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La littérature > en France > au XVIIIe siècle |
La prose au XVIIIe siècle |
D'un siècle à l'autreAvant d'aborder les auteurs du XVIIIe siècle proprement dit, il convient de dire ici quelques mots sur des écrivains qui appartiennent chronologiquement, en partie ou en totalité, au XVIIe siècle, mais qui préparent le XVIIIe, et assurent la transition entre les deux époques.Bayle.
Bayle fonda en 1684 les Nouvelles de la république des lettres, qui obtinrent dans toute l'Europe un rapide succès. Lors de la révocation de l'édit de Nantes, il combattit dans ses écrits l'intolérance de Louis XIV; mais en même temps il compromit par ses attaques toutes les communions chrétiennes : ses ennemis, à la tête desquels était le ministre Jurieu, le firent, pour ce motif, priver de sa chaire (1693). II se mit alors à rédiger l'ouvrage qui a fait sa réputation, le Dictionnaire historique et critique, dont la l'édition parut en 1697, en 2 vol. in-fol. Cet ouvrage lui suscita de nouvelles attaques : Jurieu le dénonça au consistoire comme impie, et au prince d'Orange, devenu roi d'Angleterre, comme ennemi de l'État et partisan secret de la France; mais, grâce à la protection de lord Shaftesbury, il échappa cette fois aux coups de ses persécuteurs. Il employa le reste de sa vie à étendre son Dictionnaire, dont il donna une nouvelle édition en 1702, 3 volumes, et à composer plusieurs ouvrages le critique ou de controverse, parmi lesquels on remarque les Réponses aux questions d'un provincial, 6 vol. in-8, Rotterdam, 1704-1706. Il y a d'abord, en Bayle, un érudit et un critique, qui semble appartenir beaucoup moins au XVIIe siècle finissant ou au prochain XVIIIe siècle, qu'à la Renaissance. On dirait un contemporain d'Érasme ou d'Henri Estienne. C'est la même passion du détail, le même mépris du style. Bayle, critique, doit être étudié dans ses Nouvelles de la république des lettres, qu'il fonda pour faire concurrence au Journal des savants : c'est la première des revues. Dans son Dictionnaire, il est encore critique littéraire, à la façon d'un Sainte-Beuve, quand il recueille et discute les moindres détails biographiques, bibliographiques, qu'il prépare les documents d'une histoire naturelle des esprits. D'ailleurs, cette critique ne repose sur aucun autre principe que celui d'une curiosité toujours éveillée et toujours libre; et elle rejoint sa philosophie : Bayle démolit vivement les légendes ou discute, avec des faits, les admirations traditionnelles. Mais l'oeuvre de Bayle est surtout philosophique. Son Dictionnaire, entrepris seulement, selon lui, pour combler les lacunes des dictionnaires antérieurs, lui offre l'occasion de remettre en question ou de renouveler tous les problèmes de morale, de théologie, d'exégèse. Il canalise en quelque sorte et répand dans son siècle, tout le libertinage du XVIe et du XVIIe siècle, les objections et les railleries éparses dans Henri Estienne, Montaigne, Charron, Guy Patin, La Motte Le Vayer, Gassendi, etc. • Dictionnaire historique et critique (1697). - Bayle n'avait primitivement l'intention que de compléter Moreri : il a fait une oeuvre bien supérieure à celle de son devancier, une oeuvre qui a marqué dans l'histoire et qui a exercé une immense influence sur la direction des idées au XVIIIe siècle. Dans son dictionnaire, Bayle suit une méthode à lui-: considérant chaque article comme un simple sommaire, il en développe la matière, en marge ou au bas des pages, dans des commentaires très étendus et d'une érudition prodigieuse. Il y aborde, au point de vue protestant et surtout au point de vue du libre examen, une foule de questions de théologie, de philosophie et d'histoire. Il n'attaque pas directement le christianisme; mais, par un habile système de renvois d'un article à l'autre, système qui sera repris par l'Encyclopédie, il ruine peu à peu le dogme et l'autorité. Il applique à tout l'esprit historique, n'acceptant rien qui ne soit fondé sur un document ou sur un fait authentique. Et jusque-là, on peut le considérer comme un ancêtre de la critique moderne, en ce qu'elle a de plus sérieux. Mais, comme l'a fait justement observer Emile Faguet, « Bayle a l'esprit de raillerie bouffonne et irrévérencieuse, et cette méthode du burlesque appliqué à la métaphysique et aux religions, qui est celle du XVIIIe siècle tout entier». Fontenelle.
Dans la seconde moitié de sa vie il se livra plus spécialement aux sciences exactes, composa la Préface de l'analyse des infiniment petits de L'Hôpital, et donna lui-même la Géométrie de l'infini (1727). Il entra en 1697 à l'Académie des sciences, et fut de 1699 à 1737 secrétaire de cette compagnie; il rédigea en cette qualité l'Histoire de l'Académie (1666-99),et les Eloges des Académiciens, qui sont regardés comme le modèle du genre. il s'occupa aussi de métaphysique et professa le cartésianisme tout en s'écartant de Descartes sur la question de l'origine des idées; il a laissé un traité Du Bonheur et un Projet de traité de l'esprit humain. Fontenelle brille surtout par la clarté et la simplicité du style; il eut le talent de mettre les matières scientifiques à la portée de tous les lecteurs. Il se fit une réputation dans le monde par la finesse de son esprit et l'à-propos de ses reparties. Portant jusqu'à l'excès la réserve, il disait que s'il tenait toutes les vérités dans sa main, il se garderait bien de l'ouvrir. On lui a reproché de la sécheresse et de l'égoïsme; on cite cependant de lui des traits de générosité; il était d'ailleurs sensible à l'amitié et fut étroitement lié avec Lamotte. • Entretiens sur la pluralité des mondes (1686). - L'auteur s'est proposé d'initier les profanes aux secrets de la voûte céleste, ou plutôt de vulgariser dans les cercles et les salons la philosophie de Descartes. Fontenelle, en ses Entretiens, se suppose à la campagne après souper, dans un parc, avec une belle marquise. La conversation tombe sur l'astronomie. Fontenelle, voulant expliquer à la marquise, le secret des rouages et des contrepoids de la nature, compare le grand spectacle du monde physique à celui de l'Opéra. Il expose les principaux systèmes cosmiques qui ont été tour à tour proposés par les philosophes. Quand il en vient, en particulier, à la question de savoir si c'est la Terre qui est le centre autour duquel tourne l'univers, ou si c'est elle, au contraire, qui décrit une révolution dans l'espace, il trouve des comparaisons sensibles, insinuantes. Le principe essentiel de la nature est qu'elle fait toutes choses avec le moins de frais possible; Fontenelle dira qu'elle use d'une épargne extraordinaire dans son grand ménage. Il n'est pas poète, mais c'est un esprit ferme et sérieux, qui s'attache à la vérité positive. Les Entretiens sur la pluralité des mondes sont restés comme le principal titre littéraire de Fontenelle. C'est l'ouvrage où brillent les qualités qui le caractérisent : la clarté, le talent de tempérer le sérieux de l'instruction par un ingénieux badinage, de conduire ses lecteurs, par un détour insensible, à des vues étendues et profondes; de rendre accessibles les pensées fortes et ingénieuses par une forme familière, de faire d'une objection philosophique un bon mot, et d'une solution savante un compliment plein de grâce. • Histoire des oracles (1687). - L'auteur a repris, pour la réfuter, la thèse de Plutarque relative aux démons; mais, pour la partie érudite de son livre, il doit beaucoup au Hollandais Van Dale, qui avait écrit avant lui deux savantes dissertations sur la matière-: De oraculis ethnicorum dissertationes duae (1663). Le livre de Van Dale est lourd et diffus, mais plein d'érudition; celui de Fontenelle est spirituel et léger; il se borne à résumer l'autre d'une façon brillante. Fontenelle se moque très spirituellement de tout le charlatanisme des oracles païens, qui il met sur le compte des prêtres, sans que les démons y soient pour rien. La question de fait est livrée à la liberté des opinions et celle de Fontenelle sur ce point est celle du judicieux et savant Thomassin de l'Oratoire. Peu importe, en effet, que l'imposture des oracles vînt des prêtres ou des démons : le mensonge n'en existe pas moins, que les pontifes en soient les pères ou seulement les organes. Ce point n'est pas douteux; on peut même ajouter que, si c'était la diable qui parlait dans ces oracles, il n'y soutenait pas la réputation d'esprit qu'on lui accorde généralement; et que, si c'était Apollon en personne, il était bien mauvais poète. Au reste, il n'a jamais fallu beaucoup d'esprit pour tromper les hommes; c'est pour les éclairer qu'on n'en possède jamais assez. La plaisanterie sur les oracles était si ancienne et si commune depuis Oenomaüs le cynique jusqu'à OEconon l'académicien, que les amateurs de l'antiquité connaissaient d'avance la plupart des arguments rhabillés à la moderne par Fontenelle. Mais ils furent heureux de les retrouver spirituellement exprimés et mis à la portée de tous par ce père des vulgarisateurs de la science. Les dévots y virent au contraire une attaque au principe religieux, car toutes les religions, basées sur la crédulité du vulgaire, sont solidaires les unes des autres; d'ailleurs, tout en ne mettant en question que l'antiquité, Fontenelle rejetait implicitement l'existence ou du moins l'action des mauvais anges appelés démons, qui, attestées toutes deux par les Ecritures, font partie intégrante des doctrines catholiques. C'est sur ce point que porta principalement l'accusation de Le Tellier et la réfutation entreprisee par le jésuite Baltus (1707). "Si j'avais la main pleine de vérités, je me garderais bien de l'ouvrir ", disait Fontenelle; aussi devine-t-on que son scepticisme discret se borne surtout à une guerre d'allusions malignes; l'hostilité des intentions se dissimule sous une prudente réserve. Néanmoins, Le Tellier, qui voyait partout des hérétiques, dénonça cet ouvrage, et ce ne fut pas sans peine que D'Argenson, protecteur de Fontenelle, sauva. son ami des griffes de l'Inquisiteur. L'Histoire des oracles fit beaucoup de bruit lors de sa publication; de nos jours il serait regardé comme une curiosité d'érudition plutot que comme une arme de polémique. Dans le siècle de Fontenelle, ce livre le fit ranger au nombre des libres penseurs. La Motte-Houdard.
