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L'histoire du commerce
Le commerce de l'Afrique

Depuis les temps les plus anciens, le commerce structure la vie des sociétés africaines, façonne les routes et les villes, et relie les populations par des flux de biens, d'idées et de technologies. Dans la vallée du Nil, les Égyptiens commercent dès le quatrième millénaire avant notre ère avec les habitants de la Nubie, de la mer Rouge et du Levant. L'or, l'ivoire, l'ébène, les plumes d'autruche et les esclaves viennent du sud, tandis que le lin, les céréales et les objets manufacturés descendent le fleuve. Les expéditions vers le pays de Pount, sans doute situé sur la côte somalienne, rapportent encens, myrrhe, animaux exotiques et bois précieux. Ce commerce fluvial et maritime fait de l'Égypte un centre d'échanges entre l'Afrique intérieure et le Proche-Orient.

À l'ouest du continent, les populations du Sahara connaissent encore un environnement plus humide que dans les époques suivantes. Des pasteurs et des agriculteurs échangent bétail, sel et pierres du désert contre produits des savanes. Le commerce transsaharien n'est pas encore organisé, mais les routes naturelles commencent à se dessiner. Les populations du Niger supérieur et du lac Tchad échangent poteries, outils et métaux. Le cuivre extrait du Hoggar ou du Tibesti circule sur de longues distances, indiquant des réseaux denses de troc et de mobilité.

Sur les côtes du golfe de Guinée, les échanges restent principalement locaux. Les villages échangent produits agricoles, huile de palme, noix de kola, sel et objets en fer. Les routes fluviales servent de canaux d'échange bien avant que ne se forment les grands royaumes historiques. Les techniques de métallurgie du fer, apparues très tôt dans certaines régions du Nigeria ou du Cameroun, donnent naissance à des objets recherchés qui deviennent à la fois outils de travail et monnaies de prestige.

Dans la corne de l'Afrique, les populations du royaume de Damat (D'mt), installé sur les hauts plateaux éthiopiens et érythréens, commercent avec l'Arabie du Sud. Des ports comme Adulis exportent or, ivoire, encens et bétail, tandis que les marchands arabiques apportent perles, tissus et poteries. Les échanges à travers la mer Rouge forment une économie cosmopolite où les influences africaines et orientales se mélangent.

En Afrique australe, les sociétés de chasseurs-cueilleurs et de premiers agriculteurs échangent coquillages, pigments, pierres et produits alimentaires sur des réseaux régionaux. L'échelle des échanges y reste limitée, mais la circulation des biens montre une connaissance fine du territoire et une organisation sociale souple.

Tout au long de ces millénaires, l'or, l'ivoire et le sel deviennent des biens stratégiques. L'or circule depuis les zones aurifères du Sahara méridional et du Sahel vers le nord, où il alimente les économies méditerranéennes. Le sel, essentiel à la conservation des aliments, descend vers les savanes. L'ivoire, symbole de prestige, voyage jusqu'en Égypte et même au-delà de la Méditerranée. Ainsi, bien avant l'ère romaine, le continent africain n'est pas isolé. Il est traversé par des flux d'échanges constants, à la fois internes et extérieurs. Les routes commerciales préparent la naissance de royaumes et d'empires futurs. 

Au début du premier siècle de notre ère, l'Afrique est déjà profondément intégrée à plusieurs circuits commerciaux. Le continent devient une mosaïque d'échanges reliant la Méditerranée, le Sahara, les savanes, les forêts équatoriales et les côtes de l'océan Indien. Au nord, les ports d'Égypte et de Cyrénaïque participent au commerce méditerranéen sous domination romaine. Alexandrie sert d'entrepôt majeur où arrivent les produits africains : blé, papyrus, or, ivoire, animaux exotiques, parfums, plumes d'autruche. Les navires romains et arabes longent la mer Rouge jusqu'à l'Arabie et l'Inde, formant une route commerciale qui relie l'Afrique orientale à l'Asie. Dans les marchés de Bérénice et de Myos Hormos, les marchands échangent vin, verrerie, tissus et monnaies contre encens, épices, pierres précieuses et esclaves.

