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L'Église

Généralités Histoire de l'Église romaine Les Etats de l'Église*
Le mot Église (du grec ecclèsia = assemblée) désigne une société de fidèles qui professent une même foi, participent aux mêmes cérémonies-religieuses, et sont soumis à une même autorité. C'est un mot qui n'a de sens que dans le christianisme. Lorsque le terme Église est employé sans autre qualificatif, il désigne ordinairement l'Église romaine, qui se définit elle-même comme l'Église catholique (= universelle) et apostolique  (= héritière de la prédication des Apôtres). Mais, quoique tous les chrétiens soient supposés composer une seule et même société, on a distingué dès les origines plusieurs Églises, séparées les unes des autres par différents points de doctrine : l'Église latine ou catholique romaine, à laquelle sera principalement consacrée cette page et les pages qui lui sont associées dans le sommaire ci-dessus, l'Église grecque, l'Église russe, l'Église arménienne, l'Église d'Afrique, l'Église copte, l'Église d'Abyssinie, les Églises dites réformées ou protestantes  (luthérienne, calviniste, anglicane, d'Ecosse, méthodiste, congrégationnaliste, presbytérienne, baptiste, etc.), etc. 

Théologie.
Le mot église ne se trouve que dans deux passages des Evangiles. Dans le premier (S. Matthieu, XVI, 18-19), il désigne un édifice spirituel que Jésus-Christ doit bâtir et contre lequel les puissances de l'enfer ne prévaudront pas. A cette déclaration sont adjointes la promesse des clefs du royaume de Dieu et la délégation d'un pouvoir de lier et de délier s'étendant dans les cieux comme sur la terre. Dans le second passage (S. Matthieu, XVIIIe, 17-18), il s'agit d'une assemblée locale investie d'un droit de juridiction sanctionné par la réprobation et l'exclusion de ceux qui refusent d'écouter cette assemblée. D'autres textes, sans produire le nom, paraissent ne pouvoir se rapporter qu'à l'Eglise. En effet, ils contiennent la formate d'une commission qui ne pouvait être remplie que par l'oeuvre de nombreuses générations humaines et la promesse d'une assistance continuée jusqu'à la fin du monde « Toute puissance m'est donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc et instruisez les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit; leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé. Et voici, je suis toujours avec vous jusqu'à la fin du monde (S. Matthieu, XXVIII, 19-20). Allez par tout le monde et prêchez l'Evangile à toute créature. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé; mais celui qui ne croira point sera condamné (S. Marc, xvi, 10.17). » 

Dans les Actes des Apôtres, les Epîtres et l'Apocalypse, le mot est employé avec trois acceptions différentes. Il désigne tantôt un fait local et momentané, c.-à-d. l'assemblée des personnes se trouvant réunies dans un même endroit, à un instant donné; tantôt la totalité des fidèles habitant la même ville; enfin, dans un sens mystique, l'universalité des croyants, quel que soit le lieu de leur habitation.

Chez les Grecs, le mot Ekklesia désignait habituellement une assemblée délibérante. Les chrétiens, qui commencèrent à l'adopter, de préférence au mot synagogue, lorsque leur séparation d'avec les juifs devint plus prononcée, y ajoutaient parfois un déterminatif, pour en indiquer la valeur nouvelle et essentiellement religieuse; ils disaient l'Eglise de Dieu ou l'Eglise du Christ (I, Cor, XV, 9 ; Actes des Apôtres, XX, 28). En ce sens, l'Eglise était la communauté ou l'universalité de tous ceux qui avaient été appelés et étaient parvenus au salut par Jésus-Christ (Act. Ap., II, 47). Suivant saint Paul, tous les fidèles forment ensemble un seul peuple, le peuple particulier du Christ (Tite, II, 45). Chez ce peuple-là, il n'y a plus ni juif, ni Grec, ni esclave, ni homme, ni femme. Tous ne sont qu'un en Jésus-Christ (Galates, III, 28). Le baptême a fait d'eux un seul corps en Christ (I, Cor., XII, 13 ; Rom., XII, 5), un corps dont Christ est la tête (Ephés., IV, 15 ; V, 23). Des fonctions diverses ont été assignées aux divers membres de ce corps (I, Cor., XII, 4-31; Rom., XII, 4-8) ; mais dans la diversité des ministères, il n'y a qu'un seul Seigneur (I, Cor., XII, 5), et dans la diversité des opérations, un même Dieu qui opère toutes choses en tous (5). L'esprit qui se manifeste dans chacun lui est donné pour utilité commune (7). Les membres qui paraissent les plus faibles sont les plus nécessaires (22). Le même apôtre caractérise l'unité de l'Eglise par ces mots : un seul corps et un seul esprit, une seule espérance, un seul baptême, un seul Dieu et père de tous, qui est au-dessus de tous, parmi tous et en tous. La grâce est donnée à chacun selon la mesure du don de Christ (Ephés., IV, 4-7). Tous les fidèles doivent s'efforcer de conserver l'unité de l'esprit par le lien de la paix (3). Le symbole de leur union et le gage de la Nouvelle Alliance, scellée avec le sang du Christ, c'était la Sainte-Cène, le souper du Seigneur, repas commun auquel tous les fidèles venaient prendre part et à la fin duquel le pain, après avoir été rompu, était distribué entre tous et la calice présenté à tous (I, Cor., XI, 20-34 ; X, 46-47).

