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Cujas

 Jacques Cujas, en latin Cujacius, de son vrai nom Cujaus, est un illustre jurisconsulte français, né à Toulouse en 1522, mort à Bourges le 4 octobre 1590. Elève du professeur toulousain Arnaud du Ferrier, il ouvrit lui-même, en 1547, un cours d'Institutes à Toulouse et il paraît établi qu'il ne quitta sa ville natale qu'après y avoir concouru vainement pour une chaire de droit romain et s'être vu préférer le bartoliste Forcadel resté connu surtout par suite de cet incident. C'est à partir de là que Cujas a commencé la vie errante qui fut celle de presque tous les professeurs célèbres de son temps.
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Cujas.
Jacques Cujas (1522 - 1590).
Il fut d'abord nommé, en 1554, professeur à Cahors où il remplaça Antoine de Govea; puis il fut appelé moins d'un an après, en 1555, à remplacer François Baudouin à Bourges où il eut pour collègues Antoine Le Conte, Doneau et Duaren et pour élèves Pierre Ayrault, François Rageau et Pierre Pithou. II n'y resta que deux ans, car, malgré la sympathie de Le Conte et l'appui d'une partie des étudiants, la jalousie de Doneau et de Duaren lui rendit la vie intolérable et le força en 1557 à se retirer provisoirement à Paris. Il fut bientôt appelé à Valence dont les magistrats conclurent avec lui un traité, récemment remis au jour, l'engageant pour trois ans au taux de 600 livres par an. Mais, dès avant l'expiration du traité, il revint à Bourges, en 1559, sur les instances de Marguerite, fille de François ler, duchesse de Savoie et de Berry, pour y prendre la chaire laissée vacante par la mort de Duaren. 

Ce second professorat de Bourges a duré jusqu'en 1566, où Cujas consentit sur le désir de Marguerite et du duc de Savoie, son mari, à aller à Turin remplacer Antoine de Govea, mort le 5 mars de cette année. Il ne se plut pas en Italie et revint en 1567 à Valence, où il résida cette fois de 1567 à 1575. Il y était donc à l'époque de la Saint-Barthélemy et on a raconté qu'il y aurait alors sauvé la vie à Scaliger et au civiliste Ennemond Bonnefoy; on a même voulu conclure de certains indices qu'il aurait, dans cette période, appartenu lui-même plus ou moins franchement à la religion réformée, quoique d'autres particularités connues, par exemple son légendaire Nihil hoc ad edictum praetoris et les idées de tolérance exprimées dans ses ouvrages, s'expliquent peut-être mieux par la supposition d'une neutralité sceptique

Enfin, en 1575, il retourna à Bourges pour la troisième fois et, sauf un court séjour fait en 1576 à Paris, où il fut, par une faveur spéciale, autorisé à enseigner le droit civil, il n'en sortit plus désormais. Il y mourut, laissant pour unique descendante une fille d'un second mariage et formulant dans son testament des principes et des défiances qui portent à se demander si la profession extérieure d'orthodoxie religieuse qu'il faisait alors depuis des années n'était pas exclusivement une précaution destinée à assurer sa tranquillité.

Pendant toute cette longue carrière, l'enseignement de Cujas eut, quelles qu'aient été ses qualités de parole, sur lesquelles les renseignements sont contradictoires, un succès retentissant attesté non seulement par les offres des villes et des princes qui jouent un si grand rôle dans ses migrations, mais par les listes interminables d'hommes célèbres qui ont suivi ses cours et encore plus par la fidélité singulière avec laquelle on le voit suivi par un noyau d'élèves éprouvés à chacun de ses déplacements. Cependant, comme tous les grands jurisconsultes des époques civilisées, il doit encore plus son renom à ses productions littéraires qui sont d'ailleurs, pour une part notable, la reproduction de son enseignement oral et qui sont encore aujourd'hui des ouvrages de consultation utile pour ceux qui s'occupent de droit romain.

Les oeuvres complètes de Cujas se partagent à peu près par moitié en oeuvres publiées de son vivant et en oeuvres posthumes moins estimées. On cite généralement comme la plus parfaite les Observationum et emendationum libri XXVIII dont les vingt-quatre premiers livres ont été publiés par lui successivement de 1566 à sa mort, et les derniers par Pithou. Elles ont été publiées à de nombreuses reprises, dans des éditions de valeur très inégale. Les meilleures éditions sont celle donnée par Fabrot à Paris, en 1658, en 10 volumes in-folio, et les réimpressions en 11 volumes de Naples, 1722-1727, de Venise, 1758-1783, et de Prato, 1834-1843, 13 vol. grand in-8; l'édition de Venise est préférable parce que c'est à elle que se rapporte le plus commodément une table très utile publiée en 2 volumes in-fol. à Naples en 1763, sous le titre : Promptuarium operum Jac. Cujacii auctore Dom. Albunensi (réimpr. en 1795). 

Les lettres conservées à la bibliothèque de Hanovre ont été publiées en 1825 par Spangenberg, celles à Pithou conservées dans le manuscrit. 700 du fonds Dupuy de la Bibliothèque nationale et ont été très souvent utilisées  et beaucoup d'autres, inédites ou imprimées sans vue d'ensemble dans les recueils spéciaux, se trouvent dispersées dans de nombreux dépôts de France et de l'étranger. 

