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L'histoire du Sahara
Les Anciens, peu soucieux d'ethnographie, de toute façon mal armés conceptuellement  pour aborder des cultures différentes des leurs, nous ont si mal renseignés sur leurs Libyens, Garamantes, Éthiopiens, que la connaissance de l'Antiquité saharienne doit s'appuyer surtout sur l'archéologie. Au moins peut-on comprendre que les peuples des deux rives de cette Méditerranée de sable et de cailloux s'y soient croisés et mêlés de longue date. A l'ouest du Sahara, les Almoravides, venus du Sud, fondèrent le premier empire des deux rives, entre le Niger et la mer Méditerranée au XIe siècle; l'empire Songhaï empiétera ensuite sur l'empire du Maroc au début du XVIe siècle; au XVIIe siècle, le Grand Maroc c'est-à-dire la zone d'influence de l'empire chérifien, s'étend jusqu'à Djenné, Tombouctou et Gao. A la même époque, le Bornou s'étend jusque au Fezzan. Au bout du compte cependant, la prépondérance est revenue à trois groupes de populations proprement sahariennes : il s'agit, au Sud du Fezzan et dans la région du Tibesti,  des Toubou (Teda), une population parlant une langue nilo-saharienne proche du Kanuri, des Maures, à l'Ouest, qui sont des Arabo-Berbères et, surtout des Berbères' Touareg au centre du Sahara.

Le Sahara a été l'objet des ambitions coloniales de la France à partir des années 1880 et se voyait intégrer, sur le papier, à l'Afrique occidentale française (AOF) en 1884. avant d'être reconnu possession française en 1890, par une convention signée avec le Royaume-Uni. La construction d'une série de forts servant de points d'appui aux troupes armées a permis ensuite en quelques années le contrôle presque complet de tout cet espace - seules quelques poches de résistance touareg et la  Mauritanie devront attendre le début du XXe siècle pour se voir soumises. Ajoutons que deux autres puissance européennes ont égalent colonisé le Sahara : l'Espagne, d'abord, qui avait pris pied à l'Ouest du Sahara, dans la région du Rio de Oro, dès les années 1860, et l'Italie, engagée en Libye dans une guerre contre la Turquie qu'elle gagne en 1912, puis, qui en 1935, sous Mussolini, investit tout l'arrière-pays saharien jusqu'au Tchad, contestant à la France la bande d'Aouzou. A partir des années 1950  et jusqu'en 1975, la décolonisation aboutit au découpage du Sahara qui se trouve réparti entre plusieurs nouveaux États. Un partage qui se fait au détriment des populations sahariennes, d'où une partie des conflits qu'on a pu observer dans la région au cours des décennies suivantes.

Dates clés :
5500 - 3000 av. J.-C. - Invention de la céramique; domestication et élevage des bovins dans la région des massifs (Aïr, Adrar, Tibesti, Hoggar).

XIe siècle - Islamisation du Sahara.

1890. - Accord Franco-anglais sur le Sahara.

1894 - Prise de Tombouctou par les troupes françaises.

Années 1950 - Début de la décolonisation.

Le Sahara vert

Le Sahara n'a pas toujours été le désert aride et presque inhabité que l'on connaît aujourd'hui; il a connu plusieurs cycles climatiques majeurs, alternant entre des phases hyperarides et des périodes plus humides, appelées « phases néolithiques humides » ou « périodes vertes du Sahara ». La plus récente de ces phases, connue sous le nom de « Néolithique humide » ou « Pluvial tardif », s'étend approximativement de 9500 à 3500 av. JC., bien que les dates varient légèrement selon les régions. Durant cette époque, les précipitations, alimentées par une mousson estivale plus forte et plus septentrionale qu'aujourd'hui, transformaient de vastes étendues sahariennes en un mosaïque de savanes arborées, de marais saisonniers, de cours d'eau permanents et de lacs peu profonds,  parmi lesquels le « Paléo-Tchad », un lac gigantesque qui couvrait à son maximum plus de 350 000 km², débordant largement les frontières de l'actuel lac Tchad, et le « Paléo-Nil », dont les branches occidentales s'étendaient vers le Fezzan libyen et le Tibesti tchadien. 

Les premières traces humaines dans le Sahara remontent au Paléolithique inférieur, avec des outils acheuléens découverts dans plusieurs régions, notamment au Tchad, en Libye et en Algérie, indiquant une présence sporadique de groupes de chasseurs-cueilleurs adaptés aux environnements changeants. Mais c'est au Mésolithique et surtout au Néolithique (entre 10 000 et 5000 av. JC) que le Sahara connut une occupation humaine dense et dynamique. Des  populations de chasseurs-pêcheurs-cueilleurs, parfois désignées collectivement comme les  peuples du Buffle d'après la représentation fréquente du buffle sauvage (Bubalus antiquus) dans leur art rupestre, vivaient le long des rivières, des lacs et des zones humides. Ils chassaient des animaux aujourd'hui absents du désert (éléphants, girafes, rhinocéros, hippopotames) et pêchaient à l'aide de harpons en os ou en pierre dans des étendues d'eau abondantes, comme en témoignent les sites de Nabta Playa (Égypte), Adrar Bous (Niger) ou Tagalagal (Niger), où des amas coquilliers, des restes de poissons et des sépultures organisées ont été mis au jour. À Nabta Playa, vers 5000-4500 av. JC., une structure mégalithique circulaire,  parfois qualifiée de « Stonehenge africain », suggère une connaissance précoce de l'astronomie et une organisation sociale complexe, avec des cérémonies calendaires liées aux solstices. 