Avec l'unité, la sainteté. En la plupart de ses épîtres, Paul appelle ceux à qui il les adresse : bien-aimés de Dieu, saints en Jésus-Christ, appelés. Pierre écrit aux frères dispersés : vous êtes le peuple élu, sacrificateurs et rois, la nation sainte, le peuple acquis, le peuple de Dieu (I, Pierre, II, 9-10).

Les réalités constatées par les documents apostoliques ne répondent que de fort loin à ces affirmations d'unité et de sainteté. Il est vrai que l'Eglise primitive était indemne des spéculations métaphysiques que l'histoire montre produisant ordinairement tant de confusions et parfois des dissensions si haineuses. Toute la théologie consistait alors dans cette déclaration : Jésus de Nazareth est le Messie, le Christ. Tous les fidèles croyaient à sa résurrection et attendaient son retour. Même accord vraisemblablement sur ce que l'Epître aux Hébreux appelle le fondement la repentance, la foi en Dieu, la doctrine du baptême, l'imposition des mains, la résurrection des morts et le jugement éternel (VI, 1-2). Mais, d'autre part, nous avons montré (au mot Christianisme) quelle diversité de croyance et de pratique se produisait sur des points de la plus haute importance, tels que la nécessité de la circoncision et l'observance de la loi mosaïque; quelles différences et quels différends cette diversité déterminait parmi les premiers fidèles; le caractère défectueux de la décision arrêtée, au nom du Saint-Esprit, par la conférence de Jérusalem, pour établir l'accord sur ces points décision dont l'effet ne dura que pour ce qu'elle tolérait, mais nullement pour ce qu'a le prohibait, et qui laissa subsister le conflit entre les partis contemporains. Nulle autorité centrale vraiment dirigeante : d'un côté, les douze apôtres, vénérés par les judaïsants, mais qui semblent inconscients de la nécessité et des conditions de L'évangélisation du monde païen, et qui se laissent devancer par d'autres dans l'initiative de cette oeuvre; parmi ces apôtres, Pierre qui parie et agit comme s'il ignorait com plètement la suprématie que ceux qui s'appelleront ses successeurs, prétendront exercer en son nom, plusieurs siècles après. En face des douze, un treizième apôtre qui, à leur insu, avait reçu l'imposition des mains de quelques docteurs et prophètes d'Antioche, Paul, proclamait l'indépendance absolue de son ministère, et, à l'occasion, n'hésitait point à censurer Pierre publiquement. 

Les faits que révèle une lecture quelque peu attentive des documents apostoliques ne permettent aucune illusion sur la sainteté spécifique attribuée par la légende aux chrétiens de l'Eglise primitive. En ce qui concerne particulièrement les communautés recrutées parmi les païens et qui n'avaient point reçu du judaïsme une éducation préparatoire, cette légende n'est évidemment que l'effet du mirage qui montre l'âge d'or au début de toutes les sociétés humaines, et fait oublier que tout ce qui doit se développer sur la terre est soumis aux lois du progrès et subit des commencements difficiles.

