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La littérature > en France > au XVIIIe siècle |
Les salons et le régime de lettres au XVIIIe siècle |
Les relations entre la société mondaine et les écrivains ont été très étroites au XVIIIe comme au XVIIe siècle, mais elles sont d'un caractère un peu différent. Chez Mme de Rambouillet, chez Mlle de Scudéry, chez Mme de la Fayette, on causait littérature et morale, on faisait des portraits ou des maximes, on lisait des ouvrages. Pendant les dernières années du règne de Louis XlV, et sous la Régence, la société du Temple, chez les Vendôme, est bien un centre de libertinage. Mais les écrivains n'y occupent pas d'autre place que celle de beaux esprits, hardis jusqu'à la licence, et souvent méprisés. Louis XV ne sut pas, comme Louis XIV, grouper autour de sa personne l'élite aristocratique et intellectuelle du royaume. On fait acte de présence à la cour, mais c'est dans les salons que se tiennent les véritables réunions mondaines. On se trouva donc émancipé de la tutelle immédiate du roi et l'on put accueillir plus librement des idées hardies. De plus, au siècle précédent, les écrivains étaient seulement admis parmi la haute société. Maintenant on les recherche. Ils sont des personnages dont on aime la verve, l'esprit, mais aussi les idées, et dont la conversation brillante fait, en concurrence il est vrai avec le jeu, l'attrait principal des soirées. Le premiers salons du XVIIIe siècle, celui de la duchesse du Maine, celui de Mme de Lambert, celui de Mme de Tencin, ce ne sont guère, sans doute,, du moins les deux premiers, que des « bureaux d'esprit » : ils forment la transition entre le XVIIe et le XVIIIe siècle proprement dit. Vers 1750, les salons philosophiques prennent le relai et servent de foyer de propagande aux idées nouvelles. Nous avons désormais des salons où l'homme de lettres, à titre de philosophe, tient la première place, et dans lesquels s'élaborent les idées directrices du siècle. Les écrivains avaient pris, dès le début du siècle, l'habitude de se retrouver dans les cafés, cafés Laurent, Gradot, Procope autour du Pont-Neuf, où fréquentaient entre autres Fontenelle, La Motte, Duclos. Ils furent heureux de pouvoir continuer leurs relations dans les salons, en contact journalier avec leur public. Et non seulement chacun gagna à cet échange continuel d'idées, mais leur union fit leur force. Il y eut, comme ils se plaisaient à le dire, « une république des lettres » qui, peu à peu, Les bureaux de l'espritTrois salons principaux sont à distinguer pendant la première moitié du XVIIIe siècle : la Cour de Sceaux, le salon de Mme de Lambert, et celui de Mme de Tencin.La cour de Sceaux et la duchesse du Maine. Ses invités. Le « Voiture » de cette cour fut pendant longtemps Malézieu, son berger en titre, qui avait été précepteur du duc du Maine et qui avait enseigné les mathématiques au duc de Bourgogne. Malézieu était homme de science et d'esprit, quelque chose comme un Fontenelle moins réservé, capable de faire une conférence d'astronomie ou de physique, de rimer une chanson, d'improviser un divertissement. Il fut de l'Académie des sciences et de l'Académie française. Un gros orage dispersa cette cour spirituelle et frivole. La conspiration de Cellamare amena l'arrestation de la duchesse, qui resta plus d'un an à la Bastille. Mais, à peine sortie de prison, la duchesse reprit son train de vie, et Sceaux redevint le rendez-vous des beaux esprits. Elle avait alors auprès d'elle, comme « femme de chambre », Mlle Delaunay (à qui elle fit épouser plus tard le baron de Staal, capitaine aux gardes suisses), et qui nous a laissé des Mémoires singulièrement piquantes en leur élégante simplicité. Mlle Delaunay, si elle avait eu le coeur moins noble, aurait pu jouer auprès de la duchesse du Maine le rôle de Mlle de Lespinasse auprès de Mme du Deffand, et se former un salon à côté; car on venait beaucoup à Sceaux, pour elle; et son intelligence claire, son coeur droit, sa finesse de conversation, séduisaient bien davantage que l'agitation stérile de sa maîtresse. Mais elle se contenta de rester à son rang et d'écrire ses Mémoires, qu'il faut avoir lues. Les « grandes nuits ». Le salon de la marquise de Lambert. La marquise. « Elle écrit finement, dit L. Brunel, avec une grâce un peu molle et quelque afféterie. Est-ce auprès de La Motte et de Fontenelle qû elle eût appris à s'en garder? »Ses hôtes. Le salon de la marquise de lambert recevait principalement La Motte, Fontenelle, l'abbé de Saint-Pierre, le marquis d'Argenson, le président Hénault, Mlle Delaunay, puis Montesquieu et Marivaux. La réunion y était moins mêlée et plus sérieuse qu'à la Cour de Sceaux; mais Mme de Lambert, comme plus tard Mme Geoffrin, établissait des catégories. Le mercredi était réservé aux « gens de qualité »; le mardi, aux gens de lettres. Les deux sociétés finirent par se mêler plus ou moins. Chez elle, pas de divertissements frivoles; on cause et on lit. La préciosité y renaît, et avec elle une certaine décence de langage et une délicatesse de propos qui étaient une réaction contre la liberté ou le libertinage de la Régence. 