 |
On donne le nom
de poésie pastorale à la poésie qui peint les
moeurs pastorales. On lui a donné aussi le nom de Poésie
bucolique, parce que les personnages qu'elle a mis en scène,
au moins dans ses origines, étaient des bouviers (en grec boukolos),
des bergers, des chevriers. Elle retrace les douceurs de la vie champêtre,
telle surtout que se la représentent les habitants des grandes cités,
qui aiment à transporter au sein des paisibles campagnes, des prairies
émaillées, et sous l'ombre des bois touffus et frais, l'idéal
de la tranquillité incompatible avec le tourbillon du monde, le
tumulte des affaires et les embarras de la ville. Quelle que soit la forme
qu'on adopte, idylle, églogue
ou drame, ce qui sied avant tout aux compositions de cette espèce,
c'est la simplicité et la grâce. Les sentiments des personnages
doivent être naïfs, et leur langage aussi éloigné
du ton fastueux que de la trivialité, ce qui ne l'empêche
pas, si la nature du sentiment le permet, de s'élever jusqu'à
la noblesse.
II ne faut pas confondre la poésie
pastorale, genre distinct de Littérature, où l'on peint la
vie des champs sous sa forme la plus attrayante et dans son heureuse simplicité,
avec toute description de la nature, dont le sentiment peut se trouver,
à des degrés divers, dans les autres genres littéraires.
La Nature occupe trop de place dans l'histoire de l'homme, pour être,
à aucune époque, oubliée par les poètes. Ainsi,
l'Inde a son Gîta-Govinda ,
la Judée son livre de Ruth et son Cantique des cantiques ,
l'Arabie ses Moallakats; l'Odyssée
d'Homère et les Travaux et les Jours
d'Hésiode abondent en descriptions champêtres;
le drame satyrique des Grecs, avec ses
Faunes ,
ses Satyres ,
ses Silènes ,
offrait fréquemment la peinture de la vie des champs, et il en fut
vraisemblablement de même d'un grand nombre de comédies dont
nous n'avons plus que les titres, les Bouviers de Cratinus, le Paysan
de Ménandre, etc.; la Paix d'Aristophane
est écrite avec un sentiment bien vif du calme de la campagne; Platon
lui-même cherche souvent à encadrer les plus belles de ses
discussions philosophiques dans les plus splendides scènes de la
Nature. Le sentiment de la Nature est de tous les temps; mais il n'en est
pas ainsi de la poésie pastorale proprement dite, née du
contraste de la vie des champs avec les raffinements de la civilisation
urbaine, et du besoin que les citadins éprouvent de se retremper
dans quelque vallée solitaire, loin du bruit et de l'agitation,
sous un beau ciel, devant la belle et simple Nature.
Il n'est peut-être pas, en effet,
de genre littéraire qui suive une loi plus constante: en parcourant
l'histoire de ce genre, depuis Théocrite,
qui en est généralement regardé comme l'inventeur,
jusqu'à nos jours, on voit la poésie pastorale s'épanouir
uniformément dans la Vieillesse des civilisations. Quand elle se
montre, tout a été moissonné dans le champ de l'imagination.
Les esprits conservent cependant de la vigueur; les besoins littéraires
subsistent. Pour distraire ces civilisations ennuyées, apparaît
la poésie pastorale. Afin de détourner l'homme de la contemplation
de lui-même, elle lui offre le spectacle de la nature. A des âmes
blasées par l'expérience, saturées d'analyse et de
réflexion, elle présente avec industrie le tableau de mesures
innocentes et primitives; elle rafraîchit, en quelque sorte, les
imaginations fatiguées au parfum des bois et des champs.
Lamotte, Fontenelle,
Marmontel,
Heyne,
croient devoir rapporter la naissance du genre pastoral à un âge
d'or fabuleux, qui n'a jamais existé que dans leur imagination.
Si l'on veut parler d'une sorte de poésie simple et grossière,
qu'on appellerait la Pastorale naturelle, on peut admettre, sur la foi
d'antiques traditions, que les vallées heureuses de l'Arcadie
ou de la Sicile ont produit ce genre de poésie, et croire à
la création spontanée de ces rudiments de poésie pastorale,
que traduisit sans doute Théocrite,
en les ornant, sans les altérer, de toutes les grâces de son
esprit et de son goût. II y eut peut-être un Daphnis, sorte
d'Homère pastoral, entouré, comme ce dernier, de grandeur
et de mystère : la pastorale littéraire serait donc sortie
de thèmes grossiers et primitifs, comme la satire romaine du dialogue
fescennin,
comme la tragédie et la comédie grecque des chants improvisés
aux fêtes de Dionysos
et de Déméter .