Au sud de l'Égypte, la Nubie, puis le royaume de Méroé, jouent le rôle d'intermédiaires entre le monde méditerranéen et l'Afrique intérieure. Les caravanes y apportent fer, or, ivoire et bétail. La métallurgie du fer y connaît un grand développement, et les produits méroïtiques circulent vers la mer Rouge et vers le Nil. Quand Méroé décline, au IVe siècle, la région passe sous l'influence des royaumes nubiens chrétiens, qui continuent à commercer avec Byzance et l'Éthiopie.

Sur les hauts plateaux de la corne de l'Afrique, le royaume d'Aksoum devient, entre le Ier et le VIIe siècle, l'un des grands carrefours du commerce mondial. Ses ports, notamment Adulis, reçoivent les navires venus d'Inde, d'Arabie et d'Égypte. L'or, l'ivoire, le fer et les esclaves partent vers l'Orient; en retour arrivent soieries, épices, verreries et vins. Aksoum frappe sa propre monnaie en or et en argent, signe d'un commerce organisé et international. Lorsque les routes maritimes passent sous contrôle musulman après le VIIe siècle, Aksoum décline, mais la tradition marchande se maintient dans la région éthiopienne.

Les routes transsahariennes se structurent entre le IIIe et le IXe siècle. Des caravanes de dromadaires relient les oasis du Fezzan, de Ghadamès et de Touat aux marchés du Sahel. Le sel des mines de Taghaza et de Bilma descend vers le sud, tandis que l'or, l'ivoire et les esclaves montent vers le nord. Ces échanges font naître des villes marchandes et des cultures métissées dans le désert. Les Berbères jouent un rôle essentiel d'intermédiaires entre les marchands arabes et les royaumes africains.

Dans le Sahel, le commerce du Sahara donne naissance à de puissants États. Le Ghana, dès le VIIIe siècle, contrôle le commerce de l'or et impose des taxes sur les marchandises traversant son territoire. Les villes de Koumbi Saleh et d'Awdaghost prospèrent. Plus à l'est, le Kanem, autour du lac Tchad, commerce avec la Libye et l'Égypte. Au XIIIe siècle, le Mali remplace le Ghana et devient le coeur du commerce ouest-africain. L'or du Bambouk et du Bouré, l'ivoire et les esclaves alimentent les marchés de Tombouctou, Gao et Djenné. Les caravanes transsahariennes font de ces villes des centres intellectuels et économiques. Les souverains, comme Mansa Moussa, utilisent la richesse du commerce pour construire des mosquées, attirer des savants et consolider leur aura.

Sur la côte orientale, les échanges se développent avec l'océan Indien. Les marchands arabes, persans et indiens établissent des comptoirs à Mogadiscio, Mombasa, Kilwa, Sofala et Zanzibar. Les Swahilis, nés de la rencontre entre populations bantoues et commerçants musulmans, créent une culture urbaine et maritime prospère. Les produits de l'intérieur (or, ivoire, fer, esclaves) partent vers l'Arabie, la Perse et l'Inde. En retour arrivent tissus, céramiques, verroteries et épices. Les villes swahilies deviennent des cités-États commerçantes, reliées entre elles par les vents de mousson.

À l'intérieur du continent, le commerce se maintient sur les fleuves et les pistes. Le long du Niger, des marchés saisonniers rassemblent les paysans, les artisans et les marchands. En Afrique centrale, les échanges se font en cercles locaux : sel, poisson séché, cuivre et tissus de raphia circulent entre villages et chefferies. Plus au sud, dans la région du Zimbabwe, les mines d'or alimentent le commerce de Sofala, tandis que le Grand Zimbabwe, entre le XIe et le XVe siècle, devient un centre de pouvoir et d'échanges. Des objets d'origine chinoise, indienne et persane y témoignent de la portée du commerce.

