|
. |
|
On appelle sonnet un poème à forme fixe, composé de quatorze vers répartis en deux quatrains et deux tercets. Les deux quatrains sont construits seulement sur deux rimes : les tercets, au contraire, en comportent trois. Dans le sonnet régulier, les rimes sont placées selon un ordre strict que nous pouvons déterminer par le schème suivant ABBA, ABBA, CCD, EDE. Hâtons-nous d'ajouter que les poètes ne se sont pas toujours astreints à ces règles rigoureuses. Si la disposition des rimes dans les quatrains, deux rimes plates encadrées entre deux rimes de genre différent, se trouve généralement observée chez les maîtres classiques du sonnet, tous autorisent par leur exemple les combinaisons les plus variées dans les tercets. Une licence plus grave, mais dont on trouve plus d'un exemple, consiste à construire les tercets sur deux rimes seulement. On peut constater aussi bien des irrégularités dans les quatrains souvent ce sont des rimes croisées qui se substituent à la combinaison, classique : d'autres fois on rencontre les rimes croisées dans le premier quatrain et la disposition régulière dans le second, et vice versa. Certains sonnets irréguliers présentent même des quatrains construits sur quatre rimes différentes. Signalons encore quelques combinaisons imaginées par les maîtres du genre pour assouplir la forme rigide du sonnet et varier son rythme et son harmonie. Chez Joachim Du Bellay, chez Baïf, chez Pontus de Tyard, on trouve des quatrains à rimes complètement féminines suivis de tercets à rimes toutes masculines, et des sonnets à rimes entièrement féminines. Ces derniers ont un rythme souple et glissant du plus heureux effet. Disons maintenant quelques mots des origines du sonnet et de sa place dans l'histoire littéraire. Sur la foi du nom, on a longtemps attribué à la poésie provençale l'invention de cette forme métrique : mais dans la langue des troubadours le mot son ou sonnet désignait toute espèce de pièce lyrique accompagnée d'instruments de musique. On s'accorde aujourd'hui à reconnaître que le sonnet est d'origine italienne. Pétrarque en fut-il l'inventeur comme certains l'ont cru? Il semble plutôt que le sonnet soit né en Sicile dans le courant du XIIIe siècle, et que Pétrarque lui ait simplement donné ses titres littéraires. Dans un sonnet célèbre sur le sonnet, Sainte-Beuve a écrit par erreur que Du Bellay nous l'avait rapporté de Florence (encadré ci-dessous). En réalité, c'est Mellin de Saint-Gelais qui, le premier, l'introduisit en France; vers 1547, à moins peut-être que Marot lui-même ne l'ait importé d'Italie.
La Pléiade accueillit avec faveur ce petit poème d'un modèle, nouveau, et dès lors le sonnet prend une importance de premier ordre dans la poésie du XVIe siècle. Ronsard, à l'exemple de Pétrarque, en fait d'une façon presque exclu sive l'expression lyrique des sentiments de l'amour; Du Bellay, dans ses Regrets, l'habitue à rendre de nouvelles idées, des émotions nuancées et variées; parfois il lui donne l'énergie de la satire : après eux, tous les ronsardisants ne cesseront d'écrire des sonnets amoureux, où se trahit toujours l'imitation italienne. D'ailleurs, à la même époque, le pétrarquisme se répandait dans les autres pays, notamment en Angleterre, où il inspirait les Sonnets de Shakespeare. La vogue du sonnet se continue au XVIIe siècle : un moment combattue par Malherbe, elle en est à peine ébranlée. Un disciple même de Malherbe, Maynard, publie des sonnets vantés plus tard par Boileau; citons encore parmi les sonnets les plus admirés de cette époque ceux de Gombauld, de Desbarreaux, de Malleville, d'Hesnault, de Voiture, de Benserade. Quelques-uns de ces petits poèmes étaient accueillis avec un succès incroyable : l'histoire littéraire n'a pas oublié les discussions infinies et passionnées qui s'engagèrent dans les salons où se réunissait la société polie sur les mérites comparés des deux sonnets de Job et d'Uranie, ou de ceux encore de la Belle Matineuse. C'est que le sonnet est la forme préférée par où se traduit l'esprit précieux, celle où se révèle le mieux ce qu'on pourrait appeler le style Louis XIII en littérature. Les exigences mêmes du genre, souci de la perfection, prédominance de la forme sur l'idée, recherche du trait, correspondaient aux tendances de la préciosité. Dès la seconde moitié du XVIIe siècle, le sonnet partage la défaveur où était tombé l'esprit précieux. Le sonnet du Misanthrope fut la première protestation; et, dès ce moment, la vogue du sonnet déclina.
