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L'Encyclopédie
de Diderot et d'Alembert
L'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers est un ouvrage publié sous la direction de Diderot et (pour la partie mathématique) de d'Alembert. - Pour les contemporains, l'Encyclopédie fut avant tout l'oeuvre de d'Alembert et plus encore de Diderot, mais ce jugement, que la postérité a ratifié, ne serait qu'à demi équitable si une large part n'était faite aux collaborateurs, dont les chefs ont, d'ailleurs, aussi longtemps qu'ils l'ont pu, proclamé bien haut les services. 

La publication 

Ainsi qu'il arrive souvent pour des oeuvres très célèbres, la gestation de celle-ci a été singulièrement laborieuse, et les compétitions n'ont pas manqué pour réclamer la paternité de l'idée première. Sans remonter jusqu'à Bacon, ni même à Chrestophle de Savigny, le « gentilhomme rethelois », au profit de qui Delisle de Sales voulait déposséder le chancelier d'Angleterre, il est certain que la conception de l'Encyclopédie ne germa pas inopinément dans le cerveau de ceux qui lui donnèrent sa forme définitive et qu'il s'agissait en principe, dans la pensée de ses éditeurs, d'une simple spéculation de librairie. 

La mise en route de l'Encyclopédie.
L'encyclopédie de Chambers.
Le Dictionnaire de Bayle avait montré l'utilité des gros ouvrages de vulgarisation et toute la force de propagande qu'ils pouvaient contenir. Mais toute la partie scientifique et industrielle y était laissée de côté. Or, le bruit du succès de la Cyclopoedia, ou Encyclopédie des sciences et des arts d'Ephraïn Chambers (Londres, 1727), qui palliait cette lacune, étant venu à la connaissance des libraires Briasson et de Le Breton, ceux-ci sollicitèrent et obtinrent un privilège pour donner de ce dictionnaire une traduction abrégée qu'ils avaient confiée à un Anglais nommé John Mills et à un Allemand nommé Godefroy Sellius. 

Bientôt Le Breton se brouilla avec les deux traducteurs rompit le contrait, non sans violence, si l'on en croit une plainte déposée par Mills devant le Châtelet, et s'adressa, pour traiter la même matière, à un mathématicien, l'abbé Gua de Malves, esprit ingénieux et hardi, mais paresseux et inconstant. Gua de Malves, après avoir, dit-on, conseillé aux libraires un plan tout différent et beaucoup plus vaste, se déroba quand il fallut l'exécuter et leur présenta Diderot. Malves entra bientôt en conflit aigu avec Le Breton, si bien que Diderot resta seul à la tête de l'entreprise. 

Le programme de Diderot et de D'Alembert.
Sous l'impulsion de celui-ci, l'oeuvre projetée changea définitivement de proportions et de but; un nouveau privilège fut obtenu pour vingt ans, un autre titre fut adopté, un codirecteur (d'Alembert) fut adjoint à Diderot. En 1750, Diderot publia un prospectus, où il exposait le but de l'ouvrage, et indiquait les conditions de la souscription. En 1751, parut le Discours préliminaire, dans lequel d'Alembert faisait un tableau des progrès de l'esprit humain et une classification générale des sciences. 

Les deux directeurs , après avoir déterminé respectivement les parties qu'ils entendaient traiter, recrutèrent les adhésions des écrivains ou des savants les plus qualifiés pour mener à bien une tâche gigantesque. 

Les collaborateurs de l'Encyclopédie.
Dans son célèbre Discours préliminaire, et plus tard dans l'Avertissement du t. VII, d'Alembert a énuméré presque tous les noms de ceux qui avaient concouru à l'entreprise : mais, faute de place, on ne saurait ici rappeler que les principaux d'entre ces ouvriers de la première heure. Voltaire s'enrôla des premiers et avec l'ardeur qu'il apportait en toutes choses. Montesquieu promit plus qu'il ne put donner, mais laissa en mourant l'article Goût. Rousseau prit pour sa part la théorie et la pratique de la musique. Daubenton se chargea de l'histoire naturelle, l'abbé Mollet de la théologie, l'abbé Yvon de la métaphysique, de la logique et de morale, Dumarsais de la grammaire, l'abbé de La Chapelle de l'arithmétique et de la géométrie élémentaire, Le Blond des articles de fortification, de tactique et d'art militaire, Coussier de la coupe des pierres, d'Argenville du jardinage et de l'hydraulique, J.-N. Bellin de la marine, J.-B. Le Roy de l'horlogerie et de la description des instruments d'astronomie, Tarin de l'anatomie et de la physiologie, Vandenesse de la pharmacologie, Louis de la chirurgie, Malouin de la chimie, Landois de la peinture, sculpture et gravure, Blondel de l'architecture, Cahusac de la chorégraphie et de la technique théâtrale, etc. 

