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Le Calvinisme

Selon Calvin, dont dérive le nom de cette branche du Protestantisme, qu'est le Calvinisme, il y a une connaissance naturelle de Dieu, mais elle a été obscurcie par la chute. Dieu s'est donc révélé dans l'Écriture « non pas tel qu'il est en lui-même, mais tel qu'il est vis-à-vis de nous ». C'est le Saint-Esprit qui nous a donné la Bible, et c'est lui seul qui en est l'interprète autorisé; il n'y a pas d'Église dont le témoignage soit supérieur à celui de l'Esprit en nous. 

La providence de Dieu , « n'est pas seulement sa prescience, mais encore son activité infinie par laquelle il gouverne le ciel, la terre, ainsi que les résolutions et les volontés des humains, et les mène au but qu'il leur a fixé. L'humain, créé à l'image de Dieu, est tombé; Calvin affirme à la fois, sans essayer de concilier les deux thèses, qu'il est tombé par sa faute et en vertu d'une décision de la providence divine. A la suite de cette chute, la nature humaine est absolument corrompue, et nous ne sommes plus capables d'aucun bien véritable. Quand nous soupirons après la délivrance. c'est Dieu lui-même qui agit en nous. C'est le Christ qui nous sauve, en obéissant et en souffrant à notre place. Encore son oeuvre est-elle inutile, si la connaissance de cette oeuvre ne pénètre en notre coeur, grâce à l'Esprit, et avec toutes ses conséquences, qui sont une vraie conversion à Dieu et une marche continue, par l'obéissance, vers la sainteté. Les oeuvres ne nous sauvent pas; mais la foi qui sauve produit les oeuvres. Calvin croit à la prédestination; il enseigne que notre salut a été décidé de toute éternité. L'Église et la totalité des élus qui ont vécu et qui vivent en ce moment. Elle est donc invisible. On appellera « Église visible  » l'assemblée des chrétiens dans laquelle on prêche et l'on écoute avec sincérité la parole divine; où l'on administre les sacrements conformément à leur institution et où l'on vit purement. » 

Les ministres ne sont pas des prêtres; et leurs fonctions ont leur origine dans l'ordre que Dieu veut qu'il y ait dans les Églises. Les sacrements ne possèdent pas des vertus propres qui feraient d'eux des causes en quelque sorte mécaniques de salut; ils sont des signes par lesquels Dieu confirme au fidèle les promesses de sa bienveillance. Enfin, l'Église est constituée démocratiquement; car, si les pasteurs tiennent de Dieu les dons qui les désignent pour leurs fonctions, ce sont les fidèles qui les appellent à ces fonctions.

Le calvinisme a été la forme revêtue par le protestantisme en SuisseGenève et à Lausanne en particulier), en France, en Écosse, aux Pays-Bas. Il pénétra en Angleterre sous la reine Élisabeth Ire et y donna naissance à la secte des puritains, qui mit un moment en péril l'anglicanisme. Proscrit sous, Charles II et Jacques II, il trouva une liberté complète et définitive à la révolution de 1688. On peut dire que c'est du calvinisme que sont sorties la plupart des Églises dites « non conformistes » . C'est par elles que le calvinisme s'est répandu aux États-Unis. (NLI).
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Calvin.
Jean Calvin (1509-1564).

De la Confession de la foi à l'Institution chrétienne.
Luther avait été amené par les objections de ses adversaires, qui lui opposaient la tradition catholique, les décisions et les coutumes de l'Eglise romaine, à se réclamer de la parole de Dieu comme d'une règle suprême pour toutes les questions concernant la foi et le salut. Calvin et ses disciples partirent du point où Luther était arrivé. Non seulement toute leur doctrine sur le dogme, le culte, la discipline et l'organisation de l'Eglise, se prétend fondée sur la Bible; mais ils proclamèrent dès le commencement l'autorité souveraine, absolue, ou plutôt unique, exclusive, de la parole de Dieu, la parole écrite, la parole que Dieu avait pris soin de faire écrire. Dans la Confession de la foy, laquelle tous bourgeois et habitans de Geneve et subiets du pays doibvent iurer de garder et tenir (1536-1537), le premier article est ainsi conçu :