À la fin du XIVe siècle, les échanges africains, denses et structurés, restent d'abord dominés par des réseaux internes millénaires et par des liaisons transsahariennes et indo-océaniques déjà anciennes, mais les rythmes et les partenaires vont très vite évoluer fortement sous l'effet des contacts européens et des transformations politiques internes. Sur la côte atlantique de l'Afrique de l'Ouest, les royaumes et chefferies contrôlent des comptoirs et des marchés où circulent l'or, le sel, le tissu, le bétail et les esclaves; ces flux s'intensifient graduellement lorsque les marins portugais et d'autres navigateurs européens accroissent leur présence le long des côtes à partir du XVe siècle, recherchant l'or du Ghana et les produits de la côte. Les forts et entrepôts européens se multiplient : Elmina, Fort James, Luanda et d'autres points forment des étapes fixes où se concentre l'échange entre marchands africains et navires européens. Les élites africaines tirent parti de ces comptoirs pour imposer des taxes, négocier des armes à feu et obtenir des biens de prestige, et de nombreux agents locaux structurent désormais leurs stratégies politiques autour de l'accès aux navires étrangers.

À l'intérieur, les routes transsahariennes conservent leur importance pour l'or, le sel, les esclaves et les produits artisanaux; les centres sahéliens et sahariens (Gao, Kano, Tombouctou) continuent de relier le Sahel aux marchés du Maghreb et de la Méditerranée. Le commerce transsaharien, longtemps dominé par des caravanes de dromadaires, subit toutefois la concurrence croissante des flux maritimes atlantiques : les marchandises et, surtout, les personnes acheminées vers l'Atlantique alimentent désormais des circuits plus directs avec l'Europe et les Amériques.

Sur la côte orientale, les cités swahilies se maintiennent comme plaques tournantes du commerce indo-océanique : Mogadiscio, Mombasa, Kilwa, Sofala et plus tard Zanzibar accueillent des dhows arabes, persans et indiens et exportent or, ivoire, esclaves, peaux et métaux depuis l'intérieur vers l'Arabie, la Perse et l'Inde. L'arrivée des Européens dans l'océan Indien à la fin du XVe siècle, après l'expédition de Vasco da Gama en 1498, modifie les équilibres : les Portugais tentent d'imposer des monopoles, prennent des places fortes et perturbent temporairement les routes traditionnelles, mais la domination portugaise décline devant la résistance et l'adaptation des marchands arabes et swahilis, puis devant la montée en puissance des intérêts néerlandais et britanniques. Au XIXe siècle, la présence omanaise sur la côte orientale, centrée sur Zanzibar après le transfert de la résidence du sultan vers l'île, fait de cet archipel un centre majeur d'échanges et de plantations (clous de girofle) alimentées par une main d'œuvre servile et par la mise en réseau des marchés intérieurs de l'Afrique orientale.

Politiquement, les transformations des États africains influencent profondément le commerce. Les empires et royaumes saheliens qui dominent aux XVe-XVIe siècles (notamment l'empire songhaï)) favorisent l'essor des échanges transsahariens et fluviaux; la prise de Tombouctou et la prospérité de Gao reposent sur le contrôle des pistes et des marchés. La défaite de Songhaï face aux expéditions marocaines en 1591 affaiblit durablement cet empire et réoriente certains trafics. À l'Ouest, la montée des États centraux et des confédérations (le Dahomey, le royaume d'Oyo, l'Asante, le royaume du Bénin, les États yoruba et les chefferies du Golfe de Guinée) s'appuie souvent sur le commerce d'esclaves vers les plantations atlantiques; ces puissances consolident leur économie politique grâce aux revenus tirés du commerce extérieur et à l'accès aux armes. L'Asante, en particulier, construit un réseau d'échanges d'or et d'esclaves qui le place au centre de l'économie du golfe de Guinée à partir du XVIIe siècle. Dans l'arrière-pays soudano-sahélien, des entités comme Bornou, Kanem et, plus tard, les émirats issus des réformes religieuses et jihads accroissent le commerce de bétail, de chevaux, de textiles et d'esclaves. Au début du XIXe siècle, les révoltes et mouvements religieux (notamment la fulaniya qui conduit à la création du califat de Sokoto (1804)) recomposent les réseaux marchands, islamisent davantage le commerce et modifient la hiérarchie politique des marchés régionaux.