À partir de 7000-6500 av. JC, on observe une transition progressive vers le pastoralisme. Des bovins domestiqués, probablement originaires du Proche-Orient mais peut-être aussi l'objet d'une domestication locale indépendante dans le désert oriental égyptien, apparaissent dans les représentations rupestres et dans les vestiges archéologiques. Les « peintures bovidiennes » du Tassili n'Ajjer (Algérie), de l'Ennedi (Tchad) ou de l'Acacus (Libye) montrent des scènes de vie pastorale : troupeaux de vaches aux cornes lyre, enclos, danses rituelles, femmes portant des charges, hommes armés d'arcs. Ces images, d'une grande finesse esthétique, reflètent une société où les bovins jouaient un rôle central, non seulement économique mais aussi symbolique et religieux, comme le suggèrent les sépultures de bovins à Nabta Playa ou les peintures montrant des bovins décorés, parfois avec des motifs corporels stylisés. Les poteries, souvent décorées de motifs incisés ou imprimés, se répandent à cette époque, témoignant de l'adoption de modes de vie plus sédentaires ou semi-sédentaires autour des points d'eau permanents. 

L'Antiquité saharienne

Vers 5000 - 4000 av. JC, le climat commence lentement à se dessécher. Les lacs rétrécissent, les cours d'eau s'intermittent, les zones de pâturage se fragmentent. Ce changement progressif, mais irréversible sur le long terme, contraint les populations sahariennes à adapter leurs stratégies de subsistance. Certains groupes migrent vers les marges sud du désert, s'intégrant aux sociétés agropastorales naissantes du Sahel et de la savane soudanienne,  préfigurant peut-être les cultures qui donneront naissance plus tard aux royaumes du Ghana ou du Kanem. D'autres se déplacent vers les régions montagneuses (Hoggar, Tibesti, Aïr) où des microclimats plus humides persistent plus longtemps. D'autres encore gagnent les vallées fluviales permanentes : le Nil, bien sûr, mais aussi le Niger et le Sénégal, contribuant à l'émergence de sociétés complexes dans ces corridors vitaux. Cette « grande dispersion » n'est pas un exode brutal, mais un lent réajustement sur plusieurs siècles, visible dans la stratigraphie des sites comme Takarkori (Libye), où les couches archéologiques montrent un passage graduel de l'économie basée sur la pêche à celle fondée sur l'élevage caprin puis bovin, puis à l'abandon progressif de l'habitat. 

L'art rupestre évolue parallèlement à ces transformations : les « peintures équestres », datées entre environ 1500 av. JC. et 500 ap. JC, montrent l'apparition du cheval,  introduit d'Égypte ou via la Libye, et de chars légers à deux roues, souvent schématisés, que l'on interprète aujourd'hui non comme des armes de guerre à grande échelle, mais plutôt comme des symboles de prestige ou des véhicules cérémoniels, utilisés dans des paysages encore praticables mais de plus en plus ouverts. Ces images, bien que spectaculaires, coexistent avec des pétroglyphes plus tardifs illustrant des dromadaires,  importés d'Arabie vers le début de notre ère, probablement via la mer Rouge ou l'Égypte ptolémaïque, dont la diffusion s'accélère après le Ier siècle ap. JC. Le dromadaire, adapté à la sécheresse extrême, devient le pivot d'une nouvelle adaptation humaine au désert, permettant l'émergence des premières formes de commerce transsaharien à petite échelle (échange de sel, de cuivre, de perles, de peaux) bien avant l'islamisation et l'expansion des caravanes médiévales. 

Sur le plan linguistique et ethnique, le Sahara ancien semble avoir été peuplé par des groupes parlant des langues chamito-sémitiques (ancêtres des langues couchitiques, berbères et égyptiennes). Les proto-Berbères, désignés par les Égyptiens sous le nom de « Tehenu » ou « Libou », occupaient déjà les régions nord-sahariennes à la fin du IIIe millénaire av. JC., comme en attestent les inscriptions hiéroglyphiques et les toponymes. Les Garamantes, une civilisation urbaine et agricole florissante dans le Fezzan libyen entre le Ve siècle av. JC et le Ve siècle ap. JC, en sont un exemple emblématique : fondée sur un système sophistiqué de foggara ( = galeries d'irrigation souterraines captant les nappes fossiles), elle développait une agriculture (céréales, vigne, oliviers), élevait des bovins, des moutons, des chevaux, exploitait des mines de fer et de charbon, et entretenait des relations, parfois conflictuelles, souvent commerciales, avec les Carthaginois, les Romains et les royaumes noirs au sud. Leur capitale, Garama (près de l'actuelle Germa), comptait plusieurs milliers d'habitants, avec des structures monumentales, des nécropoles élaborées et des traces d'écriture libyque, un ancêtre de l'écriture tifinagh encore utilisée par les Touaregs. 