 « LA PAROLLE DE DIEU. Premièrement nous protestons que pour la reigle de nostre foy et religion nous voulions suyvre la seule Escripture, sans y mesler aucune chose qui ayt esté controuvée du sens des hommes sans la Parolle de Dieu : et ne prétendons pour notre gouvernement spirituel recevoir aucune doctrine que celle qui nous est enseignée par icelle parolle, sans y adiouster ne diminuer, ainsi que nostre Seigneur le commande.-» 
Cette confession est généralement attribuée à Farel; mais il est vraisemblable que Calvin, s'il n'en est pas l'auteur, y collabora ou au moins y prêta conseil; dans tous les cas, il la fit insérer dans la première édition de son Catéchisme. Une déclaration analogue se trouve à peu près dans les mêmes termes, dans la Confession de foy des Escholiers, que devaient souscrire les professeurs, maîtres et étudiants de l'Académie de Genève (1559). On y lit en outre : 
« Sur quoi ie deteste tout ce que les hommes ont dressé de leur invention propre, tant pour en faire article de foy que pour obliger les consciences à leurs loix et statuts. Et en général ie reiette toutes les façons de faire qu'on a introduictes pour le service de Dieu sans l'authorité de sa parolle, comme sont toutes les cérémonies de la papauté. » 
Dans la Confession de foy faite d'un commun accord par les églises qui sont dispersées en France et s'abstienent des idolatries papales (1559), texte confirmé par la synode de la Rochelle (1571), après l'énumération des livres de l'Ancien et du Nouveau Testament admis comme canoniques, il est dit :
« IV. Nous cognoissons ces livres estre canoniques et reigle trescertaine de nostre foy, non tant par le commun accord et consentement de l'Eglise que par le témoignage et persuasion intérieure du SaintEsprit, qui les nous fait discerner d'avec les autres livres ecclésiastiques. Sur lesquels, encores qu'ils soyent utiles, on ne peut fonder aucun article de foy. 

V. Nous croyons que la parole qui est contenue en ces livres est procédée de Dieu, duquel seul elle prend son authorité, et non des hommes. Et d'autant qu'elle est la reigle de toute vérité, contenant tout ce qui est nécessaire pour le service de Dieu et nostre salut, il n'est loisible aux hommes, ne mesme aux anges, d'y adiouster, diminuer ou changer. Dont il s'ensuit que ne l'antiquité, ne la multitude, ne la sagesse humaine, ne les jugements, ne les arrêts, ne les edicts, ne les decrets, ne les conciles, ne les visions, ne les miracles, ne doivent estre opposez à icelle Escriture Saincte : ains au contraire toutes choses doivent estre examinées, reiglees et reformees selon icelle. Et suyvant cela nous advenons les trois Simboles, assavoir des Apostres, de Nice et d'Athanase, parce qu'ils sont conformes à la parole de Dieu. »

Ce principe devait avoir pour conséquences une révision complète de tous les éléments présentés comme appartenant à la religion chrétienne et une réforme radicale ou plutôt la refonte de l'Eglise. Tandis que les, luthériens, tenant compte de la possession, gardaient ou essayaient de garder, parmi les choses que l'Eglise contenait quand leur oeuvre commença, toutes celles qui n'apparaissaient point comme contraires à la parole de Dieu, les calvinistes devaient demander un titre écrit pour chacune d'elle et les examiner toutes l'une après l'autre, pour n'admettre que celles qui étaient démontrées conformes à l'ordonnance biblique. La réforme de Luther était une entreprise de dégagement et de restauration; celle de Calvin fut une reconstruction après démolition, reconstruction visant à n'employer que les matériaux primitifs et à les assembler suivant le plan indiqué par les documents apostoliques; ou, si l'on préfère, c'était une tentative de retour direct aux choses du premier âge chrétien. 