L'abbé
de Saint-Pierre.
Les romanciersLe roman devient, au XVIIIe siècle, un des genres les plus variés, à la fois frivole et profond, réaliste, idéaliste, social, tout ce que l'on voudra. Tantôt il a douze volumes, et tantôt c'est un conte de cent pages.Nous parlons plus
bas de la Nouvelle Héloïse
de Rousseau et de Paul et Virginie
de Bernardin de Saint-Pierre, qui sont restés, de tous les
romans, les plus célèbres. Il nous reste ici à étudier
: Lesage, Marivaux, l'abbé prévost, Voltaire, Diderot, Marmontel
Les romans de
Lesage.
• Le Diable boiteux (1707). - Le Diable boiteux est imité d'un ouvrage espagnol. Le diable Asmodée transporte don Cléophas au-dessus de Madrid, ôte aux maisons leur toit, et lui permet de voir tout ce qui se passe à l'intérieur, - fiction commode pour la peinture de la société et des moeurs. L'ouvrage est intéressant, entre les Caractères de La Bruyère et les Lettres persanes de Montesquieu. Avec Gil Blas, Lesage reprit à l'Espagne cette forme souple de roman où s'entremêlent les aventures et les nouvelles et qui avait eu tant de succès en France dans la première partie du XVIIe siècle . Mais il lui donna une certaine unité en supposant que son héros se trouve conduit par les vicissitudes du sort à fréquenter les différents mondes. Le spectacle était en France, la scène en Espagne, l'auteur était ainsi très à l'aise. Il n'y a plus ici que des imitations de détail. L'ouvrage, quoi qu'en ait dit Voltaire, est en lui-même tout à fait original. • Gil Blas de Santillane (1715-1735). - Gil Blas, jeune homme de dix-sept ans, appartenant à une très modeste famille d'Oviedo, quitte son oncle le chanoine pour aller étudier à l'université de Salamanque. Retenu six mois prisonnier par des voleurs (I), il s'évade, se fait laquais, sert différents personnages (dans lesquels Lesage incarne des types très bien observés) : il entre ainsi d'abord au service du chanoine Sédillo, puis du docteur Sangrado et apprend de lui l'art de soigner les malades et de leur faire boire de l'eau chaude (II). Puis le voici chez un petit maître; il devient bel esprit, homme à bonnes fortunes et se lance au théâtre (III). Après diverses aventures, on le retrouve favori de l'archevêque de Grenade, saint homme, mais très fier de sa réputation d'orateur et qui ne pardonne pas à Gil Blas de l'avoir averti qu'il baissait (VII). Cette mésaventure achève d'enseigner à Gil Blas l'art de flatter; il capte la confiance du duc de Lerme, premier ministre, et ne tarde pas à s'enrichir en arrangeant, moyennant une honnête commission, les affaires des gens compromis (VIII). Il est maintenant grand seigneur, sur le point d'épouser une riche héritière, quand il est arrêté, mais bientôt relâché (IX). Il reconquiert la fortune et se retire dans son château et s'y marie (X). Sa femme étant morte, il retourne à la cour comme secrétaire du comte d'Olivarès (XI) et revient achever chez lui, dans la douceur d'une seconde union, une vie heureuse malgré tant de traverses (XII). C'est un tableau très vivant et très piquant d'une société qui n'a d'espagnol que le nom, et d'une telle variété qu'on le lit sans fatigue, en dépit de sa longueur et de sa complexité. Gil Blas, malgré sa faiblesse de caractère et ses fautes, ne perd pas la notion du bien et du mal. Lui aussi, il pourrait dire : « Je ne fais pas le bien que j'aime. Et je fais le mal que je hais ». Mais, ce qui nous inquiète en lui, c'est un excès de docilité à l'égard des hommes et des événements; par lui-même, il n'est rien; il est toujours un complice, une ombre, un reflet; il n'agit pas, il est agi; il reconnait humblement ses chutes; mais il recommence à tomber le plus aisément du monde. Il représente donc cette humanité moyenne et médiocre qui se laisse mener par la volonté bonne ou mauvaise d'autrui; et, sans être un criminel ni tout à fait un malhonnête homme, il est de ceux qui ne peuvent inspirer aucune confiance. Et il est si bien l'incarnation de ce tempérament neutre, que la fin du roman, où il s'assagit tout à fait et devient une sorte de patriarche, semble artificielle. Le style de Lesage, dans Gil Blas, est simple et varié. Il a aussi les qualités «-dramatiques». Chaque personnage y parle au naturel le langage de son caractère et de sa condition. Marivaux.