À l'est, l'Égypte pharaonique, bien que située hors du Sahara stricto sensu, exerçait une influence profonde sur ses marges occidentales et méridionales. Dès l'Ancien Empire (vers 2600 av. JC), les expéditions égyptiennes pénétraient dans les oasis du désert occidental (Siwa, Bahariya, Kharga, Dakhla, Farafra), cherchant du cuivre, des pierres semi-précieuses, des esclaves et des animaux exotiques. Des routes caravanières étaient entretenues, des forteresses établies. Les oasis, alimentées par des nappes phréatiques fossiles, devinrent des refuges permanents et des carrefours culturels où se mêlaient influences égyptiennes, libyques et subsahariennes. Des sites comme Balat, dans l'oasis de Dakhla, révèlent des villages néolithiques très anciens, puis des établissements de l'Ancien et du Moyen Empire, avec poteries égyptiennes, scellements administratifs, et même des textes en hiératique. 

Au sud, les régions sahariennes du Tchad, du Niger oriental et du nord du Cameroun participaient à un vaste réseau d'échanges préhistoriques. Le site de Gobero, au Niger, révèle deux phases d'occupation séparées par un hiatus sec : une première, vers 7700-6300 av. JC, par des chasseurs-pêcheurs de tradition Kiffienne, puis une seconde, vers 5200-2500 av. JC, par des pasteurs de culture Ténéréenne, enterrant leurs morts en position fléchie, accompagnés de poteries, de colliers de coquillages (provenant parfois du Nil ou de la Méditerranée), et d'offrandes animales. Ces trouvailles montrent que, même dans les phases de dessèchement avancé, des corridors humides subsistaient et permettaient des contacts sur de très longues distances. 

Par ailleurs, des échanges précoces, direct ou indirect, semblent avoir existé entre le Sahara et le Proche-Orient, l'Afrique de l'Est et même la péninsule Arabique. Des perles en coquille de Nerita (provenant de la mer Rouge), des objets en obsidienne (possiblement d'Éthiopie), et des traces de sorgho domestiqué (originaire d'Afrique de l'Est) dans des sites sahariens suggèrent une circulation des biens, des techniques et peut-être des idées bien avant l'Antiquité classique. La domestication de certaines plantes locales, comme le fonio ou le panic, et leur diffusion vers le sud, témoigne aussi d'une innovation agricole endogène. 

Ainsi, depuis le Ier millénaire av. JC, le Sahara était devenu majoritairement aride, avec des noyaux de résistance humaine concentrés dans les montagnes, les oasis et les grands oueds fossiles. Pourtant, ce n'a jamais été un vide culturel : des sociétés mobiles, spécialisées dans l'élevage camelin ou caprin, le commerce de niche et la maîtrise des ressources en eau souterraine, ont continué à vivre, se transmettant des savoirs oraux, des styles artistiques et des systèmes de croyances, apparemment  centrés sur des divinités liées à la pluie, à la fécondité, aux ancêtres. 

Les Touareg

Les Touareg constituent la population emblématique du Sahara central. Le nom sous lesquels ils sont connus est celui que les Arabes nomades ont donné à ces les Berbères voilés du Sahara. Eux se désignent sous le terme d'Imoucharh (au singulier, Amacherh). 

Les Touareg (nous continuerons à leur donner ce nom) sont une branche de la nation berbère des Zanag ou Sanhadja, jadis répandue dans tout le Maghreb. Plusieurs tribus nomades de cette nation, chassées des fertiles provinces du Tell au temps de la domination carthaginoise ou à l'époque de la conquête romaine, émigrèrent, avec leurs troupeaux, dans le Sahara septentrional; mais, incommodés dans leurs courses tant par l'éblouissante lumière des hamadas que par le souffle embrasé des vents du sud, les émigrants imaginèrent de rabattre, sur leurs yeux, en forme de visière, un pli de leur turban, et de se couvrir d'un voile la partie inférieure du visage. Cet usage entra bien vite dans les moeurs et, comme l'a dit justement Hanoteau, il s'y rattache encore au. jourd'hui une idée de dignité qui le fera longtemps respecter.

Lorsque Okba ben Nafi pénétra dans le Maghreb-el-Aksa (VIIe siècle), il se trouva en contact avec des voilés établis dans le Sous; ceux-ci embrassèrent l'islam; puis, poussés à leur tour par le prosélytisme, ils conquirent le Sahara et une partie du Soudan (836 ap. J.-C;, 222 de l'Hégire) et imposèrent la religion nouvelle, ou tout on moins ses formules de profession de foi, aux peuples de ces contrées.

Ce fut d'une tribu de voilés sahariens, les Lemtouna, que sortirent, vers le milieu du XIe siècle, ces fameux Marabouthinn (Almoravides) que le plus ardent fanatisme transforma en héros, et qui englobèrent le Maghreb et l'Espagne dans leur immense empire. On sait qu'épuisés par les conquêtes et corrompus, du reste, par l'exercice du pouvoir, les Almoravides furent renversés, vers le milieu du XIIe siècle, par les Mouahhedoun (unitaires), autres sectaires berbères que les Espagnols nous ont fait connaltre sous le nom d'Almohades

Cependant, le plus grand nombre des Sanhadja voilés étaient restés au désert. Le lien qui les rattachait à l'empire musulman une fois rompu (ils avaient été déclarés hérétiques par les Almohades), ils se trouvèrent eux-mêmes divisés en différents groupes de tribus, sortes de confédérations dont les rivalités facilitèrent l'établissement des Arabes nomades dans les meilleurs sites du Sahara septentrional. 