En posant l'Ecriture sainte comme l'unique fondement de croire, ainsi qu'ils le disaient en leur langage, les calvinistes réduisaient virtuellement tous les articles de leurs confessions de foi à cet article capital, les autres ne comportant qu'une valeur nécessairement secondaire, subordonnée à une comparaison, qui pouvait toujours être renouvelée, avec le texte de la parole de Dieu. Les églises réformées se trouvaient de la sorte autorisées à éliminer de leurs chartes doctrinales successivement tous les articles contenant des éléments caducs, c.-à-d. des interprétations, des définitions et des expressions empruntées aux conceptions et à la parole des hommes, et finalement à renouveler intégralement leurs confessions de foi ou même à les supprimer complètement, à la condition de garder la Bible comme un code sacré : tout cela, sans dévier de la ligne tracée au point de départ. Mais un pareil résultat eût paru abominable du temps de Calvin, les disciples de ce réformateur considérant alors son oeuvre comme une reproduction adéquate du dessein et de la parole de Dieu.

Diverses causes concoururent à attribuer à Calvin cette autorité et à constituer sa suprématie. Il suffit de les rappeler ici : les besoins de l'époque où il opéra; sa personnalité; la valeur, la méthode et le succès de ses principaux écrits; l'unité de son dessein et l'inflexible persévérance avec laquelle il en poursuivit l'accomplissement; l'activité de sa propagande; la discipline qu'il réussit d'établir à Genève, dont il fit une Rome protestante, vouée plus spécialement encore que la Rome catholique à la réalisation de conceptions religieuses et ecclésiastiques : champ d'asile, couvent, citadelle et séminaire du protestantisme; le nombre et le caractère des hommes qui vinrent s'y réfugier ou s'y former; enfin, la fondation et la rapide prospérité de l'Académie de cette ville. 

Les réformateurs avaient compris de bonne heure qu'il ne suffisait pas de dénoncer par des protestations et par des écrits polémiques les erreurs et les abus de l'Eglise romaine. Cette controverse négative, indéfiniment prolongée, ne pouvait susciter qu'une agitation stérile ou des excès compromettants. Ils devaient, pour faire une oeuvre solide, offrir satisfaction aux besoins qu'ils avaient éveillés et présenter dans un ensemble méthodiquement coordonné une doctrine énonçant ce qui devait remplacer les dogmes et Ies pratiques qu'ils voulaient abolir. A défaut de Luther, que son caractère rendait peu propre à ce travail, Melanchthon groupa une exposition de ce genre autour des leçons qu'il avait faites sur l'Epître aux Romains. C'est le premier essai qui ait été tenté pour composer une dogmatique uniquement d'après la Bible, sans les autorités du catholicisme et les formes de la scolastique. Publiée en 1521 sous le titre : Loci communes rerum theologicarum, puis complétée et remaniée dans un sens de plus en plus systématique, cette oeuvre obtint un succès prodigieux dix-sept éditions, en différentes villes, de 1521 à 1525. La traduction allemande de Spalatin eut pareillement de nombreuses éditions. En 1525, Swingle composa un traité analogue, Commentarius de vera et falsa religione, qu'il dédia à François ler, dans une préface qui soutient la comparaison avec celle que Calvin adressa au même prince dix années plus tard. Puis parut le livre de Farel, Summaire briefue declaration daucums lieux fort necessaires a ung chascun chrestien pour mettre sa confiance en Dieu et ayder son prochain. Item un traicte du Purgatoire nouuellement adiouste sur la fin. La date de la publication de ce livre n'est pas fixée, mais elle est certainement antérieure à 1535. 