C'est de 1731 à 1741 que Marivaux publie, tout en travaillant pour le théâtre, les diverses parties de Marianne et du Paysan parvenu. Ces deux romans sont incomplets, mais il ne reste qu'à y coudre un dénouement, facile à imaginer. • Marianne. - La Vie de Marianne ou les Aventures de la comtesse de *** (1731-1741) est l'autobiographie d'une jeune fille. Tout enfant elle se rendait à Bordeaux avec ses parents, quand le carrosse est attaqué sur la route par des brigands; tous les voyageurs sont tués; seule Marianne est épargnée. Recueillie et élevée par la soeur d'un vieux curé, elle se trouve à leur mort seule à Paris à quinze ans. Elle entre chez une lingère, est en butte aux entreprises d'un vieil hypocrite, M. de Climal, puis rencontre le comte de Valville qu'elle finirait sans doute par épouser, si le roman était terminé, malgré différentes traverses, malgré le couvent où on l'enferme et malgré l'infidélité de son fiancé. Toute l'histoire est faite des menus détails de cette existence, dans laquelle apparaissent des personnages très variés, très naturels, d'abord un peu pâles mais dont la silhouette et le caractère se précisent peu à peu. Mme Dutour, la lingère; M. de Climal, proche parent de Tartuffe; Mme de Miran, la grande dame spirituelle et bonne; Mlle de Tervire, etc. De plus, Marivaux peint avec soin et exactitude les différents milieux. le couvent, le salon, la boutique, la rue même. Le style en est un peu précieux, çà et là; on y sent parfois trop d'esprit; mais, dans l'ensemble, il est naturel, facile, entraînant. • Le Paysan parvenu. - Quant au Paysan parvenu (1735-1736), c'est l'histoire d'un jeune paysan de Champagne, Jacob, qui part de son village à dix-huit ans pour venir faire fortune à Paris, que sa physionomie agréable pousse auprès des dames, et qui, de bonne fortune en bonne fortune, arrive à être fermier général et, vingt ans plus tard, retourne dans son pays. Jacob apparaît alors comme un sage qui se souvient de sa condition première et ne songe qu'à assurer le bonheur de ceux qui l'entourent. L'ouvrage, resté inachevé, moins moralisateur que Marianne, et presque aussi charmant et intéressant, est d'un réalisme plus curieux. Les types familiers et moyens y abondent, et sont décrits avec un remarquable souci de la vérité. Marivaux a glissé de fort amusants portraits de dévotes. On a remarqué que l'auteur, qui devait cependant une grande part de son succès aux femmes, se montre à leur égard très sévère et très irrévérencieux. Les
âmes sensibles et vertueuses.
Les personnes qui ont du sentiment sont bien plus abattues que d'autres dans de certaines occasions, parce que tout ce qui leur arrive les pénètre. (Marianne, 1re partie).Jacob lui aussi est « sensible » et, quoiqu'il n'ait pas d'excessifs scrupules de conscience sur les moyens de parvenir, il est donné par l'auteur comme un personnage vertueux. Il en est de même de Marianne. Elle est coquette (Ibid., 1re partie, VI), mais elle n'a pas oublié les bonnes leçons que lui donnait la soeur du curé, et elle est capable, dans un moment d'héroïsme, de refuser d'épouser Valville qu'elle adore (IVe partie, t. VI, p. 254). La
peinture des petites gens.
Donnez-leur l'histoire du coeur humain dans les grandes conditions, ce devient là pour eux un objet important, mais ne leur parlez pas des états médiocres... Laissez là le reste des hommes qu'ils vivent, mais qu'il n'en soit pas question. (Marianne, 2e partie, VI).Il nous fait donc pénétrer dans la boutique d'une lingère (Marianne, 1re partie), nous raconte tout au long sa dispute avec un cocher de fiacre (Ibid., 2e partie). Il nous présente une propriétaire bavarde et indiscrète : Commère d'un bon esprit, qui vous prenait d'abord en amitié, qui vous ouvrait son coeur, vous contait ses affaires, vous demandait les vôtres et puis revenait aux siennes, et puis à vous; elle vous parlait de sa fille, car elle en avait une, vous apprenait qu'elle avait dix-huit ans... etc. (Le Paysan parvenu, Ile partie, VII).L'Abbé Prévost. Les personnages de l'abbé Prévost ne sont pas d'un rang plus élevé. Ils ne sont même plus du tout vertueux. Mais en eux le sentiment va jusqu'à la passion impérieuse. Vie
et oeuvres de l'abbé Prévost.
Prévost publia
de 1728 à 1732 les Mémoires d'un homme de qualité,
en 8 volumes
• Manon Lescaut (1731, 1733). - Le récit est fait par le héros. Au moment de quitter Amiens, où il a fait ses études, le chevalier Des Grieux rencontre dans une hôtellerie Manon Lescaut, venue dans cette ville pour se faire religieuse. Ils s'aiment à première vue, s'enfuient et vont s'installer à Paris. Mais, bientôt, le père de Des Grieux le fait enlever, sur la dénonciation d'un M. de B***, dont Manon devient la maîtresse. Des Grieux se retire au séminaire de Saint-Sulpice. Manon vient le revoir et n'a pas de peine à arracher son amant à la vie religieuse. Ils vivent à Chaillot avec le garde du corps Lescaut, frère de Manon, qui les exploite et enseigne à Des Grieux à se procurer de l'argent par un jeu malhonnête. Tous trois essayent de duper le vieux M. de G*** M***, qui fait enfermer Des Grieux à Saint-Lazare, et Manon à l'Hôpital général. Ils s'évadent, et Lescaut est tué. Manon quitte de nouveau son chevalier pour devenir la maîtresse du fils de M. de G*** M***. Arrêtée encore une fois, elle est conduite au Havre, avec des filles de mauvaise vie, puis embarquée pour la Nouvelle-Orléans, partout suivie du fidèle Des Grieux. En Amérique, ils croient pouvoir jouir d'un bonheur paisible; mais le fils du gouverneur s'éprend de Manon. Des Grieux le blesse dangereusement. Les deux amants s'enfuient au désert, où Manon meurt de fatigue. Dans cet ouvrage, l'abbé Prévost a atteint, dit Sainte-Beuve : « la profondeur la plus inouïe de la passion par le simple naturel du récit ». Malgré son avilissement, Manon est sympathique : elle aime « le plaisir et le passe-temps », mais ses infidélités ne diminuent pas sa tendresse, et sa fin rachète ses erreurs. De même, la passion sans bornes de Des Grieux fait oublier ses faiblesses, Le personnage du vertueux Tiberge, son ami, ne manque pas de noblesse. Le style semble si spontané que les négligences de détail, très réelles, se sentent à peine. Diderot.
• La Religieuse (1775). - Dans ce roman, Diderot dévoile avec force les abus qui régnaient dans les couvents et le danger des vocations contraintes. Diderot donne au récit la forme de mémoires écrites par l'héroïne. Enfant adultérine, détestée de ses parents et enfermée malgré elle dans un couvent, soeur Sainte-Suzanne n'a prononcé ses voeux que contrainte. Cruellement et odieusement persécutée pour avoir tenté de communiquer avec un avocat et d'invoquer la protection des lois, elle est arrachée à ses bourreaux et transférée au couvent d'Arpajon. Là une autre épreuve l'attend. Des moeurs inavouables règnent dans le couvent, dont la supérieure est une femme hystérique et libertine. Sauvée par le directeur du couvent, dom Morel, soeur Sainte-Suzanne réussit à s'enfuir au moment où les persécutions vont recommencer contre elle. Elle se réfugie chez une blanchisseuse, qui lui donne du travail, et elle écrit, pour un protecteur qui s'intéresse à elle, le récit de ses aventures. • Jacques le Fataliste et son maître est roman composé en 1774, qui parut seulement en 1796 (en même temps que la Religieuse). - C'est une oeuvre étrange, désordonnée, imparfaite, que Diderot, au dire de Naigeon, n'eût certainement pas donnée au public dans l'état où elle lui est parvenue. Il y a pourtant bien du talent dans cette histoire des amours de Jacques, sans cesse traversée par d'autres récits. Diderot a voulu, sous cette forme décousue, railler le fatalisme, comme Voltaire avait raillé, dans Candide, l'optimisme. Jacques bavarde, tout en cheminant avec son maître, le capitaine, et sous couleur de lui raconter ses amours, il narre des choses extraordinaires, qui devaient sans doute arriver, puisqu'elles sont arrivées, et que tout est écrit là-haut « dans le grand rouleau». On trouve dans ce livre, à côté de quelques grossièretés, des pages excellentes, notamment l'exquise historiette du marquis des Arcis et de la marquise de La Pommeraye, où la fougue débordante de Diderot se transforme en grâce légère et en spirituelle malice. • Le Neveu de Rameau. - Ce livre étrange, qui tient de la satire et du roman, sous la forme d'un dialogue philosophique, fut composé par Diderot vers 1762, revu sans doute en 1773, mais non publié. Il ne fut connu qu'en 1805, par une traduction allemande de Goethe. En 1821, Brière le retraduisit en français. Le texte original n'a été restitué d'après le manuscrit qu'en 1891 par Monval, dans la Bibliothèque elzévirienne. Le Neveu de Rameau, intitulé satire, contient de très vives attaques contre le musicien Rameau, Palissot, Piron, l'abbé de La Porte, d'Olivet, Batteux et tous les ennemis de Diderot. Cette partie de l'oeuvre a vieilli. Mais le roman, ou plutôt le portrait de moeurs que l'auteur nous présente, est d'une verve et d'une couleur incomparables. Ce neveu de Rameau, que Diderot nous dit avoir rencontré certain jour au café de la Régence, est un personnage bien réel. Mercier et Cazotte nous ont peint aussi ce bohème débraillé, ce parasite éhonté, ce philosophe cynique. Mais Diderot en a fait un type inoubliable, une caricature énorme, débordante de vie. Glorieux de ses vices, naïvement impudique, abject sans être méchant, ce misérable avait conservé un sentiment qui, parfois, transfigurait sa laideur physique et morale : il aimait son art, l'art des Rameau, d'une passion ardente, c'étaient alors des accès de fureur inspirée, un délire de notes et d'harmonies, une crise informe de génie. Diderot nous le montre, dans son dialogue effréné, entrechoquant avec fracas toutes les opinions et tous les préjugés du temps. Mais la plus grande originalité de ce livre est dans le style, dans le déchaînement de sons et d'images où s'est complu le grand manieur de mots qu'était Diderot. Voltaire.