Les Touareg devinrent les maîtres de la partie du Sahara comprise de l'Est à l'Ouest entre entre le Fezzan, le pays des Tebbous (Tibous) et l'océan Atlantique, et du Nord au Sud entre le Soudan et le région de pâturages occupée au Nord par les Arabes nomades, c'est-à-dire jusqu'à une ligne courbe partant de Ghadamès, passant par le Touât et allant aboutir vers le cap Youbi. 

Dans cet immense espace, ils ont formé quatre confédérations principales : les Oulad Delim ou Fils de la Nuit, dont le nom berbère nous est inconnu, à I'Ouest; les loulemedenn, au Sud-Ouest, entre le Hoggar et le Niger; les Ahhaggarenn, qui occupent les parties centrale et occidentale du Hoggar et rayonnent jusqu'au Touât et au Sahara algérien; les Azgher, qui habitent le Hoggar oriental et poussent leurs, courses jus qu'à Ghadamès, au Fezzan et au pays de l'Aïr. Les Kel Aïr, que certains classent au nombre de Touareg, sont des Noirs sahariens.

Échanges Nord-Sud

Avec la période d'expansion de l'Islam commence un « processus » nouveau : les Arabes envahissent, d'abord infinitésimalement le Sahara, puis en plus grand nombre; ils entrent en lutte d'influence avec les Berbères, et c'est longtemps un flux et un reflux continuels; enfin, dans ce combat toujours renouvelé, la victoire demeure indécise : le triomphe reste aux Berbères, qui sont bien toujours la population la plus solidement implantée au Sahara, mais le triomphe social est aux Arabes, dont Ia langue, la religion, les idées et institutions l'emportent décidément.

L'occupation arabe du Sahara offre sans doute des caractères divers. Cependant, ses traits essentiels ne se trouvent pas altérés par la forme locale quelle a pu revêtir. Au début, elle s'est effectuée par une infiltration lente. Les Arabes, jusqu'au Ve siècle de l'hégire, ont été surtout des missionnaires de l'Islam. A peine ont-ils formé de petites colonies dans quelques centres. Interrompu par le soulèvement des Berbères du Maghreb et les conquêtes des Almoravides, le mouvement commencé a repris avec une intensité nouvelle, et sous forme d'invasion, par l'exode des tribus hymiarites d'Égypte au XIe siècle. Lancées par lescalifes fatimides contre leurs sujets révoltés de l'Afrique du Nord, elles s'y dispersèrent. Celles qui occupent aujourd'hui le Sahara y étaient arrivées pour la plupart dès le XIIIe siècle. Elles eurent à soutenir des luttes souvent acharnées pour s'imposer à la fin aux autochtones. En se mélangeant aux populations berbères, dont quelques-unes à peine conservèrent leur indépendance, elles ont formé une population nouvelle essentiellement métisse, mais dans laquelle le premier rang appartiendra, sous le rapport politique, aux fractions dont la descendance arabe s'est maintenue la plus intacte. A côté des tribus ainsi constituées, et où les familles dites Hassan, de sang pur, dominent les fractions plus mélangées, vivront, sur un pied d'égalité, quelques groupes berbères, descendants directs des anciennes branches souveraines des Sanhadja sahariens ou des premiers Morabethyn (= Almoravides). Les autres rameaux de la population primitive, restés rétifs à tout métissage, formera une caste vassale de la première, les Hassan. 

En outre, contemporaine de l'invasion arabe, il s'est produit, du XIe au XIIIe siècle, une immigration de Berbères fixés d'abord sur la limite septentrionale du Sahara. Quelques fractions maraboutiques ont gardé leur autonomie pendant que les autres se métissaient ou subissaient à leur tour la suprématie des maîtres du pays. Tels sont les éléments constitutifs de la population actuelle du Sahara. Mais, indépendamment de quelques migrations temporaires ou plus récentes qui, aux XVIIe et XVIIIe siècles, ont légèrement accru l'importance numérique de l'élément arabe, il y a lieu de faire la part d'un courant de relations très suivies, établies pendant la même période entre l'empire du Maroc et la vallée du Niger septentrional. La conquête de Rouma, faite au nom et pour le compte des sultans de Fès, n'a pas eu d'influence durable sur les destinées politiques de la région. Mais si momentanée qu'ait été l'occupation marocaine, elle n'en a pas moins suffi pour déterminer des rapports suivis entre le Maroc et la zone frontière du Soudan occidental : ces rapports, qu'ont resserrés encore les alliances contractées par les soldats de Djedar et leurs descendants, se sont maintenus jusqu'à l'époque coloniale. Ils ont été assez importants pour donner droit de cité aux Chorfa de Fès, dans tout le moyen Niger. 

Pendant que le Sahara devenait un champ clos entre les populations d'origine arabe et celles d'origine berbère, et que les unes et les autres agissaient dans le Soudan septentrional, tant comme guerriers que missionnaires de l'Islam, et y répandaient peu à peu le domaine de la religion musulmane et celui de la langue arabe, les Soudaniens envahissaient, eux aussi, de temps en temps, le Sahara. De grands empires subsahariens ont ainsi dominé certaines parties du désert : l'empire de Ghana, fondé par Soninké ou Asouanek, domina de vastes régions du Soudan occidental. Plus tard, les Mandé (Mandingues, Malinkés), étendirent, au XIIIe siècle, leur pouvoir sur le désert, de Tombouctou (Mali) jusqu'au Touat (en Algérie). Après quoi, les Songhaï, ayant leur capitale à Gao, riveraine du Niger, annexèrent aussi de grands morceaux du Sahara, jusqu'à toucher le Maroc et l'Algérie. Ces invasions, ajoutées à la traite des esclaves fixa dans les oasis sahariennes de plus en plus de populations d'origine subsaharienne jusqu'à la fin du XIXe siècle, pratiquement. 

