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Ambroise Paré

Ambroise Paré, le père de la chirurgie française, est  né à Bourg-Hersent, près de Laval (Mayenne), en 1509 ou 1510,  et mort à Paris le 20 décembre 1590. Son père, après lui avoir fait apprendre ce que l'on enseignait alors dans les écoles, le mit en pension chez un chapelain, nommé Orsoy, lequel, à raison de l'extrême modicité de la somme qu'on lui payait pour enseigner le latin à cet enfant, tâchait de se dédommager en le faisant travailler à son jardin, en lui donnant sa mule à soigner et en l'employant à d'autres corvées semblables. Le jeune Paré, en sortant de la maison du chapelain, fut placé chez un chirurgien de Laval, nommé Vialot, duquel il apprit à phlébotomiser. Le lithotomiste Laurent Colot, fort jeune alors, étant venu opérer de la taille un des confrères du chapelain, Ambroise Paré assista avec empressement à l'opération, et se sentant une vocation décidée pour la haute chirurgie, il prit la résolution de se rendre à Paris pour suivre les leçons des maîtres qui y brillaient à cette époque (H. Larbalestrier, Bruneil, S. Pineau, etc.), et qui expliquaient les ouvrages de Lanfranc et de Gui de Chauliac. Jacques Goupil, professeur au collège de France l'employait, à l'Hôtel-Dieu, auprès de ses malades pour la petite chirurgie, et contribua à développer en lui le goût de l'étude et le talent de l'élocution; car Paré parlait très bien. 

Attaché en qualité de chirurgien au sieur René de Monte-Jean, colonel-général des gens de pied, Ambroise Paré accompagna en 1536 ce seigneur en Italie, où il participa à la campagne du Piémont et se distingua par les innovations qu'il apporta dans le pansement des plaies par armes à feu. Il revint à Paris après la prise de Turin et la mort de son protecteur. Sa grande expérience et sa bonne renommée le firent élever, au rang de chirurgien gradué ou docteur en chirurgie au collège Saint-Edme; il en devint prévôt, et ne fit jamais partie de la communauté des barbiers. 

En 1542, il rentra au service de Henri de Rohan et assista à l'affaire de Perpignan, où il guérit le maréchal Ch. Cossé de Brissac, blessé, puis en 1544, il assista au siège de Guise, en 1545 à celui de Boulogne-sur-Mer. Cette même année, il publia son premier ouvrage : la Méthode de traicter les playes par hacquebutes, et aultres bastons de feu, et celles qui sont faictes par flèches, dards et semblables (Paris, in-12; 1552, in-8); en 1549, il mit au jour : Briefe Collection de l'administration anatomique, avec la manière de conjoindre les os et d'extraire les enfants, tant morts que vivants, du ventre de leur mère

En 1552, il fut nommé chirurgien ordinaire du roi Henri II, et servira plus tard en cette qualité François Il, Charles IX et Henri III.  En attendant, ce fut peu de temps après sa nomination que la faible garnison de Metz, attaquée par Charles-Quint en personne, à la tête d'une armée de 120.000 hommes, et consternée de voir que la mort était la suite de presque toutes les blessures, réclama des bontés du roi que Paré y fût envoyé. Les ordres furent aussitôt donnés, et, grâce à l'infidélité d'un capitaine italien, le chirurgien français fut introduit dans la place. Sa présence fut regardée comme un bienfait du ciel : généraux et soldats, pressés autour d'Ambroise, lui prodiguaient les témoignages de leur estime et de leur affection, et s'écriaient :

« Nous ne craignons plus de mourir de nos blessures; notre ami est parmi nous. » 
Ambroise Paré assista ensuite à la prise de Thérouanne que l'ennemi mit à sac, et en 1554, il fut admis au collège de chirurgie de Saint-Cosme. En 1558, il assista à la désastreuse bataille de Saint-Quentin, puis revint à Paris pour être appelé, peu après, au camp d'Amiens. L'auteur des Anecdotes françaises et la plupart des écrivains ont attribué à Paré la guérison du duc François de Guise, qui avait reçu devant Boulogne un coup de lance, dont le fer, qui avait traversé depuis un peu au-dessus du nez jusque entre la nuque et l'oreille, furent retirés avec le plus grand succès à l'aide d'une tenaille de maréchal. Il fut aussi actif à la bataille de Dreux (1562) et à celle de Moncontour (1569). 
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Le siège de Metz