La traite atlantique s'accélère entre les XVe et XIXe siècles et devient le facteur extérieur le plus déterminant des économies africaines côtières. Des millions d'Africains partent vers les Amériques ; la demande européenne pour la main-d'oeuvre engendre une économie de capture, d'échange et d'exportation humaine qui transforme les techniques de guerre, les alliances politiques et la démographie. Les Européens et leurs sociétés marchandes préfèrent la main-d'oeuvre africaine pour les plantations du Nouveau Monde, mais ils importent aussi l'or, l'ivoire et des produits tropicaux. Les monnaies d'échange varient : du tissu indien, des perles et des bracelets de cuivre (manillas) aux armes à feu et à la poudre, en passant par des coquilles comme le cauris, qui circulent comme monnaie d'échange régionale. Les chefs et les intermédiaires locaux adaptent leurs systèmes fiscaux et leurs institutions commerciales pour tirer profit de l'accès aux navires européens.

La pénétration européenne prend, au XIXe siècle, des formes nouvelles : la marine britannique engage une politique de surveillance et de répression de la traite transatlantique après l'abolition de la traite en 1807 et de l'esclavage dans l'Empire britannique en 1833 ; la Royal Navy intercepte des navires négriers et impose des accords, modifiant certains flux et poussant le commerce illicite vers d'autres axes. Les proportions de la traite déclinent progressivement, tandis que les échanges dits « légitimes » se développent : huile de palme, arachide, coton, gomme arabique, cire d'abeille, ivoire, peaux, bois et, à partir du milieu du XIXe siècle, caoutchouc et métaux précieux circulent massivement vers l'Europe pour alimenter l'industrie et la consommation. Les économies côtières se réorientent : les marchands européens et afro-européens investissent dans le commerce de ces produits, ouvrent des comptoirs, fondent des compagnies et signent des traités de protection ou d'exclusivité avec des autorités locales.

Les innovations techniques modifient les logistiques : l'introduction des armes à feu dès le XVIe siècle change l'équilibre des forces militaires et donc celui des négociations commerciales; au XIXe siècle, l'apparition des vapeurs permet une navigation régulière le long des côtes et sur certains fleuves, favorise l'acheminement des marchandises et facilite l'intervention militaire et diplomatique européenne. Les réseaux fluviaux (Niger, Sénégal, Congo, Zambèze) deviennent des axes stratégiques où s'installent postes de traite et missions commerciales; mais la pénétration de l'intérieur reste coûteuse et dépend largement d'alliances locales, de traités et d'entrepreneurs privés.

En Afrique centrale et australe, le commerce d'ivoire et, progressivement, celui du caoutchouc préparent le basculement économique vers une exploitation plus intensive des ressources naturelles. Les commerçants afro-européens et africains lient les producteurs locaux de l'intérieur aux marchés côtiers; les chefferies riveraines tirent leurs revenus de l'intermédiation et voient leur pouvoir augmenter tant qu'elles contrôlent le flux des caravanes et des porteurs. Au sud, la présence portugaise le long de la côte mozambicaine perdure, mais les intérêts britanniques et néerlandais (via le Cap) modifient l'équilibre régional; la fondation de postes coloniaux européens et l'essor des fermes commerciales européennes perturbent les circuits traditionnels. Les bouleversements connus sous le nom de mfecane/ difaqane (déplacements et guerres au début du XIXe siècle) redessinent des zones entières d'échange et de peuplement, et des entités comme le royaume zoulou imposent de nouvelles contraintes et débouchés commerciaux, notamment pour l'élevage et le bétail.

Les mouvements abolitionnistes européens, les lois nationales contre la traite et la pression diplomatique conduisent, au cours du XIXe siècle, à une reconfiguration des relations commerciales : les puissances occidentales cherchent des « produits légitimes » pour remplacer la traite et encouragent la transformation des économies locales en fournisseurs de matières premières industrielles. Le commerce devient de plus en plus intégré au capitalisme mondial : compagnies, banques et agents marchands européens organisent la collecte d'huile de palme, de gomme et d'autres ressources, imposent souvent des prix, des avances et des monopoles, et développent des infrastructures portuaires et ferroviaires naissantes qui favorisent l'exportation. Cette intégration produit des dépendances économiques nouvelles et modifie les rapports de force entre producteurs africains et acheteurs étrangers.