Mais, l'histoire et la critique littéraire le prouvent, la poésie
n'arrive à la pastorale que par un long détour, et après
avoir successivement passé par les genres héroïques,
par l'ode, le drame et l'épopée.
C'est au milieu de la cour savante d'Alexandrie,
au sein d'une société qui a tout connu, tout usé,
que Théocrite a eu l'heureuse idée d'introduire les chants
populaires de sa patrie, les rustiques chansons recueillies dans les campagnes
d'Enna, non loin des bords de l'Aréthuse. Ainsi on vit, au milieu
des disputes du XVIIIe siècle,
MacPherson donner, sous le nom d'un barde d'Écosse, les vieux chants
galliques des montagnes de Morven ( Chants
d'Ossian ).
Le succès fut le même, préparé
qu'il était par les mêmes causes. Il rendait, pour ainsi dire,
un échantillon de la nature à des hommes qui depuis longtemps
ne la regardaient plus. Bion et Moschus,
contemporains et successeurs de
Théocrite,
répondirent au même besoin, tout en s'éloignant un
peu de la simplicité de leur maître. Quand parurent à
Rome les Bucoliques
de
Virgile, une vieillesse prématurée
avait atteint la société romaine. On conçoit avec
quel bonheur elle dut se reposer sur ces peintures de la vie champêtre,
qui l'arrachaient au sentiment de ses douleurs par la poétique image
d'une ignorance heureuse et d'un repos dont elle avait tant besoin. Virgile
fit subir à la poésie pastorale une grave altération
: par lui l'églogue commença à devenir ce qu'elle
n'a cessé d'être depuis, un cadre convenu, une forme allégorique,
destinée à recevoir et à exprimer des choses souvent
étrangères aux champs, aux moeurs et à la vie des
bergers. C'est le commencement de la décadence d'un genre par lui-même
assez borné. Virgile s'y met presque toujours en scène avec
ses sentiments particuliers, ses amours et ses répugnances; il y
introduit ses rivaux et ses amis, et, à propos d'églogue,
nous entretient des grands intérêts qui s'agitent dans Rome,
de l'astre des Jules, et des présages de la grandeur de celui qui
doit bientôt tout gouverner.
Peu de genres ont eu plus de fortune que
la pastorale; sous prétexte que les bergers sont agréables,
disait Fontanelle, on en a quelquefois abusé. Lui-même aurait
pu commencer par s'appliquer cette observation. Nous ne rappellerons que
pour mémoire les églogues de Calpurnius
et de Némésien, et les idylles d'Ausone;
nous ne nommerons Pontanus, le Mantouan, Sannazar,
Vida,
que pour montrer jusqu'où peut être porté l'abus de
ce genre, dans ce qu'on a appelé le second âge de la pastorale
latine. Au XIVe et au XVe
siècle, la pastorale n'est plus qu'un déguisement de fantaisie
pour habiller toute espèce d'idées, pour donner un air et
un tour villageois à des traits satiriques, littéraires,
politiques, et même religieux. Fontenelle a rappelé cette
pièce où le Mantouan imagine de faire soutenir à des
bergers, qui sont aussi des moines augustins ,
une dispute théologique devant un cardinal, qui, par précaution,
les engage à déposer préalablement leurs houlettes,
de peur qu'ils ne se battent.
A l'époque où la pastorale
tomba dans les langues modernes, ce genre subit une nouvelle transformation
: dans Virgile, dans Théocrite
même, mais plus sobrement, des limités resserrées l'avaient
contraint à s'allier souvent à d'autres formes; à
l'élégie, dans l'Alexis, la Pharmaceutria,
Gallus;
à l'épopée et au genre
didactique, dans Silène et Pollion; presque partout, au drame.
Il devient maintenant le drame pur, et ensuite le roman, ce dont Longus
avait toutefois donné un exemple dans Daphnis et Chloé .
