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Le Sénégal
est un fleuve de l'Afrique
occidentale, long de 1700 km. Appelé Mayo Reo par les Toucouleurs de ses
rives, le fleuve a pour origine la Bafing (fleuve noir) dans un repli des
monts et plateau du Fouta-Djalon, en Guinée.
Le Baleyo ou Baléo - c'est ici son nom - naît à 200 km à vol d'oiseau
de Conakry, port de l'Atlantique,
à 789 m au-dessus des mers, près d'un faîte de l'autre côté duquel
les eaux gagnent directement l'Atlantique par le Konkouré, fleuve qui
aboutit à l'estuaire de Dubreka. Il coule vers le Nord-Est, en pays Malinké,
entre petits monts d'abord, ensuite entre hautes collines, très interrompu
de rapides et grossi de courts affluents, ruisseaux en saison sèche, torrents
terribles en hivernage.
Dans ce parcours, le Bafing atteint une
largeur moyenne de 450 m; les berges abruptes qui le contiennent ont généralement
de 30 Ã 36 m de hauteur. Il est un peu moins large, 400 m seulement,
lorsqu'après avoir quitté la Guinée et être parvenu au Mali
(si l'on excepte le lac de retenue formé par le barrage de Manantiali
dans lequel il se déverse. Il arrive ensuite au pont de Mahina,
l'un des lieux essentiels de son cours, car c'est là qu'il est croisé
par le chemin de fer qui relie Bamako
à Dakar;
commencé en avril 1893, terminé en juin 1896, ce pont métallique a été
jeté sur un étroit où le fleuve est rapide, sur un lit de roche, Ã
petite distance en amont de Bafoulabé, lieu du confluent du Bakoye (Bakhoy)
ou Fleuve Blanc.
Carte du Sénégal et de ses principaux affluents. Le Bakoyé continue le Sénégal inférieur plus directement que le Bafing, mais il ne vient pas de montagnes voisines de la mer comme le Bafing, et les collines dont il procède, à une vingtaine de kilomètres au Sud de Kita (Mali) sont bien moins pluvieuses que le massif du Fouta Djalon; aussi est-il bien moins abondant, et sa largeur moyenne n'est que de 250 m, contre les 450 de la vraie branche-mère du fleuve, quoique son cours soit plus long (à partir des sources du Baoulé), et que surtout son bassin soit bien plus étendu. Il ne s'appelle pas seulement Bakoye, mais aussi Ouandan et Migna : comme dans le pays du Bafing. Il a son principe à plus de 350 km de la rive de l'Océan (contre les 200 du Bafing), à 75 ou 80 seulement de Siguiri (haut Niger). Longtemps il reste étroit torrent dans des gorges-rocheuses, pittoresques, et, de droite, de gauche, lui arrivent, semblables à lui en petit, de jolis torrenticules aux belles cascades ou cascatelles, eaux aurifères sur fond de sable ou fond de roche. Ayant laissé à quelque distance à droite, à 18 ou 20 km, la ville de Kita, clé des communications dans cette région d'Afrique, il s'élargit en rivière, passe sous un pont métallique de la ligne de chemin de fer et s'augmente, à droite, du Baoulé, qui est au Bakoye ce que le Bakoye est au Bafing, c.-à -d. une rivière bien plus longue en même temps que drainant une aire bien plus considérable, mais roulant moins d'eau, comme ayant ses commencements plus loin de la mer, en un pays de moindre altitude. Ce Baoulé ou fleuve Rouge naît en effet très loin de l'Atlantique, à près de 700 km, et à quelques kilomètres seulement du Niger, en amont de Bamako; de nombreux courants lui «courent après », mais tous ne l'atteignent pas toujours, parce que la région n'est pas très pluvieuse, qu'à mesure qu'on s'avance vers le nord, à la rencontre du Sahara, elle tend à devenir désertique. Le Baoulé se porte vers le Nord, à travers le Bélédougou, puis, arrivé dans le Kaarta, de vastes contours le mènent au Sud-Ouest, puis à l'Ouest; il reçoit à gauche le Badinn-ko (Bandingo), notable tributaire parallèle au Bakoye. Quoi qu'il en soit de ces déroulements, le Bakoye, le « Blanc » grossi du « Rouge », coule vers l'Ouest; il s'abat par les chutes de Billy, qui sont un beau spectacle de la nature, il passe à Badoumbé, frôle quelques collines pittoresques et s'unit au Bafing à Bafoulabé, lui à droite, le Bafing à gauche. Le lieu du confluent est à 143 m au-dessus des mers en temps d'étiage. Dès lors, le Sénégal est fait, et il
