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On ne trouve pas
dans l'Antiquité une réforme
qui mérite le nom d'abolition de l'esclavage. L'Antiquité
n'a pas aboli l'esclavage; elle y a renoncé,
peu à peu, par des mesures de détail. Les mesures prises
en faveur de l'affranchissement et qui
méritent d'être mentionnées ne datent que des empereurs
Constantin, Théodose
et Justinien. Mais c'est surtout Justinien
qui porta les plus rudes coups à l'esclavage antique en réduisant
les sources originelles de l'esclavage et en supprimant les lois qui gênaient
l'affranchissement. Ce qui survécut de l'esclavage aux réformes
des empereurs romains se confondit dans
la suite avec la servitude de la glèbe et ne disparut qu'avec elle.
Il faut arriver jusqu'au XVIIIe siècle pour trouver un mouvement digne d'être appelé abolitionniste. Voltaire commence à se moquer de l'esclavage et Montesquieu le condamne. Cependant l'opinion n'était encore pas définitivement saisie de son procès. Qui l'en saisit irrévocablement le premier? Est-ce William Wilberforce, est-ce l'abbé Grégoire? On ne peut dire, mais l'action de ces deux hommes est concomitante. L'Assemblée législative supprima la prime qui était accordée en vertu d'un arrêt royal de 1784 à la traite des Noirs. Sur la proposition de Grégoire, la Convention nationale renouvela cette mesure, le 27 juillet 1793. Le 16 pluviôse an II (4 février 1794), un des trois députés de Saint-Domingue exposa à la Convention la situation, les souffrances et les revendications des esclaves. Levasseur (de la Sarthe) prenant la parole : « Je demande, dit-il, que la Convention, sans céder à un mouvement d'enthousiasme, bien naturel cependant dans une telle circonstance, mais fidèle aux principes éternels de justice et d'égalité qu'elle a consacrés, fidèle à la déclaration des droits de l'homme, décrète dès ce moment que l'esclavage est aboli sur tout le territoire de la République. »Lacroix (d'Eure-et-Loir) appuie la motion : « Vainement, poursuit-il, aurions-nous proclamé la liberté et l'égalité, s'il reste sur le territoire de la République un seul homme qui ne soit pas libre comme l'air qu'il respire, s'il existe encore un esclave! Proclamons la liberté des hommes de couleur! Donnez ce grand exemple à l'univers; que ce principe, consacré solennellement, retentisse dans le coeur des Africains enchaînés sous la domination anglaise et espagnole; qu'ils sentent toute la dignité de leur être, qu'ils s'arment et viennent augmenter le nombre de nos frères et des sectateurs de la liberté universelle! »Levasseur voulut insister; Lacroix l'interrompit en ces termes : « Président, ne souffrez pas que la Convention se déshonore par une plus longue discussion. »La proposition de Levasseur est mise aux voix. L'assemblée entière se lève et la vote. Le président proclame alors l'abolition de l'esclavage au milieu des cris répétés de : Vive la République! Vive la Convention! Et Lacroix conduit les députés de Saint-Domingue au président qui leur donne l'accolade fraternelle. Le cri « Vive la liberté! » éclate de tous côtés dans la salle. Cette première phase de l'abolition dura jusqu'au 30 floréal an X, époque à laquelle Bonaparte, premier consul, rétablit la traite et l'esclavage. L'année 1794 qui vit en France la première abolition de l'esclavage fut marquée aussi par l'abolition de la traite aux Etats-Unis. Quatorze ans auparavant, les Etats de la Pennsylvanie et du Massachusetts avaient voté l'extinction graduelle de l'esclavage. L'idée de la libération des esclaves survécut à la loi néfaste du 30 floréal. La France républicaine l'avait dégagée de la conscience humaine, la France impérialiste et royaliste la repoussa et c'est à l'Angleterre qu'échut l'honneur de la défendre et de l'appliquer, jusqu'au jour où la France recouvra, elle-même, sa liberté. Haïti, pour échapper au rétablissement de l'esclavage, proclama son indépendance et brisa ainsi définitivement les fers des esclaves qui vivaient sur son sol. Aux instances de lord Castlereagh,
le congrès de Vienne abolit la
traite, voulant ainsi porter un premier coup à l'esclavage. Mais,
malgré la décision du congrès de 1845, la traite fonctionna,
dans de moindres proportions il est vrai, jusqu'en 1830.