Les troubles religieux et politiques qui remplirent le XVe
et le XVIe siècle expliquent d'ailleurs
le succès prodigieux qu'obtinrent, parmi bien d'autres productions
du même genre, l'Aminte
du Tasse, le Pastor fido
de Guarini, lesquels, avec l'Astrée
d'Honoré d'Urfé, servirent de modèle aux pastorales
de Segrais, aux poésies de Racan et de Mme Deshoulières.
Sous prétexte de bergeries les auteurs
français expriment des sentiments quelquefois délicats et
vrais; mais le faux règne dans les moeurs et dans tout le reste.
Les bergers héroïques de d'Urfé, de Segrais, de Racan,
de Fontenelle, de Florian, n'ont jamais existé
dans aucun pays, et sont particulièrement inconnus à l'Antiquité.
C'est pour la forme qu'ils possèdent un chien et des moutons, et
ils ne portent guère la houlette que par contenance. André
Chénier à pu donner seul à ses idylles un coloris
et un parfum empruntés aux poètes de l'ancienne Grèce.
S'il était possible de concevoir
la Pastorale indépendamment de la versification, il semble que le
roman de Paul et Virginie ,
de Bernardin de St-Pierre, devrait seul mériter
ce nom parmi nous. Aux deux extrémités de l'histoire de ce
genre se reproduisent des circonstances tellement analogues, qu'il est
impossible de n'en être point frappé : en 1788, la France,
comme la Grèce des Ptolémées,
n'a-t-elle pas épuisé tous les genres de gloire littéraire?
Dogmes religieux et croyances politiques sont également affaiblis.
Une analyse ardente, audacieuse, a montré le côté vulnérable
des institutions humaines; un siècle s'est écoulé
tout rempli par le raisonnement : c'est dans cette lassitude générale
qu'apparaît l'histoire simple, pathétique, de Paul et Virginie,
si propre à distraire de leur ennui des esprits fatigués
de tragédies héroïques, rassasiés des jouissances
de la civilisation.
Au XIXe
siècle, on a vu renaître, avec George Sand
et d'autres écrivains beaucoup moins célèbres, sinon
la poésie pastorale, au moins le goût des tableaux champêtres.
Ce ne sont que scènes bretonnes ou provençales, scènes
du Languedoc
ou du Jura, de la Normandie
ou du Bocage ,
formant un contraste piquant avec les idées positives du siècle.
Ne serait-ce pas aussi qu'après les ouragans de passions déchaînés
depuis si longtemps dans la littérature, surtout dans le roman,
on a besoin de paysages tranquilles et d'émotions honnêtes?
Les autres pays, comme la France, ont eu
des écrivains du genre pastoral. Sans parler des ouvrages déjà
cités plus haut, l'Italie peut mentionner la Favola di Orfeo
de
Politien,
drame pastoral joué dès 1484, l'églogue
de Tirsis par Castiglione, divers ouvrages de Tansillo de Reccari,
de Lollio, la Filli di Sciro de Bonarelli, l'Alceo d'Ongaro,
et, au XIXe siècle, les églogues
de Meli, écrites dans le dialecte sicilien.
En Espagne, Boscan
et Manuel de Villega naturalisèrent l'idylle; Montemayor
publia une Diane, et
Cervantes une Galatée.
Au commencement du XIXe siècle,
Melendez
Valdez a laissé des églogues et des romances pastorales
qui le placent au-dessus de ses devanciers.
Le Portugal
compte parmi les poètes bucoliques
Saa de Miranda, Bernardino Ribeira, Christoval Falçam,
Antonio
Ferreira, Rodriguez Lobo, Diego Bernardez, Andrade Caminha, Alvarès
do Oriente.
En général, l'Angleterre
n'a point brillé dans le genre pastoral. Le Calendrier de
Spencer contient des églogues pour tous les mois; Milton
fit une pastorale, Lycidas; on a une Arcadie de Philippe
Sidney, quelques morceaux bucoliques de Pope, de
Collins,
de Gregory, etc.
En Allemagne, Salomon
Gessner a voulu étendre les limites naturelles du genre, en
lui donnant un intérêt plus moral; il a écrit en prose.
On place après lui Voss et Kleist.
Les Hollandais parlent avec éloge
des idylles de Tollens. (A19). |
|