ne s'accroît plus guère de l'amont à l'aval, sinon encore quelquefois
dans la saison d'hivernage, jusqu'Ã la sortie de ce qu'on peut appeler
relativement le haut pays. Il diminue maintenant par dispersion, évaporation,
imbibition, et faute d'affluents intarissables. Il s'en va serpentant en
une vallée fort accidentée, entre collines raides de 100, voire 150 ou
plus d'altitude, se rattachant à l'Ouest aux monts du Bambouk. A chaque
instant, il se rétrécit entre des éperons de rochers ou s'épanouit
dans des bassins arrondis; il dort ou se précipite en rapides, avec quelques
belles cascades. Une de ces chutes, celle de Gouina, est une nappe plongeante,
haute de 16 Ã 47 m, suivant les saisons, sur
une largeur moyenne de 500; la dernière chute, celle du Félou, en amont
de Médine, est aussi haute, mais les eaux y sont fort resserrées. Immédiatement
en aval de la chute du Félou, le fleuve passe devant Médine, puis, au
delà des rapides de Kippes, coule devant Kayes, où lui arrive à droite
le Kolimbiné, longue rivière à demi intermittente, gouttière un peu
désertique du très chaud pays du Kaarta; et à gauche, à 20 km en amont
de Bakel, la Falémé, moins longue qu'on ne le croyait quand on lui donnait
pour la tête la Tenné (tributaire gauche du Bafing), son déroulement
n'est que de 400 Ã 450 km.
Le cours du Sénégal dans la région de Podor. Après le confluent, il quitte le Mali et sert désormais à marquer la frontière entre le Sénégal (rive gauche), et la Mauritanie (rive droite). A partir de Bakel il sépare la région désertique peuplée par les Maures de la zone pluvieuse et irriguée qu'habitent les Noirs (Sarakolés, puis Toucouleurs). Il passe devant Matam (Sénégal), Kaedi (Mauritanie). Sur la gauche se suivent des coulées latérales, dont les plus éloignées du fleuve marquent les limites des inondations annuelles; en général, les collines sont beaucoup plus distantes du fleuve sur la rive mauritanienne que sur la rive sénégalaise, où elles sont toutefois à une trentaine de kilomètres du fleuve Sénégal. Entre le bras principal et les coulées, nombreuses et très vastes îles allongées : ainsi l'île de Bilbas, de Matane à Sablé, dépasse de bout en bout 80 km avec largeur maxima de 25; plus grande encore celle qui suit l'île de Bilbas, et qui n'a pas moins de 150 km d'amont en aval, sur une largeur maxima de 20 : c'est l'île à Morfil, c.-à -d. à l'ivoire (elle entretenait en effet jadis beaucoup d'éléphants); elle va d'au-dessus de Saldé en aval de Podor, localité à 240 km en amont de Saint-Louis par le courant de l'eau, et à 75 environ en aval du banc de Mafou, qui arrête net, sauf dans les trois ou quatre mois des hautes eaux, la course des grands navires qui remontent le courant. Vers Podor, le Sénégal, incroyablement sinueux, abandonne la direction Nord-Ouest pour la direction Ouest. Entre des rives très boisées, couvertes d'acacias et de jujubiers dont le bois est excellent pour les constructions, il gagne Dagana, ville commerçante. Après quoi c'est Richard Toll et l'embouchure de la Taouey, rivière à courant alternatif : quand le fleuve est bas, la Taouey coule vers la rive gauche du Sénégal; elle lui apporte le tribut du lac de Guier, que prolonge vers le Sud-Est la lagune de Bounoun, dans une région boisée où rôdent les girafes et d'autres animaux sauvages, tandis que lagune, lac et marigot regorgent de poissons; puis, quand le fleuve monte, changement à vue, la Taouey cesse de se verser dans le Sénégal, et c'est l'eau du Sénégal qui se dirige à l'encontre de l'ancien courant vers le lac, et la lagune. Ceci sur la rive gauche, la rive droite ayant également son lac poissonneux, le Cayar, mis en relation avec le Sénégal par trois marigots, non moins alternatifs que la Taouey. Ce sont là deux réservoirs de grande capacité, des espèces de lacs Moeris naturels. Cependant, on approche de l'Océan Atlantique, et le Sénégal tourne au Sud, en même temps qu'il dépêche vers l'Ouest le marigot des Maringouins, lequel, paraît-il, ne meurt pas toujours dans les sables, mais atteint directement l'Océan, à 80 km au Nord de la barre actuelle du fleuve. C'est à l'entrée de ce marigot que les