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L'extension de
la domination et de la religion des Arabes dans l'Asie
occidentale et sur le littoral méridional de la Méditerranée ,
furent pour les pays occupés un réel bienfait au point de
vue économique. Bien différent du christianisme,
l'islam se montra très favorable au commerce.
Depuis une antiquité immémoriale, l'industrie du transport
était une ressource fondamentale des Arabes; Mohammed
lui-même l'exerçait, et la tribu dont il était issu
en tirait de grands profits. Aussi le Coran
recommande l'industrie et le commerce comme des occupations agréables
à Dieu; partout le progrès de la
religion musulmane marche d'accord avec le progrès du commerce et,
à n'envisager que cet aspect, elle eut une puissance civilisatrice
incomparable. Partout à côté des mosquées
se fondèrent des écoles et des marchés. Les centres
religieux furent en même temps des centres commerciaux; l'association
de la religion et du commerce, qu'on a remarquée dans bien des cas,
fut un fait général. Mais le Coran précise
les devoirs des fidèles et du pouvoir vis-à-vis des marchands;
il recommande l'établissement des puits et des citernes
dans le désert, des caravansérails ; une portion considérable
des revenus de l'Etat doit être appliquée aux routes; les
bazars furent inspectés, la qualité des marchandises vérifiée,
les contestations réglées.
Ce commerce qu'on encourageait était
à peu près exclusivement un commerce terrestre et par caravanes;
le marchand accompagnait ses marchandises; on aura d'ailleurs une idée
très exacte des procédés de commerce arabe en lisant
les Mille et une Nuits .
Même lorsque fut rompue l'unité politique du monde arabe,
l'unité religieuse se maintint suffisante pour créer entre
les fidèles une solidarité favorable aux échanges
commerciaux. Le pèlerinage de La
Mecque fut aussi un moyen de les entretenir. Enfin la généralisation
de l'usage de la langue arabe simplifiait
beaucoup les relations. La période du VIIe
au Xe siècle fut donc pour tous
les pays occupés par les Arabes (Arabie, Egypte,
Syrie, Mésopotamie, Iran,
Turkestan,
Afrique du Nord, Espagne) une
époque de prospérité matérielle qu'ils n'ont
jamais retrouvée. La grande variété de produits de
cet immense domaine a donné au négoce une grande extension.
Nous en décrirons successivement les divers théâtres.
En Asie le centre commercial était
Bagdad;
la capitale de califes abbasides avait retrouvé
la richesse de Babylone; les tissus de coton
et de lin, et la maroquinerie du nord de la Mésopotamie, les produits
de luxe de Bagdad, bijouterie,
orfèvrerie,
broderies, soieries, s'ajoutaient aux produits
d'une agriculture et d'une forte culture très avancée. Par
Bassorah on avait jour sur le golfe Arabo-Persique
où un commerce maritime considérable se développa.
L'Arabie Heureuse (Sud de la péninsule Arabique )
était aussi riche qu'aux temps lointains de l'ancienne Egypte;
ses villes servaient d'entrepôt non seulement aux produits du pays,
encens ,
lainages, raisins secs, cuirs, mais à ceux de l'Inde ,
de l'Egypte ,
de la côte orientale d'Afrique ;
les ports de Mascate et d'El-Katif rivalisaient
avec ceux du Yémen .
Au centre même de l'Arabie de grands marchés attiraient les
caravanes; outre la Mecque et Médine,
il faut citer Jamama. Les chevaux et la laine s'exportaient au loin; ce
n'est qu'au XVe siècle qu'apparaît
la café.
Parmi les villes de la Syrie, qu'enrichissait
le mouvement de pèlerinage vers la Mecque, Damas
devait à son industrie une richesse exceptionnelle; mais bien d'autres
se relevaient, notamment les ports Tyr, Beyrouth.
L'Arménie
exportait au Sud ses produits agricoles, blé ,
vin, bois, la laine de ses troupeaux, ses tapis; elle s'était ouvert
un débouché au Nord par le port de Trébizonde. En
Géorgie
on cultivait le riz ,
le coton, on produisait beaucoup de soie. L'Iran
avait, comme la Mésopotamie, des
richesses agricoles et industrielles; les principaux marchés furent
Rei (près de Téhéran)
et Ispahan, le transit entre l'Inde et l'Asie
centrale d'une part, l'Asie antérieure de l'autre, se faisait par
là; les ports de la Caspienne
eurent un moment de grande prospérité. Mais c'est surtout
l'Asie centrale à qui profita le commerce
développé par les Arabes.