Marmontel.
Ses Contes moraux, publiés dans le Mercure et réunis en 1761, sont bien ennuyeux; son Bélisaire (1767) n'a aucun intérêt historique, et dut sa vogue à un chapitre sur la tolérance, condamné par la Sorbonne; les Incas ou la Destruction de l'Empire du Pérou (1778) a un peu plus de couleur locale et de vérité. • Les Incas ou la Destruction de l'empire du Pérou (1778). - Il s'agit roman poétique et philosophique, qui eut un grand succès lors de sa publication et fut traduit aussitôt dans toutes les langues d'Europe. C'est un plaidoyer parfois éloquent, le plus souvent déclamatoire, en faveur de la tolérance, contre les procédés barbares des Espagnols à l'égard des Indiens, et contre l'esclavage. Les populations indiennes, décimées par la cruauté des conquérants espagnols, trouvent un admirable défenseur dans la personne du vertueux évêque Las Casas, qui ose, devant Pizarro, flétrir en termes indignés le fanatisme religieux de Fernand de Lucques. Malgré la boursouflure du style, aujourd'hui démodé, il faut savoir gré à l'auteur du grand souffle de pitié et de justice qui anime cette oeuvre. Restif de la Bretonne.
L'oeuvre est aussi hors normes que l'auteur : deux cent cinquante ou trois cents volumes, qui font aujourd'hui, par leur rareté, la joie des bibliophiles blasés. Ce sont surtout des romans, dont les plus fameux sont : le Pied de Fanchette (1769); la Fille naturelle (1769); les Nouveaux Mémoires d'un Homme de qualité (1774); le Paysan perverti ou les Dangers de la ville (1775), qui est le chef-d'oeuvre de Restif; la Découverte australe ou les Antipodes (1781, 4 volumes); les Contemporaines ou Aventures des plus jolies femmes de l'âge présent (1780-1785, 42 volumes), immense répertoire de nouvelles; la Paysanne pervertie (1785), suite du Paysan perverti, en plus cynique, et plus mal écrit; les Françaises (1786); les Parisiennes (1787); les Nuits de Paris (1788); Monsieur Nicolas ou le Coeur humain dévoilé (1794-1797), sorte d'autobiographie impudente et curieuse. A ces romans, il faut ajouter : le Pornographe, l'Andrographe, le Glossographe, le Mimographe, le Thesmographe, etc., où l'auteur se montre réformateur hardi, philanthrope, communiste, phalanstérien, etc.; enfin, des pièces de théâtre, dont certaine ne contient pas moins de treize actes. Restif a été très diversement jugé. On l'a appelé le « Diogène littéraire », le «-Rousseau du ruisseau », le « Voltaire des femmes de chambre », etc. Il est certain que ce disciple de Rousseau est un ancêtre littéraire d'Honoré de Balzac. En fouillant dans son oeuvre, on trouverait bien des matériaux que les modernes du XIXe siècle ont exploités depuis. • Le Paysan perverti. - C'est un roman de moeurs, qui ouvre un jour effrayant sur la corruption des villes au XVIIIe siècle. Le paysan Edmond commence à se gâter dans la ville d'A***, où il courtise à la fois plusieurs personnes, dont la femme de son hôte, le peintre Parangon. Il vient achever de se pervertir à Paris, où il recherche un grand seigneur qui a séduit sa soeur. Il se bat avec le séducteur, puis devient son compagnon en des parties ultra-galantes. En compagnie du cordelier défroqué Gaudet d'Arras, il vit dans la société des escrocs et des prostituées. Accusé d'avoir fait mourir une vieille avare qu'il avait épousée, il est envoyé au bagne. Il obtient sa grâce et, recueilli par un frère charitable, il est sur le point de faire une honnête fin en épousant Mme Parangon, devenue veuve; mais il meurt d'un accident de voiture, causé par une femme qu'il a autrefois séduite. La Harpe appelait ce roman une épopée de mauvais lieu, écrite en mauvais français; mais d'autres critiques n'ont pas craint de le mettre à côté des romans de l'abbé Prévost. Choderlos de Laclos.
On lui doit des Poésies fugitives (1783) et la continuation de l'ouvrage de Vilatte : Causes secrètes de la révolution du 9 thermidor (1790). Il a collaboré à la Galerie des états généraux (1789), à celle des Dames françaises, etc. Son chef- 'oeuvre, les Liaisons dangereuses (1782), montre un observateur pénétrant des moeurs, un écrivain sobre, puissant. • Les Liaisons dangereuses. - Les deux principaux personnages de ce roman épistolaire sont la marquise de Merteuil, intelligente, et, sous des dehors de prude, corrompue, et le comte de Valmont, sou ancien amant, roué froid et incapable d'amour. Valmont poursuit de ses assiduités une femme dévote et vertueuse, la présidente de Tourvel. En même temps, Mme de Merteuil propose à ses talents une autre entreprise. Sa parente, Cécile de Volanges, doit épouser un M. de Gercourt, dont la marquise veut se venger. Il s'agira de corrompre la jeune fille, éprise déjà du chevalier Danceny, pour qu'elle arrive souillée dans les bras de son mari. Valmont réussit assez facilement, d'ailleurs. Il lui faut plus de peine pour triompher de la vertu de Mme de Tourvel. Il y parvient pourtant, mais abandonne bientôt la malheureuse, qui meurt de douleur. Mme de Merteuil rompt avec Valmont et le fait tuer en duel par Danceny, dont elle s'est éprise. Démasquée, ruinée, elle s'enfuit à l'étranger. Cécile entre au couvent, et Danceny se retire à Malte. Dans cette oeuvre, qui contient plus d'un détail licencieux, l'auteur, avec un style net et élégant, un art achevé, porte dans l'analyse de la dépravation une pénétration singulière, en même temps qu'une impassibilité absolue. Le marquis de
Sade.