« Estant pres du camp, je vis à plus d'une lieuë et demie des feux allumés autour de la ville, ressemblant quasi que toute la terre ardoit [ = et il semblait que toute la terre brûlait], et m'estois advis que nous ne pourrions jamais passer au travers de ces feux sans estre descouverts [A. Paré, avec son domestique et un capitaine italien cherchaient à pénétrer dans Metz] et par consequent estre pendus et estranglés ou mis en pieces ou payer grosse rançon. Pour vray dire, j'eusse bien et volontiers voulu estre encore à Paris pour le danger eminent que je prevoyois. Dieu conduit si bien nostre affaire que nous entrasmes en la ville à minuit, avec un certain signal que le Capitaine avoit avec un autre Capitaine de la compagnie de monsieur de Guise lequel seigneur j'allay trouver en son lict, qui me reçeut de bonne grace, estant bien joyeux de ma venue [...].

Je demanday puis apres à monsieur de Guise qu'il [ = ce qu'il] luy plaisoit que je feisse des drogues que j'avais apportees; il me dit que je les departisse [ = partageasse] aux Chirurgiens et Apoticaires, et principalement aux pauvres soldats blessés qui estoient en grand nombre à l'hostel Dieu : ce que je fis : et puis asseurer que ne pouvoir assez tant faire que d'aller voir les blessés qui m'envoyoient querir pour les visiter et penser [ = panser].

Tous les seigneurs assiegés me prieront de solliciter [m'occuper de] bien soigneusement sur tous les autres monsieur de Pienne qui avoit esté blessé d'un esclat de pierre d'un coup de canon à la temple [ = tempe], avec fracture et enfonceure de l'os; et fut quatorze jours sans pouvoir parler ny ratiociner [ = reprendre connaissance] [...]. Il fut trépané à coste du muscle temporal, sur l'os coronal. Je le pensay avec d'autres chirurgiens et Dieu le guarist [voilà, sous sa forme authentique, cette célèbre pensée reproduite généralement sous une forme plus concise et plus sentencieus  : Je panse et Dieu guérit]; et aujourd'huy est encore vivant, Dieu merci.

L'Empereur faisoit faire la batterie de quarante doubles canons où la poudre n'estoit espargnée jour ny nuit. Subit que [ = sitôt que] monsieur de Guise vit l'artillerie assise [ = établie] et braquée pour faire breche, fit abbattre les maisons les plus proches pour remparer [ = faire des remparts, fortifier]; et les poultres et solives estoient arrengées bout à bout, et entre deux, des fascines, de la terre, des licts [ = couches] et balles de laine, puis on remettoit encore par-dessus autres poultres et solives, comme dessous. Or beaucoup de bois des maisons des faulxbourgs qui avoient esté mises par terre (de peur que l'ennemy ne s'y logeast au couvert, et qu'ils ne s'aidassent du bois) servit bien à remparer la breche. Tout le monde estoit empesché [ = occupé] à porter la terre pour la remparer jour et nuict. Messieurs les Princes, Seigneurs et Capitaines, Lieutenans, Enseignes, portoient tous la hotte pour donner exemple aux soldats et citoyens à faire le semblable : ce qu'ils faisoient, voir [ = même] jusques aux dames et damoiselles, et ceux qui n'avoient des hottes s'aidoient de chauderons, panniers, sacs, linceuls [ = draps de lit], et tout ce qu'ils pou voient pour porter la terre : en sorte que l'ennemy n'avoit point si tost abbatu la muraille qu'il ne trouvast derriere un rempart plus fort [...].