Enfin vint (1536) l'Institution chrestienne de Calvin, incontestablement supérieure aux trois ouvrages précédents. Partout où les idées de Luther n'avaient pas prévalu exclusivement, elle fut accueillie avec empressement, par tous ceux qui aspiraient à un ordre nouveau, comme un livre éminemment utile à la cause de la Réforme ou plutôt comme le livre nécessaire. Mais l'autorité qu'elle avait acquise dès le commencement fut fortifiée d'année en année par l'emploi qu'en fit son auteur. Comme elle présente, dans les développements qu'elle reçut successivement, toute l'évolution des conceptions de Calvin, conceptions caractérisées par un esprit de suite vraiment extraordinaire, on peut dire que Calvin voua sa vie à l'enseignement et à l'application d'une même doctrine, celle que l'Institution contient. Sous forme de catéchisme, de confessions de foi, de règlements, il en avait adapté la substance à l'usage de tous. Enfants et vieillards, citoyens et magistrats, professeurs, pasteurs et églises, s'habituèrent à ne point chercher la vérité en dehors d'elle et finirent par la considérer, ainsi que Calvin le faisait lui-même, comme l'interprétation exacte du dessein et de la parole de Dieu. Elle devint par suite le code des églises réformées, inviolé pendant longtemps, et elle constitua durant ce temps, dans une proportion très importante du protestantisme, lequel était prédestiné à tant de diversités, l'unité doctrinale, presque l'uniformité.

Le dogme de la prédestination.
Il ne peut s'agir ici de présenter le sommaire de toute l'oeuvre de Calvin, laquelle comprend toutes les matières théologiques et ecclésiastiques. Non seulement nous omettrons les points communs à toutes les communions chrétiennes; mais parmi les doctrines propres au protestantisme, nous n'indiquerons que celles qui caractérisent et distinguent le système de Calvin.

Le centre de ce système, c'est le dogme et la prédestination. Dans leur lutte contre l'Eglise romaine, tous les réformateurs cherchaient une antithèse au salut par les oeuvres ou, pour parler comme les catholiques, au mérite des oeuvres pour le salut. Luther avait trouvé la justification par la foi, Calvin trouva la prédestination au salut. Il la prit dans l'Epître aux Romains, IX, 10-23, où saint Paul l'énonce avec une rigueur formidable, en parlant de la destinée de Jacob et d'Esaü, et dans la célèbre comparaison du potier et des vases qu'il fabrique. Dans d'autres épîtres, cette doctrine est tempérée et même voilée par une certaine part faite aux besoins de la conscience et à la nécessité de stimuler l'activité et la charité des chrétiens. 

On la rencontre aussi, très mitigée, dans certains écrits de saint Augustin, qui la contredit implicitement dans d'autres. Calvin l'adopta sans tempéraments aucuns et il en déduisit imperturbablement toutes les conséquences. 

Calvin a formulé lui-même ses conclusions sur la prédestination et la Providence en onze petits articles, Articuli de proedestinatione, dont la précision et la concision nous dispensent de tout résumé et de tout commentaire. Ces articles, écrits de sa main, se trouvent en la bibliothèque de Genève (cod. 145, fol. 100). lis ont été publiés pour la première fois, en 1870, par Baum, Cunitz et Reuss (Joannis Calvini opera, vol. IX, p. 713). Nous croyons devoir en donner ici la traduction très littérale, en indiquant par des tirets la division des articles :

- « Avant la création du premier homme, Dieu, par un dessein éternel (aeterno consilio), avait statué ce qu'il voulait être fait (quid fieri vellet) de tout le genre humain. 

- Par ce dessein mystérieux (arcano) de Dieu, il fut fait (factum est) qu'Adam décherrait de l'état d'intégrité de sa nature et que par sa chute il entraînerait toute sa postérité dans une culpabilité de mort éternelle (in reatum aeternae mortis).

- De ce même décret (decreto) résulte la différence entre les élus et les réprouvés : parce que Dieu a adopté les uns pour le salut et qu'il a destiné les autres à une perdition éternelle (aeterno exitio).