Le XVIIIe siècle ne le releva pas de ce discrédit. Le genre semble à peu près disparaître. Il revit au contraire avec le romantisme : c'est aux noms d'abord de Sainte-Beuve, puis de Musset, que l'on peut rattacher cette renaissance du sonnet en France. Plus nombreux encore sont les sonnettistes parmi Les poètes de la deuxième génération romantique et ceux qu'on a appelés les Parnassiens (La littérature française au XIXe s.). Baudelaire inséra dans ses Fleurs du mal un certain nombre de sonnets irréguliers de forme, mais qui sont peut-être les plus originaux, les plus pénétrés de lyrisme que l'on ait dans la littérature française. D'un art tout différent procèdent les sonnets philosophiques de Sully-Prudhomme, si pleins, si chargés de pensée, et les sonnets éclatants et plastiques de José-Maria de Hérédia, où revit dans une forme parfaite tout le pittoresque des civilisations disparues (Les Trophées, texte en ligne). On a dit souvent que le sonnet tenait une place excessive dans l'histoire de la poésie, notamment de la poésie française; on a signalé le défaut essentiel de cette forme métrique, qui est de comprimer en un cadre étroit l'inspiration lyrique, de briser l'essor du sentiment et de l'idée; on lui reproche d'osciller de la mignardise à la recherche et à la subtilité. D'autre part, l'histoire du sonnet nous a montré que les époques où il fut le plus en honneur coincident avec celles où la poésie eut surtout le culte de la forme et le souci de l'art. Il ne faut donc pas médire d'un genre qui, plus que tout autre, a sa raison d'être dans la perfection de la facture et la rareté de l'idée. (Jacques Lahillone). Un sonnet commentéCe sonnet de Ronsard est extrait du troisième et dernier des recueils intitulés Amours, et dédié à Hélène de Surgères, demoiselle d'honneur de la reine Catherine de Médicis. - Il a sans doute été inspiré au poète par quelques vers de Tibulle : I, VIII, 41 :Heu sero revocatur amor seroque juventa,et surtout, I, III, 87 : At circa gravibus pensis affixa puella
Composition du sonnet. Le tableau. C'est le soir, le moment des souvenirs et des regrets. Hélène chantera les vers de Ronsard. Et c'en était assez pour amener les réflexions sur la fuite de la jeunesse, et la conclusion. - Mais l'imagination poétique de Ronsard complète le tableau; il en rend la composition plus large et plus vivante; la servante d'Hélène l'entend prononcer le nom de Ronsard, et, à son tour, elle s'émerveille. Cette servante, le poète pouvait se contenter de la nommer; mais il la peint ; elle a, elle aussi, son attitude et ses gestes... « Desja sous le labeur à demy somnmeillant... Ne s'aille reveillant, Benissant votre nom... » Grâce à ce second personnage, le tableau s'équilibre. Alors, Hélène regrettera l'amour de Ronsard et son dédain à elle. Donc, reprend le poète, épargnez-vous ces remords dans la vieillesse : « Cueillez dez aujourd'hui les roses de la vie. » Les deux tercets, contenant les sentiments et la morale, font pendant aux deux quatrains renfermant le tableau. Les sentiments. Hélène, vieillie, nous est représentée comme la Laure de Pétrarque; elle a reçu avec dignité et avec émotion l'hommage d'un amour exalté. La fierté qu'elle éprouve à rappeler que Ronsard la célébrait du temps qu'elle était belle, vient précisément de ce qu'elle peut y mêler une idée de sacrifice et de gloire. Au poète qui lui annonce qu'elle éprouvera plus tard des regrets de son « fier dédain », elle dirait sans doute qu'elle ne pourra s'en défendre, mais que ces regrets du moins seront d'une exquise et pure douceur, tandis que, si elle obéissait à ses conseils, elle n'éprouverait un jour qu'une sorte de révolte sans dignité contre une vie dont les plaisirs lui ont échappé. Un parfum exquis de regrets sans remords et de vertu mélancolique se dégage du sonnet tout entier; et les « roses de la vie » qui s'épanouissent au dernier vers forment une charmante opposition avec le triste tableau de la « vieille accroupie au foyer ». C'est comme le bouquet placé près de la chandelle, sur la table de la fileuse... Ne semble-t-il pas que Victor Hugo ait écrit la réponse d'Hélène à Ronsard : Je puis maintenant dire aux rapides annéesCommentaire grammatical. Il y a peu de chose à signaler dans ce sonnet, d'une venue très simple, d'une langue presque moderne : V. 3. Direz, pour vous dire, ellipse du pronom sujet, très fréquente au XVIe siècle.
|
. |
|
| |||||||||||||||||||||||||||||||
|