Les puissances africaines conservent néanmoins une marge d'autonomie : nombreux sont les royaumes qui négocient, signent des traités de protectorat ou entretiennent des relations commerciales souples avec plusieurs partenaires européens et arabes. Les traités, les ambassades commerciales et les consulats se multiplient; les territoires africains sont en grande partie gérés par des élites locales qui gouvernementent le commerce et la fiscalité. Toutefois, la pénétration économique et la cartographie progressive de l'intérieur par les explorateurs européens, combinées aux nouvelles demandes industrielles, créent une situation où l'intervention politique directe devient à la fois plus facile et plus rentable pour les puissances étrangères. 

En 1884, la conférence de Berlin formalise la division du continent entre puissances européennes et le commerce africain entre dans une phase d'organisation impériale. Les frontières tracées par les puissances coloniales reconfigurent les anciens flux : les réseaux transsahariens et les liaisons indo-océaniques persistent mais sont de plus en plus encadrés par des compagnies concessionnaires, des administrations coloniales et des routes conçues pour extraire des ressources vers l'Europe. Les territoires coloniaux deviennent d'abord des gisements à exploiter (mines d'or et de cuivre, plantations d'huile de palme, caoutchouc, café, coton, caisson de bois tropicaux ) et les ports se spécialisent dans l'exportation de matières premières vers les métropoles.

La politique économique coloniale met en place des instruments puissants : impôts, taxes et corvées obligent les populations à produire du numéraire ou à fournir de la main-d'oeuvre. De vastes concessions concédées à des sociétés privées, comme dans le bassin du Congo, organisent la récolte de caoutchouc et d'ivoire selon des méthodes qui entraînent violences, dépeuplement et réorganisation sociale. Les administrations coloniales investissent dans des infrastructures ciblées (chemins de fer vers les mines, routes vers les plantations, ports profonds) qui lient l'arrière-pays aux façades maritimes européennes plutôt qu'entre régions africaines. Les marchands africains et métis s'adaptent : certains se spécialisent dans l'intermédiation entre producteurs locaux et acheteurs européens, d'autres créent des réseaux de commerce urbain qui prospèrent dans les nouvelles villes portuaires.

Pendant la Première Guerre mondiale, les colonies fournissent hommes, denrées et matières premières aux puissances belligérantes; la mobilisation accroît les prélèvements et intensifie les cultures commerciales. Après la guerre, le système des mandats et protectorats réorganise certains territoires, tandis que la demande mondiale pour certaines matières premières augmente, puis chute lors de la grande dépression des années 1930. La baisse des prix agricoles et miniers fragilise les économies coloniales, pousse les administrations à restreindre les importations et stimule des mouvements de protestation et syndicalisation parmi les travailleurs urbains et ruraux.

La Seconde Guerre mondiale accentue la centralité économique de l'Afrique : les routes maritimes et les ressources stratégiques sont vitales, et l'effort de guerre accélère l'industrialisation légère dans certains ports et villes. Après 1945, la reconstruction européenne crée de nouvelles opportunités d'exportation, mais les élites africaines réclament aussi l'indépendance. Les marchés se restructurent : les colons et métropoles tentent de maintenir des monopoles commerciaux, tandis que des mouvements nationalistes cherchent à renverser l'ordre économique hérité.

Les années 1950 et 1960 marquent la grande vague de décolonisation. L'indépendance économique des nouveaux États n'annule pas les héritages coloniaux : la plupart héritent d'économies mono-exportatrices, d'infrastructures orientées vers les métropoles et d'une classe marchande souvent liée aux anciens colonisateurs. Certains États (à l'image du Ghana indépendant en 1957 ou de l'Algérie en 1962 après une longue guerre) nationalisent des secteurs clés pour contrôler les recettes d'exportation et financer le développement. Plusieurs gouvernements adoptent des politiques d'industrialisation par substitution aux importations, créent des entreprises publiques et protègent les industries naissantes. Les marchés urbains se développent, le commerce informel s'étend et des élites entrepreneuriales nationales émergent, mais la dépendance aux prix internationaux des matières premières reste forte.

La guerre froide insère l'Afrique dans des logiques de patronage idéologique et commerciale : URSS, Chine, États-Unis et puissances européennes fournissent capitaux, technologies et marchés en échange d'alliances politiques. Ces aides provoquent parfois des distorsions économiques et encouragent la militarisation de certains États. Les années 1970 voient des chocs majeurs : la révolution pétrolière, l'essor des exportations d'hydrocarbures en Algérie, au Nigeria, en Libye et plus tard en Angola transforme la cartographie des revenus d'exportation; les rentrées pétrolières financent des projets d'État mais alimentent aussi la corruption et les inégalités. L'augmentation des prix du pétrole profite à certains États mais pénalise d'autres qui voient s'effondrer les termes de l'échange si les prix des produits agricoles déclinent.