- Encore que les réprouvés soient des vases de la juste vindicte de Dieu et que les élus soient des vases de sa miséricorde, cependant il ne faut point chercher à cette différence d'autre cause en Dieu que sa simple (mera) volonté, laquelle est la règle suprême de la justice.

- Encore que les élus perçoivent par la foi la grâce de l'adoption, cependant l'élection ne résulte pas (non pendet) de la foi, mais elle lui est antérieure par le temps et par l'ordre (tempore et ordine). 

- Le commencement et la persévérance de la foi provenant de l'élection gratuite de Dieu, ceux-là seuls sont illuminés dans la foi et ceux-là seuls reçoivent le don de l'esprit de régénération qui ont été élus de Dieu : il est nécessaire que les réprouvés ou bien demeurent dans leur aveuglement, ou bien soient dépossédés de toute part de foi, s'il s'en trouve quelqu'une en eux. 

- Encore que nous soyons élus en Christ, cependant le fait par lequel Dieu nous compte parmi les siens est antérieur par l'ordre (ordine prius est) à celui par lequel il nous rend membres du Christ.

- Encore que la volonté de Dieu soit la cause suprême et première de toutes choses et que Dieu tienne le diable et tous les impies soumis à son arbitre, cependant Dieu ne peut être appelé ni cause du péché, ni auteur du mal, ni responsable d'aucune faute.

 - Encore que Dieu soit ennemi du péché et qu'il condamne toute injustice dans les hommes, parce qu'elle lui déplaît, cependant toutes les actions des hommes sont gouvernées, non seulement par sa une permission, mais aussi par sa volonté et son décret mystérieux (nutu et arcano decreto). 

- Encore que le diable et les réprouvés soient les ministres et les organes de Dieu et qu'ils exécutent ses jugements mystérieux, cependant Dieu, d'une manière incompréhensible, opère en eux et par eux de façon à ne contracter aucune souillure par le concours de leur vice; car il utilise justement et droitement leur malice pour une bonne fin, quoique la manière dont il opère ainsi nous soit souvent cachée.

 - Ceux-là agissent en ignorants et calomniateurs, qui disent que, si toutes choses se font par sa volonté et son ordonnance, Dieu est auteur du péché; car ils ne distinguent pas entre la dépravation manifeste des hommes et les jugements mystérieux de Dieu ». 

Ces hommes qu'il appelle ici des ignorants et des calomniateurs de Dieu, parce qu'ils signalaient, non sans quelque apparence de raison, une conséquence compromettante de son système, Calvin les traite ailleurs de chiens vomissans le blasphème et de pourceaux grognans contre Dieu. Ces injures, les colères, la haine et les persécutions de ce réformateur contre les adversaires de sa doctrine, n'ont rien qui doive étonner de la part d'un théologien pénétré de la foi en la prédestination. Suivant toute vraisemblance, Calvin était persuadé qu'il avait été mis au nombre des élus, illuminés dans la foi; il ne devait voir dans ses adversaires que des réprouvés, des ennemis de Dieu, condamnés de toute éternité, et pour lesquels le dogme de la prédestination défendait, comme une impiété, d'espérer jamais la conversion et le salut : le décret de réprobation étant tout aussi irrévocable que le décret d'élection. Or, quand on veut se représenter quels sentiments ce dogme devait inspirer à un théologien, à l'égard de ses adversaires, il suffit de constater quelles pensées et quels sentiments il inspirait à une femme, à l'égard de sa famille. Renée de France, duchesse de Ferrare, écrivait à Calvin :
« Non, je n'ai point oublié ce que vous m'avez écrit que David a haï les ennemis de Dieu d'une haine mortelle, je n'entends point contrevenir ni déroger en rien à cela; car quand je saurais que le roi mon père, et la reine ma mère, et feu monsieur mon mari, et tous mes enfants, seraient réprouvés de Dieu, je les voudrais haïr de haine mortelle, et leur désirer l'enfer, et me conformerais à la volonté de Dieu entièrement, s'il lui plaisait m'en faire la grâce. »
La parole à Calvin.
A côté du dogme de la prédestination tout devient secondaire; le reste n'est plus qu'une question de procédés, dont le mode peut varier, mais dont le résultat est immuable. Cependant on aurait une notion très insuffisante de la théologie de Calvin si l'on ne connaissait pas ce qu'il enseigne sur l'ordonnance et le mode du salut. Conformément à notre projet, qui est d'exclure de cette notice tout élément douteux, nous présenterons ici encore un résumé composé par Calvin lui-même. Nous l'empruntons à un document d'une valeur et d'une autorité incontestables et d'une brièveté presque irréductible, la Confession des Escholiers, imposée à l'Académie de Genève, comme sa charte religieuse (1559) et rédigée à une époque où Calvin avait donné à l'Institution chrestienne sa forme définitive : 
« le confesse que l'homme a esté créé à l'image de Dieu en pleine intégrité de son esprit, volontés et toutes les parties, facultez et sens de son âme : que toute la corruption et les vices qui sont en nous, sont procedez de ce qu'Adam nostre père s'est aliéné de Dieu, par sa rébellion : et en délaissant la source de vie et de tous biens s'est asservi à toute misère. Ainsi que nous naissons en péché originel, et sommes tous maudicts de Dieu et damnez dès le ventre de la mère, non pas seulement par la faulte d'aultruy, mais à cause de la malice qui est en nous, encores qu'elle n'y apparaisse point. 