Mais, fidèles au but qu'ils s'étaient fixé, les directeurs de l'Encyclopédie n'avaient pas un instant perdu de vue que la description des arts mécaniques et la représentation exacte de leur fonctionnement était la partie la plus neuve et la plus essentielle du travail auquel ils s'étaient engagés. Aussi, après les metteurs en oeuvre des matériaux accumulés, viennent les noms de ceux qui les avaient fournis. D'Alembert n'oublie personne, depuis les savants qui s'étaient contentés de fournir des notes ou, comme on disait alors, des « mémoires », tels que le vieux médecin Camille Falconet, le fermier général Dupin, le comte d'Hérouville de Claye, lieutenant général, jusqu'aux industriels et aux ouvriers qui avaient, devant Diderot et ses aides, démonté et remonté leurs métiers, fourni toutes les explications nécessaires et donné des croquis dont Goussier se servait pour dessiner les planches destinées à accompagner chaque description. C'est la première fois que ce légitime hommage était rendu à des travailleurs obscurs, et ce simple détail a, par sa date, une importance capitale. Rétrospectivement, on est tenté de se dire que des temps nouveaux sont proches.

Les incidents (1751-1772). 
Le pouvoir semblait , au début, aussi favorable que le public à ce dictionnaire jugé d'une incontestable utilité. Mais l'Encyclopédie allait mettre vingt ans à paraître après avoir failli, par deux fois, être interdite.

L'affaire de Prades (1752). 
Malgré les précautions qu'on avait prises pour désarmer les Jésuites, ils ne pardonnaient pas à l'Encyclopédie de faire concurrence à leur Dictionnaire de Trévoux. On trouva, au moment où venait de paraître le second volume, le prétexte d'une soutenance de thèse de licence à la Sorbonne de l'abbé de Prades, collaborateur de Diderot, pour obtenir un arrêt du Conseil d'état supprimant les deux premiers tomes (1752). Grâce à l'intervention du comte d'Argenson, l'interdiction fut levée, et  le privilège n'était pas révoqué parce que Malesherbes veillait et le visa de trois censeurs exigé ne fut qu'une formalité. Cinq volumes parurent sans difficulté (III à VII).

L'affaire d'Helvétius (1757-1759). 
Une crise plus grave se préparait.  es événements politiques à l'intérieur (attentat de Damiens) comme à l'extérieur (bataille de Rosbach), avaient surexcité les esprits. Les polémiques s'engagèrent contre l'Encyclopédie à propos de l'article Genève par D'Alembert. Rousseau protestait dans sa Lettre à D'Alembert; les Jésuites étaient scandalisés de trouver dans l'article l'éloge du clergé génevois. Fréron, le rédacteur de l'Année littéraire, maintenu en bride jusque là par Malesherbes, se faisait plus hardi dans ses attaques; un pamphlet de Moreau, Nouveau mémoire pour servir à l'histoire des Cacouacs, ridiculisait les Encyclopédistes. Deux années se passèrent, pendant lesquelles on put croire que l'ouvrage ne serait pas continué. Le prudent D''Alembert, devant toutes ces difficultés, se retira. C'était le commencement, semblait-il, de la déroute. La condamnation au feu du livre l'Esprit, d'Helvétius, bien connu pour ses attaches avec Diderot, fut le signal de poursuites contre l'Encyclopédie. Le Conseil d'Etat supprima les volumes parus et le privilège.