Il est infiniment plus facile d'induire au martyre des païens convertis, que de les mener à la sainteté, et même de les tenir soumis aux inspirations de la charité ou aux lois de la chasteté et de la moralité chrétiennes. L'indice de cette difficulté résulte de la nature des recommandations et des reproches adressés par les apôtres aux églises et des méfaits visés en ces recommandations et ces reproches. Ainsi dans l'église favorite de saint Paul, l'Eglise de Dieu qui était à Corinthe, l'église de ceux qui avaient été sanctifiés et appelés, lorsque les chrétiens s'assemblaient pour célébrer le souper du Seigneur, chacun se hâtait de manger ce qu'il avait apporté pour son propre repas, de sorte que les uns restaient avec leur faim, tandis que les autres étaient rassasiés (I, Cor., XI, 18-24). En cette même église, un chrétien entretenait la femme de son père, notoirement et sans encourir aucune mesure manifestant l'affliction ou la réprobation des autres (V, 1-6). Il fallut une sommation indignée de saint Paul pour contraindre les Corinthiens à punir ce scandale par l'exclusion du coupable.

Parallèlement à l'introduction d'un sacerdoce et d'un clergé dans les églises se produisit l'idée de catholicité (V. Catholicisme), dont le développement fut stimulé par la lutte contre les hérésies. Dès le commencement et malgré les diversités que nous avons mentionnées précédemment, les chrétiens avaient considéré comme une chose essentielle de sentir qu'ils formaient une unité resserrée par les liens d'une même foi, d'une même espérance et d'un même amour. Mais cette unité était purement spirituelle, les relations qui devaient rattacher les diverses communautés, les unes avec les autres, n'étant point encore réglementées et n'étant entretenues que par des individus. Aux sectes qui s'efforçaient d'altérer la foi, tout en se prétendant chrétiennes, les communautés orthodoxes opposèrent l'unité d'une entité imposante, qu'elles appelèrent l'Eglise catholique, c.-à-d. universelle. En conséquence, elles s'appliquèrent à donner à l'unité interne et spirituelle qui constituait cette église une forme extérieure et visible, non seulement en la faisant ressortir de l'accord dans la doctrine ou dans les formules, ou des similitudes d'organisation et d'usage chez les diverses communautés, mais aussi en la consolidant par une union plus intime et mieux réglementée des communautés entre elles. Le développement de la catholicité produisit l'institution d'une Règle de foi générale (Regula fidei), résumant l'ensemble des doctrines essentielles au christianisme. Cette règle, destinée à assurer l'unité dogmatique, consistait, non dans un formulaire officiellement rédigé, mais dans toute une série d'articles que chacun était libre d'exprimer comme il l'entendait, à la condition de ne pas altérer le fond

Il ne faut point la confondre avec le Symbole, courte confession de foi qui devait être faite par ceux que l'on baptisait. Le symbole était une formule, mais cette formule différait dans les diverses communautés, chacune y ajoutant les articles qu'elle croyait devoir faire ressortir, à cause des conditions particulières dans lesquelles elle était placée, surtout à cause du voisinage de certains partis hérétiques. La règle de la foi n'était point tirée de l'interprétation des Saintes Ecritures, car les livres du Nouveau Testament n'étant pas encore rassemblés, n'étaient répandus que isolément. Elle était empruntée à la tradition apostolique, c.-à-d. à ce qui s'était propagé, sous ce nom, dans les communautés chrétiennes. En cas de doute ou de contestation, on s'adressait ordinairement aux églises apostoliques, c.-à-d. aux églises dont le siège avait été ou était censé avoir été occupé par les apôtres (Jérusalem, Antioche, Alexandrie, Rome, Ephèse), et qui, pour cette raison, semblaient avoir été constituées dépositaires et gardiennes de leur doctrine.