- Ie confesse aussi que le péché originel emporte aveuglement d'esprit et perversité de coeur, tellement que nous sommes despouillez de tout ce qui appartient à la vie celeste, et mesme que tous les dons naturels sont depravez et souillez en nous; qui est cause que nous ne saurions avoir nulle bonne pensée ne mouvement à bien faire. Et deteste ceulx qui nous attribuent quelque franc arbitre, pour nous preparer à entre en la grace de Dieu, ou cooperer comme de nous-mesmes à la vertu qui nous est donnée par le sainct Esprit. 

- Ie confesse aussi que par la bonté inestimable de Dieu lesus Christ nous a esté donné pour remede, à fin de nous ramener de mort à vie, et restaurer ce qui estoit decheu en Adam : et que pour ce faire, luy, qui estoit la sagesse eternelle de Dieu son père et d'une même essence, a vestu nostre chair tellement qu'il a esté faict Dieu et homme en une seule personne. Sur quoi ie deteste toutes les heresies contrevenantes à ce principe, comme de Marcion, Manichee, Nestoire, Eutyche et leurs semblables. Item les resveries que Servet et Schnenfeld ont voulu remettre au dessus

- Quant au moyen de nostre salut, je confesse que lesus Christ en sa mort et en sa resurrection a parfaict et accompli tout ce qui estoit requis à effacer nos offenses, à fin de nous reconcilier à Dieu son père : qu'il a surmonté la mort et le diable, à fin que nous ioussions du fruict de sa vic toire; et aussi qu'il a receu le sainct Esprit en toute plénitude, à fin d'en distribuer à chascun des siens selon le mérite que bon luy semble.

- Ie confesse donc que toute nostre iustice, par laquelle nous sommes aggreables à Dieu, et en laquelle il nous fault du tout reposer, gist en la remission des pochez, laquelle il nous a acquise au lavement que nous avons en son sang, et au sacrifice unicque pour lequel il a appaisé l'ire de Dieu envers nous. Et tien pour une presomption detestable que les hommes s'attribuent aucun mérite, pour y mettre une seule goutte de la fiance de leur salut.

- Ie confesse cependant que lesus Christ non seulement nous instille, en couvrant toutes nos faultes et iniquitez, mais nous renouvelle aussi par son Esprit : et que ces deux choses sont inséparables, d'obtenir pardon de nos pechez et d'estre reformez en saincte vie. Mais pource que iusqu'à ce que nous sortions du monde, il demeure touiours beaucoup de povretez et vices en nous mesmes (tellement que toutes les bonnes oeuvres, que nous faisons par l'aide du S. Esprit, sont entachées de quelque macule) il nous fault toujours avoir nostre refuge à la justice gratuite procédante de l'obeissance que lesus Christ a rendue pour nous, d'autant que nous sommes acceptez en son nom, et que Dieu ne nous impute pas nos péchés. 

