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Vauvenargues

Luc Clapiers, marquis de Vauvenargues,est un écrivain français né à Aix-en-Provence le 6 août 1745, mort à Paris le 28 mai 1747. D'une famille de petite noblesse, bien que de souche ancienne, il était fils de Joseph de Clapiers, seigneur de Vauvenargues, élevé au marquisat en 1722 en récompense de sa bravoure pendant la peste de 1720, époque à laquelle il était premier consul d'Aix. On n'a que peu de renseignements sur la jeunesse de Vauvenargues; la faiblesse de sa santé interrompit ses études au collège d'Aix, et son instruction première resta fort incomplète : il ne sut jamais le grec ni le latin. A seize ans, une traduction des Vies de Plutarque lui révéla l'antiquité et le transporta; un Sénèque et les lettres de Brutus à Cicéron le pénétrèrent d'émotion. A l'âge où il devait choisir une carrière, il se décida pour celle des armes et devint sous-lieutenant dans le brillant corps d'infanterie appelé le Régiment du roi. Il fit presque ans. sitôt campagne sous le maréchal de Villars en Lombardie (1733) et rentra en France en 1736; il allait connaître après l'activité d'une campagne victorieuse la monotonie de la vie de garnison dans les places de Bourgogne et de Franche-Comté.

C'est à cette époque qu'il eut le temps de se replier sur lui-même et de former ses idées : il reconnut de suite que les choses de l'âme sont seules dignes d'intérêt, et cette préoccupation morale se doubla de ridée que seule la gloire vaut la peine de vivre. C'est au marquis de Mirabeau (père du célèbre orateur) que revient l'honneur d'avoir deviné l'originalité de Vauvenargues et de l'avoir poussé très vivement à la littérature : l'intéressante correspondance (de juillet 1737 à août 1746) des deux amis qui avaient le même âge et la même carrière est caractéristique à ce sujet. La délicatesse morale et la pureté de Vauvenargues, heurtées par le caractère voluptueux et despotique de Mirabeau, voulaient un autre correspondant : ce fut le charmant et délicat Fauris de Saint-Vincens. La pauvreté de Vauvenargues l'empêcha cependant de venir dès lors à Paris se mêler à la vie de la cour où l'appelait Mirabeau. 

En 1741, il était en garnison à Metz et prit part à la campagne, d'abord brillante, puis désastreuse du maréchal de Belle-Isle en Bohème : pendant la terrible retraite de Prague sur Egra (décembre 1742), Vauvenargues eut les deux jambes gelées; il se remit lentement et incomplètement, â l'hôpital de Nancy, puis repassa le Rhin avec l'armée du maréchal de Noailles; après le désastre de Dettingen, il rentra en France à la fin de 1743 et alla tenir garnison à Arras. De ces deux années de campagne il rapportait maintes observations et quelques écrits composés pour son jeune ami de Seytres, mort à dix-huit ans pendant le siège de Prague, et dont il fit l'oraison funèbre, "la première, dit Voltaire, que le coeur ait dictée".

La santé de Vauvenargues était ruinée : les plaies de ses jambes gelées se rouvraient sans cesse, et ses yeux perdaient la vue; il dut renoncer à la vie militaire et se décida, malgré l'opposition de son père, à venir à Paris il songeait à la diplomatie, mais ses demandes au roi et au ministère n'obtinrent pas de réponse.
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Lettre de sollicitation

[Vauvenargues vient de quitter, pour infirmités précoces gagnées pendant la glorieuse retraite de Bohème, le service militaire. Il a écrit au ministre des affaires étrangères pour obtenir un poste diplomatique; sa lettre est restée sans réponse. C'est alors qu'il s'adresse pour la seconde et dernière fois à M. Amelot.]

« A M. AMELOT, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Monseigneur, je suis sensiblement touché que la lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire et celle que j'ai pris la liberté de vous adresser pour le roi n'aient pu attirer attention. Il n'est pas surprenant peut-être qu'un ministre si occupé ne trouve pas le temps d'examiner de pareilles lettres; mais, monseigneur, me permettrez-vous de vous dire que c'est cette impossibilité morale où se trouve un gentilhomme qui n'a que du zèle, de parvenir jusqu'à son maître, qui fait le découragement que l'on remarque dans la noblesse des provinces, et qui éteint toute émulation.

J'ai passé, monseigneur, toute ma jeunesse loin des distractions du monde, pour tâcher de me rendre capable des emplois où j'ai cru que mon caractère m'appelait, et j'osais penser qu'une volonté si laborieuse me mettrait du moins au niveau de ceux qui attendent toute leur fortune de leurs intrigues et de leurs plaisirs. Je suis pénétré, monseigneur, quune confiance que j'avais principalement fondée sur l'amour de mon devoir se trouve entièrement déçue. Ma santé ne me permettant plus de continuer mes services à la guerre, je viens d'écrire à M. le duc de Biron pour le prier de nommer à mon emploi. Je n'ai pu dans une situation si malheureuse me refuser de vous faire connaître mon désespoir. Pardonnez-moi, monseigneur, s'il me dicte quelque expression qui ne soit pas assez mesurée. Je suis avec le plus profond respect, etc. »
 

(Vauvenargues, 1741).

L'influence de Voltaire allait modifier ces dispositions du ministre, mais une petite vérole maligne acheva d'épuiser Vauvenargues et l'empêcha d'entrer dans la diplomatie. Il avait fait la connaissance de Voltaire, auquel il inspira de suite un attachement respectueux et admiratif, malgré la différence de leur âge et sa jeunesse, en lui écrivant pour, lui soumettre ses idées critiques sur la différence des génies de Racine et de Corneille. Marmontel a tracé un tableau charmant des entretiens admirables de Voltaire et de Vauvenargues : le génie de l'un s'était attaché avec la plus vive tendresse à la vertu de l'autre.

