| Alzire est une tragédie de Voltaire, en cinq actes et en vers, représentée pour la premiere fois le 27 janvier 1736. Montèze, roi d'une partie du Potoze, et sa fille Alzire, sont tombés, avec un grand nombre d'Américains, au pouvoir de Guzman, gouverneur du Pérou. Guzman aime sa captive Alzire, qui s'est convertie au christianisme, ainsi que Montèze. Alzire, fiancée autrefois à un chef américain qu'elle croit mort, hésite néanmoins à se rendre aux voeux de Guzman; elle cède enfin aux prières de son père et d'Alvarès, père de Guzman. A peine est-elle unie au vainqueur de sa patrie, qu'elle retrouve son premier fiancé, Zamore, qui était resté confondu dans la foule des prisonniers. Zamore avait juré de se venger de Guzman, alors qu'il n'avait à lui reprocher que les injustes rigueurs d'un vainqueur impitoyable; sa fureur est sans bornes quand il apprend que ce Guzman qui lui a tout enlevé, puissance, richesses, liberté, vient encore de lui ravir celle qu'il aime et dont il est aimé. En vain Alzire lui donne les moyens de fuir; comme elle refuse de partir avec lui, Zamore, à la faveur d'un déguisement, parvient jusqu'à Guzman et le frappe d'un coup mortel. Il attend, calme et fier, le châtiment de son crime : Guzman, avant d'expirer, lui pardonne et lui rend Alzire. - Le pardon de Gusman [La scène se passe au Pérou, au XVIe siècle. Gusman, gouverneur, fils d'Alvarez, auquel il succède, fait sentir despotiquement son autorité. Il aime et il épouse la Péruvienne Alzire, fiancée à Zamore, roi du Potose, et fille du cacique Montèze. Zamore, emprisonné, s'échappe, et frappe mortellement son rival, Gusman, que l'on amène expirant sur la scène. On croit que celui-ci exigera le supplice immédiat de Zamore. Mais, par un effort généreux de charité chrétienne, il pardonne.] « ALVAREZ, GUSMAN, MONTÈZE, ZAMORE, ALZIRE AMÉRCAINS, SOLDATS ZAMORE Cruels! sauvez Alzire, et pressez moon supplice! ALZIRE Non, qu'une affreuse mort tous trois nous réunisse. ALVAREZ Mon fils mourant, mon fils, ô comble de douleur! ZAMORE, à Gusman. Tu veux donc jusqu'au bout consommer ta fureur! Viens, vois couler mon sang, puisque tu vis encore; Viens apprendre à mourir en regardant Zamore. GUSMAN, à Zamore. Il est d'autres vertus que je veux t'enseigner : Je dois un autre exemple, et je viens le donner. (A Alvarez). Le ciel, qui veut ma mort, et qui l'a suspendue, Mon père, en ce moment m'amène à votre vue. Mon âme fugitive, et prête à me quitter, S'arrête devant vous... mais pour vous imiter. Je meurs; le voile tombe; un nouveau jour m'éclaire Je ne me suis connu qu'au bout de ma carrière; J'ai fait, jusqu'au moment qui me plonge au cercueil, Gémir l'humanité du poids de mon orgueil. Le ciel venge la terre : il est juste; et ma vie Ne peut payer le sang dont ma main s'est rougie. Le bonheur m'aveugla, la mort m'a détrompé. Je pardonne à la main par qui Dieu m'a frappé. J'étais maître en ces lieux, seul j'y commande encore; Seul je puis faire grâce, et la fais à Zamore. Vis, superbe ennemi, sois libre, et te souviens Quel fut, et le devoir, et la mort d'un chrétien. (A Montèze, qui se jette à ses pieds). Montèze, Américains, qui fûtes mes victimes, Songez que ma clémence a surpassa mes crimes. Instruisez l'Amérique; apprenez à ses rois Que les chrétiens sont nés pour leur donner des lois. (A Zamore). Des dieux que nous servons connais la différence Les tiens t'ont commandé le meurtre et la vengeance; Et le mien, quand ton bras vient de m'assassiner, M'ordonne de te plaindre et de te pardonner. ALVAREZ Ah! mon fils, tes vertus égalent ton courage. ALZIRE Quel changement, grand Dieu! quel étonnant langage! ZAMORE Quoi! tu veux me forcer moi-même au repentir! GUSMAN Je veux plus, je te veux forcer à me chérir. Alzire n'a vécu que trop infortunée, Et par mes cruautés, et par mon hyménée Que ma mourante main la remette en tes bras. Vivez sans me haïr, gouvernez vos États; Et, de vos murs détruits rétablissant la gloire, De mon nom, s'il se peut, bénissez la mémoire. (A Alvarez). Daignez servir de père à ces époux heureux Que du ciel, par vos soins, le jour luise sur eux. Aux clartés des chrétiens si son âme est, ouverte, Zamore est votre fils, et répare ma perte. ZAMORE Je demeure immobile, égaré, confondu. Quoi donc! les vrais chrétiens auraient tant de vertu! Ah! la loi qui t'oblige à cet