrire,
Il n'est point de degrés du médiocre au pire. »
 

(N. Boileau).
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