Nos gens faisoient souvent des sorties, par le commandement de monsieur de Guise. Un jour devant [ = le jour d'avant, la veille] il y avoit grand presse à se faire enroller de ceux qui devoient sortir [...]. Lesquels alloient jusques aux tranchées les [ = les ennemis] resveiller en sursaut, là où l'alarme se donnoit en leur camp [ = le camp des Espagnols]; et leurs tabourins [ = les tambours des Espagnols] sonnoient plan, plan, ta ti ta ta, ta ti ta tou, touf touf [Ceci rappelle le vers d'Ennius : At tuba terriblli sonitu taratantara dixit. " Le clairon a fait retentir son terrible taratantara. " Voir le commentaire de Servius sur Virgile, Énéide, IX, 503.]; pareillement leurs trompettes et clairons ronfloient et sonnoient boutte selle, boutte selle, boutte selle, monte à cheval, monte à cheval, monte à cheval, monte à caval, à caval, et tous les soldats crioient à l'arme, aux armes, etc., comme l'on fait la huée aprés les loups; et tous divers langages [l'armée de Charles-Quint était composée d'Espagnols, d'Autrichiens, de Wallons, etc.], selon les nations. Et les voyoit-on sortir de leurs tentes et petites loges, drus comme fourmillons lorsqu'on descouvre leurs fourmillieres, pour secourir leurs compagnons qu'on degosilloit [ = égorgeait] comme moutons... Et quand les nostres se voyoient forcés, revenoient en la ville tousjours en combattant, et ceux [ = les ennemis qui les poursuivaient] qui couroient après estoient repoussés à coup d'artillerie [...]. Et nos soldats qui estoient sur la muraille faisoient une escopeterie [ = fusillade; de escopette, sorte d'arme à feu] et pleuvoir leurs balles sur eux dru comme gresle, pour les renvoyer coucher; où plusieurs demeuroient en la place du combat. Et nos gens aussi ne s'en revenoient tous leur peau entiere et en demeuroient tousjours quelques-uns pour la disme, lesquels estoient joyeux de mourir au lict d'honneur. Et là où il y avoit un cheval blessé, il estoit escorché et mangé par les soldats; c'estoit au lieu de boeuf et de lard. Et pour penser nos blessés, c'estoit à moy à courir. Quelques jours après on faisoit autres sorties qui faschoient fort les ennemis, pour ce qu'on les laissoit peu dormir à seureté [...].

[ Ambroise Paré raconte ensuite la résolution prise par Charles-Quint de ne partir de devant la place « qu'il ne la prist par force ou par famine, quand il devroit perdre toute son armée »; l'acharnement que montrent les assiégés pour la défense de la ville; le rationnement des vivres et les travaux des habitants qui font de chaque quartier, de chaque maison autant de forteresses à emporter; enfin l'engagement qu'ils prennent, au cas où les Espagnols auraient renversé tous les obstacles, de brûler leurs trésors pour que les ennemis n'en fissent trophée, de détruire les munitions et les vivres, et de mettre le feu en chaque maison, pour brusler les ennemis et eux ensemble.]

Les citoyens l'avoient ainsi tous accordé, plus tost que de voir le cousteau sanglant sur leur gorge et leurs femmes et filles prendre à force, par les Espagnols cruels et inhumains.

Or nous avions certains prisonniers que monsieur de Guise renvoya sur leur foy, auxquels taciturnement on avoit voulu qu'ils conceussent nostre derniere volonté et desespoir, lesquels estant arrivés en leur camp ne differerent de la publier [...]. L'Empereur ayant entendu ceste deliberation de ce grand guerrier monsieur de Guise, mit de l'eau dans son vin, et refrena sa grande cholere, disant qu'il ne pourroit entrer en la ville sans faire une bien grande boucherie et carnage, et espandre beaucoup de sang tant des defendans que des assaillants, et fussent tous morts ensemble, et à la fin, il n'eust sceu avoir autre chose que des cendres : et qu'après on eust peu dire que c'eust esté une pareille destruction que celle de la ville de Jerusalem, faite jadis par Titus et Vespasian. L'Empereur donc ayant entendu nostre derniere resolution et voiant le peu qu'il avoit avancé par sa batterie, sappes et mines, et la grand'peste qui estoit en son camp, et l'indisposition du temps [= la saison défavorable], et la necessité [ = besoin] de vivres et d'argent, et que ses soldats se desbandoient et par grandes troupes s'en alloient : concleut enfin de se retirer [...].