La colonisation

Les rivalités nationales entre les grandes puissances européennes à partir des deux dernières décennies du XIXe siècle ont trouvé dans l'Afrique un champ de bataille privilégié. La politique d'expansion menée ainsi par la France au Sahara à cette époque est d'ordre stratégique : elle s'explique davantage par le souci de damer le pion aux autres puissances en occupant le terrain que par l'idée, par exemple, qu'il y aurait eu là des ressources à exploiter. Il s'agissait donc d'établir une continuité de territoire entre l'Algérie (au Nord de Ghardaïa), où la France était présente depuis 1830, et les possessions françaises en Afrique Subsahariennes, au Sénégal et dans le Golfe de Guinée. En 1890, une convention avec l'Angleterre reconnut aux Français la possession du Sahara entre l'Algérie-Tunisie d'une part, le Niger et le lac Tchad, d'autre part; dès lors, et avec plus d'esprit de suite qu'auparavant, la France s'occupa d'entrer réellement en possession des territoires venus dans sa sphère de domination en Sahara et en Soudan. Ses tentatives, presque toutes couronnées de succès, eurent pour lieux de départ, au Nord l'Algérie, au Sud-Ouest le Sénégal, au Sud le Congo. Ce grand espace prendra, à partir de 1904, le nom d'Afrique occidentale française (A.O.F).

Le Nord.
Les expéditions visant plus spécialement le Sahara s'organisèrent naturellement en Algérie. Tout d'abord, les Français avancèrent vers le Sud la ligne des postes du Sahara d'Algérie, qui, de l'Est à l'Ouest, étaient : El-Oued, dans le Souf; Biskra, dans les Ziban; Touggourt, dans l'Oued-Rir; Ghardaïa, dans le pays des Béni-Mzab; Ouargla, dans la dépression où s'unissent les bas-fonds de l'oued Mia et de la chebka du Mzab, Laghouat, en arrière de Ghardaïa; El-Goléa, en avant d'Ouargla, sur le chemin du Touat; Géryville et Aïn-Sefra, au versant méridional de l'Atlas du Sud Oranais. El-Goléa, que les Français n'avaient jamais occupé à demeure, devint un poste réel, avec profusion d'eau, même avec un lac, depuis le forage de puits artésiens donnant ensemble 107 à 108 litres par seconde (1891). Le poste de Hassi-Inifel, à 400 kilomètres en droite ligne au Sud-Sud-Est. d'El-Goléa, fut installé dans le val de l'oued Mia, comme une précaution contre les Touatiens du Tidikelt, avant de devenir une menace (1892). De même, et la même année, comme garantie et menace contre les Touatiens du Gourara, installation du poste de Mac-Mahon, à 180 kilomètres au Sud-Est d'El-Goléa. En 1893, création du fort de Hassi-Mey, près de Berresof, en Sahara de Tunisie; en 1894, fondation du fort Miribel, à 140 kilomètres un peu à l'Ouest d'El-Goléa, à l'Est-Sud-Est du fort Mac-Mahon, route du Touat; en 1894également, le fort Lallemand s'élève dans le sillon de l'lgharghar, au Sud de Touggourt, au Sud-Ouest d'Ouargla. Mais, semble-t-il, c'était une démonstration, par une sorte d'ostentation, plutôt qu'une préparation réelle, puisque aucun départ de troupes pour l'archipel touatien ne suivit l'établissement de ces forts sahariens; or, à mesure que la France avait l'air de renoncer à ces précieuses oasis, l'empereur du Maroc les revendiquait plus que jamais.

Les Touareg étaient entrés en relations avec la France après la conquête de l'Algérie. Henri Duveyrier vécut parmi les Azdjer en 1861, et le 26 novembre 1862 fut signé un traité de commerce à Ghadamès entre le commandant Mircher et deux cheikhs des Azdjer; mais ce traité demeura lettre morte, quoique les Azdjer aient été moins ouvertement hostiles à la France que les Hoggar. L'assassinat des explorateurs Dournaux-Duperré et Joubert en 1874, de la grande mission Flatters en 1880, des Pères Richard et Kermabon en 1881, de Morès en 1896, servira de prétexte à l'usage de la force contre eux.
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Une tribu en voyage dans le Sahara
Ain-Mahdy, vendredi, juillet 1853