Les nomades du Khovaresm ou Kharezm
devinrent les marchands les plus entreprenants du continent. On ne peut
aujourd'hui se faire une idée de l'opulence à laquelle atteignirent
des villes comme Mérou, Hérat,
Balkh,
Kaboul,
Ghazni,
Samarcande,
Boukhara.
Le grand développement donné à l'agriculture et à
l'industrie permet à ces contrées d'échanger pour
leur compte les produits de l'Inde et de la
Chine ;
précisément parce que ces villes offraient aux caravanes
de la haute Asie et de l'Inde un tiers marché très important,
elles purent facilement devenir les entrepôts d'un commerce de transit
avec l'Asie antérieure, commerce qui prit un admirable essor.
La soie de Chine, le musc, la rhubarbe,
le borax, les turquoises
du Tibet
et de Mongolie ,
le blé ,
les fruits ,
les cuirs, les pelleteries, le sel gemme
du Turkestan, l'argent ,
le fer ,
le cuivre ,
l'arsenic ,
le plomb
des montagnes voisines, les tissus de lin, de laine, de coton, de soie,
fabriqués dans les villes, les épices ,
pierres précieuses, tissus, armes, apportés de l'Inde, s'échangeaient
dans les bazars de ces grandes villes; dans leurs caravansérails
se rencontraient les marchands du monde entier. Même plus tard, sous
la domination mongole, cette, prospérité
se maintint, et les voyageurs européens, dont Marco-Polo
est le plus célèbre, attestent la richesse de ces contrées
et le développement sans précédent du commerce dans
le continent asiatique.
Les relations avec la Chine,
alors très prospère, furent amicales; les principales routes
suivies étaient : au Sud, de Balkh à
Khotan, marché du musc; du Turkestan à Kashgaret
à l'oasis de Hasni; enfin le Nord des monts Tian-Chan ;
les deux premières routes aboutissaient au Hoang-ho (Huanghe) ;
les Arabes vendaient des toiles, des draps, des tapis, des objets de cuivre,
des chevaux; ils achetaient de la soie, des papiers, du thé ,
de la porcelaine, des ouvrages sculptés.
Maîtres du vaste entrepôt de l'Asie centrale, les Arabes ne
se limitèrent pas au commerce avec les grands centres de civilisation,
ils l'organisèrent également avec les peuples qui occupaient
la plaine septentrionale, spécialement avec les Khazars de la Basse-Volga
et les Bulgares de la Haute-Volga; les centres commerciaux étaient
Ilit, près d'Astrakhan, et Bolgar.
L'échange des produits du Midi contre ceux du Nord était
particulièrement lucratif; fruits, vins, épices, parfumerie,
tissus, contre les fourrures (hermine, zibeline, castor), les peaux, la
laine, le suif, le miel, le chanvre, les cordages, les bois, les poissons,
l'ambre jaune .
Avec l'Empire byzantin, il se faisait un trafic assez considérable,
malgré la fréquence des guerres
( Le commerce
des Byzantins).
Le commerce
avec l'Inde avait lieu surtout par mer; les
entrepôts furent pour la Mésopotamie Bassorah,
pour la Perse Ormuz .
De proche en proche, longeant les côtes, les marchands arabes allèrent
fort loin. Ils avaient couvert la côte de Malabar de leurs comptoirs,
le principal était Caucamali, marché du poivre; des îles
Maldives
on tirait les cordages d'écorce de palmier employés pour
les embarcations; de Sri Lanka (Ceylan) ,
la cannelle, la muscade, des perles, des pierres précieuses; de
la côte de Coromandel, le camphre et des mousselines célèbres
par leur finesse; on y achetait aussi les pelleteries et l'or apportés
de l'intérieur du continent.