- le confesse que nous sommes faicts participons de lesus Christ et de tous ses biens par la foy de l'Evangile, quand nous sommes asseurez d'une droicte certitude des promesses qui sont là contenues. Et pource que cela surmonte toutes nos facultez, que nous ne la pouvons avoir sinon par l'Esprit de Dieu : mesme que c'est un don spécial qui n'est communiqué sinon aux esleus, qui ont été predestinez devant la creation du monde à l'héritage de salut, sans aucun esgard de leur dignité ne vertu. 

- Ie confesse aussi que nous sommes iustifiez par la foy, en tant que nous acceptons lesus Christ, qui nous est donné du père pour mediateur, et sommes fondez sur les promesses de l'Evangile, par lesquelles Dieu nous testifie qu'il nous tient et advoue comme ses enfants, pour Justes et purs de toute macule, entant que nos pochez sont effacez par le sang de son fils. Sur quoi ie detests les resveries de ceulx qui veulent faire à croire que la iustice essentielle de Dieu est en nous, ne se contentans point de l'acceptation gratuite, à la quelle seule l'Escripture nous commande de nous arrester. »

Calvin, comme nous l'avons déjà dit, a touché à tous les points de la religion chrétienne, dogme, culte, discipline et organisation ecclésiastiques, et sur les plus importants de ces points sa doctrine a acquis une valeur historique et on les trouvera exposés dans diverses pages de ce site. Mais nous croyons devoir indiquer ici au moins ses maximes sur le gouvernement civil : 
« Dieu veult que le monde soit gouverné par lois et police, à fin qu'il y ait quelques brides pour reprimer les appetits desordonnez des hommes. Ainsi qu'il a establi les royaumes, principautez et seigneuries, et tout ce qui appartient à l'état de iustice : et en veult estre recognu autheur, à fin qu'à cause de luy non seulement on endure que les superieurs dominent, mais qu'on les honore et prise en toute reverence, les tenant pour ses lieutenants et officiers, lesquels il a commis pour exercer une charge legitime et saincte. Pourtant qu'il fault obeir à leurs loix et statuts, payer tribust et imposts, et autres debvoirs, et porter le ioug de subiection d'une bonne volonté et franche : moyennant que l'empire souverain de Dieu demeure en son entier » (Confession des Escholiers). 

« Mais en l'obeissance que nous avons enseignée estre deue aux superieurs, il doit y avoir touiours une exception ou plustost une regle qui est à garder devant toutes choses c'est que telle obeissance ne nous destourne point de l'obéissance de celuy sous la volonté duquel il est raisonnable que tous les edicts des rois se contiennent, et que tous leurs commandements cèdent à son ordonnance, et que toute leur hautesse soit humiliée et abaissée sous sa majesté [...]. S'ils viennent à commander quelque chose contre luy, il nous doit estre de nulle estime : il ne faut avoir en cela aucun esgard à toute la dignité des supérieurs » (Institution chrestienne, liv, IV, chap. XX, 32).