Vauvenargues quitta la Provence au mois de mai 1743 et s'installa à Paris dans une modeste maison meublée, l'hôtel de Tours, rue du Paon (sur l'emplacement actuel de l'École de médecine) et y vécut très retiré, à cause de ses ressources très faibles et de sa santé détruite. Reprenant ses notes, il publia en février 1746, anonymement, un volume de Maximes qui contenait dans ses 400 pages une Introduction à la connaissance de l'Esprit humain, des Réflexions sur divers sujets, des Conseils à un Jeune homme, des Réflexions critiques sur divers poètes, deux Fragments sur les orateurs et sur La Bruyère, une Méditation sur la foi, enfin une suite importante de Paradoxes mêlés de réflexions et de maximes. Ce volume ne fut pas remarqué; le Mercure, qui avait signalé l'apparition des Caractères de La Bruyère en 1688 en déclarant cet ouvrage « directement au-dessous de rien », ne mentionna pas même les Maximes de Vauvenargues. Pendant un an encore ce dernier usa sa vie défaillante, conservant une sérénité inaltérable, se bornant à confesser ses doutes sur l'utilité de sa vie dans quelques pages impersonnelles d'esquisse morale; il mourut enfin à trente et un ans. 
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Clazomène, ou la vertu malheureuse

[C'est son propre portrait que Vauvenargues a tracé sous le nom de Clazomène.]

« Clazomène a eu l'expérience de toutes les misères de l'humanité. Les maladies l'ont assiégé dès son enfance, et l'ont sevré dans son printemps de tous les plaisirs de la jeunesse. Né pour les plus grands déplaisirs, il a eu de la hauteur et de l'ambition dans la pauvreté. Il s'est vu dans ses disgrâces méconnu de ceux qu'il aimait. L'injure a flétri sa vertu; et il a été offensé de ceux dont il ne pouvait prendre de vengeance. Ses talents, son travail continuel, son application à bien faire n'ont, pu fléchir la dureté de sa fortune. Sa sagesse n'a pu le garantir de faire des fautes irréparables. Il a souffert le mal qu'il ne méritait pas, et celui que son imprudence lui a attiré. Lorsque la fortune a paru se lasser de le poursuivre, la mort s'est offerte à sa vue. Ses yeux se sont fermés à la fleur de son âge, et quand l'espérance trop lente commençait à flatter sa peine, il a eu la douleur insupportable de ne pas laisser assez de bien pour payer ses dettes, et n'a pu sauver sa vertu de cette tache. Si l'on cherche quelque raison d'une destinée si cruelle, on aura, je crois, de la peine à en trouver. Faut-il demander pourquoi des joueurs très habiles se ruinent au jeu, pendant que d'autres hommes y font leur fortune? ou pourquoi l'on voit des années qui n'ont ni printemps ni automne, où les fruits sèchent dans leur fleur? Toutefois, qu'on ne pense pas que Clazomène eût voulu changer sa misère pour la prospérité des hommes faibles. La fortune peut se jouer de la sagesse des gens vertueux; mais il ne lui appartient pas de faire fléchir leur courage. »
 

(Vauvenargues, Caractères, IX, 1746).

Après soixante ans d'oubli, ses Maximes reparurent, et le public ratifia enfin le jugement que Voltaire avait dès le premier jour porté sur elles. Vauvenargues a montré dans son oeuvre une indifférence absolue à toute haute spéculation : sa morale ne vise pas si haut, et ne dépasse pas les bornes naturelles et le but positif de la vie.

Une telle insouciance condamnait sa doctrine à une certaine médiocrité; en matière de dogme, il ne s'éleva jamais au-dessus de ce sentiment : « je n'ai jamais été contre la religion » : il n'était pas croyant. On ne peut donner le nom de philosophie à ces libres effusions d'une âme pure, discrète et passionnée; ce sont des exhortations familières, de belles consultations morales, dans lesquelles il généralisa ses impressions intimes : le livre dont il est le plus voisin, c'est les Pensées de Marc-Aurèle. Vauvenargues, qui connaissait peu l'antiquité, ne subit en réalité que trois influences littéraires qui l'ont formé; il a dit lui-même :

« On voudrait penser comme Pascal, écrire comme Bossuet, parler comme Fénelon. » 
Aucun autre écrivain n'a exercé sur lui d'action notable. L'un des principaux mérites de son manuel de la vie morale, c'est le style, dont la charmante imagination, la sensibilité et l'harmonie (il abonde en vers non rimés, mais d'un rythme régulier) annoncent déjà Rousseau, dont Vauvenargues présente comme une première épreuve, une ébauche heureuse et rapide. La vie sérieuse et désintéressée de Vauvenargues, dans une époque égoïste et vaine, sa noblesse de coeur dans un temps si dissolu, achèvent de donner un grand prix à cette figure délicate et un peu pâle.

La famille de Vauvenargues s'est éteinte au commencement du XIXe siècle, et son nom n'est plus porté : ses deux frères cadets, Antoine et Nicolas-François-Xavier de Clapiers, sont morts, l'un en 1741, l'autre en 1801 sans laisser d'enfants. (Ph. Berthelot).



En bibliothèque - Vauvenargues fit paraître en 1747 une seconde édition des Maximes, remaniée légèrement; en 1797, le marquis de Fortia d'Urban publia une édition en 2 vol. qui contenait quelques morceaux inédits. En 1806, une 41 édition parut, précédée d'une étude de Suard sur la Vie et les Écrits de Vauvenargues, augmentée de pages posthumes et des notes de Voltaire et Morellet. La première édition critique est celle de Gilbert (2 vol., 1857), une autre est parue en 1874, en 3 vol.
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Dictionnaire biographique
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