Achèvement de la publication (1759-1772). 
Mais Diderot ne s'avoua pas vaincu. L'Encyclopédie se continua sous le régime de l'autorisation verbale. Le gouvernement craignait que l'Encyclopédie s'imprimât à l'étranger; et les souscripteurs, très nombreux et très influents, réclamaient. Alors on s'avisa d'un de ces stratagèmes  qui tempéraient, sous l'Ancien régime, la rigueur des lois. Il fut convenu que les volumes continueraient à s'imprimer à Paris, mais porteraient sur le titre l'indication de Neufchâtel (comme s'ils étaient imprimés en Suisse), et qu'ils seraient ensuite envoyés en province, d'où ils reviendraient à Paris, avec le timbre du colportage. Grâce à cette fiction, qui ne trompait personne, mais qui, « tournant la loi, la respectait », l'Encyclopédie allait parvenir à son terme. Diderot se hâta d'achever. Les dix derniers tomes parurent en bloc en 1766, les dernières planches seulement en 1772. Elle et se composa ainsi, à la fin, dix-sept volumes de texte, quatre volumes de supplément, et onze volumes de planches.
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L'Encyclopédie  : difficultés et utilité de ce travail 

« Nous croyons sentir tous les avantages d'une entreprise telle que celle dont nous nous occupons. Nous croyons n'avoir eu que trop d'occasions de connaître combien il était difficile de sortir avec quelque succès d'une première tentative, et combien les talents d'un seul homme, quel qu'il fût, étaient au-dessous de ce projet. Nous avions là-dessus, longtemps avant que d'avoir commencé, une partie des lumières, et toute la défiance qu'une longue méditation pouvait inspirer. L'expérience n'a point affaibli ces dispositions; nous avons vu, à mesure que nous travaillions, la matière s'étendre; la nomenclature s'obscurcir; des substances ramenées sous une multitude de noms différents; les instruments, les machines et les manoeuvres se multiplier sans mesure, et les détours nombreux d'un labyrinthe inextricable se compliquer de plus en plus. Nous avons vu combien il en coûtait pour s'assurer que les meures choses étaient les mêmes, et combien pour s'assurer que d'autres, qui paraissaient très différentes, n'étaient pas différentes. Nous avons vu que cette forme alphabétique, qui nous ménageait à chaque instant des repos, qui répandait tant de variété dans le travail, et qui, sous ces points de vue, paraissait si avantageuse à suivre dans un long ouvrage, avait ses difficultés qu'il fallait surmonter à chaque instant. Nous avons vu qu'elle exposait à donner aux articles capitaux une étendue immense, si l'on y faisait entrer tout ce qu'on pouvait assez naturellement espérer d'y trouver; ou à les rendre secs et appauvris, si, à l'aide des renvois, on les élaguait, et si l'on en excluait beaucoup d'objets qu'il n'était pas impossible d'en séparer. Nous avons vu combien il était important et difficile de garder un juste milieu. Nous avons vu combien il échappait de choses inexactes et fausses; combien on en omettait de vraies. Nous avons vu qu'il n'y avait qu'un travail de plusieurs siècles qui prit introduire entre tant de matériaux rassemblés la forme véritable qui leur convenait; donner à chaque partie son étendue, réduire chaque article à une juste longueur; supprimer ce qu'il a de mauvais, suppléer ce qui manque de bon, et finir un ouvrage qui remplit le dessein qu'on avait formé quand on l'entreprit.