Voila comme nos chers et bien aimés Imperiaux s'en allerent de devant Mets, qui fut [ = ce qui eut lieu] le lendemain de Noël, au grand contentemenit des assiégés et louange des Princes, Seigneurs, Capitaines, et soldats qui avoient enduré les travaux de ce siege l'espace de deux mois. Toutesfois ne s'en allerent [les ennemis] pas tous, il s'en fallut plus de vingt mille, qui estoient morts tarnt par l'artillerie et coups de main que de la peste, du froid et de la faim [...]. On alla où ils avoient campé où l'on trouva plusieurs corps morts non encore enterrés et la terre toute labourée comme l'on voit le cimetiere sainct Innocent durant quelque grande mortalité. Et en leurs tentes, pavillons et loges, y avoient laissé pareillement plusieurs malades [...]. Mondit seigneur de Guise fit enterrer les morts et traiter leurs malades [...] et me commanda et aux autres chirurgiens de les aller penser et medicamenter ce que nous faisions de bonne volonté; et croy qu'ils n'eussent fait le semblable envers les nostres, parce que l'Espagnol est tres-cruel, perfide et inhumain [***]. »
 

(A. Paré, extrait de l'Apologie et Voyages; Voyage de Metz).
[***]  la relation du Siège de Metz par l'Empereur Charles V, en l'an 1552, due a Bertrand de Salignac, l'oncle de Fénelon; et les Mémoires relatifs à l'histoire de France, publiés par Michaud et Poujoulat. Leroux de Lincy a publié de curieuses chansons populaires sur le siège de Metz dans son Recueil de chants historiques français.

Dans cette période, il publia : la Méthode curative des playes et fractures de la teste humaine (Paris, 1561, in-8); Traité de la peste, de la petite vérole et rougeolle (Paris, 1568, in-8); deux livres de chirurgie : 1° De la génération de L'homme, et maniére d'extraire les enfants hors du ventre de la mère; 2° Des monstres tant terrestres que marins (Paris, 1573, in-8); De la mumie; des venins; de la licorne; de la peste (Paris, 1582, in-8).

Ambroise Paré, vivant à la cour, eut de bons amis et beaucoup d'ennemis. Des médecins, qui le haïssaient, l'accusèrent d'avoir empoisonné François Il en lui faisant des injections dans l'oreille droite, qui depuis longtemps coulait et était douloureuse. Cette horrible imputation parvint jusqu'à Catherine de Médicis, qui s'écria-:

« Non, non, Ambroise est trop  homme de bien et notre bon ami pour avoir eu la pensée de ce projet odieux. » 
Charles IX souffrait cruellement des accidents qui lui étaient survenus à la suite d'une saignée au bras, et déjà tout faisait craindre une issue funeste, lorsque, par une thérapeutique aussi habile qu'énergique, Paré sut conjurer le danger et sauva la vie du prince. On a rapporté une anecdote pour montrer combien le roi lui en avait été reconnaissant : à l'époque du massacre de la Saint-Barthélémy, le roi, dit Brantôme, ne voulut sauver la vie à personne, sinon à maître Ambroise Paré, son premier chirurgien.
« Il l'envoya querir et venir le soir dans sa chambre et garde-robe, lui commandant de n'en bouger, et disoit qu'il n'étoit pas raisonnable qu'un qui pouvoit servir à tout un petit monde tôt ainsi massacré. »
Mais on sait aujourd'hui qu'Amboise Paré n'était pas huguenot et qu'il n'eût donc pas à être sauvé par Charles IX du massacre de la Saint-Barthélemy : P. Valet a établi qu'il était en réalité catholique; c'est ce que prouvent son mariage à l'église Saint-Séverin et le fait qu'il remplit l'office de parrain à Saint-André-des-Arts.

Quoi qu'il en soit, Ambroise Paré sut dans une autre occasion profiter de son crédit près du prince pour sauver la vie d'un de ses confrères. Jean Chapelain, premier médecin de Charles IX, avait été accusé de haute trahison par ses ennemis. Le roi, qui l'aimait, s'en plaignit à son cher Ambroise, qui lui dit :

