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Blaise de Lasseran-Massencome,
seigneur de Montluc ou plus exactement Monluc, est
un capitaine gascon, né au château
[de] Monluc, à Saint-Puy en Guyenne
(auj. dans le département du Gers), en 1501 ou 1502, mort en 1577.
Il était une famille qui était une branche de la maison d'Artagnan-Montesquiou,
Faisant d'abord partie de la compagnie
commandée par Bayard, il fit presque toutes
les campagnes du règne de François Ier.
Il fut fait prisonnier à la bataille de Pavie
en 1525, se signala dans l'expédition de Lautrec contre Naples,
à la défense de Marseille
attaquée par Charles-Quint, et à
la bataille de Cérisoles en 1544.
Sous Henri II eut lieu son plus glorieux
exploit, la défense de Sienne assiégée
par les Impériaux (1555). Pendant les Guerres
de religion, il Il accompagna le duc de Guise
à la prise de Calais en 1558, et devint
colonel général de l'infanterie. Il commanda les troupes
royales en Guyenne et combattit vigoureusement les Huguenots
, ce qui lui valut le titre de lieutenant général.
Brantôme
prétend que Monluc, qui en convient un peu lui-même, se montra
fort cruel dans cette guerre; mais les représailles dont il a usé
avaient été provoquées par les atrocités de
ses adversaires.
Une blessure qu'il reçut à
la figure au siège de Rabastens, en 1570, l'obligea de porter un
masque le reste de sa vie, et déjà lui imposa deux années
de retraite (1570-1572), pendant lesquelles furent écrits ses Commentaires,
des mémoires que Henri IV appelait la
Bible
des soldats; Il reparut à l'armée en 1573 et assista
au siège de La Rochelle. Il devint
maréchal de France en 1574, et mourut en 1577.
Les Commentaires, publiés
pour la première fois en 1592, sont remarquables par la chaleur
et la verve; mais on ne saurait s'y fier entièrement, surtout pour
la période des guerres religieuses : tandis que Monluc s'y dépeint
comme un catholique invariable dans sa conduite et féroce pour l'hérésie,
ses lettres révèlent un personnage beaucoup plus souple,
politique très fin, qui a blâmé la Saint-Barthélemy.
Les Commentaires et ses lettres
ont été publiés par A. de Ruble (Soc. de l'Hist. de
France, 1864-1872, 5 vol.).
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Préface
des Commentaires
«
M'estant retiré chez moy, en l'aage de soixante et quinze ans, pour
trouver quelque repos, après tant et tant de peines par moy souffertes
pendant le temps de cinquante-cinq ans, que j'ay porté les armes
pour le service des roys mes maistres, ayant passé par degrez, et
par tous les ordres du soldat, enseigne, lieutenant, capitaine en chef,
maistre de camp [Ou mestre-de-camp, colonel d'un régiment d'infanterie
ou de cavalerie], gouverneur des places, lieutenant de roy es provinces
de Toscane et de la Guyenne, et mareschal de France : me voyant stropiat
[Italien stroppiato = estropié] presque de tous mes membres,
d'arquebuzades, coups de pique et d'espée, et a demi inutile, sans
force et sans esperance de recouvrer guerison de ceste grande arquebuzade
que j'ay au visage : après avoir remis la charge du gouvernement
de Guyenne entre les mains de Sa Majesté, j'ay voulu employer le
temps qui me reste, a descrire les combats ausquels je me suis trouvé
pendant cinquante et deux ans que j'ay commandé : m'asseurant que
les capitaines qui liront ma vie, y verront des choses desquelles ils se
pourront aider se trouvans en semblables occasion,, et desquelles ils pourront
aussi faire profit et acquerir honneur et reputation. Et encore que j'aye
eu beaucoup d'heur [Bonheur (lat. augurium)], et de bonne fortune
aux combats que j'ay entreprins, quelquefois (comme il sembloit) sans grande
raison, si [ = Toutefois] ne veux-je pas que l'on pense que j'en attribue
la bonne issue et que j'en donne la louange a autre qu'a Dieu. Car quand
on verra les combats ou je me suis trouvé on jugera que c'est de
ses oeuvres. Aussi l'ay-je tousjours invoqué en toutes mes actions
avec grande confiance de sa grace. En quoy il m'a tellement assisté
que je n'ay jamais esté deffait, ny surpris en quelque fait de guerre
ou j'aye commandé : ains [= mais (latin, ante). Mais vient
de magis. Ains et mais signifient donc avant et plus.] tousjours rapporté
victoire et honneur. Il faut que nous tous, qui portons les armes, ayons
devant les yeux, que ce n'est rien de nous sans la bonté divine,
laquelle nous donne le coeur et le courage pour entreprendre et executer
les grandes et hazardeuses entreprises qui se presentent a nous.