La fin des années 1970 et les années 1980 enregistrent la montée d'un endettement extérieur massif pour de nombreux pays africains : emprunts pour financer développement et infrastructures, puis chute des prix des matières premières et hausse des taux d'intérêt international plongent plusieurs économies dans la crise de la dette. Les institutions financières internationales imposent des programmes d'ajustement structurel qui libéralisent les économies, réduisent les dépenses publiques, privatisent des entreprises nationales et ouvrent les marchés. Ces réformes transforment le commerce : les barrières tarifaires tombent, les entreprises privées locales et étrangères cherchent de nouvelles opportunités, mais les services publics se fragilisent et la capacité industrielle reste limitée.

Parallèlement, des conflits internes (guerres civiles en Angola, Mozambique, Éthiopie, Somalie, au Rwanda et au Soudan) perturbent profondément les circuits commerciaux régionaux, détruisent infrastructures et marchés, et provoquent déplacements massifs de population qui redéfinissent les logiques du commerce informel et transfrontalier. L'Afrique australe vit sous le poids des sanctions internationales contre l'apartheid 'sud-africain et des politiques de sécurité régionale qui modifient les corridors d'exportation pour certains États enclavés.

Les initiatives régionales se multiplient : la création de l'Organisation de l'unité africaine en 1963 encourage la coopération politique et économique, et des blocs comme la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Ecowas, 1975) tentent de promouvoir l'intégration commerciale, la libre circulation et des marchés régionaux. Sur le terrain, le commerce de rue, les marchés transfrontaliers et les réseaux diasporiques continuent d'assurer la distribution des biens essentiels et des produits manufacturés bon marché, tandis que le commerce officiel reste dominé par les matières premières.

A partir des années 1990, l'Afrique entre dans une nouvelle phase où les traces de l'héritage colonial, les politiques d'ajustement structurel et la mondialisation redessinent les lignes du commerce : les États abandonnent souvent les monopoles d'État, ouvrent des secteurs aux investisseurs étrangers et cherchent à attirer des capitaux pour exploiter ressources et infrastructures, tandis que les petites entreprises et le commerce informel occupent une large part des échanges quotidiens.

La libéralisation favorise la privatisation des ports, des sociétés d'exportation et parfois des chemins de fer; elle expose les économies africaines aux prix mondiaux et à la concurrence, ce qui met fin à certaines rentes protégées mais accroît la vulnérabilité des producteurs de matières premières. Les marchés urbains et transfrontaliers se densifient : commerçants, transporteurs et réseaux diasporiques organisent des flux de biens manufacturés à bas coût importés d'Asie, des denrées alimentaires régionales et des produits artisanaux, et le commerce informel devient un amortisseur essentiel des chocs économiques.

Une seconde grande phase commence au début des années 2000, avec la forte demande mondiale de matières premières : métaux, minerais, pétrole et produits agricoles connaissent une hausse soutenue des prix entre 2003 et 2014, qui alimente une croissance rapide dans les pays exportateurs, mais crée aussi des effets pervers (dépendance, faiblesse de l'industrialisation locale et volatilité fiscale) illustrant le dilemme classique de la « malédiction des ressources ». 

Parallèlement, la relation commerciale avec la Chine se transforme profondément : la Chine devient un partenaire majeur, absorbant une part croissante des exportations africaines de matières premières et fournissant des importations manufacturières, des investissements d'infrastructures et des prêts. Ce basculement redéfinit des corridors logistiques (ports, routes, chemins de fer) et crée des chaînes d'approvisionnement nouvelles, tout en soulevant des débats sur la durabilité des modèles d'investissement et la structure des échanges (exportation de ressources brutes contre importation d'outputs manufacturés). 