« Non, sire, non, les coupables sont les accusateurs, qui cherchent à vous enlever un de vos meilleurs serviteurs »; 
et Charles alla dîner chez son médecin, reçut la coupe de sa main et but d'un trait (Naucel, In opusc., p. 102). Henri III n'eut pas moins de bienveillance pour Ambroise Paré. On sait que le savant Louis Duret avait élevé Achille de Harlay, ce magistrat si intègre, si éclairé, si courageux. Un jour le roi écria en le voyant :
Darets, si filium haberem, tua curae ejus educatio et institutio esset. 
Ambroise Paré était présent.
"M'avez-vous compris? lui demanda le roi. - Oh! qu'oui, sire, répondit le chirurgien; c'est-à-dire que vous donneriez l'esprit du prince à manier à maître Louis et le corps à maître Ambroise. 
Le roi s'amusa fort de cette réponse. Henri aimait s'entretenir avec son premier chirurgien de l'anatomie et de la chirurgie. Paré fit graver les instruments, et fit imprimer dans un cahier à part les figures d'anatomie qu'on voit dans ses oeuvres, pour complaire au roi, qui plutôt que de lire des ouvrages de ce genre, se contentait de voir les portraits et les figures. 

Ambroise Paré parle des frais que les gravures lui avaient coûtés; mais il ajoute:

" Je ne me soucie pas de ces frais pour complaire à mon bon maître."
Paré avait toujours eu le goût de l'histoire naturelle. Il se plaisait dans les cabinets de ce genre, et avait fait lui-même une collection de pièces rares et curieuses, dont il devait une grande partie à la munificence de Charles IX, qui lui envoyait la plupart des oiseaux étrangers qu'on lui apportait pour les embaumer. En 1575, Henri IlI eut une otalgie si aiguë et accompagnée de symptômes si étranges qu'on renouvela les soupçons d'empoisonnement. Mais ce fut vainement qu'on essaya de rendre Paré suspect : il ne fit aucun remède, ni injections, ni applications, qu'en présence des médecins que Catherine avait placés près de son fils. Les médecins de la cour, jaloux de la considération que l'on accordait à Ambroise Paré, cherchaient toujours à l'éloigner de leurs consultations; il dit un jour au docteur Auger Ferrier, médecin de Catherine de Médicis, lequel avait empêché qu'il n'assistât à une consultation à la cour, et lui avait montré peu d'égards :
" Ingrat! tu as battu ton père. " 
Ferrier était fils d'un chirurgien de Toulouse. Ce fut par ordre du roi et de la reine que Paré fut appelé lors de la maladie à laquelle Charles IX succomba. On le consulta en cachette dans plus d'une circonstance, et l'on a trouvé dans ses papiers que, si l'on eût voulu le croire, le fils aîné de Jeanne d'Albret ne serait pas mort. Les seigneurs de la Cour appelaient les tisanes que leur donnait Paré de l'ambroisie : "Je vis d'ambroisie", disait un jour à Henri III Saint-Mégrin, son mignon, que Paré traitait d'un mal galant. L'anecdote suivante prouve la haute considération dont Paré jouissait à la cour. Bussy d'Amboise, l'un des plus braves seigneurs du temps, descendait un matin avec Ambroise Paré. Un huissier du roi vint de la part de Sa Majesté appeler Ambroise. Bussy entendit "d'Amboise" et, croyant que s'était lui que le roi appelait, sempresse d'entrer chez Sa Majesté; mais c'était le chirurgien que le roi demandait. Les courtisans ayant ri de cette méprise, Bussy leur dit :
" Si je n'étais pas d'Amboise, je voudrais être Ambroise; il n'est pas un homme dont je fasse plus de cas."
Cette justice était due au mérite d'Ambroise Paré comme chirurgien et à ses vertus privées. Il refusa les offres qui lui furent faites par un prince étranger pour l'attirer à son service, et il se déguisa, afin de se soustraire à l'avidité des Espagnols, qui l'avaient fait prisonnier dans Hesdin, voulant ménager au roi et à l'Etat le prix d'une forte rançon, qu'on n'eût pas manqué d'exiger.

Les oeuvres d'Ambroise Paré.
On a déjà mentionné en passant les oeuvres d'Ambroise Paré. Voici quelques détails sur ces ouvrages, dont la Faculté de médecine de Paris, dans la guerre acharnée qu'elle lui avait menée, avait cherché à entraver la publication :

Manière de traiter les plaies faites par arquebuses, flèches, etc., Paris, 1545, 1552 et 1564, in-8°. C'est un heureux hasard qui mit Ambroise Paré sur la voie d'une méthode plus rationnelle de traiter les plaies d'armes à feu, qu'il regardait encore, d'après Jean de Vigo, comme vénéneuses, et qu'il cautérisait avec l'huile de sambuc brouillante. voici comme il raconte le fait :