3° Le rendez-vous des « Modernes ». Le salon de Mme de Tencin. Mme de Tencin. Ses hôtes. La conversation spirituelle. « Je leur entendais dire d'excellentes choses; mais ils les disaient avec si peu d'effort, ils y cherchaient si peu de façon, c'était d'un ton de conversation si aisé et si uni, qu'il ne tenait qu'à moi de croire qu'ils disaient les choses les plus communes. Ce n'étaient point eux qui y mettaient de la finesse, c'était de la finesse qui s'y rencontrait. » (Marianne, IVe partie). Les salons philosophiquesLes salons du plein XVIIIe siècle sont plus philosophiques que littéraires. - Mme Geoffrin, de 1749 à 1777, reçoit les artistes, les écrivains et les étrangers célèbres; de coeur avec les encyclopédistes, elle est très prudente et modère les conversations de ses hôtes. Mme du Deffand, de 1740 à 1780, ouvre son salon à l'aristocratie et aux gens de lettres; elle s'ennuie, et sa correspondance nous révèle un esprit original jusqu'au paradoxe. Mlle de Lespinasse, d'abord lectrice de Mme du Deffand, forme, de 1764 à 1776, un salon dissident, où d'Alembert donne le ton philosophique le plus hardi. Les salons ont surtout une influence sociale et encyclopédique; mais ils contribuent à introduire la frivolité dans les questions les plus sérieuses.Au XVIIIe siècle, la philosophie n'est plus une sorte de spécialité hautaine et solitaire, mais l'oeuvre collective et en quelque façon le divertissement passionné de la société tout entière. Les philosophes du XVIIIe siècle sont des publicistes, des journalistes, des hommes du monde, des femmes. Leurs doctrines, ils les préparent et les discutent à table ou dans la conversation; ils les propagent par la lettre, le pamphlet, le dictionnaire; et ils leur donnent une forme vive et ce tour aisé qui doit aider à leur vulgarisation. A mesure que les idées sont plus hardies, le style en devient plus frivole. Le Salon de Mme Geoffrin. Mme Geoffrin. Ses hôtes. Parmi les étrangers qu'elle attira chez elle, on peut citer : l'abbé Galiani, secrétaire de l'ambassade de Naples à Paris, que nous retrouverons aussi chez Mme du Deffand, un des esprits les plus pétillants de ce temps, et qui, renvoyé dans son pays, échangea les plus spirituelles lettres avec ses anciens amis de la capitale; Horace Walpole, qui fut également choyé par Mme du Deffand; l'historien anglais Gibbon, etc. Mme Geoffrin et l'Encyclopédie. Mme Geoffrin avait fondé chez elle deux diners l'un (le lundi) pour les artistes, l'autre (le mercredi) pour les gens de lettres; et une chose assez remarquable c'est que, sans aucune teinture ni des arts, ni des lettres, cette femme qui de sa vie n'avait rien lu ni rien appris qu'à la volée, se trouvant au milieu de l'une ou de l'autre société, ne leur était pas étrangère; elle y était même à son aise; mais elle avait le bon esprit de ne parler jamais que de ce qu'elle savait très bien, et de céder, sur tout le reste, la parole à des gens instruits, toujours poliment attentive, sans même paraître ennuyée de ce qu'elle n'entendait pas, mais plus adroite encore à présider, à surveiller, à tenir sous sa main ces deux sociétés naturellement libres; à marquer des limites à cette liberté, a l'y ramener par un mot, par un geste, comme un fil invisible, lorsqu'elle voulait s'échapper. « Allons, voilà qui est bien » était communément le signal de sagesse qu'elle donnait à ses convives. (Marmontel, Mémoires).Les lettres à Stanislas sont un témoignage curieux de ce mélange de hardiesse et de timidité. Le salon de Mme du Deffand. Mme du Deffand. J'admirais hier au soir la nombreuse compagnie qui était chez moi; hommes et femmes me paraissaient des machines à ressort, qui allaient, venaient, parlaient, riaient, sans penser, sans réfléchir, sans sentir; chacun jouait son rôle par habitude et moi j'étais abîmée dans les réflexions les plus noires; je pensais que j'avais passé ma vie dans les illusions; que je m'étais creusé moi-même tous les abîmes dans lesquels j'étais tombée. (Lettre à Horace Walpole, 20 octobre 1706).Sa correspondance, très considérable, nous révèle d'abord son incurable ennui, puis des goûts littéraires très originaux (voir sa lettre sur Shakespeare) des jugements également très personnels sur les plus illustres de ses contemporains, tels que J.