Outre Justine et Juliette, le marquis de Sade a publié, dans le même genre obscène : la Philosophie dans le boudoir et un certain nombre d'autres romans moins licencieux, mais de valeur littéraire moindre : Aline et Valcourt (1795); Pauline et Belval (1798). Il a fait représenter quelsques pièces de théâtre, entre autres : Otiern ou les Malheurs du libertinage, drame en trois actes et en prose, joué sur le théâtre de Molière en 1791 et à Versailles en 1799. A sa mort, la plupart de ses manuscrits furent brûlés par la police. • Justine ou les malheurs de la vertu. - Justine est une pauvre jeune fille, dont une bande de scélérats fait son jouet et qu'ils soumettent, à travers une foule d'aventures invraisemblables, à des actes inouïe de lubricité. Tout ce que l'imagination peut inventer pour joindre les voluptés aux tortures, les terreurs d'Anne Radcliffe aux obscénités de l'Arétin se trouve accumulé dans ce livre comme à plaisir. La malheureuse est entraînée de souterrains en souterrains, de cimetières en cimetières, rouée de coups violée et fustigée tout ensemble. Des supplices assaisonnent tous les plaisirs bestiaux de ses tyrans; ce ne sont que femmes éventrées, enfants assommés, hommes écorchés vifs, orgies sanglantes où l'on casse des crânes au dessert. Tout ce monde chante à tue-tête, s'enivre, blasphème ou hurle de douleur dans ce pandémonium du vice et du crime. Sade semble s'être donné pour but de repusser les limites du dicible. A la lecture de ces atrocités, on n'éprouve que l'oppression d'un cauchemar. (Sous le titre d'Anti-Justine, Restif de la Bretonne, en prétendant réfuter l'oeuvre du marquis de Sade, a produit un livre qui, pour être moins cruel, n'est pas moins obscène). Les moralistesComme au XVIIe siècle, la morale se glisse, au XVIIIe siècle, dans tous les ouvrages. Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot, Buffon lui-même sont, sous certains rapports, des moralistes. Mais quelques écrivains, successeurs plus directs de La Rochefoucauld et de La Bruyère, traitent spécialement des moeurs. Ce sont Rollin, Vauvenargues, Duclos, Chamfort et Rivarol.Rollin.
Son Histoire ancienne et son Histoire romaine, qu'il écrivit dans ses dernières années, ne sont que d'honnêtes compilations des auteurs anciens. Rollin n'avait d'autre but que de présenter les grands événements de l'Antiquité dans un récit intéressant et moral; il y a réussi. Vauvenargues.
Son talent, comme son courage dans ses souffrances, lui valurent de la part de Voltaire et de Marmontel une amitié profonde. Il mourut en 1747, ayant publié une Introduction à la Connaissance de l'Esprit humain suivie de Réflexions sur divers sujets, Conseils à un jeune homme, Réflexions critiques sur divers poètes, etc. (1746). Voltaire pleura sincèrement sa mort prématurée. Écoutez plutôt cet éloge funèbre-: « Tu n'es plus, ô douce espérance du reste de mes jours. Accablé de souffrances au dedans et au dehors, privé de la vue, perdant chaque jour une partie de toi-même, ce n'était que par un excès de vertu que tu n'étais point malheureux et que cette vertu ne te coûtait point d'effort... Par quel prodige avais-tu, à I'âge de vingt-cinq ans, la vraie philosophie et la vraie éloquence, sans autre étude que le secours de quelques bons livres? Comment avais-tu pris un essor si haut dans le siècle des petitesses? Et comment la simplicité d'un enfant timide couvrait-elle cette profondeur et cette force de génie? Je sentirai longtemps avec amertume le prix de ton amitié; à peine en ai-je goûté les charmes. »Vauvenargues s'est peint lui-même dans le portrait de Clazomène, « qui a eu l'expérience de toutes les misères de l'humanité... Toutefois, qu'on ne pense pas que Clazomène eût voulu changer sa misère pour la prospérité des hommes faibles. La fortune peut se jouer de la sagesse des gens vertueux; mais il ne lui appartient pas de faire fléchir leur courage. »Cette vie manquée et douloureuse fait songer à celle d'Alfred de Vigny. Mais les déceptions ne conduisirent pas au pessimisme l'âme ardente de Vauvenargues. Jamais elle ne connut le désespoir. Vauvenargues conserva jusqu'au bout une fermeté sereine et sans raideur. Théories
littéraires.
• Le style. - L'éloquence de vauvenargue est spontanée; elle vient du coeur. Lisez ses Conseils à un jeune homme : « En toute occurence, préférez la vertu à tout; elle vaut mieux que la gloire. Si vous avez quelque passion qui élève vos sentiments et qui vous rende généreux, qu'elle vous soit chère. Mais surtout osez, ayez de grands desseins. Vous échouerez? Eh bien! qu'importe! le malheur même n'a-t-il pas ses charmes dans les grandes extrémités. »Il trouve, pour colorer ses pensées, des images à la fois discrètes et pénétrantes : « Les premiers jours du printemps ont moins de grâce que la vertu naissante d'un jeune homme »; « Les feux de l'aurore ne sont pas si doux que les premiers regards de la gloire » ; « ... Vous voyez l'âme d'un pêcheur qui se détache en quelque sorte de son corps pour suivre un poisson sous les eaux, et le pousser au piège que sa main lui tend. »• Éloge de la netteté. - Toute affectation lui paraissait ridicule. C'est pourquoi ce caractère cornélien à certains égards, épris d'action et de grandeur, préférait pourtant la simplicité des héros de Racine à la grande éloquence de ceux de Corneille. Il croyait que : On dit peu de choses solides lorsqu'on cherche à en dire d'extraordinaires. (Réflexions et Maximes, CXII).Et il s'est appliqué surtout à exprimer clairement et simplement sa pensée: La clarté est la bonne foi des philosophes. (Ibid., CCCLXV).• La peinture de caractères. - Comme peintre de caractères, Vauvenargues est ingénieux et fin, mais bien au-dessous de La Bruyère, qu'il imite et dont il n'a pas la pittoresque précision. Comme critique, il est plus intéressant. Ses jugements sur Corneille, Racine, Pascal, Bossuet, etc., ne sont pas d'un « homme de goût » qui suit une tradition, ou d'un ignorant qui veut être original aux dépens du sens commun, encore moins d'un homme de parti à qui ses théories et ses préjugés cachent le vrai et le beau. Vauvenargues, critique, est indépendant. Il sent, il aime, il éprouve des sympathies et des répulsions : il les exprime avec délicatesse. On aura toujours profit à discuter des jugements empreints de cette loyale personnalité et qui, fondés sur le sentiment, vont souvent, comme plus tard ceux de Joubert, jusqu'au paradoxe. Vauvenargues met en pratique sa maxime : « Il faut avoir de l'âme, pour avoir du goût. »• Critique de l'esprit. - Il ne pouvait souffrir l'esprit des gens du monde, superficiel et vain, avec lequel on arrête tout élan des émotions : ... Un agrément si faux et si superficiel est un art ennemi du coeur et de l'esprit qu'il resserre dans des bornes étroites, un art qui ôte la vie de tous les discours en bannissant le sentiment qui en est l'âme. (Introduction à la connaissance de l'esprit humain, Des Saillies).La morale du sentiment. Par son peu de désir de briller, Vauvenargues se distingue de ses contemporains. Mais il se rattache à eux par sa morale fondée sur le sentiment. • La bonté de la nature. - En optimiste convaincu, il veut réhabiliter la nature humaine (Maximes, CCXIX). Il s'en prend surtout à La Rochefoucauld et le réfute adroitement : S'il y a un amour de nous-mêmes naturellement officieux et compatissant, et un autre amour-propre sans humanité, sans équité, sans bornes, sans raison, faut-il les confondre? (Ibid., CCXCI). Le corps a ses grâces, l'esprit ses talents, le coeur n'aurait-il que des vices? (Ibid, CCXCVII).Il ne nie pas l'amour-propre, mais maintient l'existence de sentiments altruistes : Il y a des semences de bonté et de justice dans le coeur de l'humain, si l'intérêt propre y domine. (Ibid., CCXCIV).• La réhabilitation de l'instinct. - Il est donc persuadé qu'il faut suivre la nature, loin de la combattre : La raison nous trompe plus souvent que la nature. (Ibid., CXXIII).C'est une erreur que de se défier des passions. Elles sont bonnes au contraire. Elles montrent le but et donnent en même temps la force de l'atteindre : L'esprit est l'oeil de l'âme, non sa force. Sa force est dans le coeur, c'est-à-dire dans les passions. (Ibid., CXLIX).La raison et le sentiment se conseillent et se suppléent tour à tour. Quiconque ne consulte qu'un des deux et renonce à l'autre, se prive inconsidérément d'une partie des secours qui nous ont été accordés pour nous conduire. (Ibid., CL). Les grandes pensées viennent du coeur. (Ibid., CXXVII).Conclusion. On pourrait au nom d'une pareille morale justifier les pires excès. Il ne faut y voir que l'illusion généreuse d'une nature supérieure. Comme l'écrivait Voltaire à Vauvenargues-: « Je vais lire vos portraits. Si jamais je veux faire celui du génie le plus naturel, de l'homme du plus grand goût, de l'âme la plus haute et la plus simple, je mettrai votre nom en bas. » (Mai 1746).Son oeuvre n'a pas eu d'influence, mais elle est un symptôme et elle annonce déjà, dans une certaine mesure, la théorie que soutiendront Diderot et Rousseau : la bonté de la nature et le critérium de la sensibilité. Duclos.