Irenée (120?-202?) désigne l'Eglise catholique comme le vase dans lequel les apôtres ont déposé la vérité et comme la porte de la vie (Adversus haereses, l. III, c. IV). Tertullien (160? - 245?) écrit que l'Eglise est le corps mystique des trois personnes divines (De baptismo, V); il la compare déjà à l'arche de Noë (VIII). Cette comparaison fut reprise et développée par Cyprien (200? -258), qui en appliqua les conséquences non seulement aux païens et aux hérétiques, mais aux schismatiques, et identifia l'Eglise avec la hiérarchie dont l'épiscopat était devenu le sommet : « Que personne ne trompe les fidèles et n'altère la vérité. L'épiscopat est un et chaque évêque en possède solidairement une partie. De même, l'Eglise est une, et elle se répand, par sa fécondité, en plusieurs personnes comme il y a plusieurs rayons de soleil, mais il n'y a qu'une lumière; comme un arbre a plusieurs branches, mais n'a qu'un tronc et qu'une racine... C'est elle qui nous fait naître, nous nourrit de son lait et nous anime de son esprit. L'épouse de Jésus-Christ ne peut être corrompue, car elle est chaste et incorruptible. Elle ne tonnait qu'une maison et n'a qu'une seule couche, qu'elle garde pure et inviolable... Quiconque se sépare de l'Eglise et s'irait à une adultère (c.-à-d. à une église autre que celle où Cyprien était évêque) n'a pas de part aux promesses qui lui ont été faites. Celui qui abandonne l'Eglise de Jésus-Christ ne recevra jamais les récompenses de Jésus-Christ. C'est un étranger, un profane, un ennemi. Celui-là ne peut avoir Dieu pour père, qui n'a point l'Eglise pour mère. Il est tout aussi impossible de se sauver hors de l'Eglise, qu'au temps de Noé de se sauver hors de l'arche... Le schisme est un crime si énorme, que la mort ne le saurait expier. Celui-là ne peut être martyr qui n'est point dans l'Eglise... Un schismatique qui est tué hors de l'Eglise ne peut avoir part aux récompenses de l'Eglise... Il faut fuir un homme qui est séparé de l'Eglise, quel qu'il soit, c. -à-d. quand même il aurait confessé sa foi devant la menace du supplice ou dans les tourments (De unitate Ecclesiae). Enfin Cyprien aperçoit et signale dans les schismes sévissant de son temps le signe de la fin prochaine du monde; en conséquence, il exhorte les chrétiens à veiller, fidèles et unis, en attendant l'avènement imprévu de leur suprême pasteur.

Dès le temps de Tertullien, on faisait déjà mention de l'Eglise dans le baptême (De baptismo, V) ; mais les symbilles ecclésiastiques, alors en usage, ne le mentionnaient qu'à l'occasion des grâces dont elle est l'instrument ou des vérités dont elle est la messagère : Credo remissionem peccatorum et vitam eternam per sanctam Ecelesiam (Cyprien, Epist., 70 et 76, éd. Baluze). Plus tard, on fit de la foi à l'Eglise l'objet d'un article spécial : Credo sanctam Ecclesiam. Il est vraisemblable que l'insertion de cet article dans le Credo fut déterminée par les nécessités de la controverse avec les novatiens. Ceux-ci, s'élevant contre les communautés catholiques à cause de la tolérance ou plutôt de la complicité qu'ils leur reprochaient à l'égard des apostats et des pécheurs manifestes, prétendaient que ces communautés ne pouvaient représenter l'Eglise, dont le caractère distinctif est la sainteté. Les catholiques, inaugurant un procédé qu'ils ont fréquemment renouvelé depuis et qui fait partie de leur tradition, écartèrent les arguments de fait par une distinction subtile et une affirmation superbe; ils proclamèrent comme article de foi que l'Eglise est sainte, substantiellement sainte, et ils expliquèrent que sa sainteté, reposant sur son institution, sa base et son essence, est indépendante de l'indignité personnelle de ses membres et de ses ministres. 

Dans plusieurs symboles, fut ajouté ensuite le mot unam, dirigé contre les sectes hérétiques qui prétendaient pareillement former de véritables églises. Enfin, au IVe siècle, on inséra le mot catholicam, auquel on attacha l'idée que l'Eglise catholique, précédemment définie, renferme tous les vrais chrétiens; qu'on n'est chrétien qu'à la condition de lui appartenir et que en dehors d'elle il n'y a ni christianisme, ni vérité, ni salut. 

Le besoin d'union qui provoqua l'élaboration des dogmes de l'unité et de la catholicité et l'introduction dans l'Eglise d'une hiérarchie de plus en plus puissante, résultait, non seulement de la nécessité d'écarter les divisions et les causes d'affaiblissement amenées par les hérésies et les schismes, mais aussi de la situation des chrétiens dans le monde païen. Au milieu de ce monde, dont ils haïssaient la religion et les moeurs, dont ils répudiaient le passé et dont ils menaçaient l'avenir, l'Eglise leur apparaissait comme l'arche de Noé, hors de laquelle tous les humains devaient périr. En outre, suspects eux-mêmes et parfois persécutés, ils formaient parmi les païens une société étrangère, sinon une armée ennemie, qui ne pouvait subsister qu'en acceptant la direction d'une autorité énergique et en se soumettant à une discipline sévère. Lorsque cette contrainte morale fut rendue inutile par la victoire du christianisme, elle fut remplacée par l'action des lois impériales qui ne reconnurent qu'aux catholiques seuls la qualité de chrétiens et sévirent contre les dissidents. Dès lors, quand il surgit des divergences périlleuses, on fit décréter la catholicité de la doctrine et de la discipline sur les points débattus par des conciles oecuméniques, qui devinrent les cours suprêmes de l'Eglise tout entière et se trouvèrent investis de l'infaillibilité. La foi à cette infaillibilité ne fut point définie d'abord et imposée par un canon, mais elle provint de la nature des choses. La conférence de Jérusalem avait parlé au nom du Saint-Esprit (Act. Ap., XV, 28). Par suite, tous les conciles furent censés être placés sous une direction spéciale du Saint-Esprit. Les décisions des conciles oecuméniques ne pouvant être réformées par aucune autre autorité, il était inadmissible qu'elles pussent consacrer des erreurs sur la foi ou sur les moeurs : on les attribua à une inspiration plénière du Saint-Esprit ; tandis que, en réalité, elles dépendaient en grande partie des patriarches, auxquels les autres évêques étaient habitués à obéir, et que, parfois même, elles étaient déterminées par les impulsions des empereurs.