"Enfin mon huile me manqua, et fus contraint d'appliquer en son lieu un digestif fait avec jaune d'oeuf, huile rosat et térébenthine. La nuit, je ne pus bien dormir à mon aise, craignant, par faute d'avoir bien cautérisé, trouver les blessés où j'avois failli à mettre ladite huile, morts empoisonnés, qui me fit lever de grand matin pour les visiter, où, outre mon espérance, trouvai ceux auxquels j'avois mis le médicament digestif, sentir peu de douleur, et leurs plaies sans inflammation ni tumeurs, ayant assez bien reposé la nuit. Autres où l'on avoit appliqué ladite huile bouillante, les trouvai fébricitants, avec grande douleur et tumeur aux environs de leurs plaies. Adonc je me délibérai de ne jamais plus brûler ainsi cruellement les pauvres, blessés d'arquebusades."
Il raconte aussi avec quelle assiduité il fit la cour au chirurgien de Turin, François Voste, qui lui racontait des choses moult instructives, et duquel il obtint enfin, après deux ans de soins et à force de présents, le secret du baume avec lequel il traitait les plaies d'arquebuses. 

Briève collection de l'administration anatomique, Paris, 1549, in-8°. On ne fait honneur à Ambroise Paré d'aucune découverte en anatomie : au contraire, on l'a toujours accusé, Riolan surtout, d'ignorer cette partie de la science et d'y avoir fait des bévues. Cependant il est incontestable qu'il a le premier décrit la membrane commune des muscles. Il connaissait les nerfs récurrents, et sut expliquer une paralysie du bras produite par un coup qui en avait offensé les nerfs

Les Oeuvres d'Ambroise Paré, etc., Paris, 1561, in-fol., fig. ; l'édition de Lyon, 1685, est au moins le treizième. Jacques Guillemeau, élève d'Ambroise Paré, en donna une traduction latine (Ambrosii Parei opera, novis iconibus elegantissimis illustrata), etc., Paris, 1582, in-fol.; Francfort, 1594, 1610, 1612, in-fol. L'ouvrage parut aussi en anglais, Londres, 1578, 1634, in-fol.; en allemand, Francfort,1604, 1631, in-fol.; en hollandais, Leyde, 1604, in-fol. La publication de ce grand ouvrage, dans lequel Paré avait traité de la médecine, lui valut la jalousie et l'animadversion des médecins ses contemporains; ils lui suscitèrent les plus grands obstacles. Ambroise Paré, dit Louis Guyon (Diverses leçons, t. 2., liv. 9, ch. 8, p. 298),

"chirurgien de trois rois consécutivement, docte et expert, qui a mis et lumière beaucoup de bonnes et belles oeuvres, lesquelles furent pour quelque temps empêchées d'être imprimées et mises en lumière par le collèges des doctes médecins de Paris, non pour aucune erreur qu'on y eût reconnue touchant l'art duquel il traitoit, mais parce qu'en son livre de la génération, en aucuns passages, par imadvertance, il en avoit écrit un peu irrévéremment, et après qu'il eut corrigé, il ne se trouva plus d'opposition. "
Ambroise Paré, obligé de céder à l'orage, avoua que ce qu'il y avait de meilleur dans ce traité "étoit compilé des bons médecins". Mais cet aveu ne regarde que son traité des fièvres :
"Pour ce qui est de la chirurgie, dit-il, ne veux me faire ce tort que de ravir à ma diligence ce qui lui cet dû pour l'attribuer aux autres, à qui je n'en suis redevable. Je dis donc que tout cet ouvrage est à moi, et n'en puis être fraudé comme attentant nouvelleté, puisque je l'ai bâti en mon propre fonds, et que I'édifice et les matériaux m'appartiennent. "
Son ouvrage lui attira de nombreux ennemis et fut le signal de mille persécutions. Gourmelin, Daléchamps et Riolan voulurent en effacer jusqu'aux traces, et l'on vit les Delacorde, les Paulmier, les Duchesne, les Compagnon, les Filioli, athlètes sans nom et sans vigueur, se ranger tour à tour sous la bannière de ses injustes persécuteurs. On a prétendu que Grévin l'avait aidé dans la rédaction de son traité de la peste, dans celui des fièvres, des monstres, etc. Il aurait mieux valu que jamais aucun de ces écrits n'eût vu le jour, et si Paré montra souvent une grande crédulité. Il ne fit que se conformer à l'esprit de son siècle. Mais il est faux que ce jeune médecin, mort à l'âge de trente ans à Turin, au service de Marguerite de France, femme du duc de Savoie, ait jamais aidé Paré dans la rédaction de ses oeuvres. Il s'occupait plus de littérature que de médecine. 