-J. Rousseau, et aussi l'évolution d'une âme qui passe de la sécheresse critique sensibilité exaltée. Par là, Mme du Deffand représente en perfection les époques du XVIIIe siècle. Ses hôtes. Devenue aveugle, en 1752, Mme du Deffand avait pris pour lectrice Mlle de Lespinasse. Nous allons voir que celle-ci lui enleva une partie de ses habitués, et surtout d'Alembert. Sur la fin de sa vie, de plus en plus, Mme du Deffand se défia des «-gens de lettres ». Elle s'engoua d'une tendresse passionnée pour la jeune duchesse de Choiseul et pour Horace Walpole. Le salon de Mlle de Lespinasse. Mlle de Lespinasse. Qu'il y a peu de choses en effet que ce triste éteignoir n'anéantisse! A quoi bon! Il n'y a qu'une seule chose qui résiste, c'est la passion. (Lettre à Condorcet, octobre 1774).Elle avait un charme puissant que ne tardèrent pas à subir les habitués de la Marquise. Charmés de son intelligence et de sa liberté d'esprit, les habitués de Mme du Deffand s'arrêtaient longuement à causer avec Mlle de Lespinasse dans son appartement, avant d'entrer dans le salon de la maîtresse du logis. Pendant quelque temps, Mme du Deffand n'en sut rien; car elle faisait du jour la nuit, et dormait jusque vers les 4 heures de l'après-midi. Quand elle s'en aperçut, elle chassa impitoyablement sa lectrice, qui alla s'établir un peu plus loin, dans la même rue, entraînant avec elle d'Alembert et un grand nombre de ses amis. Ses hôtes. « D'Alembert y domine et par d'Alembert l'esprit de coterie le plus étroit. Les circonstances dans lesquelles était né le salon de Mlle de Lespinasse faisaient d'elle la muse de l'Encyclopédie, de la philosophie militante. » (L. Brunel).L'art de la conversation. Ils l'aimaient parce qu'elle excellait à diriger la conversation : « Et remarquez bien que les têtes qu'elle remuait à son gré n'étaient ni faibles ni légères; les Condillac, les Turgot étaient du nombre; d'Alembert était auprès d'elle comme un simple et docile enfant. Son talent de jeter en avant la pensée et de la donner à débattre à des hommes de cette classe; son talent d'amener de nouvelles idées et de varier l'entretien, toujours avec l'aisance et la facilité d'une fée, qui, d'un coup de baguette, change à son gré la scène de ses enchantements; ce talent, dis-je, n'était pas celui d'une femme vulgaire. » (Marmontel, Mémoires).Les autres salons. Il faut citer encore les salons de d'Holbach (mort en 1789), d'Helvétius (mort en 771), tous deux « synagogues de l'Église philosophique », selon l'expression de Grimm. Mme Helvétius, quand elle eut perdu son mari, en 1771, continua à recevoir, dans sa maison d'Auteuil, les philosophes de l'école encyclopédique. Le salon (1764-1794) de Mme Necker (morte en 1794), plus modéré, mais cependant à l'avant-garde du progrès; Mme Necker, très sincère chrétienne, recevait ainsi tous les philosophes. « J'ai des amis athées, disait-elle. Pourquoi non? Ce sont des amis malheureux. »Le salon (1762-1783) de Mme d'Épinay (morte en 1783) où Grimm tenait la même place que d'Alembert dans celui de Mlle de Lespinasse, etc. Influence littéraire, philosophique et sociale des salons. Influence littéraire. Pour plaire au public les écrivains des salons s'ingénièrent à dire légèrement les choses graves, et s'il est vrai que leur esprit s'aiguisa jusqu'à devenir une arme redoutable, ils n'échappèrent pas toujours à la préciosité. De plus ils ne purent se permettre aucune innovation littéraire décisive : Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre ne provoqua dans la société que de l'ennui. Malgré le triomphe des Modernes, on restait attaché aux formes de l'art classique dont on avait perdu le secret.Seuls Diderot et Rousseau ont sauvegardé leur originalité parce qu'ils ont échappé à la tutelle des salons. Il fallut que la Révolution fermât leurs portes pour qu'un autre idéal littéraire fut possible au XIXe siècle. Les salons divers se disputaient les places à l'Académie française. Chaque salon eut son académicien; et ce ne fut plus, pour être des Quarante, qu'une lutte d'influences mondaines et féminines. Ajoutons que la littérature la plus sérieuse subit cet esprit de