Il se place parmi les moralistes avec ses Considérations sur les moeurs de ce siècle (1751). Ce sont de petites dissertations piquantes, d'une actualité peut-être trop exclusive, mais où l'on peut s'instruire encore sur l'homme du XVIIIe siècle et même sur l'humanité. Chamfort.
Rivarol.
Rivarol a d'autres titres que ces mots. Il a écrit, en 1784, un Discours sur l'universalité de la langue française, qui est à sa date un chef-d'oeuvre de critique. Les critiques et les éruditsLe plus grand critique du XVIIIe siècle fut Voltaire qui, dans les préfaces de ses tragédies, dans son Temple du goût, dans son Commentaire sur Corneille, dans son Siècle de Louis XIV, et dans sa Correspondance, nous a laissé une foule de jugements originaux. Son goût est étroit; mais il représente bien celui de son temps :La Harpe.
La Harpe n'a pas, à proprement parler, l'esprit critique; il obéit aux préjugés de son goût classique et à ses opinions philosophiques ou politiques. Mais il est le premier qui ait envisagé la littérature dans l'ensemble de son développement historique. De plus, sur Corneille, Racine, Molière, Voltaire, il a laissé d'excellentes pages et des analyses toujours intéressantes à lire ou à discuter. Fréron.
Très nombreux sont les journaux au XVIIIe siècle; il suffit, ici, que nous en signalions l'importance pour l'histoire des idées. Mercier.
De retour à Paris, et après avoir composé quelques romans et pièces de théâtre peu goûtées, il publia en 1773 son célèbre Essai sur l'art dramatique, violente déclaration de guerre à l'art classique, où l'auteur veut imposer à l'écrivain, au lieu des sujets et des procédés conventionnels, la représentation de la société moderne et en particulier du peuple. Joignant l'exemple au précepte, il donna plusieurs pièces à la Comédie-Italienne : l'Habitant de la Guadeloupe, l'Indigent, et surtout la Brouette du vinaigrier et le Déserteur (qui valut à Mercier la protection de Marie-Antoinette et une pension). En 1770, il publia l'An 2440 ou Rêve, s'il en fut jamais, où l'on trouve, au milieu d'un fatras baroque, d'étranges et curieux pressentiments de la Révolution française. Le grand ouvrage de Mercier est son intéressant Tableau de Paris(1781-1790), suivi du Nouveau Paris (1799-1800), où il peint les moeurs et les coutumes du Paris d'alors. Mercier, pendant la Révolution, fut député de Seine-et-Oise à la Convention, et siégea plus tard au conseil des Cinq-Cents. Professeur d'histoire à l'Ecole centrale, membre de l'Institut, il eut le courage de demeurer républicain sous l'Empire. Outre les ouvrages, cités plus haut, il a composé un très grand nombre de livres, marqués au coin de la fantaisie la plus originale : l'Homme sauvage (1767), où Chateaubriand prit peut-être l'idée d'Atala; Néologie (1801); Satire contre Racine et Boileau (1808); Jeanne d'Arc, drame traduit de Schiller; Mon bonnet de nuit (1784), amère critique de la littérature classique; etc. • Le Tableau de Paris. - La partie historique du livre est assez faible, mais le tableau de moeurs est plein de vérité et de couleur. L'auteur nous fait pénétrer dans tous les dessous de la société du XVIIIe siècle, nous initie aux goûts, aux modes, aux passe-temps et jusqu'aux vices secrets des Parisiens de l'époque. Voici quelques titres de chapitres : les Dimanches et fêtes, la Foire Saint-Germain, Comment se fait un mariage, les Petits Soupers, les Marchandes de modes, les Cabarets borgnes, etc. Le succès du livre fut énorme. Mercier publia en 1800 le Nouveau Paris, qui est un tableau de moeurs de la Révolution. Ces deux ouvrages sont, comme les oeuvres de Restif de La Bretonne, d'inépuisables mines. • L'An 2240, Rêve s'il en fut jamais. - Dans cette production originale, qui parut en 1770 et qui peut être rangé parmi les oeuvres de science-fiction, Mercier se transporte, à l'aide de la fiction d'un songe, à cinq cents ans au delà de la date de sa naissance, et se représente l'état de la France, à cette époque éloignée, à peu près tel que les idées alors en crédit dans la masse de la nation pouvaient le faire désirer. Quelque frappantes que fussent les allusions, le gouvernement ne vit dans l'auteur qu'un utopiste plutôt qu'un prophète, mais il interdit la vente de l'ouvrage. Dupuis.
• Origine de tous les cultes ou la Religion universelle (1795). La base du système de l'auteur est que tous les cultes, sans en excepter le christianisme, se rattachent dans leur essence à l'adoration du soleil et des astres. Frappé par la bizarrerie des figures des anciens planisphères, Dupuis imagina que la représentation du ciel pendant le cours de l'année avait dû correspondre à l'état de la terre et aux travaux de l'agriculture dans le temps et dans le pays où ces signes avaient été inventés, de sorte que le zodiaque était pour le peuple inventeur une sorte de calendrier à la fois astronomique et rural. Dupuis attribuait l'invention des signes du zodiaque aux peuples qui habitaient la haute Egypte et l'Ethiopie, il y a 15.000 ou 16.000 ans. Il conclut que les dieux sont des constellations divinisées, et que leurs aventures sont l'expression allégorique du cours des astres et de leurs rapports mutuels. A la fois par l'hypothèse irrecevable sur laquelle il se fonde que par l'immense (et précieuse) documentation dont il se nourrit le travail de Dupuis n'est pas sans rappeler la démarche de J.G. Frazer dans son Rameau d'or (1890). La littérature philosophiqueMontesquieu.Charles de Segondat baron de Montesquieu (1689-1755), montra dès son enfance une grande application à l'étude et fut destiné à la magistrature, dans laquelle sa famille occupait déjà de hauts emplois. Nommé en 1714 conseiller au parlement de Bordeaux, il y devint en 1716 président à mortier en remplacement d'un de ses oncles; il vendit sa charge en 1726, afin de se livrer tout entier à son goût pour les lettres. Il avait commencé dès 1721 à se faire connaître par la publication des Lettres persanes, ouvrage d'un genre léger et frondeur, dont on a dit avec justesse que c'est le plus profond des livres frivoles et qui eut un immense succès. Il fut reçu en 1727 à l'Académie Française, puis se mit à voyager, visita l'Autriche, l'Italie, la hollande, enfin l'Angleterre où il resta deux ans, étudiant partout les moeurs et les institutions des peuples. De retour en France, il se retira dans son château de La Brède et fit paraître en 1734 les Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains, qui déjà firent juger de toute la force de son esprit. Enfin en 1748 il publia l'Esprit des Lois, auquel il travaillait depuis 20 ans, et qui mit le sceau à sa réputation. Dans cet ouvrage, qui n'avait pas de modèle et auquel l'auteur put donner pour épigraphe : Prolem sine matre creatam, il passe en revue les législations connues et en cherche les raisons, soit dans la nature de l'homme en général, soit dans des causes locales et particulières à chaque peuple. Ce livre qui le place au rang des premiers écrivains, rivalise avec les écrits de Tacite pour la concision et l'énergie du style. Après avoir achevé ce grand ouvrage, Montesquieu sentit ses forces décliner et ne publia plus rien d'important; il partageait son temps entre le séjour de Paris et son château de La Brède. Outre les ouvrages déjà cités, on y trouve, le Dialogue de Sylla et d'Eucrate et Lysimaque, écrits politiques qui ne sont pas indignes de l'auteur des Considérations; le Temple de Gnide, un Essai sur le Goût, estimé des métaphysiciens, des lettres, des discours, et quelques poésies. Voltaire.