Et
pource que ceux qui liront ces commentaires, lesquels deplairont aux uns
et seront agreables aux autres, trouveront peut estre estrange, et diront
que c'est mal fait a moy d'escrire mes faits, et que je devois laisser
prendre cette charge a un autre, je leur diray pour toute response, qu'en
escrivant la verité et en rendant l'honneur a Dieu, ce n'est pas
mal fait. Le temoignage de plusieurs qui sont encores en vie, fera foy
de ce que j'ay escrit. Nul aussi ne pouvoit mieux representer les desseins,
entreprises et executions, ou les faits survenus en icelles, que moy-mesme,
qui ne derobe rien de l'honneur d'autruy. Le plus grand capitaine qui ait
jamais esté, est Cesar, qui m'en a monstré le chemin, ayant
luy-mesme escrit ses commentaires, escrivant la nuict ce qu'il executoit
le jour. J'ay donc voulu dresser les miens, mal polis, comme sortans de
la main d'un soldat, et encore d'un Gascon qui s'est toujours plus soucié
de bien faire que de bien dire : lesquels contiennent tous les faits de
guerre auxquels je me suis trouvé, ou qui se sont executez a mon
occasion, commençant dès mes premiers ans, que je sortis
de page [sortir de page, être hors de page, c'est avoir accompli
son temps de service dans les pages], pour monstrer a ceux que je laisse
apres moi, qui suis aujourd'huy le plus vieux capitaine de France, que
je n'ay jamais eu repos, pour acquerir de l'honneur en faisant service
aux roys mes maistres, qui [ Pronom relatif neutre (ce qui)] estoit mon
seul but, fuyant tous les plaisirs et voluptez qui destournent de la vertu
et grandeur les jeunes hommes que Dieu a douez de quelques parties recommandables,
et qui sont sur le poinct de leur avancement. Ce n'est pas un livre pour
les gens de sçavoir, ils ont assez d'historiens, mais bien pour
un soldat, capitaine, et peut estre qu'un lieutenant de roy [= celui
qui commandait en l'absence du gouverneur dans une place de guerre] y pourra
trouver de quoy apprendre. Pour le moins puis-je dire que j'ay escrit la
verité, ayant aussi bonne memoire a present que j'eus jamais, me
resouvenant et des lieux et des noms, combien que je n'eusse jamais rien
escrit. Je ne pensois pas en cet aage me mesler d'un tel mestier; si c'est
bien ou mal, je m'en remets a ceux qui me feront cet honneur de lire ce
livre, qui est proprement le discours de ma vie.
C'est
a vous, capitaines mes compagnons, a qui principalement il s'adresse :
vous en pourrez peut estre tirer du profit. Vous devez estre certains,
que puisqu'il y a si longtemps que je suis esté [conjugaison italienne
: lo sono stato] en vostre degré, et ay si longuement exercé
la charge de capitaine de gens de pied, de maistre de camp par trois fois,
et de colonel [colonel général de l'infanterie française.
Monluc reçut cette charge enu 1558], il faut que vous croyez que
j'ay retenu quelque chose de cet estat la, et que par longue esperience
j'ay veu advenir aux capitaines beaucoup de bien, et a d'autres beaucoup
de mal. De mon temps, il en a esté degradé des armes et de
noblesse, d'autres ont perdu la vie sur un eschaffaut, d'autres deshonnorez
et retirez en leurs maisons, sans que jamais les roys ny autres en ayent
voulu faire plus compte. Et au contraire j'en ay veu d'autres parvenir,
qui ont porté la picque a six francs de paye, faire des actes si
belliqueux, et se sont trouvez si capables, qu'il en a eu prou [= beaucoup
(étymologie probable, le latin probe)], qui estoient filz de pauvres
laboureurs, qui se sont avancez plus avant que beaucoup de nobles, pour
leur hardiesse et vertu. Et pource que toutes ces choses sont aisées
par devant moy, j'en puis parler sans mentir. » (Monluc, Commentaires). |
Monluc a eu quatre fils ; le plus connu
de tous, surnommé le capitaine Peyrot, succomba dans une bataille
contre les Portugais de Madère,
au moment où il allait partir pour une destination lointaine, peut-être
pour Madagascar. (Georges Weill). |
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