En 1831, le gouvernement fit une application assez large des recommandations de sa circulaire de 1823. La résistance et l'opposition des colons anglais tant à la circulaire qu'à son application furent si vives que le gouvernement dut y répondre par l'acte du 28 août 1833 qui libérait 800,000 esclaves. La loi du 28 août 1833 déclarait libres les esclaves transportés sur le sol anglais; transformait les esclaves en apprentis travailleurs. L'apprentissage devait durer : pour les apprentis ruraux jusqu'en 1840 ; pour les apprentis non ruraux jusqu'en 1838. Les apprentis pouvaient se racheter ou être libérés de l'apprentissage. Pendant l'apprentissage les apprentis étaient placés sous la tutelle de juges de paix spéciaux. Il dépendait des colonies de donner ou de refuser la qualité de citoyen aux nouveaux affranchis. Elles recevaient une indemnité de 500 millions de francs. Cette loi contenait une grande réforme et une nouvelle violation de la liberté humaine. Elle fut corrigée par un acte du 11 avril 1838 dont la teneur décida les législatures coloniales et les conseils du gouvernement à se prononcer pour l'émancipation immédiate. La France royaliste se montra moins libérale. Cependant elle prit plusieurs mesures en faveur des affranchis et des esclaves. Le 12 juillet 1832, elle supprima la taxe des affranchissements. Le 24 avril 1833, elle proclama l'égalité civile des libres et des affranchis. Elle abolit la mutilation et la marque. Elle ordonna, les 4 août 1833 et 11 juin 1839, le recensement et la création de l'état civil des esclaves. En la même année 1839, elle créa des cas d'affranchissement de droit. Le 5 janvier 1840, elle fit une tentative d'organisation pour donner l'instruction primaire aux esclaves, qui ne produisit d'ailleurs aucun résultat. Hippolyte Passy avait saisi la Chambre, le 10 février 1838, d'une proposition qui donnait la liberté aux enfants nouveau-nés, aux hommes moyennant un prix de rachat déterminé par des arbitres nommés d'avance. L'Etat devait aider les affranchissements. Le projet fut rapporté par Rémusat qui en acceptait le principe, mais la dissolution de la Chambre le mit à néant. Il fut déposé à nouveau en 1839 et cette fois par Tracy. Pris en considération, il fut renvoyé à une commission dont Tocqueville devint le rapporteur. Tocqueville se prononça pour l'abolition générale et simultanée et proposa, au nom de la commission, une résolution obligeant le gouvernement à présenter un projet d'émancipation complète dans la session de 1841. Au lieu de se conformer à ces conclusions, le gouvernement de Louis-Philippe inscrivit au budget un crédit de 650,000 F pour augmenter le clergé et les chapelles dans l'intérêt des esclaves. En ce qui concerne directement l'abolition, il se contentait de procéder aux colonies à une enquête qu'il confiait aux fonctionnaires locaux. Les colons de leur côté, ainsi que les conseils coloniaux, protestaient contré toute émancipation et contre toute mesure restreignant leurs droits sur leurs esclaves. A la demande de l'amiral Roussin,
une commission extra-parlementaire, nommée le 26 mars 1840, fut
chargée d'étudier la question. Son président, le duc
de Broglie, en fut le rapporteur. Il conclut pour elle en mars 1843 à
l'émancipation simultanée. Les colons seraient indemnisés
et les affranchis prendraient un engagement de travail de cinq années.
Des ouvrages de Schoelcher, l'abbé
Théron, Castelli, Agénor de Gasparin,
Wallon, les interpellations réitérées dans les Chambres
agitaient l'opinion en faveur de l'émancipation. Les ouvriers de
Paris, les ouvriers de Lyon
réclamaient l'abolition immédiate. Le gouvernement de Louis-Philippe
résista néanmoins à ce mouvement d'opinion et, d'atermoiement
en atermoiement, arriva à la révolution
de Février sans avoir rien fait de définitif ni même
de sérieux contre l'institution de l'esclavage.