A la suite d'une altercation avec un chevalier Rohan-Chabot il fut banni en 1726 et vécut en Angleterre, où il se lia avec lord Bolingbroke et les libres penseurs. De retour à Paris, il y fut l'idole du public. Il exprima son admiration pour les institutions anglaises dans ses Lettres sur les Anglais. Il écrivit ensuite Brutus et peu après Zaïre (1730), qui, bien que composé en 22 jours, est son drame le meilleur et le plus pathétique. Il n'échappa a une arrestation qu'en se retirant à Cirey, dans le château de la savante marquise du Châtelet, chez laquelle il résida presque constamment jusqu'à la mort de cette protectrice en 1740. En 1736, il dut chercher refuge à Bruxelles à cause du scandale soulevé par le Mondain. Il se rendit près de Frédéric le Grand en 1740, et une autre fois en 1745 avec une mission politique. Dans le même temps, il écrivit les tragédies Alzire, Mahomet et Mérope. En 1746, il passa quelque temps à Paris, où il écrivit et fit représenter de nouvelles tragédies, donna à Le Kain des leçons d'art dramatique, et fut nommé académicien et historiographe royal. En 1750, il alla à Berlin où Frédéric le gratifia d'une pension de 20,000 F; il étudiait avec lui deux heures par jour. C'est là que Voltaire termina son Siècle de Louis XIV; Frédéric, de son côté, lui soumettais ses vers et ses essais. Mais leur intimité se changes en rivalité et en rupture violente; à la fin, Voltaire résolut de briser sa chaîne. Il emporta quelques poésies du roi, et il eut à souffrir à Francfort l'ennui d'une arrestation dans les circonstances les plus désagréables (1753). Plus tard cependant, il reprit sa correspondance avec Frédéric. En 1755, Voltaire acheta une terre près de Genève (Les Délices); mais il eut des querelles avec les Suisses, ses voisins. La publication de La Pucelle, caricature épique de Jeanne d'Arc et de son histoire, lui créa beaucoup d'ennemis. A propos de vers satiriques qu on lui attribuait sur Louis XV et Mme de Pompadour, il fut menacé de lettres de cachet. En 1762, il se transporta à la terre de Ferney, sur le territoire français, mais près de la frontière suisse, de façon à pouvoir facilement se réfugier d'un pays dans l'autre. Ses livres et ses spéculations sur les fonds publics lui avaient acquis une fortune très considérable. Il était devenu en quelque sorte le fondateur d'une nouvelle secte de penseurs et d'écrivains, qui, sous la direction de Diderot et de d'Alembert, donnèrent un corps à leurs idées dans la grande Encyclopédie. Cependant Voltaire était personnellement un déiste décidé et il répudiait la philosophie de son siècle, qui tentait de bannir Dieu de l'univers. Dans sa 84e année, il vint à Paris, apportant une tragédie nouvelle, frêne, et il fut reçu par toutes les classes avec des démonstrations et des honneurs sans exemple. Voltaire fut le roi des écrivains de son temps. Le secret de ses succès est dans ses satires, ses contes, ses vers de société, ses madrigaux, ses lettres et ses épigrammes, où tout l'esprit du siècle se trouve exprimé avec une grâce, une vivacité, un piquant, un agrément inimitables. Ses oeuvres comprennent en outre : Histoire de Charles XII, roi de Suède; Histoire de la Russie sous Pierre le Grand; Essai sur les moeurs et sur l'esprit des nations; Le Dictionnaire philosophique, etc. • Dictionnaire philosophique (1764). - Tous les articles n'y sont pas exclusivement consacrés à la philosophie, loin de là ; Voltaire y traite aussi bien d'histoire, de théologie, de grammaire, de physique, de littérature, etc., avec cet esprit étincelant qu'il savait mettre partout. Le Dictionnaire philosophique fut surtout pour Voltaire une arme de guerre, dirigée contre le catholicisme. Diderot, D'Alembert
et l'Encyclopédie.
A sa sortie, il se lia avec D'Alembert, et ils tracèrent ensemble le plan de l'Encyclopédie. Leur but était de rassembler en un seul ouvrage toutes les sciences exactes, les principes du goût et les procédés de tous les arts; mais, en réalité, cette publication était un moyen de propager les idées nouvelles, aussi fut-elle plusieurs fois interrompue par ordre du gouvernement. Ce fut Diderot qui y traita de presque toute l'histoire de la philosophie ancienne, ainsi que de toute la partie consacrée au commerce et aux arts et métiers. Lorsque D'Alembert cessa d'y collaborer, Diderot prit à lui seul le direction de cette oeuvre colossale. A la même époque il fit paraître des Pensées sur l'interprétation de la nature (1754), puis deux drames domestiques : le Fils naturel (1757), et le Père de famille (1758), qui préparèrent la révolution accomplie plus tard dans le style de l'art dramatique français; et les deux romans dont il a été question plus haut : Jacques le fataliste et la Religieuse. Quoique très célèbre par ses oeuvres, Diderot resta pauvre. Au moment où il allait vendre sa bibliothèque pour se tirer d'embarras et doter sa fille l'impératrice de Russie, Catherine II, la lui acheta 50,000 francs à condition que jusqu'à sa mort il en resterait bibliothécaire avec un traitement de 1000 francs par an. Diderot alla a Saint-Pétersbourg remercier l'impératrice et s'arrêta ensuite à Berlin où il ne l'ut pas aussi , bien reçu par Frédéric; puis il revint à Paris où il termina sa vie dans I'obscurité. (V. S.). D'Alembert.
Il publia plusieurs ouvrages scientifiques (Traité de dynamique, 1743; Traité de l'équilibre et du mouvement des fluides, 1744, etc.); des écrits philosophiques (Essai sur les éléments de philosophie, 1759); des mémoires polémiques (De la Destruction des jésuites, 1765), et des Mélanges de littérature, de philosophie et d'histoire (1752-1763). Mais il reste surtout célèbre par sa collaboration à l'Encyclopédie de 1751 à 1759. Outre le Discours préliminaire, qui est à lui seul un véritable ouvrage, il s'était chargé de la révision de tous les articles de mathématiques. Moins actif, moins impétueux et enthousiaste que Diderot, il donnait à l'Encyclopédie la garantie de sa haute situation académique, scientifique et mondaine. Aussi sa retraite, en 1759, faillit-elle, après les persécutions du pouvoir, compromettre définitivement l'entreprise. Plus fin et plus digne que Voltaire, il avait refusé les offres de Frédéric II, qui voulait l'attirer à Berlin, et celles de Catherine II, qui désirait lui confier l'éducation du grand-duc Paul. L'Encyclopédie.