Mais nous avons vu que de toutes les difficultés, une des plus considérables, c'était de le produire une fois, quelque informe qu'il fût, et qu'on ne nous ravirait pas l'honneur d'avoir surmonté cet obstacle. Nous avons vu que l'Encyclopédie ne pouvait être que la tentative d'un siècle philosophe; que ce siècle était arrivé; que la renommée, en portant à l'immortalité les noms de ceux qui l'achèveraient, peut-être ne dédaignerait pas de se charger des nôtres, et nous nous sommes sentis ranimés par cette idée si consolante et si douce, qu'on s'entretiendrait aussi de nous, lorsque nous ne serions plus; par ce murmure si voluptueux, qui nous faisait entendre, dans la bouche de quelques-uns de nos contemporains, ce que diraient de nous des hommes à l'instruction et au bonheur desquels nous nous immolions, que nous estimions et que nous aimions, quoiqu'ils ne fussent pas encore. Nous avons senti se développer en nous ce germe d'émulation qui envie au trépas la meilleure partie de nous-mêmes, et ravit au néant les seuls moments de notre existence dont nous soyons réellement flattés. En effet, l'homme se montre à ses contemporains, et se voit tel qu'il est, composé bizarre de qualités sublimes et de faiblesses honteuses. Mais les faiblesses suivent la dépouille mortelle dans le tombeau, et disparaissent avec elle; la même terre les oeuvre, il ne reste que les qualités éternisées dans les monuments qu'il s'est élevés à lui-même, ou qu'il doit à la vénération et à la reconnaissance publiques; honneurs dont la conscience de son propre mérite lui donne une jouissance anticipée; jouissance aussi pure, aussi forte, aussi réelle qu'aucune autre jouissance, et dans laquelle il ne peut y avoir d'imaginaire que les titres sur lesquels on fonde ses prétentions. Les nôtres sont déposés dans cet ouvrage; la postérité les jugera. »
 

(Diderot, L'Encyclopédie, article Encyclopédie, 1755).

La librairie, l'argent et le pouvoir 

Cette victoire définitive était due à l'appui de Malesherbes et de Mme de Pompadour, aux divisions des Jésuites et des Jansénistes qui s'épuisaient en querelles au lieu de se coaliser contre l'ennemi commun, et plus encore peut-être au gros succès de librairie qu'avait remporté l'Encyclopédie. Le prix d'émission était de 280 livres pour dix volumes, dont deux de planches. Il monta à 956 livres pour dix-sept volumes et huit de planches. Dès le tome VII il y avait plus de 3500 souscripteurs. En 1758 Diderot parle de 4000. Il y avait donc de gros intérêts matériels engagés dans l'entreprise et ce fut une des raisons de la tolérance du pouvoir.

D'après le prospectus rédigé par Diderot, l'Encyclopédie ne devait primitivement comporter que dix volumes in-folio, dont deux de planches; mais ce chiffre fut promptement reconnu insuffisant, et le premier tome fut d'ailleurs accueilli avec un tel succès que ni les libraires ni les souscripteurs ne se plaignirent alors des développements nécessaires qu'elle devait prendre. Ce n'était pas toutefois sans peines et sans dangers que l'oeuvre était enfin venue à terme et promettait d'être viable : la détention de Diderot à Vincennes (1749), la suspension provisoire du tome I, les polémiques intéressées, les critiques justifiées ou perfides avaient salué sa naissance et entravé ses premiers pas. Mais elle réussit à conjurer tous les périls jusqu'aux fameux arrêts du 10 octobre 1758, qui prononçait l'examen du septième volume par une commission de théologiens, du 8 mars 1759 qui révoquait le privilège, et du 21 juillet suivant qui prescrivait le remboursement aux souscripteurs des 72 livres qu'ils avaient versées à titre d'avance pour les volumes restant à paraître. En apparence, c'en était fait de l'Encyclopédie, et ses détracteurs poussèrent de retentissants cris de triomphe; mais ils comptaient sans l'énergie de son principal «-entrepreneur » et aussi sans la bienveillance (d'autres diraient la connivence) du directeur général de la librairie, Malesherbes, et du lieutenant de police Sartines, sans la protection secrète, mais efficace de Mme de Pompadour, sans la générosité de Mme Geoffrin. 