« Les cavaliers étaient armés en guerre et costumés, parés, équipés comme pour un carrousel; tous avec leurs longs fusils à capucines d'argent, ou pendus par la bretelle en tra-
vers des épaules, ou posés horizontalement sur la selle, ou tenue de la main droite, la crosse appuyée sur le genou. Quelques-uns portaient le chapeau de paille conique empanaché de plumes noires : d'autres avaient leur burnous rabattu jusqu'aux yeux, le haïk relevé jusqu'au nez; et ceux dont on ne voyait pas la barbe ressemblaient ainsi à des femmes maigres et basanées; d'autres, plus étrangement coiffés de hauts kolbaks sans bord en toison d'autruche mâle, nus jusqu'à la ceinture, avec le haïk roulé en écharpe, le ceinturon garni de pistolets et de couteaux, et le vaste pantalon de forme turque en drap rouge, orange, vert ou bleu, soutaché d'or ou d'argent, paradaient superbement sur de grands chevaux habillés de soie comme on les voyait au moyen âge, et dont les longs chelils, ou caparaçons rayés et tout garnis de grelots de cuivre, bruissaient au mouvement de leur croupe et de leur queue flottante. Il y avait là de fort beaux chevaux; mais ce qui me frappa plus que leur beauté, ce fut la franchise inattendue de tant de couleurs étranges. Je retrouvais ces nuances bizarres si bien observées par les Arabes, si hardiment exprimées par les comparaisons de leurs poètes. - Je reconnus ces chevaux noirs à reflets bleus, qu'ils comparent au pigeon dans l'ombre; ces chevaux couleur de roseau, ces chevaux écarlates comme le premier sang d'une blessure. D'autres, d'un gris foncé, sous le lustre de la couleur. devenaient exactement violets; d'autres encore, d'un gris très clair, et dont la peau se laissait voir à travers leur poil humide et rasé, se veinaient de tons humains et auraient pu audacieusement s'appeler des chevaux roses.

Au rentre de ce brillant état-major, à quelques pas en avant de l'étendard, chevauchaient l'un près de l'autre et dans la tenue la plus simple, un vieillard à barbe grisonnante, un tout jeune homme sans barbe. Le vieillard était vêtu de grosse laine et n'avait rien qui le distinguât que la modestie même et l'irréprochable propreté de ses vêtements, sa grande taille, l'épaisseur de sa tournure, l'ampleur extraordinaire de ses burnous, surtout le volume de sa tête coiffée de trois ou quatre capuchons superposés. Enfoui plutôt qu'assis dans la vaste selle en velours cramoisi brodé d'or, ses larges pieds chaussés de babouches, enfoncés dans des étriers damasquinés d'or, et les deux mains posées sur le pommeau étincelant de la selle, il menait à petits pas une jument grise à queue sombre, avec les naseaux ardents et un bel oeil doux encadré de poils noirs. Un cavalier nègre, en livrée verte; conduisait en main son cheval de bataille, superbe animal à la robe de satin blanc, vêtu de brocart et tout harnaché d'or, qui dansait au son de la musique et faisait résonner fièrement les grelots de son chélil, les amulettes de son poitrail et l'orfèvrerie splendide de sa bride. Un autre écuyer portait son sabre et son fusil de luxe.

Le jeune homme était habillé de blanc et montait un cheval tout noir, énorme d'encolure, à queue traînante, la tête à moitié cachée dans sa crinière. Il était fluet, assez blanc, très pâle, et c'était étrange de voir une si robuste bête entre les mains d'un adolescent si délicat. Il avait l'air efféminé, rusé, impérieux et insolent. Il clignotait en nous regardant de loin. Il ne portait aucun insigne, pas la moindre broderie sur ses vêtements; et de toute sa personne, soigneusement enveloppée dans un burnous blanc de fine laine, on ne voyait que l'extrémité de ses bottes sans éperons et la main qui tenait la bride, une petite main maigre ornée d'un gros diamant Il arrivait renversé sur le dossier de sa selle en velours violet brodé d'argent, escorté de deux lévriers magnifiques, aux jarrets marqués de feu, qui bondissaient gaiement entre les jambes de son cheval.

Aussitôt qu'il aperçut ce vieux grand seigneur et son fils, le petit Ali fit un mouvement pour se jeter à terre et courir se prosterner devant eux; mais le lieutenant lui posa la main sur l'épaule; l'enfant étonné comprit et ne bougea pas. Pendant ce temps je regardai ce jeune cavalier à mine impériale, au milieu de son cortège barbare, avec des guerriers pour valets et des vieillards à barbe grise pour pages je considérai assez tristement la tenue du lieutenant : j'imaginai ce que devait être la mienne pour un oeil difficile en fait d'élégance, et je ne pus m'empêcher de dire au lieutenant : - Comment trouvez-vous que nous représentons la France?

Le vieillard passa et nous salua froidement de la main; nous y répondîmes avec autant de supériorité que nous le primes. Quant au jeune homme, arrivé à deux pas de nous, il fit cabrer sa bête; l'animal, enlevé des quatre pieds par ce saut prodigieux où excellent les cavaliers arabes , nous frôla presque de sa crinière et alla retomber deux pas plus loin; le petit prince s'était habilement dispensé du salut, et son escorte acheva de défiler sans même jeter les yeux sur nous.  »
 

(E. Fromentin, Un été au Sahara, III. Tadjemont-aïn-Madhy).