Même dans ce cas, la désobéissance doit rester limitée à la résistance passive : 
« [...] si nous sommes cruellement vexez par un prince inhumain, ou pillez ou robbez par un avaricieux ou prodigue, ou mesprisez et mal gardez par un nonchalant : Si mesme nous sommes affligez pour le nom de Dieu par un sacrilege ou incredule [...] il n'est pas en nous de remedier à de tels maux mais il ne reste autre chose, que d'implorer l'aide de Dieu, en la main duquel sont les coeurs des Rois et les mutations des royaumes » (Ibid., 29). 
Cependant Calvin permet à cette résignation une espérance fort menaçante:
« Aucunes fois Dieu suscite manifestement quelcuns de ses serviteurs, et les arme de son mandement pour faire punitions d'une domination iniuste et delivrer de calamité le peuple iniquement affligé » (Ibid., 30).
Avant d'enseigner aux sujets chrétiens leurs devoirs envers leurs princes et leurs magistrats, il avait brièvement déclaré à ceux-ci leur office : 
« Il ne se peut establir heureusement aucun regime en ce monde, qu'on ne pourvoye devant tout à ce poinct, que Dieu soit honoré : les loix qui laissent derrière l'honneur de Dieu pour seulement procurer le bien des hommes mettent la charrue devant les boeufs [...]. C'est bien raison, puisqu'ils  [les princes et magistrats] sont ses vicaires et ses officiers  [de Dieu], et qu'ils dominent par sa grace, qu'aussi ils s'employent à maintenir son honneur [...]. Il est aisé de redarguer la folie de ceulx qui voudroyent que les Magistrats, mettons Dieu et la religion sous le pied, ne se melassent que de faire droit aux hommes [...]. Mais l'appetit et convoitise de tout innover, changer et remuer sans estre reprins, poussent tels esprits meutins et volages, de faire, s'il leur estoit possible, qu'il n'y eust nul juge au monde pour les tenir en bride » (Ibid., 9).
Il écrit ailleurs :
« Quiconque affirmera que le contenu de l'Ecriture est une fiction sera traîné au supplice. Il est du devoir du magistrat de punir par le glaive et par d'autres châtiments ceux qui, après avoir renié leur foi, sollicitent les autres à une semblable apostasie [...]. C'est avec raison que saint Augustin a dit : Il est utile que les hommes soient amenés à la foi contre leur gré... »
Calvin réclame l'obéissance pour tous les gouvernements, quelle qu'en soit la forme, et il professe une certaine indifférence à l'égard de leurs formes, signalant des vices en chacune d'elles; mais il est sensible que ses préférences ne sont point pour la monarchie, qu'il appelle la puissance la moins plaisante aux hommes, et qu'il incline vers le gouvernement aristocratique : 
« La seigneurie et domination d'un seul homme, laquelle pourtant qu'elle emporte avec soy une servitude commune de tous, excepté celui seul au plaisir duquel elle assuiestit tous les autres, elle n'a lamais esté agreable à toutes gens d'excellent et haut esprit (Inst. chrest., liv. IV, chap. XX, 7). Un compte trois espèces du régime civil : c'est assavolr Monarchie, qui est la domination d'un seul, soit qu'on le nomme Roy, ou Duc, ou autrement; Aristocratie, qui est une domination gouvernée par les principaux et gens d'apparence : et Democratie, qui est une domination populaire, en laquelle chacun du peuple a puissance. Il est bien vray qu'un roy ou autre à qui appartient la domination, aisement decline à estre tyran. Mais il est autant facile quand les gens d'apparence ont la superiorité, qu'ils conspirent à eslever une domination inique : et encore il est beaucoup plus facile, où le populaire a anthorité, qu'il esmeuve sédition. Vray est que si on fait comparaison de trois espèces de gouvernemens que i'ay recitées, que la preeminence de ceux qui gouvernent tenans le peuple en liberté sera plus à priser non pas de soy, mais pource qu'il n'advient pas souvent, et est quasi miracle, que les rois se moderent si bien que leur volonté ne se fourvoye iamais d'equité et droiture. D'autre part, c'est chose fort rare qu'ils soyent munis de telle prudence et vivacité d'esprit, que chacun voye ce qui est bon et utile. Parquoy le vice, au défaut des hommes, est cause que l'espece de superiorité la plus passable et la plus seure, est que plusieurs gouvernent, aidans les uns aux autres, et s'advertissans de leur office : et si quelcun s'esleve trop haut, que les autres luy soyent comme censeurs et maistres » (Ibid., 8). 


(E.-H. Vollet). 

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