Ne citons que les principaux : • Philosophie : Condillac (mort en 1780), logicien froid et souple, philosophe « sensualiste »; Helvétius (mort en 1771), plus nettement matérialiste.Enfin, n'oublions pas le factotum de la « boutique », le chevalier de Jaucourt, qui travailla à tous les sujets, suppléa tous les manquants, et consacra à l'Encyclopédie sa vie et sa fortune. Nommons encore parmi les collaborateurs de cette entreprise : Buffon, Mably, Raynal , Grimm, Saint-Lambert, etc. Diderot fut l'âme de l'entreprise, revoyant tous les articles, écrivant pour son compte sur la philosophie et les religions, l'histoire et la politique, la grammaire et surtout les arts mécaniques, et imprimant à l'ouvrage entier, sinon un caractère constant d'unité, au moins une direction générale vers un but commun. D'Alembert se chargea des mathématiques, et tempéra, par sa réserve calculée, la fougue de Diderot. Ce fut lui qui écrivit l'introduction de l'Encyclopédie, le Discours préliminaire, chef-d'oeuvre d'un esprit exact et élégant, à la fois élevé et modéré dans ses vues; il y classe les connaissances humaines d'après l'ordre de leur développement probable dans l'intelligence, dans l'ordre logique des facultés intellectuelles d'où elles découlent (c'est la classification de Bacon), et dans l'ordre historique de leurs progrès depuis le XVIe siècle. Malgré les obstacles suscités par le parlement et le clergé, alarmés de cette publication, malgré la retraite de D'Alembert et d'un grand nombre de collaborateurs, Diderot, après 20 ans de travaux, 1751-1772, vint à bout de son entreprise. Du pêle-mêle de tant de matériaux apportés par tant de mains, et trop facilement acceptés, surtout après la retraite de D'Alembert, il sortit une oeuvre assez confuse et disparate. L'Encyclopédie se composait de 28 volumes in-folio, dont 17 de texte et 11 de planches. En 1774-1776, il y parut un supplément en 5 volumes, et, en 1780, une Table analytique et raisonnée en 2 volumes. Les suppléments ont été fondus dans les éditions de Genève, 1777, 39 volumes, Berne et Lausanne, 1778, 36 tomes ou 72 volumes, avec 3 volumes de planches. (G. L.). Buffon.
C'est au milieu de ces trésors qu'il conçut le plan de ses vastes travaux qui, d'après ses projets, devaient embrasser la description de tous les êtres de la nature. Avec la collaboration de Daubenton, il commença cette oeuvre considérable qui devait rester inachevée; traita d'abord de la Théorie de la Terre, puis de l'Histoire de l'homme et de celle des Quadrupèdes vivipares, et enfin de celle des Oiseaux. Ces différentes parties furent successivement publiées, à mesure qu'elles étaient terminées. L'Histoire des animaux domestiques parut entre 1753 et 1756; celle des Tribus carnivores et des autres espèces sauvages, entre 1758 et 1767; l'Histoire des oiseaux, entre 1770 et 1781; l'Histoire des minéraux, entre 1783 et 1785, et les Epoques de la nature en 1788. Ces divers traités portent ensemble le titre de : Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du cabinet du roi (Paris, 1749-1788, 36 volumes, dont trois de généralités, douze de quadrupèdes, sept de suppléments, neuf d'oiseaux et cinq de minéraux). Jamais aucun ouvrage de ce genre n'obtint un succès aussi populaire et aussi prolongé, parce que c'est celui qui donne le plus d'attrait à l'étude de l'histoire naturelle. Le style en est toujours élégant et élevé. L'auteur semble peindre les êtres dont il parle; sous sa plume la nature vit. Il fait chatoyer à nos yeux les étincelantes couleurs des plus brillants oiseaux. Malgré les critiques de Voltaire et les reproches de Condorcet, qui l'accusaient d'être ampoulé, inexact ou infidèle, on le considéra et on le considère encore comme l'un des meilleurs écrivains du XVIIIe siècle. De fait, Buffon est moins un savant qu'un vulgarisateur; il prend la science au point où ses devanciers l'ont portée et il la répand sous une forme populaire; il va chercher les lecteurs que rebutent les descriptions arides. Plus tard, Jussieu, Candolle, Cuvier, Agassiz et des centaines d'autres créeront des nomenclatures naturelles et renverseront la plupart de ses théories; malgré cela, la gloire de Buffon ne sera pas éclipsée, parce que l'on trouve dans ses écrits un merveilleux éclat de style joint à la hardiesse d'une puissante intelligence. Reçu, sans sollicitation, à l'Académie française en 1753, il donna dans son discours sa théorie littéraire et exprima cette pensée, que «-le style de l'écrivain est l'homme même ». Il ne travaillait qu'après s'être vêtu comme pour se rendre à quelque cérémonie. Peu d'écrivains jouirent de leur vivant d'une renommée semblable à la sienne; les savants, les princes, les rois se glorifiaient d'être en correspondance avec lui. Rousseau.
En 1756, il s'établit avec sa maîtresse Thérèse Le Vasseur (cuisinière dont il finit par faire sa femme), à l'Ermitage, charmante retraite que lui avait offerte Mme d'Epinay, dans la vallée de Montmorency. C'est là qu'il écrivit Julie ou la Nouvelle Héloïse (1760, 6 volumes) et sa Lettre sur les Spectacles adressée à d'Alembert. Son amour pour Mme d'Houdetot porta ombrage à Mme d'Epinay, pendant qu'il devenait, de son côté jaloux des relations de Mme d'Epinay avec Grimm, Diderot et d'Holbach. Il dut à la fin se retirer à Montmorency où il trouva des amis dans le duc et la duchesse de Luxembourg. Pendant qu'il habitait l'un des châteaux du duc, il écrivit le Contrat social, où il proclamait les principes du suffrage universel et de la souveraineté du peuple, et Emile, ou de l'Education, que Goethe a appelé l'évangile de la nature en fait d'éducation. Ce dernier ouvrage fut imprimé à Amsterdam aux dépens du duc (1762, 4 volumes); ayant été aussi publié en France contre le gré de Rousseau il fut condamné par le parlement et l'auteur s'enfuit de France. Chassé de Genève et du canton de Berne, il se réfugia à Neufchâtel, sous la protection de lord Keith, le gouverneur prussien; mais le départ de ce dernier le laissant à la merci des fanatiques, il accompagna David Hume en Angleterre (1766), et ne tarda pas à se brouiller avec lui. Il revint en France en 1767, et à Paris en 1770. Les craintes que lui inspiraient ses ennemis avaient complètement ruiné sa santé, et la police avant interdit les lectures que l'on voulait faire de ses Confessions chez Mme d'Epinay, il devint encore plus abattu. Au commencement de 1778, il alla chez M. de Girardin, à Ermenonville, et y mourut subitement, probablement d'apoplexie. Aucun écrivain n'a été plus violemment attaqué que Rousseau, mais son style est sans rival dans la littérature française, et ses théories ont préparé la route à de grandes réformes et à de grandes révolutions. Le plus célèbre de ses ouvrages posthumes a pour titre Les Confessions (1782, 4 volumes). Bernardin de Saint-Pierre.
Il publia d'abord, en 1773, le Voyage à l'île de France, sous forme de lettres; son talent descriptif s'y annonce. - Puis, les Études de la nature (1784), où il développe contre les athées les prétendues preuves de l'existence de Dieu tirées du monde extérieur. La thèse y est parfois très faible; Bernardin n'est pas un philosophe; mais la plupart des tableaux ont de la précision, de la couleur et du relief. Il est difficile de voir, d'un oeil plus exercé et plus sûr, les formes et les nuances des choses. En 1787, il donne Paul et Virginie, idylle dont l'action et les caractères sont aussi vrais et aussi touchants que le cadre en est magnifique et réel. Cette action se réduit, comme dans presque tous les chefs-d'oeuvre, à presque rien : deux enfants, qui vivent ensemble depuis le berceau, s'aiment; après une séparation, ils vont se revoir et s'épouser, quand une catastrophe anéantit leur bonheur. Rien que de simple et de naturel dans le sentiment. Aucune fadeur, aucune déclamation. Mais la partie immortelle de ce roman, c'est plutôt la partie descriptive; comme en un tableau de maître, rien n'y a vieilli. Le succès de Paul et Virginie fut immédiat, universel, et aucune révolution littéraire ne l'a amoindri. Bernardin donna ensuite la Chaumière indienne (1790), et les Harmonies de la nature(1796). On a oublié les oeuvres où il exposait au public ses utopies politiques, comme l'Arcadie (1781). L'auteur des Études et de Paul et Virginie est, dans la description de la nature, plus varié que Rousseau; il ajoute, au domaine assez restreint de la Suisse et de la France, les beautés nouvelles des mers et des pays tropicaux. Mais il reste objectif. C'est en quoi, bien qu'il annonce Chateaubriand, il n'est pas, au même titre que Rousseau, un ancêtre du romantisme.(E. Abry / Ch.-M. Des Granges, Trt et al.). |
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