Cujas n'est pas seulement le représentant le plus brillant de la grande école historique fondée par Alciat. C'est le premier des anciens romanistes. On peut dire qu'aucun jurisconsulte pur n'a uni à un degré plus élevé, au sens juridique proprement dit, la sagacité critique et le savoir philologique et historique nécessaires pour une interprétation parfaitement éclairée des monuments du droit romain. En le comparant à son contemporain et rival Doneau, le plus distingué représentant de l'école dogmatique, on peut lui reprocher de ne pas avoir, comme Doneau, tourné son effort du côté des généralisations systématiques qui ramènent les détails à des vues d'ensemble, de s'être, dans l'oeuvre de la reconstitution historique du droit, dérobé devant la synthèse, qui aurait dù être le couronnement de ses admirables travaux d'analyse. Mais, cette réserve faite, il l'emporte, croyons-nous, sous tous les rapports, sur le seul jurisconsulte de l'école adverse qu'on ait pu mettre en ligne avec lui, aussi bien que sur tous les membres de sa propre école. 

Son originalité ne réside pas, à vrai dire, dans la méthode. Il procède comme les glossateurs par l'étude exégétique des textes. Mais il ne le fait pas comme eux pour déterminer le sens qu'ont ces textes dans les compilations qui nous les ont transmis; il le fait pour les remettre dans leur cadre original et pour restituer leur portée première. Quand il étudie, par exemple, un texte du Digeste, ce n'est ni exclusivement ni même principalement pour connaître le droit de Justinien; c'est pour en dégager, avec le concours des autres fragments des mêmes jurisconsultes, des autres documents juridiques et des textes littéraires, la pensée propre de l'auteur du fragment, pour le replacer dans son milieu véritable en déterminant les doctrines professées au temps de l'auteur et jusqu'au plan de l'ouvrage où il s'est expliqué sur elles. Cette vue historique élevée apparaît déjà dans le premier livre publié par Cujas en 1554, dans ses notes sur les Règles d'Ulpien éditées cinq ans auparavant par Du Tillet et encore plus dans l'essai qu'il a été, en 1558, le premier à tenter pour restituer, à l'aide des débris qui nous ont été conservés des Sentences de Paul, le texte original de l'ouvrage du jurisconsulte. Elle explique aussi la forme donnée par Cujas à un grand nombre de ses travaux, directement destinés à remettre dans leur ordre naturel et à commenter dans leur ensemble les fragments d'un jurisconsulte déterminé disséminés dans le Digeste. Il suffira de rappeler les Tractatus ad Africanum, les commentaires sur Papinien, qui sont le plus apprécié de ses ouvrages posthumes, et les Recitationes sollemnes sur divers ecrits de Paul, de Julien, de Neratius Priscus, d'Ulpien, de Marcellus, de Scaevola, etc., qui tiennent tant de place dans ses oeuvres complètes. Le zèle et la pénétration qu'il a consacrés à la critique des textes des jurisconsultes ne doivent d'ailleurs pas faire oublier qu'il a dépensé une activité presque égale à la critique des constitutions impériales et qu'on a pu écrire que « les indications rassemblées par lui sur le Code de Justinien dans ses Observationes et dans ses Paratitla, ses Recitationes et ses commentaires sur ce code présentent, pour le temps de Justinien, la même importance que le commentaire du code Théodosien de Godefroy pour le temps de Théodose ».

Enfin, on négligerait l'un des éléments les plus considérables de la supériorité de Cujas si on omettait ses mérites d'éditeur de textes, si en particulier on ne soulignait énergiquement l'intelligence et la curiosité scientifiques avec lesquelles il a durant toute sa vie poursuivi la recherche des manuscrits juridiques contenant des textes inédits ou fournissant ,es variantes critiquement importantes de textes déjà connus. La marque en est déjà dans le nombre élevé des manuscrits de sa bibliothèque qu'un contemporain assure avoir été d'environ cinq cents, qui, d'après un catalogue dressé par un de ses élèves vers l'an 1574, était alors de près de deux cents et qui, d'après un autre catalogue copié sur l'inventaire fait après sa mort et publié pour la première fois à la fin du XIXe siècle, était alors de près de quatre cents. Mais les manuscrits appartenant à Cujas ne sont qu'une petite portion de ceux qu'il a dépouillés dans sa carrière. Il n'est pour ainsi dire pas question d'autre chose dans sa correspondance. 

Les manuscrits précieux dont il,a pris connaissance et dont plusieurs sont aujourd'hui perdus se rapportent à la fois au droit antéjustinien, au droit de Justinien et au droit grec postjustinien. Il n'a guère publié, comme ouvrages entièrement inédits, que la Consultatio veteris jurisconsulti dont il reçut le manuscrit, aujourd'hui perdu, de Loysel en 1563 et dont il publia d'abord des fragments en 1564 et en 1566, puis le texte même en 1577 et plus complètement en 1586, et la Lex Romana Burgundionum publiée par lui en 1566 sous le titre faux de Papiani liber I responsorum, probablement d'après un manuscrit appartenant à Pierre Pithou. Mais, sans parler des recueils complets de la Jurisprudentia antejustiniana qu'il a joints en réalité à ses deux éditions du code Théodosien de 1566 et de 1586, c'est lui qui a le premier publié, dans les mêmes éditions, les livres VI à VIII de ce code d'après le manuscrit Charpin; il a publié le premier certains morceaux des Basiliques, pour lesquelles il paraît avoir eu à sa disposition, à côté des manuscrits qui existent encore dans nos grandes collections, d'autres manuscrits plus complets que nous n'avons plus. Quant aux compilations de Justinien elles-mêmes, il a pris une part active à la restitution du code, où notamment presque toutes les constitutions grecques ont été rétablies par lui et par Antonius Augustinus, et il faut descendre jusqu'à notre siècle pour rencontrer des éditions des Institutes qui ne procèdent pas exclusivement de celles données par lui avec un appareil critique fort remarquable. (P.-F. Girard).

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