bateliers faisaient subir aux voyageurs des navires le « baptême du Sénégal ou baguasse ». Le fleuve détache à chaque instant de ses deux rives une foule de marigots, qui tous lui reviennent. Le delta reste donc intérieur, pour ainsi dire. C'est, disait Elisée Reclus au début du XXe siècle, un labyrinthe d'environ 1500 km², composé d'îles, îlots, bancs marécageux, que séparent des rivières, des coulées, des mares, changeant de contours et de profondeur à chaque inondation. Toute cette région basse, à demi lacustre pendant la période des crues fluviales, est nettement limitée à l'Ouest par un cordon littoral d'une étonnante régularité, dit « langue de Barbarie », laquelle est une plage rectiligne de sables, d'une largeur moyenne de 380 à 400 m, recouverte de petites dunes de 4 à 6 m de hauteur et constamment ébranlée du côté du large par le heurt des vagues qui se succèdent en rouleaux écumeux. Cette plaine, protégée à l'Ouest par cette langue de Barbarie, est occupée par le fleuve et ses marigots, par des pâtures d'herbe courte, des marais, des mamelons bas, des acacias, des jujubiers et les palétuviers qui annoncent le voisinage des rives marines. C'est pendant 80 km qu'il coule ainsi vers le Sud. Il entoure d'un grand bras de 600 m de largeur, de 12 de profondeur et d'un petit bras de 200 m d'ampleur, l'île sablonneuse allongée (2300 m sur 200), qui porte la ville de Saint-Louis, et continue à longer de sa rive droite la langue de Barbarie pendant 18 km encore. Frappée sur une de ses faces par la houle de la tempête, ayant à soutenir de l'autre la pression des eaux fluviales débordées, la mince levée de sable cède, tantôt sur un point, tantôt sur un autre, pour se reformer ensuite par une nouvelle levée qui se dépose à la rencontre des eaux douces et des eaux marines. La courbe du littoral témoigne de l'incessant travail d'empiétement sur la mer qui s'accomplit ici pendant le cours des siècles; la sailllie des terres alluviales déposées en dehors de la ligne normale du rivage occupe une superficie d'au moins 2500 km². La construction du barrage de Diama dans
les années 1980 a considérablement modifié cette topographie comme le
montrent les images ci-dessous prises par un satellite Landsat :
L'embouchure du Sénégal vue depuis l'espace, en 1979 et en 1999. Images : Nasa. L'embouchure du Sénégal a ceci de fort curieux que c'est la première bouche de rivière réelle qu'il y ait en terre d'Afrique à partir du versant Nord de l'Atlas marocain, depuis l'entrée en mer de l'Oum-er-Rbia, soit une distance de 3800 km en suivant la côte, et par la ligne droite de 2200 km; de cet oued marocain jamais à sec au fleuve de Saint-Louis, l'Atlantique ne s'ouvre qu'à des tributaires vraiment irréels, lits de sable, de pierre ardente où il se peut que dix ans s'écoulent sans qu'un orage extraordinaire y verse une eau continue. Le Sénégal, lui, baisse énormément, il est telle fin de saison sèche où il ne roule peut-être pas 50 mètres cubes par seconde au-dessus de la portée du flot de marée, mais les pluies de l'hivernage en font un maître courant avec nombre indéterminé de milliers de mètres cubes à la seconde; la saison des pluies s'ouvre en mai, dans la région d'où part la branche maîtresse du fleuve, le Fouta-Djalon. Aussitôt et vite le Sénégal gonfle; dès lors, pendant quatre mois, de juin et juillet en octobre, les bateaux à vapeur d'un fort tirant d'eau peuvent remonter le fleuve jusqu'au pied de la cataracte du Félou : à Bakel, la crue atteint et même dépasse 15 m; à Matam, elle est de 9 à 10 m; à Podor de 6, à Dagana de 4. La vague d'inondation diminue à mesure qu'elle se rapproche de la mer. Mais la force du courant repousse alors les eaux marines qui, pendant la saison des sécheresses, avaient suivi le fond du lit fluvial; l'eau du Sénégal devient complètement douce devant Saint-Louis, elle pénètre même dans la mer, et les navires qui cinglent au large reconnaissent l'entrée du fleuve à la nappe jaunâtre qui s'étale au milieu de l'Océan. Certes 50 mètres cubes par seconde au lieu de contact avec la marée, ce n'est rien pour un fleuve de 1700 km de longueur, d'un