Les Arabes dépassèrent de
beaucoup les points où s'arrêtaient les Gréco-Egyptiens;
ils allèrent jusqu'à la péninsule Indochinoise
et aux îles de la Sonde ( L'Insulinde )
où les épices ,
l'aloès, le camphre, le santal, l'ébène, l'indigo,
le cuivre étaient plus abondants qu'ailleurs. Longeant le littoral,
ils parvinrent en Chine et s'établirent à Canton
(Gouangzhou) où leurs transactions s'organisèrent régulièrement
malgré des règlements vexatoires; les droits d'importation
atteignaient 30%; les marchandises étaient séquestrées
jusqu'à l'arrivée du dernier navire de la saison, puis mises
en vente toutes à la fois et souvent tarifées par l'autorité
chinoise; la navigation de l'océan Indien
s'étendait à la côte orientale d'Afrique
où des comptoirs arabes furent établis jusqu'aux limites
de la Cafrerie (Afrique australe); l'or était le principal objet
d'échange, puis les esclaves, l'ivoire ,
l'écaille et l'ambre.
Le commerce de l'Afrique se faisait en
grande partie par l'Egypte; maîtres
de cette riche contrée, les Arabes avaient continué la navigation
de la mer Rouge
dont ils possédaient les deux rives; de plus, remontant le Nil ,
ils avaient établi un trafic entre le haut fleuve et les ports africains
situés en face du Yémen .
Par ceux-ci, en particulier par Zeila, passait le commerce de l'Inde
en même temps qu'on y concentrait les produits de l'Afrique, esclaves,
ivoire, or, écaille de tortue, ambre, peaux de léopard, cire,
miel, chevaux de l'Abyssine; les richesses
agricoles et industrielles de l'Egypte, minières de ses dépendances,
formèrent l'objet d'échanges considérables; nous pouvons
en juger par la richesse du Caire, l'étendue
des bazars, le nombre des caravansérails; la navigation fluviale
fut perfectionnée , le port de Damiette
rivalisa avec celui d'Alexandrie, qui
redevint, au temps des Mamelouks,
le grand marché du Levant, où s'échangeaient les marchandises
de l'Europe; de l'Asie et de l'Afrique; le transit de l'Inde se faisait
par là.
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Un
boutre restauré, à Koweit City. Les boutres (bateaux
à voile arabes) ont joué un rôle
de
premier plan dans dans le commerce maritime des Arabes. Ils ont aussi été
été utilisés
pour
la pêche et la perliculture. Source : The
World Factbook.
La commerce propre de l'Afrique acquit
sous la domination arabe une extension qu'il n'avait probablement jamais
eue. Le pays de Barca, l'ancienne Cyrénaïque,
approvisionnait l'Egypte de moutons, de chèvres, de bêtes
à cornes, et produisait le blé à un bon marché
surprenant. Dans l'Afrique propre (le territoire de l'ancienne province
romaine d'Afrique) et la Mauritanie, l'agriculture et l'industrie progressaient
de concert; les minerais de fer, de cuivre, d'argent, les bois, la laine,
les étoffes s'exportaient; les ports recevaient les marchandises
asiatiques en transit pour l'Europe occidentale.
Les caravanes se multiplièrent vers l'intérieur du continent
; les principaux marchés furent à Tafilalet (Sedjelmessa),
à Gana, à Tombouctou; plus
à l'Est, à Zomla, dans le Fezzan,
le grand marché d'esclaves de l'Afrique, nœud des routes vers le
Soudan, l'Egypte et la Méditerranée ;
les Arabes offraient des étoffes et des armes aux tribus les mieux
organisées, des anneaux de cuivre et de la verroterie aux autres,
achetaient des esclaves, de l'or, de l'ivoire, de l'aloès, du bois
d'ébène, des plumes d'autruche, des animaux de ménagerie.
L'Espagne
connut une richesse extraordinaire sous les Omeyyades;
elle commerçait avec les autres pays de la Méditerranée
par Cadix, Malaga,
Alméria,
etc. Mais les Maures d'Espagne n'étaient guère navigateurs.
La Sicile fut aussi très prospère
et ses ports de Syracuse et de Marsala furent
le centre d'un trafic très animé avec l'Italie ( Le
commerce
des Italiens Moyen Âge) comme avec les pays musulmans;
elle vendait ses étoffes et objets de luxe aux chrétiens;
les manteaux portés par les empereurs d'Allemagne
à leur couronnement venaient des fabriques arabes. Le déclin
du commerce accompagna ensuite la décadence politique.
(A.-M. B). |
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