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Réflexions et maximes, de Vauvenargues

Réflexions et maximes est le titre sous lequel Vauvenargues nous a laissé un certain nombre de pensées à la manière de La Rochefoucauld. Les éditions qu'on en a données contiennent aussi plusieurs autres écrits ou fragments de philosophie morale, où l'on entrevoit également ce qu'il y eut de tendresse et d'élévation dans son âme, de distinction et de, gravité dans son esprit. Ce sont : 
1° un Traité sur l'esprit humain, en trois livres, où l'auteur considère successivement l'esprit en lui-même, puis les passions, puis le bien et le mal moral avec les dispositions da l'âme qui produisent l'un et l'autre; oeuvre incomplète et faiblement conçue, mais qui renferme pourtant quelques vues originales et fines;

2° des Réflexions d'une certaine étendue sur divers sujets capricieusement rapprochés de philosophie, de littérature, de morale et de critique; 

3° des Conseils à un jeune homme sur la conduite de la vie; leçons qu'on dirait parfois dictées par un stoïcien, et où Vauvenargues, malheureux jusqu'à son dernier jour, affirmait pourtant, en dépit de ses propres déceptions, que le mérite personnel et le courage finissent par triompher de tout; qu'il faut être d'abord soi-même, si l'on veut s'acquérir les étrangers, et qu'une âme courageuse ne doit demander qu'au travail une destinée digne d'elle; 

4° des Réflexions critiques sur quelques poètes du XVIIe et du XVIIIe siècle, où l'on relèverait aisément, à côté de plusieurs erreurs sur Corneille et sur Molière, et de complaisances inévitables pour le talent tragique de Voltaire, son ami, des jugements d'un bon sens exquis sur La Fontaine, Boileau et Racine; suit une page éloquente sur Bossuet, Pascal et Fénelon, puis une appréciation très solide et très éclairée des Caractères de La Bruyère

5° des Caractères imités de La Bruyère et de Théophraste, parmi lesquels brillé le portrait de cet infortuné Clazomène (entendez Vauvenargues lui-même), "qui a en l'expérience de toutes les misères de l'humanité," mais qui n'eût pas voulu changer sa misère pour la prospérité des hommes faibles, car "si la fortune peut se jouer de la sagesse des gens vertueux, il ne lui appartient pas de faire fléchir leur courage;

6° deux Discours sur la gloire, après laquelle Vauvenargues soupira toute sa vie, suivis d'un troisième sur les plaisirs, où il se montre le censeur sévère des moeurs de son temps; 

7° des Considérations sur le caractère des différents siècles, où sa hardiesse éclairée et libérale défendait contre les attaques légères et dédaigneuses de ses contemporains les moeurs et même les superstitions des temps les plus anciens; puis vient un Discours sur les moeurs du XVIIIe siècle, véritable contrepartie du précédent opuscule, sorte de procès intenté à tous les vices de cette société corrompue, "bassement partagée entre l'intérêt et les plaisirs, et devenue incapable des grandes choses, depuis qu'elle avait appris le mépris de la gloire et de la vertu;"

8° un Discours sur l'inégalité des richesses, où Vauvenargues défendait la providence en disciple de Pascal, de Bossuet et de Fénelon, peut-être plus encore qu'en philosophe.

Le même sentiment profond et sincère, qui avait animé déjà l'Éloge funèbre de cet Hippolyte de Seytres, ravi dès l'âge de 18 ans par la guerre à la tendre amitié de Vauvenargues, a également inspiré la Méditation sur la Foi, la Prière à la Trinité, le Traité sur le libre arbitre, le Discours sur la Liberté, et le morceau intitulé Imitation de Pascal sur la religion chrétienne, sur le stoïcisme, sur les illusions de l'impie et la vanité des philosophes. Enfin, au commencement du XIXe siècle, furent publiés 18 Dialogues des Morts, où l'on sent encore l'influence de Fénelon sur Vauvenargues; agréables imitations qui rappellent, avec moins de force, le bon sens et la simplicité des Dialogues du modèle. Les relations et la Correspondance de Vauvenargues avec Voltaire l'ont fait appeler quelquefois son disciple. Il est vrai qu'il professa toute sa vie une admiration sincère et un tendre attachement pour le premier génie de son temps, qu'il demanda ses avis et les suivit; il est vrai encore qu'il tint du grand apôtre de la tolérance et du chef des libres-penseurs au XVIIIe siècle la haine de la persécution et le doute sur le dogme; mais, du reste, il appartient plutôt au siècle précédent, non seulement par le culte qu'il rendit ouvertement aux génies chrétiens contre lesquels guerroyait Voltaire, mais encore par la pureté, l'élévation et la caractère éminemment spiritualiste de ses pensées. 