Nous avons déjà dit que saint Paul considérait la sainte cène comme le symbole du lien qui doit unir les chrétiens avec le Christ et les unir entre eux. Cette idée prévalut dans l'Eglise primitive. Le pain et le vin étaient envoyés aux absents, parfois même par une communauté à une autre, en témoignage de communion fraternelle. Exclure quelqu'une de la sainte cène, c'était l'exclure de la communion de l'Eglise. D'après un usage qui prit naissance au IIe siècle, les parents des chrétiens décédés, pour exprimer la persuasion que ceux-ci continuaient à participer à cette communion, offraient en leur nom et comme s'ils étaient encore présents, des oblations qu'on apportait comme celles des vivants, avant la célébration de la cène, et leurs noms étaient prononcés dans la prière faite en cette occasion, ainsi que les noms de ceux qui assistaient réellement à la cérémonie. Le développement de cette croyance aboutit vers le VIe siècle au dogme de la communion des saints et finalement à la division de l'Eglise en deux parties : l'Eglise triomphante, composée de ceux qui, après avoir vaincu le monde, la chair et le démon, sont délivrés des épreuves et des misères de la vie terrestre et jouissent de la béatitude éternelle; l'Eglise militante, formée par les fidèles vivant encore sur la terre elle est ainsi appelée, parce qu'elle soutient une guerre perpétuelle contre le monde, la chair et Satan (Catéchisme du concile de Trente). A ces deux parties une doctrine plus moderne encore a ajouté l'Eglise souffrante, comprenant les âmes du purgatoire.

La scolastique ajouta peu à la doctrine sur l'Eglise, les spéculations sur ce sujet étant devenues inutiles et surtout fort dangereuses. Ce qui pouvait être dit de meilleur ou de plus spécieux sur ce sujet avait été formulé dès les cinq premiers siècles, dans la lutte contre les hérésies et les schismes. D'autre part, à l'époque où la scolastique florissait, ceux qui prétendaient représenter l'Eglise imposaient leur autorité avec une force irrésistible. Toute apparence de contradiction, peut-être même tout examen, eût semblé une tentative de rébellion; et dans ce cas la réfutation était confiée non aux docteurs, mais aux bourreaux. Pour que la doctrine dominante fût examinée et discutée avec la liberté nécessaire, il fallut une révolution provoquée par les infidélités et les abus reprochés à l'Eglise romaine. 

Aux mots Apostolicité et Catholicisme, nous avons résumé les arguments par lesquels les protestants estiment démontrer que l'église qui a le moins de droits aux titres d'apos tolique et de catholique est précisément celle qui se les arroge, par privilège exclusif. Contre la sainteté d'une église qui compte des chefs suprêmes tels que les papes Benoît IX et Alexandre VI, ils invoquent le témoignage de l'histoire attestant l'indignité scandaleuse d'un grand nombre de ses dignitaires, la violence et l'iniquité des procédés employés par elle pour établir et maintenir sa domination. A son unité ils opposent les diversités des anciennes communautés chrétiennes, la liste des schismes irréductibles et le développement toujours croissant des églises dissidentes; à son infaillibilité, l'incertitude où elle était avant 1870, sur l'organe de cette infaillibilité, les contradictions des décisions des papes entre elles, leurs contradictions avec la Bible et les dogmes de leur église, et même les contradictions de plusieurs de ces dogmes avec la Bible; à son antiquité, les nouveautés de ses doctrines, de ses institutions, de ses ordonnances et même de ses sacrements. Enfin et comme base de leur argumentation, ils signalent une équivoque, une confusion entre deux choses essentiellement distinctes, quoique désignées par le même nom : confusion de l'église mystique, dont le Christ est le chef permanent et incommutable, de l'Eglise qui est le corps du Christ et dont tous les vrais fidèles sont les membres, composée de tous ceux qui sont parvenus, parviennent ou parviendront au salut, avec les communautés établies pour préparer et édifier cette Eglise, c.-à-d. pour annoncer l'évangile, administrer les sacrements, rassembler, instruire et diriger les chrétiens. 