Les biographes et surtout Haller, qui n'a cessé de montrer le plus grand acharnement contre les chirurgiens, ont fréquemment répété, sur la parole des premiers détracteurs d'Ambroise, que ce fut le médecin Canape qui composa l'ouvrage de ce chirurgien célèbre, et que son traité sur les plaies d'arquebusades n'était qu'une copie de ceux de Ferri, Maggius, Rota et Botal. Rien n'est plus faux Paré n'eut besoin du secours de personne pour écrire, et les médecins de son temps ne firent peut-être que défigurer ses oeuvres, en y liant quelques mauvais traités qui n'étaient pas de lui. Nous devons aussi le justifier du plagiat dont on l'a accusé. Avant Paré, Maggius, Gendorf, Riff, Devigo et Ferri étaient les seuls qui eussent écrit sur les plaies d'armes à feu. Le premier n'en avait parlé que très brièvement, et l'on sait, par ce que nous avoua rapporté plus haut, si Paré a pillé les autres, qui étaient tous des cautérisateurs. Son premier traité est de 1543 : Maggius ne fit imprimer le sien qu'en 1548, et Paré ne le connut qu'en 1565, lorsqu'il eut à repousser les outrages et la jalousie de Gourmelin.

De même, Rota et Botal, dans les traités desquels Portal (Histoire de l'anatomie et de la chirurgie) prétend que Paré puisa le sien, ne les firent imprimer, l'un qu'en 1555 et l'autre qu'en 1590. On a aussi reproché à Ambroise Paré d'avoir hérissé son ouvrage de noms d'auteurs grecs et latins; mais en cela il n'a eu que le tort de sacrifier au mauvais goût de son temps, qui était de faire parade d'érudition. Quant au style, il est sien, et nul n'a mis un mot dans ses oeuvres. Il y a plus, personne de son temps n'écrivait mieux que lui : habituellement à la cour et avec les grands, il en avait contracté l'aisance et la pureté de langage. Il parlait fort bien l'italien, et Catherine de Médicis aimait à s'entretenir avec lui dans cette langue. On peut d'ailleurs comparer les ouvrages de ses contemporains, et l'on jugera qu'il n'est pas de médecin qui ait mieux écrit qu'Ambroise Paré.

De quelque point de chirurgie que l'on traite, il faut citer Paré, qui n'en a pas, il est vrai, toujours parlé avec une grande perfection, mais qui l'a aperçu et quelquefois approfondi. Avant que Monro, Simson, Bromfield, Theden, Hell et surtout Desault eussent reconnu l'existence des concrétions articulaires et en eussent fait l'extraction, Ambroise Paré avait fait en 1558 la même découverte et la même opération. Il fut le restaurateur de la ligature immédiate des artères, et parla le premier de la fracture du col du fémur comme d'une maladie distincte de celles qui arrivent au reste de la longueur de cet os. Il a signalé la squirrosité de la glande prostate comme la cause des dysuries chroniques, qui sont si souvent la suite des gonorrhées invétérées. Il a très bien décrit les maladies des yeux et perfectionné plusieurs procédés opératoires. Il a aussi perfectionné l'opération du trépan et inventé plusieurs instruments utiles. Il a le premier constaté qu'une dent peut bien reprendre, lorsque, après l'avoir arrachée, on la replace de suite. Du temps de Paré il y avait partout des renoueurs, qui étaient presque exclusivement en session de réduire les luxations et de traiter les fractures. Ambroise Paré criait souvent contre ces gens-là, et se fâchait contre les seigneurs de la cour qui les protégeaient et qui entretenaient l'absurde préjugé qu'un chirurgien ne devait pas se mêler de cette partie essentielle de la chirurgie.