En 1840, la législature suédoise mettait à la disposition du roi Oscar 50,000 F pour le rachat de 531 esclaves qui se trouvaient dans la petite colonie de Saint-Barthélemy que possédait alors le royaume. Le 28 avril 1847, Charles VIII du Danemark prenait un décret qui abolissait l'esclavage, mais en ajournait l'application à douze années. L'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises provoqua une vive agitation parmi les esclaves des colonies danoises. Cette agitation décida le gouverneur à proclamer l'émancipation immédiate le 3 juillet 1848 et elle fut confirmée par la métropole l'année suivante. Le mérite d'abolir définitivement l'esclavage dans les colonies françaises était réservé à la Seconde République. Il s'en fallut de peu qu'elle ne retardât l'heure de l'émancipation immédiate : si pressantes furent, près du gouvernement proivisoire, les démarches et les suggestions des colons, de leurs amis et défenseurs. La révolution de Février avait surpris au Sénégal Victor Schoelcher, l'apôtre de l'abolition en France. Il continuait dans cette colonie les recherches et les études qu'il faisait depuis 1823 sur l'esclavage. Il comptait plusieurs amis dans le gouvernement provisoire, il accourut en France aussitôt après la réception de la nouvelle de leur avènement an pouvoir. C'est sur Arago, qui était chargé de la marine et des colonies, qu'il porta principalement ses efforts. Arago et plusieurs de ses collègues redoutaient les conséquences de l'émancipation immédiate. Mais, sur l'assurance qu'il leur donna que l'émancipation était le seul moyen de sauver les colonies de périls imminents, il fut invité par l'illustre savant à rédiger le décret d'émancipation. Voici l'acte par lequel la République, pour la seconde fois, a effacé des lois et des institutions françaises la souillure de l'esclavage : Une commission nommée le lendemain et présidée par Victor Schoelcher, sous-secrétaire d'Etat des colonies, prit toutes les mesures que nécessitaient l'émancipation et l'avènement des colonies au régime de la liberté politique et de l'égalité sociale. Les travaux de cette grande commission constituèrent un ensemble de tous les progrès qui pouvaient être réalisés dans l'empire colonial de la France.République FrançaiseAu nom du peuple français, En Hollande, le mouvement émancipateur se propage à partir de 1840 et pénètre dans les sphères gouvernementales vers 1853. Une loi du 2 septembre 1834 ordonna l'émancipation pour le 1er janvier 1860. C'est par petite dose que s'opéra
l'abolition dans les colonies portugaises. Un décret du 14 décembre
1854 et une loi du 30 juin 1856 déclarèrent libres les esclaves
appartenant à l'État, aux municipalités et aux établissements
charitables de l'ordre de la Miséricorde. Une loi du 5 juillet 1836
étendit cette mesure aux esclaves des églises. Une du 24
déclare libres les enfants à naître, à la condition
pour eux de servir leurs maîtres jusqu'à vingt ans. Le 25
août suivant, l'esclavage était déclaré définitivement
aboli dans l'Inde portugaise. Cette mesure ne tarda pas à réaliser
en fait l'émancipation à Mozambique,
dans la haute Guinée et les îles du golfe de Guinée.
Mais les efforts des économistes, des philosophes, des écrivains, l'abolition dans les colonies des puissances européennes fortifiaient chaque jour le parti des « républicains » qui avait dans son programme la destruction de la servitude. Les élections locales de 1860 favorables aux républicains et l'élection du président Lincoln furent le signal du triomphe de la cause abolitionniste. Ce succès amena le mouvement séparatiste des Etats du Sud et la guerre de Sécession entre les Etats du Sud qui voulaient le maintien de l'esclavage et les Etats du Nord qui en voulaient la suppression. Le succès resta aux défenseurs de l'émancipation. La proclamation d'émancipation dans les Etats rebelles fut lancée par Abraham Lincoln le 22 septembre 1869 pour produire son effet le 1er janvier 1863. Mais l'esclavage resta intact dans le Delaware, le Maryland, la Virginie occidentale, le Kentucky, le Missouri et une partie de la Louisiane où l'autorité fédérale était reconnue. Le Maryland et le Tennessee, les premiers, donnèrent l'exemple de l'émancipation parmi les Etats à esclaves restés fidèles à l'Union. Un amendement constitutionnel abolissant l'esclavage avait été présenté le 8 avril 1864; rejeté cette année-là par la Chambre, il fut adopté l'année suivante. Il était ainsi conçu : « Ni l'esclavage, ni la servitude involontaire, excepté comme punition d'un crime dont une personne aurait été légalement convaincue, n'existera dans les Etats-Unis, ni dans aucun lieu soumis à leur gouvernement. »Après la complète défaite des esclavagistes du Sud, parut, le 29 mai 1865, une proclamation d'amnistie pour ceux qui, notamment, prêteraient serment d'obéissance à toutes les lois et proclamations faites pendant la rébellion et relatives à l'émancipation des esclaves. L'amendement constitutionnel entra en vigueur dans toute la République dès qu'il eut été ratifié par les législatures des trois quarts des Etats. Telle fut la fin de l'esclavage aux Etats-Unis. Ce n'est qu'en 1872 que l'Espagne abolit l'esclavage à Porto-Rico. Vainement les insurgés cubains essayèrent d'émanciper les esclaves de Cuba, le 20 février 1869. Quand l'Espagne redevint maîtresse dans l'île, elle y restaura l'esclavage. En 1871, le Brésil, par la loi du 28 septembre, fit un simulacre d'émancipation. Il feignit d'abolir l'esclavage, mais ne fit que l'affranchissement par le ventre qui laisse subsister entier l'esclavage. La loi du 28 septembre ne fait que déclarer libre l'enfant né d'une femme esclave. Le 25 mars 1884, la province de Cearà a donné l'exemple au reste du Brésil, en libérant tous ses esclaves. (G. Gerville-Réache). |
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