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Ode

Le nom d'ode désigne, dans les littératures modernes, une espèce de composition lyrique qui peut n'être pas aisée à définir, mais qui enfin se distingue d'autres poèmes congénères, tels que l'hymne, le cantique, la cantate, le dithyrambe. Le mot ôdè, chant, dont il est la transcription, s'applique à toute pièce destinée à être chantée, et, partant, à tout le genre lyrique : les Grecs appellent ode aussi bien les grands morceaux choriques de Pindare; divisés en longues strophes ou en triades (strophe, antistrophe et épode) que les petites chansons d'Alcée ou d'Anacréon, en courtes strophes, ordinairement de quatre membres. En latin, ode ou oda reste longtemps un mot étranger : les poésies lyriques de Catulle et d'Horace, composées à l'imitation des Grecs, ne sont pas intitulées par leurs auteurs odae, mais carmina.  Quand Pétrone (Satir., 53) emploie le mot odarium, c'est qu'il le met dans la bouche d'un ridicule qui affecte l'hellénisme. Ce terme d'ode se perd donc dans la littérature générale, à mesure que le grec s'oublie, et au Moyen âge il n'est plus en usage nulle part. Il ne reparaît, pour caractériser une nouvelle forme poétique, qu'au XVIe siècle, d'abord en France. Dans l'Epître au Lecteur mise en tête de la seconde édition de ses Odes (1550), Ronsard se vante d'avoir employé le premier ce mot : 
« et osai le premier des nostres enrichir ma langue de ce nom d'ode ». 
La paternité ne lui en fut pas contestée, même par Du Bellay, qui avait pourtant publié quelques odes trois ans aupavant, à la suite de l'Olive; mais il ne les avait composées qu'à l'exemple de son maître et ami. Des quatre livres d'Odes de Ronsard, le premier seul contient des poèmes dont la forme reproduit la triade des lyriques grecs : strophe, antistrophe et épode; ce sont les odes pindariques; les autres se rapprochent plus de celles d'Horace et se divisent en couplets similaires, ou souvent en couplets alternés de longueur différente, ou bien sont à l'imitation des poèmes pseudo-anacréontiques et ne comportent pas de division strophique. 

Presque en même temps, en Italie, Bernardo Tasso (le père du Tasse) renonçait à la forme de la canzone pétrarquesque, pour écrire des odes en courtes strophes égales; très peu après, Trissin et Alamanni importaient en Toscane la forme pindarique on triades (ballata, contraballata et stanza, ou volta, rivolta et stanza; giro, rigiro et stanza).

Sous l'influence italienne, l'ode s'introduisit en Espagne au commencement du XVIIe siècle le premier qui se soit servi du nom d'ode parait être don Francisco de Medrano (1617), car les célèbres poèmes de Fernando de Herrera (mort en 1595) sont encore intitulés canciones

En Angleterre, il ne paraît pas y avoir eu d'odes avant Samuel Daniel (1562-1619). Les odes allemandes de Weckherlin parurent en 1618 (Oden und Gesänge); après lui, l'ode fut en faveur chez les poètes de l'école de Silésie, Martin Opitz, Tscherning, Fleming.
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Une Ode de François Maynard

« Hélène, Oriane, Angélique,
Je ne suis plus de vos amants. 
Loin de moi l'éclat magnifique 
Des noms puisés dans les romans.

Ma passion, quoi qu'amour fasse, 
Ne fera plus son paradis
Des beautés qui mettent leur race 
Plus haut que celle d'Amadis.

Pour baiser la robe ou la jupe 
Des femmes de bonne maison,
Il faut qu'une amoureuse dupe 
Perde son bien et sa raison.

Il faut que toujours il se couvre 
De superbes habillements,
Et qu'il aille chercher au Louvre 
De la grâce et des compliments.

Vive Barbe, Alix et Nicolle,
Dont les simples naïvetés 
Ne furent jamais à l'école 
Des ruses et des vanités

Une santé fraîche et robuste
Fait que toujours leur teint est net; 
Et lorsque leur beauté s'ajuste, 
La campagne est leur cabinet.

Sans donner ni bal, ni musique,
Sans emprunter chez les marchands, 
Et sans débiter rhétorique, 
Je plais aux Calistes des champs.

Leur âme n'est pas inhumaine 
Pour tirer mes voeux en longueur; 
Jamais je n'ai perdu l'haleine 
En courant après leur rigueur.