Traité de la peste. Paris, 1568, in-8°. La peste avait en 1564 rendu Paris presque désert. La cour était allée à Lyon. Ambroise Paré montra le plus grand zèle dans les soinss qu'il donnait aux malades. Ce fut sur l'invitation de Charles IX qu'il composa ce traité, dédié au docteur Castelan, premier, médecin de la reine et médecin ordinaire du roi. Voici comment Paré se justifie de l'avoir écrit :

"J'ai, dit-il à Castelan, qu'il appelle son bon ami, volontiers entrepris cette oeuvre, combien que je sçusse, avant qu'y mettre la main, que plusieurs doctes personnages avoient traité cet argument si doctement, qu'il ne falloit pas que je songeasse à ajouter quelque chose, et en core moins reprendre ou ajouter. Mais quoi? Sa Majesté a voulu entendre de ma bouche ce que Dieu m'en a départi, et, par ce moyen, le faire entendre à un chacun; je ne puis, autre chose que lui obéir."
Cet aveu prouve que ce n'était pas pour empiéter sur les droits des médecins qu'Ambroise Paré avait écrit ce traité, dont on a dit qu'il n'était pas l'auteur. (P. et L.).


Jean-Michel Delacomptée, Ambroise Paré, la main savante, Gallimard, 2007. - Considéré comme le père de la chirurgie moderne, Ambroise Paré, le « médecin des rois » (1509-1590), est à la fois une «image d'Épinal» et l'une des figures les plus mal connues de l'histoire de la science médicale.

Michel Delacomptée a voulu retracer ici un portrait du personnage dans son époque, l'un et l'autre se révélant indissociables. Ce provincial (il était né à Laval) qui n'était même pas médecin, mais simple chirurgien en un temps où la spécialité, méprisée, était réservée aux barbiers, formé aux interventions d'urgence - le plus souvent des amputations - sur les champs de bataille, va vivre un changement majeur : l'utilisation des armes à feu, qui provoquent des blessures très particulières. Il se trouve également confronté à l'apparition d'une maladie nouvelle et terrifiante : la syphilis.

Sa vive intelligence, qui l'amena en particulier à fonder une chirurgie nouvelle, basée sur l'étude de la circulation sanguine, lui valut rapidement une immense réputation, d'autant plus que l'homme se révéla un «communicateur» hors pair : tirant parti de son ignorance du latin, il écrivait directement en français, ce qui assura une large diffusion à ses travaux. Enfin, sa très grande humanité le conduisit à prendre grand soin du patient, qui jusque-là ne comptait guère.
Successivement chirurgien personnel d'Henri II, de François II, de Charles IX, d'Henri III, homme de science et de recherche appliquée, homme de lettres (ses descriptions de combats sont éblouissantes), plein d'humanité... et fort gaillard, Ambroise Paré fut tout cela à la fois. Ce portrait fait revivre le personnage dans toute son ampleur, expliquant la trace qu'il a laissée à la fois dans l'imaginaire collectif et dans l'évolution de la médecine. (couv.).

En bibliothèque. - J.-F. Malgaigne a publié (Paris, Baillière, 3 vol). une édition très estimée des Oeuvres complètes de Paré; il les a revues et collationnées sur toutes les éditions; il y a joint 217 planches; il les a accompagnées de notes historiques et critiques, et il a mis en tête une introduction qui ne comprend pas moins de 340 pages et qui offre des détails fort étendus sur l'origine et les progrès de la chirurgie en Occident du VIe au XVIe siècle, ainsi que sur la vie et les écrits de Paré.  - Chereau, art. Ambroise Paré, dans Dict. encyclop. sc. méd. 2e série, t. XXI, 1895. - Le Paulmier, Ambroise Paré d'après de nouveaux documents découverts aux Archives nationales et des papiers de famille; Paris, 1885, in-8. - G. Desclosières, Rapports sur l'Etude sur Ambroise Paré, par le Dr. Le Paulmier; Paris 1886. - P. Valet, Autour de Saint-Séverin. Ambroise Paré, dans Bullet. du comité d'études histor...: la. Montagne SainteGeneviève... 1899. - Eloge d'Ambroise Paré, par le docteur Vimont, in-8° de 60 pages, Paris, 1814 (a remporté le prix au jugement de la société de médecine de Bordeaux. - Recherches biographiques, historiques et  médicales sur A. Paré, de A.-M. Willaume, Epernay, 1838, in-8°).

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