si vaste bassin qu'on ne saurait guère l'estimer à moins de 360.000 km² si l'on tient compte des pays d'aval dont les ouadi ne lui envoient jamais ou presque jamais d'eau, et à moins de 250.000 en se bornant aux pays dont il reçoit réellement le tribut tous les ans. Comment le Sénégal peut-il descendre si bas, lui où d'antiques géographes reconnaissaient, d'après Cadamosto, le Gihon, fleuve du Paradis terrestre, et qu'ils identifiaient à la fois avec le Niger et avec le Nil? Mais c'est justement le contraire qui doit étonner : comment se fait-il qu'il y ait une seule goutte d'eau, une seule, dans le Sénégal, à la fin de la saison sèche? Car enfin la saison des pluies ne dure guère que trois mois dans son bassin, d'où neuf mois d'un implacable été avec des chaleurs de 40 et 45°C à l'ombre! De plus la nature du pays se prête mal à l'aménagement des pluies en sources, et, d'autre part, la pente étant forte dans le haut bassin du fleuve, l'eau s'écoule avec rapidité dans le lit des torrents : toutes conditions pour que le fleuve tarisse vite, et tout à fait; Faidherbe, Galliéni, les divers explorateurs du Sénégal et du Niger (qui en cela ressemble au Sénégal) ont donné la raison de la persistance estivale de ces grands cours d'eau (L'exploration de l'Afrique). Les lits du Sénégal et de ses affluents, au lieu d'être largement ouverts au courant, sont, à des distances variables, coupés par des bancs de roches plus ou moins élevés, formant parfois, comme au Félou, à Gouina, à Billy, de véritables cataractes. En arrière de ces barrages naturels se sont créés des biefs à eaux profondes et sans courant sensible. Ces biefs commencent dans le Fouta et se continuent jusqu'aux sources des plus petites rivières du bassin. Ce fait étant connu, il est facile de se rendre compte du phénomène qui survient au moment des pluies de l'hivernage : l'énorme quantité d'eau qui tombe en quelques jours étant peu absorbée par les flancs dénudés des vallées d'érosion, fait rapidement déborder les biefs; les barrages sont submergés, les cascades recouvertes, et de grandes masses liquides se précipitent dans les biefs inférieurs qui s'emplissent à leur tour. Le mouvement continue ainsi jusqu'aux plaines du bas Sénégal, qui ne tardent pas à se changer en immenses marais. De là les crues subites et périodiques, qui rappellent par leur régularité celles du Nil. Dès que les pluies cessent, les sources étant seules à fournir le débit, les barrages supérieurs se découvrent, puis les barrages inférieurs, et peu à peu, le torrent s'étant écoulé vers la mer, le fleuve n'est plus alimenté que par les minces filets d'eau qui s'échappent des fissures des cataractes ; mais en arrière d'elles, il reste de vastes réservoirs encore tout pleins. Ces réservoirs, dans les hautes régions, sont préservés contre l'évaporation par l'épaisse végétation qui borde les rives de presque tous les cours d'eau et forme au-dessus de leur lit une voûte de verdure interceptant les rayons du soleil et maintenant pendant la saison sèche une certaine fraîcheur aux abords. Au-dessous de Bakel, où finit la partie montagneuse du bassin du Sénégal, la crue est moins rapide, à cause de la partie siliceuse du terrain qui absorbe une quantité potable des eaux pluviales, agissant ainsi comme une sorte de régulateur sur les crues. Au moment des premières pluies, le terrain environnant s'imbibe aux dépens du fleuve, ce qui produit même un abaissement momentané des eaux dans la partie basse de la vallée; il prolonge ensuite la crue, au moment de la baisse, en rendant au fleuve une partie des eaux enlevées. Souvent la plaine qui s'étend aux environs de Saint-Louis, sur la rive droite du Sénégal, est déjà inondée et en grande partie impraticable alors que la crue s'est à peine fait sentir dans le fleuve. Pendant les cinq mois des hautes eaux, les navires employés pour la navigation du fleuve peuvent remonter jusqu'aux chutes du Félou, à 150 km au-dessus de Bakel; durant les autres mois, ils s'arrêtent, selon l'époque, soit à Bakel, soit au banc de Mafou. (O. Reclus). |
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