effort suprême, Je commence à le croire, est la loi d'un Dieu même. J'ai connu l'amitié, la constance, la foi; Mais tant de grandeur d'âme est au-dessus de moi; Tant de vertu m'accable, et son charme m'attire. Honteux d'être vengé, je t'aime et je t'admire. (Il se jette à ses pieds). ALZIRE Seigneur, en rougissant je tombe à vos genoux. Alzire, en ce moment, voudrait mourir pour vous. Entre Zamore et vous mon âme déchirée Succombe au repentir dont elle est dévorée. Je me sens trop coupable; et mes tristes erreurs... GUSMAN Tout vous est pardonné, puisque je vois vos pleurs. Pour la dernière fois approchez-vous, mon père! Vivez longtemps heureux; qu'Alzire vous soit chère! Zamore, sois chrétien! je suis content; je meurs. ALVAREZ, à Montèze. Je vois le doigt de Dieu marqué dans nos malheurs. Mon coeur désespéré se soumet, s'abandonne Aux volontés d'un Dieu qui frappe et qui pardonne. » (Voltaire, Alzire, acte V, scène 7). | Dans Alzire, Voltaire s'est proposé de mettre en contraste les vertus nobles, mais sauvages et impétueuses de l'homme de la nature, et ses vertus perfectionnées par le christianisme et la civilisation; les premières sont le partage de Zamore, les secondes brillent dans Alvarès et jettent aussi quelques éclairs dans l'âme de Guzman mourant, et ramené aux vrais sentiments chrétiens. Voltaire a voulu donner de l'éclat au style d'Alzire et y imprimer comme un reflet du soleil des tropiques. Son oeuvre est remplie de beautés qui tiennent au fond plus encore qu'à la forme. Presque toutes les situations atteignent les dernières limites du tragique, et les vers sont partout à la hauteur des passions. Alvares vient annoncer à Zamore qu'il a obtenu de son fils la liberté des captifs américains. Zamore s'étonne, et quand Alvarès lui donne pour motifs de sa douceur Dieu et sa religion, il s'écrie : Dieu! la religion! Quoi ces tyrans cruels, Monstres désaltérés dans le sang des mortels, Qui dépeuplent la terre et dont la barbarie En vaste solitude a changé ma patrie, Dont l'infâme avarice est la suprême loi, Mon père, ils n'ont donc pas le même Dieu que toi? Et plus loin : Tu parais Espagnol et tu sais pardonner! Zamore doit périr; il ne lui reste qu'un moyen d'échapper au supplice, c'est de se faire chrétien. Alvarès et Alzire s'unissent pour le persuader. Toutefois, Alzire, qui ne veut de son amant qu'une conversion sincère, et non pas une abjuration intéressée, ajoute : Mais renoncer aux dieux que l'on croit dans son coeur, C'est le crime d'un lâche et non pas une erreur; C'est trahir à la fois, sous un masque hypocrite, Et le dieu qu'on préféra et le dieu que l'on quitte. Zamore n'hésitera plus à se faire chrétien quand il entendra son rival, qu'il a frappé, lui dire en mourant : Des dieux que nous servons connais la différence Les tiens t'ont commandé le meurtre et la vengeance; Et le mien, quand ton bras vient de m'assassiner, M'ordonne de te plaindre et de te pardonner. C'est, mise en beaux vers, la réponse du duc de Guise au huguenot qui venait d'attenter à sa vie. Les critiques n'ont pas manqué de remarquer dans Alzire quelques fautes de composition et quelques invraisemblances, mais les situations sont si fortes et si attachantes que l'on ne songe guère à examiner comment elles sont amenées. C'est ce que Gresset a bien exprimé dans ces vers sur la tragédie d'Alzire : Aux règles, m'a-t-on dit, la pièce est peu fidèle! Si mon esprit contre elle a des objections, Mon coeur a des larmes pour elle Le coeur décide mieux que les réflexions. " Nous croyons, avec beaucoup de gens de lettres, dit La Harpe, que cette tragédie, qui n'est pas au théâtre d'un aussi grand effet que Zaïre, est d'une création bien plus élevée et bien plus difficile. Les caractères originaux et contrastés de Zamore, d'Alvarès, et d'Alzire, les éclairs de génie qui brillent à tout moment dans les détails et les difficultés vaincues, tout nous fait regarder cet ouvrage comme le chef-d'oeuvre de l'auteur." Lorsque La Harpe formulait ce jugement, Voltaire n'avait pas encore donné Mérope. Mais Alzire n'en compte pas moins parmi les chefs-d'oeuvre de Voltaire. Après la première représentation, quelques envieux, firent courir le bruit qu'Alzire n'était pas son ouvrage. " Je le souhaiterais, dit un homme d'esprit, car nous aurions alors deux bons poètes au lieu d'un." (PL). | |