Le Sud.
Mais la France faisait des progrès immenses dans la région soudanienne voisine du Sahara méridional et dans ce Sahara lui-même. Elle avait lentement, mais très sûrement, imposé sa domination aux Maures de la rive droite du Sénégal, indomptables jusque-là, et, fait bien autrement symbolique dans l'histoire de l'Afrique, pris Tombouctou, le 10 janvier 1895 : Tombouctou, à l'époque l'une des places fortes des Touaregs et la plus grande porte du désert; en vain les Touaregs massacrèrent-ils avec son état-major le colonel Bonnier, qui venait de conquérir la célèbre ville commune au Sahara et au Soudan, elle resta française, et de là se soumirent peu à peu les Maures et Touaregs du moyen Niger. En 1896, le commandant Hourst descendit le Niger jusqu'à son embouchure, et en route il obtint des Aouellimiden la reconnaissance du protectorat de la France.

De son côté, Foureau convertit  le gouvernement à ses idées de pénétration « en force-», et il se mit en route en 1898 avec une escorte de 310 hommes et deux canons aux ordres du commandant Lamy. Les Touareg se montrèrent sur son passage, mais ne le brusquèrent pas d'abord; il franchit le Ahaggâr, se reposa dans l'Aïr où il repoussa de haute lutte une attaque en force des Touaregs, et finit par arriver dans le Damerghou, à Zinder, où il se rencontra avec la mission Joalland-Meynier, venue du Niger, et continua sa marche vers le lac Tchad et le Chari; là il a revu le drapeau français, hissé sur ce fleuve par des expéditions venues du Congo, là aussi, son compagnon, le commandant Lamy, fut tué dans une lutte contre le sultan Rabah (L'histoire du Bornou). Ainsi se réalisa la jonction des trois grands tronçons de l'empire français d'Afrique (Madagascar à part) : Algérie-Tunisie et Sahara, Sénégal et Niger, Congo-Oubangui et Tchad.

Pendant que la mission Foureau-Lamy traversait ainsi le Sahara, une convention nouvelle avec l'Angleterre complétait celle du 5 août 1890. Elle est à la date du 20 mars 1899. Elle délimitait la frontière saharienne des possessions françaises comme suit : à l'Est, la limite orientale du désert occupé par les Français part de la frontière tripolitaine (Fezzan) au point de rencontre du 13° 40' longitude Est avec le tropique du Cancer; elle se dirige au Sud-Est jusqu'au 11° 40' de longitude, puis suit ce méridien vers le Sud jusque vers le 15° parallèle Nord, d'où, longeant vers l'Ouest la frontière du Darfour, elle va rejoindre la limite à déterminer (de 18° 40' à 20° 40' Est) entre cette province «-Égyptienne » et le Ouadaï, reconnu français. Par cet arrangement, la France entrait en possession du Tibesti, de l'Ouanyanga, de l'Ennedi, du Bornou, du Kanem, de l'Ouadaï, soit de tous les pays à l'Est, au Nord-Est, au Nord du lac Tchad.
Enfin, et c'est avec la prise de Tombouctou, l'événement le plus marquant de la main-mise sur le Sahara, les Français sont entrés à In-Salah le 29 décembre 1899, par le fait de la mission Flamand : mission officiellement pacifique, mais accompagnée de 140 hommes commandés par le capitaine Pein, Saharien éprouvé. Peu de temps après, le Touat entier fit sa soumission. 

Ajoutons qu'au moment où les puissances européennes ont commencé à s'emparer de l'empire du Maroc, l'Espagne s'est octroyée de son côté deux portions du Sahara occidental, une petite enclave autour d'Ifni, une crique de la côte marocaine, à 30 kilomètres au Nord-Est de l'embouchure de l'oued Noua dans l'Atlantique, et un territoire plus vaste, nommé Rio de Oro, plus au Sud, face aux Îles Canaries. L'Espagne légitimait l'implantation à Ifni par les travaux des érudits espagnols, qui ont quelquefois identifié ce point avec le port de Santa Cruz de Mar Pequeña que mentionnent les documents du XVIe siècle et qui faisait un grand commerce avec les Canaries. Ce fut l'opinion de la commission envoyée en 1878, à bord du vaisseau Blasco de Garay, pour rechercher ce point que l'Espagne s'était réservée par le traité de 1860 avec le Maroc. Quelques vestiges d'un ancien établissement espagnol ou portugais existent en effet à Ifni; mais certains auteurs pensent que Santa Cruz se trouvait plus au Sud. Quoi qu'il en soit, le gouvernement marocain ratifia en 1883la cession d'Ifni  à l'Espagne, qui en 1884, manda la troupe pour s'emparer aussi de la région du Rio de Oro, qui possédait une zone de pêche très riche le long de sa côte. (O. Reclus / A.-M. B. /  A. Le Chatelier / E. Cat.).

Et après...
L'implantation coloniale au Sahara a commencé à se déliter dès le lendemains de la Seconde guerre mondiale. Par exemple, la Mauritanie devient un territoire d'outre-mer dès 1946; la Libye devient indépendante de l'Italie en 1951, et la montée des nationalisme s'exprime un peu partout dès les années 1950. La dislocation de l'AOF deviendra effective en 1960. Entre les mois d'août et novembre de cette année-là, de nouveaux États indépendants sont formés, au Sud du Sahara : Tchad, Niger, Mali, Mauritanie. L'Algérie gagne son indépendance en juillet 1962. Comme ailleurs en Afrique, les limites de ces pays ont été définies à partir du tracé qui leur a été imposé à l'époque coloniale, et n'a cessé de poser, depuis, des difficultés. Les Touaregs se trouvent partagés entre divers États (Algérie, Libye, Mali, Niger, Burkina Faso) qui leur ont la plupart du temps réservé un sort difficile, d'où la révolte touareg de 1962 dans l'Adrar des Ifoghas au Mali, ou encore la guerre des sables de mai 1990 au Mali et au Niger, recommencée l'année suivante dans l'Aïr (Niger). De leur côté, les Toubou du Tibesti (rattaché au Tchad) ont été portés à des revendications séparatistes, et mêlés aux revendications libyennes sur la bande d'Aozou.