L'Eglise mystique étant composée de tous ceux qui sont ou seront sauvés, il est incontestable que en dehors d'elle il n'y a point de salut; ne comprenant que des âmes qui sont parvenues ou qui parviendront à la sainteté, elle mérite indubitablement le titre de sainte; pareillement, celui de catholique, puisqu'elle renferme la « grande multitude que personne ne peut compter de toute nation et de toute tribu, de tout peuple et de toute langue, qui doit se tenir devant le trône et devant l'Agneau (Apo calypse, VII, 9). Elle est une, puisqu'il ne pourrait y avoir deux églises réunissant ces caractères. Mais cette Eglise-là est invisible, Dieu seul en connaît les membres. A proprement parler, il n'y a point une Eglise visible pour les hommes sur la terre. Ce qu'on appelle ainsi n'est qu'une somme ou une fédération d'unités distinctes, comme étaient, au premier âge, les églises de Jérusalem, d'Antioche, d'Ephèse, de Smyrne, de Pergame, de Rome, de Corinthe, de Thessalonique, etc., unies par la foi en Jésus-Christ, le baptême et la cène, mais différenciées par des divergences sur des points importants et par leurs préférences pour Pierre ou pour Paul ou pour Jacques. Non seulement plusieurs de ces églises différaient entre elles à l'origine; mais siècle par siècle, chacune d'elles a différé sensiblement d'elle-même, à ce point que, bien avant le XVe siècle, il eût été impossible de trouver en Occident une église reproduisant l'image quelque peu ressemblante d'une église primitive. A ces différences correspondent des altérations glus ou moins profondes du type originel, quant à la doctrine, quant au culte et quant à l'organisation. Quelques-unes de ces altérations peuvent être acceptées comme des dispositions d'ordre local ou comme de simples modifications justifiées par les lois du développement. D'autres, au contraire, affectent la substance même du christianisme et ont fait perdre aux églises qui les ont commises le caractère chrétien. Quand s'agit de décider si une église possède ce caractère, tout le débat doit être ramené à ces deux questions principales : Cette église annonce-t-elle purement tout l'évangile, sans addition et sans retranchement? Administre-t-elle les sacrements fidèlement, suivant l'esprit et la forme essentielle de leur institution? Si oui, elle est une église véritable, quelles que soient les particularités accessoires; si non, elle est une fausse église, quelles que soient ses prétentions pour le reste. (E.-H. Vollet).



Images de l'Église. Les artistes du Moyen âge, surtout dans les villes où il y avait beaucoup de Juifs, ont voulu représenter, à une place apparente sur les façades des cathédrales, la Loi nouvelle et l'ancienne Loi, l'Église et la Synagogue. Au portail de Notre-Dame de Paris, elles sont figurées par deux femmes, placées dans de larges niches, des deux côtés de la porte principale : à la gauche de Jésus entouré de ses apôtres, on voit la Synagogue tenant un étendard qui se brise dans ses mains, baissant la tête, les yeux voilés par un bandeau, laissant échapper des tablettes, et ayant une couronne renversée à ses pieds; à la droite, l'Église porte la couronne en tête et le front levé, tient d'une main l'étendard de la foi, et de l'autre un calice. Il y a des représentations du même genre à Bordeaux, à Strasbourg, à Bamberg, à Worms. Dans cette dernière cathédrale, au portail méridional, l'Église est, en outre, figurée par une femme couronnée, tenant d'une main un calice, de l'autre un étendard surmonté d'une croix, et fièrement assise sur une bête à 4 têtes et à 4 jambes représentant les Évangélistes; une femme portée par un âne butant personnifie la Synagogue. Dans les vitraux français, on voit souvent, près du Christ en croix, l'Église recueillant son sang dans un calice, et la Synagogue voilée, se détournant, ou tenant un bouc qu'elle égorge.
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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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