Si Malesherbes et Sartines n'avaient pas volontairement fermé les yeux sur l'impression et le tirage des planches qui se poursuivaient dans l'atelier des libraires associés, si Mme de Pompadour n'avait pas obtenu de l'indolence naturelle du roi qu'il n'eut pas égard aux dénonciations parvenues jusqu'à lui, si Mme Geoffrin n'eût pas avancé, plusieurs fois, d'assez fortes sommes pour parer aux dépenses que les souscriptions ne pouvaient plus couvrir, le zèle de Diderot et du chevalier de Jaucourt, son infatigable auxiliaire, se serait heurté à d'insurmontables obstacles. Personne, d'ailleurs, plus que Diderot, ne se rendait mieux compte de tous les disparates que devait présenter une publication de cette importance poursuivie et achevée dans des conditions aussi défavorables. Le jugement qu'il portait sur l'ensemble, précisément au mot Encyclopédie, il le confirmait en termes non moins sévères dans une conversation qu'il eut en 1768 avec Panckouke et d'autres libraires au sujet d'un supplément, dont il refusa d'ailleurs de se charger. Encore n'avouait-il que devant ses amis les plus intimes la véritable cause du mécompte et du découragement que trahissaient ses propos, les mutilations clandestines accomplies par Le Breton ou son prote, sur les épreuves revêtues du dernier bon à tirer. Au dire de Mme de Vandeuil, dont le témoignage a été confirmé en termes presque identiques par Naigeon :

« Il était convaincu que le public voyait comme lui ce qui manquait à chaque article, et l'impossibilité de réparer ce dommage lui donnait encore de l'humeur vingt ans après. »
Grimm, en racontant la stupeur de Diderot et en transcrivant sa véhémente lettre à Le Breton, écrit pour sa part :
« Chose inouïe, je n'ai jamais entendu aucun des auteurs maltraités se plaindre; l'intervalle des années qui s'est écoulé entre la composition et l'impression de leurs articles leur avait sans doute rendu leur ouvrage moins présent, et l'on mit tant d'entraves à la publication des dix volumes que l'édition se trouva vendue aux souscripteurs de province et des pays étrangers avant que les auteurs en eussent pu lire une seule ligne!-» 
Grimm écrivait ceci au mois de janvier 1771. L'impression de l'Encyclopédie était terminée depuis 1765. Diderot semblait avoir le droit de revenir à ses travaux personnels, quand il se trouva mêlé, par son imprudence habituelle, à un procès qui pouvait gravement compromettre son repos. Un homme de lettres qui s'était, de son autorité privée, institué éditeur d'un Cours d'histoire naturelle et de géographie et d'autres livres d'éducation, Luneau de Boisjermain, s'était vu inquiéter par Briasson et Le Breton, syndics de la librairie, en raison de ses publications, contraires aux règlements en vigueur de la corporation. Usant de représailles, il engagea contre eux une longue instance tendant à se faire restituer, à lui et aux autres souscripteurs de l'Encyclopédie, le surplus des souscriptions que les éditeurs de cet ouvrage, légalement supprimé, n'avaient pas remboursé. A ce grief, en apparence fondé, il rattacha mille chicanes de détail et, qui plus est, produisit dans les factums dont il accabla ses adversaires (avec la collaboration de Linguet, au moins pour le premier mémoire), plusieurs lettres où Diderot donnait tort aux libraires. Profitant d'un voyage de Grimm en Angleterre, 
« parce que, dit celui-ci, lorsqu'on veut faire une sottise, il faut savoir s'en cacher de ses amis. » 
Diderot répondit en termes hautains aux dénonciations de Luneau et revendiqua pour lui seul la responsabilité de tous les accroissements de l'Encyclopédie. Bien plus, dans une brochure intitulée Au public et aux magistrats et signée de son nom (1771, in-8), il affirma de nouveau cette responsabilité. Les libraires donnèrent tout au long, à la suite de leur factum, la lettre que Diderot leur avait adressée et que Luneau s'efforça de nouveau de réfuter. Mais la brochure, sans doute sur un conseil officieux, fut supprimée avec tant de soins qu'on n'en connaît présentement qu'un seul exemplaire (à la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg). Après plusieurs années de lutte, Luneau fut définitivement débouté de ses prétentions et condamné aux dépens (juillet 1778).