Dans les coulisses du commerce, la révolution digitale et financière change la donne : le développement du mobile banking et des services de paiement mobile transforme les transactions quotidiennes, réduit les coûts et intègre des millions de personnes au marché formel. En Afrique de l'Est, l'exemple de M-Pesa, lancé en 2007, illustre cette mutation : les paiements mobiles favorisent l'émergence de micro-entreprises, facilitent le transfert de fonds et l'accès au crédit informel, et deviennent un moteur du commerce local et transfrontalier. 

Les chocs internationaux modèlent fortement les trajectoires : la crise financière mondiale de 2008 provoque un retournement temporaire de la demande, puis la chute des prix du pétrole et certains métaux à partir de 2014 réduit brutalement les recettes d'exportation de plusieurs États pétroliers et miniers, accentuant déficits et besoins d'ajustement. Ces crises poussent nombre de pays à diversifier leurs exportations, mais la transformation structurelle reste lente face aux barrières institutionnelles et aux coûts d'entrée dans la production à plus forte valeur ajoutée.

La décennie 2010 voit aussi un foisonnement d'accords régionaux et d'initiatives pour accroître les échanges intra-africains : les unions douanières, les corridors logistiques et les projets d'intégration visent à réduire les coûts de transaction, à développer des marchés régionaux pour l'industrie et l'agriculture et à casser la dépendance aux façades maritimes destinées aux anciennes métropoles. Ces projets rencontrent des progrès concrets sur certains corridors (transport par camion, ports modernisés) mais butent sur la fragmentation réglementaire, les infrastructures lacunaires et les pratiques informelles.

En 2019-2021, l'entrée en vigueur de l'Accord-cadre continental qui institue la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) ouvre une perspective inédite : la zone vise à faciliter le commerce intra-africain, harmoniser les règles et stimuler les chaînes de valeur régionales, et la mise en route effective du commerce sous l'accord commence formellement au 1er janvier 2021, même si l'application réelle reste progressive et dépend des protocoles, des capacités douanières et d'un important travail d'alignement national. 

La pandémie de covid-19 en 2020 constitue un choc majeur : les confinements, les dysfonctionnements logistiques et la contraction de la demande mondiale réduisent les échanges, interrompent les chaînes d'approvisionnement et frappent particulièrement les travailleurs et petites entreprises dont les revenus et les capacités d'exportation s'effondrent. Les réponses politiques (aides, mesures fiscales, soutien aux importations de biens essentiels) tentent d'atténuer les impacts, mais la reprise reste inégale selon les pays et les secteurs. 

Après la phase aiguë de la pandémie, les années 2021-2025 se caractérisent par une recomposition : la relance mondiale et les packages d'infrastructures (y compris des projets sino-africains et des financements internationaux) relancent certains secteurs d'exportation, tandis que la pression sur la dette, les besoins de relocalisation industrielle et la transition énergétique poussent des gouvernements à repenser les filières. Les investissements dans le numérique, les fintechs et les services montrent une trajectoire de montée en gamme du commerce : startups de paiement, plateformes logistiques et opérateurs e-commerce facilitent désormais les ventes transfrontalières et la formalisation partielle du commerce informel. 

Les dynamiques régionales restent contrastées : certains pays côtiers et hubs logistiques gagnent en attractivité (ports modernisés, zones économiques spéciales), tandis que des pays enclavés cherchent des corridors alternatifs et des intégrations régionales pour diminuer les coûts d'exportation. Le commerce transfrontalier informel conserve cependant une place centrale dans la vie quotidienne et dans l'approvisionnement des villes, et les femmes commerçantes occupent une position clé dans ces réseaux malgré les obstacles réglementaires et les contrôles aux frontières.

Le commerce africain se lit aujourd'hui comme le produit de plusieurs couches historiques : l'héritage colonial des infrastructures orientées vers l'exportation, la dépendance aux matières premières exposée aux cycles mondiaux, la montée en puissance d'un partenaire asiatique majeur, la transformation digitale qui réduit les frictions micro-économiques et l'effort d'intégration continentale porté par la ZLECAf. Le bilan est ambivalent : croissance et nouveaux marchés coexistent avec fragilité financière, inégalités territoriales et défis de diversification; l'enjeu pour les années à venir consiste à transformer les gains en chaînes de valeur locales, à améliorer la résilience aux chocs climatiques et commerciaux, et à faire du renforcement des liens intra-africains un moteur réel d'industrialisation et de développement durable.

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