Adieu, pompeuses damoiselles
Que le fard cache aux yeux de tous, 
Et qui ne fûtes jamais belles
Que d'un beau qui n'est pas à vous!

J'en veux aux femmes de village, 
Je n'aime plus en autre part; 
La nature, en leur beau visage, 
Fait la figue aux secrets de l'art. »
 

(F. Maynard).

L'ode eut ainsi droit de cité dans toutes les littératures modernes, mais l'ode pindarique ne s'acclimata nulle part, et l'on prit l'habitude de ne désigner par ce nom que des poésies lyriques en strophes égales, qui pouvaient être rythmées ou mesurées, selon l'époque, le pays et surtout le caprice du poète. A la fin du XVIIIe siècle, Klopstock même parut très hardi en insérant dans ses odes des pièces en vers tout à fait libres. Quant au caractère poétique de l'ode, il ne pouvait se définir ni par la nature du sujet, ni par la destination du poème; matière et objet variaient à l'infini.

Si l'on est tenté de sourire, quand on lit dans les Poétiques et les Traités de littérature des siècles passés que le caractère de l'ode est « l'enthousiasme », on s'aperçoit à la réflexion qu'il est difficile de distinguer par une marque plus nette l'ode de tout autre poème en strophes régulières. Il faut seulement donner au mot le sens de vivacité de sentiment, réelle ou feinte, et reconnaître qu'il y a dans la désignation des poèmes, en dehors de leur forme extérieure, une grande part d'arbitraire.

On classait d'ordinaire les odes en quatre espèces : l'ode sacrée, souvent inspirée de la Bible, et distinguée de l'hymne ou du cantique en ce qu'elle n'était pas faite pour être chantée; l'ode héroïque; l'ode philosophique ou didactique, très en faveur dans la première moitié du XVIIIe siècle (La Motte); l'ode anacréontique ou badine. La plupart des poésies lyriques ou soi-disant telles portèrent ce nom, aussi bien chez les derniers classiques que chez les premiers romantiques. Lamartine, Victor Hugo écrivirent des odes, et l'on connaît ce qui est dit du renouvellement de cette forme dans la préface des Odes et Ballades.

Nous pourrions évidemment étiqueter odes nombre de pièces des Châtiments ou des Contemplations; mais la vérité est que ce nom tomba en désuétude vers 1840, et ne fut ensuite employé que par caprice (Odes funambulesques de Théodore de Banville). La poésie parnassienne l'ignora presque complètement. Il a reparu plusieurs fois dans la poésie de la fin du XIXe siècle, sous l'influence surtout du groupe de jeunes gens qui porta quelque temps le titre d'école romane. (A.-M. Desbrousseaux.).



En librairie - Grégoire de Narek, Odes et prières, Ad Solem, 2003; Mawlana Djalal, Od-Din Rumi, Odes mystiques (Divan-e Shams-e Tabrizi), Unesco, 2003; Olivier Barbarant, Odes dérisoires (et quelques autres un peu moins), Champ Vallon, 2000; Victor Hugo, Odes et Ballades, Flammarion (GF), 1999; Horace, Odes, Les Belles Lettres, 1997; Ephrem Azar (prés. et trad.), Les Odes à Salomon, Le Cerf, 1996; Fernando Pessoa, Ode maritime et autres poèmes, La Différence, 1994; Friedrich Hölderlin, Odes, Elégies, Hymnes, 1993.

Bertrand et al., Lire les Odes de Ronsard, Presses universitaires de Clermont-Ferrand (Blaise-Pascal), 2002; Jean-Eudes Gitrot, Pindare avant Ronsard (de l'émergence du grec à la publication des quatre premiers livres des Odes de Ronsard), Droz, 2001; Julien Goery, Lecture des Odes de Ronsard, Presses universitaires de Rennes, 2001; Milhe-Pou et P. Martin, Les Odes de Ronsard, Atlande, 2001; Jacques Berque, Les dix grandes odes arabes de l'anté-Islam, Actes Sud, 1999; Georges Soubeille, Jean Salmon Macrin, Epithalames et Odes, Honoré Champion, 1997; François Rouget, L'apothéose d'Orphée (L'esthétique de l'Ode en France au XVIe siècle), Droz, 1995.

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Dictionnaire Le monde des textes
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