Une autre accusation qui poursuivit longtemps les libraires et l'éditeur de l'Encyclopédie, fut celle que fomenta et propagea l'architecte Patte, au sujet des planches destinées à accompagner les descriptions d'arts et métiers et copiées, selon lui, sur celles dont l'Académie des sciences avait ordonné l'exécution. Chargée par Colbert de rédiger une série de monographies des diverses sciences et professions manuelles, l'Académie avait quelque peu oublié la tâche assignée par son protecteur; la renommée de l'Encyclopédie naissante vint secouer sa torpeur et les matériaux préparés par Filleau des Billettes (1634-1720) furent confiés à Réaumur dont la mort seule (1756) interrompit le zèle, puis à Duhamel du Monceau et à un grand nombre de collaborateurs recrutés parmi les membres de l'Académie, ses correspondants, ou de simples particuliers. La publication, interrompue par la Révolution, ne fut jamais reprise, malgré les efforts de Camus qui dressa, en 1798, dans les Mémoires de l'Institut naissant, la liste des Arts qui restaient à traiter. Voici, dans l'ordre alphabétique des noms de leurs auteurs, un tableau sommaire des descriptions mises au jour avec la date de leur publication. Toutes sont de format in-folio et ornées de planches plus ou moins nombreuses :

Beauvais-Raseau, Indigotier (1770, 11 pl.). - Bedos de Celles (Dom Fr.), Facteur d'orgues (1766-73, 137 pl.). - Blakey (W.), Ressorts de montres (1780,12 pl.). - Chaulnes (duc de), Instruments de mathématiques (1768), Description d'un microscope (1768, 6 pl.). - Demachy (Jacques-François), Distillateur d'eau-forte (1775, 12 pl.); Distillateur-liquoriste (1773, 12 pl.). - Dudin, Relieur et doreur de livres (1772, 16 pl.). - Duhamel du Monceau (L.-L.), Colles (différentes sortes de) (1771, 3 pl.); Amidon (1775); Pipes à fumer (1771, 11 pl.); Tapis façon de Turquie connus sous le nom de tapis de la Savonnerie (1766, 4 pl.); Etoffes de laine (1766, 5 pl.); Corderie (1764, 8 pl.); Draperie (draps fins) (1765, 15 pl.); Raffineur de sucre (1790, 10 pl.); Fil d'archal (1768, 5 pi.); Cartier (1762, 5 pl.); Chandelier (1761, 3 pi.); Charbonnier (1771); Cirier (1762, 8 pl.); Couvreur (1766, 4 pl.); Potier de terre (1773, 17 pl.); Savonnier (1774, 6 pl.); Serrurier (1767, 42 pl.); Tuilier et briquetier (1760, 10 pl.), avec Fourcroy de Ramecourt et Gallon. - Fougeroux d'Angerville, Criblier (suite du Parcheminier de Lalande) (1772, 2 pl.). - Fougeroux de Bondaroy (Auguste-Denis), Pierre d'ardoise (1762, 4 pl.); Cuirs dorés et argentés (1762, 2 pl.); Coutelier en ouvrages communs (1172, 7 pl.); Tonnelier (1763, 6 pl.). - Fourcroy de Ramecourt (Ch.-Richard), Chaufournier (1766, 15 pl.); Tuilier et briguetier. - Gallon ou Galon, cuivre rouge (1764, 18 pl.). - Garsault (Fr.-Alex.), Bourrelier et sellier (1774, 15 pl.); Cordonnier (1767, 5 pl.); Lingère (1771, 4 pl.); Paumier-raquetier (1767, 5 pl.); Perruquier et baigneur-étuviste (1767, 5 pl.); Tailleur, culottier, couturière et marchande de modes (1769, 16 pl.). - Hulot, Tourneur-mécanicien (1re partie, seule parue) (1775, 44 pl.). - Jars (Gabriel), Brique et tuile de Hollande (fabrication et cuisson) (1767, 1 pl.). - Lagardette (A.-M. de), Plombier-fontainier (1773, 23 pl.). Anonyme. - Lalande (Joseph-Jérôme Le François de), Cartonnier (1763, 30 pl.); Chamoiseur (1763, 4 pl.), Corroyeur (1767, 2 pl.); Maroquinier (1766, 1 pl.); Papier (fabrication du) (1761, 16 pl.); Parcheminier (1762, 5 pl.); Hongroyeur (1766, 1 pl.); Mégissier (1765, 2 pl. ; Tanneur (1764, 3 pl.). - Lemonnier (P.-C.), Instruments d'astronomie (1774). - Le Vieil (P.), Peinture sur verre (1774, 13 pl.). - Lucotte (J.-R.), Maçonnerie (1783,18 pl.). - Macquer (Pierre-Joseph), Teinture en soie (1763, 7 pl.). - Malouin (P.- J.), Meunier, Vermicellier, Boulanger (1767, 6 pl.). - Milly (Nicolas-Christiern de Thy, comte de), Porcelaine (1771, 8 pl.). - Morand (J.-F. -Clément), Charbon de terre (1768-1779, 4 sections et une table des matières suivie d'additions, 72 pl.) - Nollet (l'abbé Jean-Antoine), Chapelier (1775, 6 pl.). - Paulet (de Nîmes), Fabricant d'étoffes de soie (7 sections, 1773-1789, 195 pl.). - Perret  (J.-J.), Coutelier et instruments de chirurgie (1771-1772, deux sections, 122 pl.). - Réaumur (René-Antoine Ferchault de), Fer fondu (nouvel art d'adoucir le) (1762, 15 fig.); Epinglier (avec additions et remarques, par Duhamel du Monceau et Perronnet [1762, 10 pl.]); Ancres (avec additions par Duhamel du Monceau). - Roland de La Platière, Etoffes en laine (deux parties, 1780, 17 pl.) - Romme (Charles) et Chapmann, Voilerie (1781, 9 pl.). - Roubo, Layetier (1782, 7 pl.); Menuisier (3 parties et 4 sections, 1769-1775, 28 pl.).  Saint-Aubin (Ch.-Germain de), Brodeur (1777, 10 pl.). - Salmon (de Chartres), Potier d'étain (1788, 32 pl.).
Toutes ces Descriptions des arts et métiers faites et approuvées par MM. de l'Académie des sciences ont été réimprimées à Neufchâtel (1771-1783, 19 vol. in-4), avec observations et augmentations par J.-E. Bertrand. Les analogies inévitables que l'on pouvait constater entre les planches commandées par l'Académie et celles de l'Encyclopédie ne justifiaient nullement l'accusation de plagiat imaginée par Patte. La plupart avaient été gravées antérieurement au début de la mise au jour des Descriptions et pour un très grand nombre d'arts se trouvaient être plus nombreuses et plus détaillées dans l'Encyclopédie. Aussi Panckouke et divers autres libraires pensèrent-ils faire et firent, en effet, une excellente affaire en rachetant aux libraires associés les planches au prix de 250 000 F. Tout d'abord, Panckouke avait proposé une refonte de l'Encyclopédie, avant même que la première édition de celleci ne fût achevée; mais, dit Grimm avec raison, les souscripteurs ne se souciaient pas de concourir par de nouvelles avances à rendre celle-ci inutile, et Panckouke dut renoncer à son projet. Une réimpression intégrale du texte primitif, accompagnée d'un supplément qui devait se vendre séparément aux possesseurs de la première édition, fut mieux accueillie. 