légèreté et de préciosité. Si Montesquieu a fait de « l'esprit sur les lois », c'est parce qu'il était obligé de plaire à la société et aux salons de son temps. Rousseau échappe à cette tutelle; il a assez de génie et d'éloquence pour dédaigner ces suffrages et pour s'imposer par la contradiction. Et il est heureux que Voltaire ait vécu à Cirey et à Ferney : trop désireux de charmer, il eût perdu dans les salons la meilleure partie de son naturel. Influence philosophique. Influence sociale. Le régime des lettresCette complicité du public et des écrivains explique en partie comment fut possible la publication d'oeuvres qui tendaient à modifier l'état moral et social. Car le pouvoir n'était pas désarmé contre elles.La censure. La tolérance du pouvoir. Les subterfuges. b) Les protecteurs. Dans le fond de son coeur elle était des nôtres; elle protégeait les lettres autant qu'elle pouvait ». (8 mai 1764).L'action de M. de Malesherbes était plus efficace encore. Toutes les affaires de librairie étaient du ressort de son père, le Chancelier de Lamoignon, et il avait été chargé par lui de s'en occuper spécialement (1750). C'est pourquoi on le désigne souvent sous le nom de directeur de la librairie. Il apaisa autant qu'il put l'affaire du livre de l'Esprit; surtout c'est grâce à lui que l'Encyclopédie put paraître. En 1752 il parvint à obtenir que l'arrêt du conseil, au lieu de révoquer le privilège, supprimerait seulement les deux premiers volumes, si bien que l'impression put se poursuivre. En 1759 quand le privilège eut été retiré, il s'arrangea pour laisser la publication se continuer sur simple autorisation verbale chez le libraire Lebreton. Sa sollicitude pour Rousseau fut constante : il laissa entrer en France sans difficulté le Discours sur l'inégalité, fit voyager sous son couvert les épreuves de la Nouvelle Héloïse, intervint pour sauvegarder les intérêts de Rousseau dans son contrat avec le libraire Duchesne à propos de l'Emile. On sentit tout le prix de sa tolérance quand il résigna ses fonctions en 1763. Les philosophes, qui avaient quelquefois pesté contre lui quand il autorisait des critiques à leur adresse, lui rendirent pleinement justice. « M. de Malesherbes, écrivait Voltaire à d'Argental le 14 octobre 1763, n'avait pas laissé de rendre service à l'esprit humain en donnant à la presse plus de liberté qu'elle n'en a jamais eu. Nous étions déjà à moitié chemin des Anglais. »Le rôle de l'Académie française. Malgré tout, la liberté des écrivains était précaire entre l'indulgence fréquente et des rigueurs toujours possibles. Ils sentirent la nécessité d'en imposer au pouvoir par une situation bien établie. Le titre d'Académicien était, en même temps qu'un honneur, dans une certaine mesure une garantie, par son caractère officiel. Conséquence non prévue par Richelieu, on échappait un peu au pouvoir en recevant de lui une sorte d'investiture. Duclos disait dans son Discours de réception (1747) : Le roi s'étant déclaré votre protecteur, l'usage de votre liberté devient le premier effet de votre reconnaissance. C'est pourquoi on tenait tant à être de l'Académie. Voltaire fit pendant dix ans des démarches pour y entrer. Le parti des philosophes tenta tous ses efforts pour s'y installer en maître et y réussit. En 1772 son triomphe fut complet par la nomination de d'Alembert comme secrétaire perpétuel, et l'Académie parut si bien être une réunion de philosophes que M. de Montyon la chargea de décerner des prix de vertu (1782). ConclusionC'est au XVIIIe siècle que se poursuit et s'achève l'évolution commencée dans les moeurs par l'ouverture de l'Hôtel de Rambouillet et la fondation de l'Académie française au XVIIe siècle. Molière, Racine et Boileau n'avaient à la cour qu'une situation personnelle due à la faveur de Louis XIV. Mais Corneille était le « bonhomme », et La Bruyère un subalterne. Le génie pouvait faire la célébrité, mais non assurer la considération. An XVIIIe siècle, c'est la condition même d'homme de lettres qui est respectée, parce que les idées ont conquis la société. On a définitivement compris que le savoir et le talent sont une force et une noblesse. Si l'on veut mesurer le chemin parcouru, on n'a qu'à songer aux avances que reçurent un d'Alembert, un Diderot, un Voltaire de la part des plus grands seigneurs et de Frédéric II comme de Catherine II; ils avaient dressé la souveraineté de l'esprit en face de la souveraineté du pouvoir. (E. Abry / Ch.-M. Des Granges). |
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