Enfin, après la fin de la dictature franquiste en Espagne (1975), l'ancien Rio de Oro ou Sahara espagnol, devenu le territoire du Sahara Occidental à l'appétit de ses voisins. La Mauritanie en revendique d'abord une partie, puis y renonce en 1979; le Maroc, l'annexe de fait, d'abord par une invasion pacifique (la marche verte) dès novembre 1975, puis par la construction d'un mur délimitant le territoire jugé économiquement intéressant (gisements importants de phosphates, minerai de fer). Les Sahraoui qui demandent leur indépendance, ont quant à eux constitué un mouvement de libération, le Front Polisario, et proclamé la formation, en 1977, d'un État, la République arabe sahraoui démocratique (RASD), mais restent prisonniers des rivalités entre le Maroc et leur principal allié, l'Algérie, et de l'indécision internationale. 

Depuis cette époque, la question du Sahara occidental a continué d'être un point focal. Après le retrait espagnol, le conflit entre le Maroc et le Front Polisario s'est intensifié. La construction par le Maroc des bermes, un immense mur de sable et de défenses échelonné sur plus de 2700 kilomètres, a achevé de diviser le territoire dans les années 1980, séparant la zone sous contrôle marocain, abritant l'essentiel de la population et des ressources, des "territoires libérés" arides et faiblement peuplés par le Polisario. Le cessez-le-feu de 1991, supervisé par la MINURSO (Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental), a gelé le conflit sans le résoudre, laissant le statut final du territoire en suspens. La décision des États-Unis en 2020 de reconnaître la souveraineté marocaine a marqué un tournant diplomatique majeur, renforçant la position du Maroc et isolant le Polisario, dont le principal soutien reste l'Algérie. La reprise des hostilités en novembre 2020 à Guerguerat a mis fin à près de trente ans de trêve, installant une situation de tension latente ponctuée d'escarmouches. En 2025, la France a, à son tour, appuyé le plan d'autonomie proposé par le Maroc pour la région, ce qui a, cette fois, suscité une crise grave entre Paris et Alger.

Au-delà de ce conflit, le Sahara dans son ensemble a connu une mutation radicale dans le premier quart du XXIe siècle. La chute du régime libyen de Mouammar Kadhafi en 2011 a eu un effet déstabilisateur majeur. La Libye, auparavant acteur central, s'est fragmentée, et a laissé le Sahara méridional sans garde-fou. Cette vacance de pouvoir a permis l'émergence et la prolifération de groupes armés, trafiquants et djihadistes. Les armes libyennes, en circulation massive, ont ainsi alimenté l'insurrection au Mali.

C'est dans ce contexte qu'en 2012, le nord du Mali, dont la vaste région sahélienne et saharienne, est tombé sous le contrôle de groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda. L'intervention militaire française, lancée en 2013 sous le nom d'Opération Serval, puis transformée en Opération Barkhane, avait pour objectif affiché de repousser ces groupes. Cependant, la conflictualité s'est diffusée et enracinée dans toute la bande sahélo-saharienne. Le conflit a débordé du Mali vers le Burkina Faso et le Niger, tandis que les groupes djihadistes, comme le JNIM (= Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn, Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans, GSIM) ) et l'EIS 4etat islamique au Sahel), ont adapté leurs tactiques à l'immensité saharienne, utilisant les trafics (drogue, armes, migrants) pour se financer et se déplacer le long des anciennes routes caravanières.

Parallèlement, la région a vu l'émergence de nouvelles rivalités stratégiques. L'instabilité au Sahel a ouvert la voie à une influence croissante de puissances extérieures. La Russie, via le groupe paramilitaire Wagner puis l'Africa Corps, a étendu son empreinte, notamment au Mali et au Burkina Faso, où ses instructeurs militaires et ses mercenaires opèrent aux côtés des juntes au pouvoir. La Turquie a également accru son influence, particulièrement en Libye et par le biais de ventes d'armes.

Les enjeux économiques et énergétiques ont évolué. Si les phosphates du Sahara occidental restent un enjeu pour le Maroc, la découverte de réserves de pétrole et de gaz au Sahara algérien, ainsi que le potentiel en uranium du Niger, ont attisé les convoitises. Les projets d'énergies renouvelables, notamment solaires, commencent aussi à émerger pour exploiter l'ensoleillement exceptionnel de la région, mais peinent à se concrétiser face à l'insécurité.

La situation humanitaire s'est gravement détériorée. Les camps de réfugiés sahraouis près de Tindouf, en Algérie, existent depuis près de cinquante ans, générant une dépendance à l'aide internationale pour des dizaines de milliers de personnes. Au Sahel, les conflits armés, la sécheresse et la pauvreté ont provoqué des déplacements massifs de populations, et créé une crise humanitaire d'une ampleur sans précédent.



F. Soleihavoup, Sahara, visions d'un explorateur de la mémoire rupestre, Transboréal, (Beaux livres), 2004.
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