La distribution en était commencée lorsque l'assemblée du clergé, tenue en 1770, se plaignit de cette tolérance au roi, et les trois premiers volumes furent saisis, transportés à la Bastille, d'où ils ne sortirent qu'en 1777. En même temps, un pasteur de l'Église française de Bâle, Pierre Mouchon, rédigeait une table analytique qui pouvait s'adapter aux diverses éditions françaises de l'Encyclopédie. Un exemplaire, pour être complet, doit donc comporter les dix-sept volumes du texte de Diderot et de ses collaborateurs, quatre volumes de Supplément, onze volumes de planches, dont un afférent au supplément, et deux volumes de tables. L'Encyclopédie a été en outre l'objet de réimpressions multiples, les unes conformes au texte authentique, les autres très modifiées et parfois même entièrement dénaturées. Parmi les premières, on cite celles de Genève et Lucques (1751-1767), avec notes d'Octavien Diodati, de Genève (1777, 39 vol. in-4, dont 3 de pl.); de Lausanneet de Berne (1777-1779, 36 vol. gr. in-8 et 3 vol. de pl. in-4). L'édition donnée par Fortuné-Barthélemy de Felice à Yverdon (1770-1780, 58 vol. in-4) a eu de nombreux collaborateurs dont la dernière édition du Dictionnaire des anonymes de Barbier donne la liste. (Maurice Tourneux).

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