Tandis qu'autour de lui la vanité, le scepticisme moqueur et la volupté régnaient à peu près sans partage, il vanta, il prêcha presque la vertu, l'amour de la gloire, la confiance en Dieu et la soumission à la Providence. II écrivit que "les premiers jours du printemps ont moins de grâce que la vertu naissante d'un jeune homme", et que "les premiers feux de l'aurore ne sont pas si doux que les premiers regards de la gloire." Il chercha en Dieu l'espérance et la force pour son âme triste et délaissée. Plus malheureux en cela que Pascal, qui du moins n'eut à lutter que contre sa raison, il eut à défendre les croyances où le portait son coeur, et contre son propre esprit, et contre les mille objections dont l'obsédait son entourage. Ce combat courageux et perpétuel contre le scepticisme, les petites passions, la misère, le découragement et même le désespoir, qui est comme le fonds des Pensées de Vauvenargues, constitue son originalité dans le XVIIIe siècle et son plus beau titre de gloire auprès de la postérité. (A.H.).
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Maximes

« - Le fruit, du travail est le plus doux des plaisirs.

- Pour exécuter de grandes choses, il faut vivre comme si l'on ne devait jamais mourir.

- Nous querellons les malheureux pour nous dispenser de les plaindre.

- Les feux de l'aurore ne sont pas si doux crue les premiers regards de la gloire.

- Ceux qui méprisent l'homme ne sont pas des grands
hommes.

- Les conseils de la vieillesse éclairent sans échauffer, comme le soleil d'hiver.

- Ce n'est pas un grand avantage d'avoir l'esprit vif, si on ne l'a juste. La perfection d'une pendule n'est pas d'aller vite, mais d'être réglée.

- On dit peu de choses solides, lorsqu'on cherche à en dire d'extraordinaires.

- Les grandes pensées viennent du coeur.

- Les grands hommes parlent comme la nature, simplement.

- Il faut avoir de l'âme pour avoir du goût.

- Les premiers jours du printemps ont moins de grâce que la vertu naissante d'un jeune homme.

- On ne s'élève point aux grandes vérités sans enthousiasme; le sang-froid discute et n'invente point. Il faut peut-être autant de feu que de justesse pour faire un véritable philosophe.

- On doit se consoler de n'avoir pas les grands talents, comme on se console de n'avoir pas les grandes places. On peut être au-dessus de l'un et de l'autre par le coeur.

- La servitude avilit l'homme au point de s'en faire aimer.

- La guerre n'est pas si onéreuse que la servitude.

- La solitude est à l'esprit ce que la diète est au corps.

 - C'est un grand signe de médiocrité de louer toujours
modérément.

- La fortune exige des soins. ll faut être souple, amusant, cabaler, n'offenser personne, plaire aux femmes et aux hommes en place, se mêler des plaisirs et des affaires, cacher son secret, savoir s'ennuyer la nuit, à table, et jouer trois quadrilles sans quitter sa chaise : même après tout cela, on n'est sûr de rien. Combien de dégoûts et d'ennuis ne pourrait-on pas s'épargner, si on osait aller à la gloire par le seul mérite!

- Nos plus sûrs protecteurs sont nos talents.

- Si nos amis nous rendent des services, nous pensons qu'à titre d'amis; ils nous les doivent, et nous ne pensons pas du tout qu'ils ne nous doivent pas leur amitié.

- Celui qui serait né pour obéir, obéirait jusque sur le trône.

- Je n'approuve point la maxime qui veut qu'un honnête homme sache un peu de tout. C'est savoir presque toujours inutilement, et quelquefois pernicieusement, que de savoir superficiellement et sans principes. Il est vrai que la plupart des hommes ne sont guère capables de connaître profondément; mais il est vrai aussi que cette science superficielle qu'ils recherchent ne sert qu'à contenter leur vanité. Elle nuit à ceux qui possèdent un vrai génie; car elle les détourne nécessairement de leur objet principal, consume leur application dans des détails et sur des objets étrangers à leurs besoins et à leurs talents naturels; et enfin elle ne sert point, comme ils s'en flattent, à prouver l'étendue de leur esprit. De tout temps on a vu des hommes qui savaient beaucoup avec un esprit très médiocre; et au contraire des esprits très vastes qui savaient fort peu. Ni l'ignorance n'est défaut d'esprit, ni le savoir n'est preuve de génie.

- Le contemplateur, mollement couché dans une chambre tapissée, invective contre le soldat qui passe les nuits de l'hiver au bord d'un fleuve, et veille en silence sous les armes pour la sûreté de sa patrie.

- Ce n'est pas à porter la faim et la misère chez les étrangers qu'un héros attache la gloire, mais à les souffrir pour l'Etat; ce n'est pas à donner la mort, mais à la braver.

- Il est faux que l'égalité soit une loi de la nature. La nature n'a rien fait d'égal. Sa loi souveraine est la subordination et la dépendance.

- Est-il vrai que les qualités dominantes excluent les autres? Qui a plus d'imagination que Bossuet, Montaigne, Descartes, Pascal, tous grands philosophes? Qui a plus de jugement et de sagesse que Racine, Boileau, La Fontaine, Molière, tous poètes pleins de génie?

- Nous sommes trop inattentifs ou trop occupés, de nous-mêmes pour nous approfondir les uns les autres.
Quinconque a vu des masques dans un bal danser amicalement ensemble, et se tenir par la main sans se connaître, pour se quitter le moment d'après, et ne plus se voir, ni se regretter, peut se faire une idée du monde.

- La clarté est la bonne foi des philosophes.

- Un versificateur ne connaît point de juge compétent de ses écrits; si on ne fait pas de vers, on ne s'y connaît pas; si on en fait, on est son rival. »
 

(Vauvenargues, Réflexions et maximes, 1746).

 
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