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Le
Christianisme,
né dans une culture très éloignée de celle du monde gréco-latin,
a introduit dans la philosophie forgée en
Grèce de nouvelles thématiques, telles que la question de l'unité
de Dieu, sa personnalité, la création, l'immortalité
de l'âme. Ces croyances venues d'ailleurs ont ainsi
suscité, par leur hétérogénéité même, une philosophie d'un caractère
nouveau, une philosophie chrétienne, qui fut d'abord la philosophie des
Pères
de l'Église, aussi appelée philosophie patristique, puis la
philosophie scolastique.
Caractères de
la philosophie patristique.
1°
Elle est incidente et fragmentaire.
La tâche primordiale
qui s'imposait aux Pères de l'Église était, d'une part, de montrer quel
est le dogme de Église
et de le préserver de tout alliage avec les doctrines judaïques
et paĂŻennes; d'autre part, de maintenir,
à l'encontre des schismes et des hérésies,
l'unité de discipline et de gouvernement ecclésiastiques. Aussi la philosophie
des Pères de l'Église est fragmentaire, et la plupart des questions abordées
sont déterminées par les nécessités de la polémique.
2°
Elle est dépourvue d'unité.
Par cela mĂŞme que
leur oeuvre philosophique est fragmentaire, on comprend que les Pères
de l'Église ne se sont pas mis d'accord sur un ensemble d'idées organiques
coordonnées entre elles. Il n'y a pas de synthèse patristique, comme
il y eut plus tard une synthèse scolastique. Les auteurs de cette époque
s'abandonnent aux influences les plus diverses de leur milieu. Ils subissent
à dose très inégale l'ascendant des néo-platoniciens;
par l'intermédiaire de ces derniers, ils sont tributaires de Platon
et d'Aristote; mais ils recueillent aussi des
théories
stoïciennes, académiciennes, juives
et orientales. Seuls, les enseignements nouveaux du christianisme sur quelques
problèmes agités par la philosophie trouvent créance chez tous, et constituent
un élément d'unité; encore rencontre-t-on dans leur interprétation
la plus grande diversité.
Division.
On peut diviser
la philosophie patristique, en prenant pour base les luttes religieuses
qui lui donnent naissance. Or, l'histoire de ces luttes se répartit en
deux périodes, suivant les discussions doctrinales qui en furent le principal
aliment et suivant les résultats auxquels elles aboutirent.
Première
période.
Luttes des trois
premiers siècles, depuis la fondation de l'Église jusqu'au concile de
Nicée
(325). C'est l'époque de la fixation des dogmes fondamentaux.
Deuxième
période.
Luttes du IVe
au VIIe siècle, depuis le concile
de Nicée jusqu'au concile in Trullo (692). C'est l'époque du développement
de la dogmatique chrétienne.
La philosophie patristique
pendant les trois premiers siècles
Doctrines hérétiques.
Le
Gnosticisme.
Pendant premiers
siècles, à côté de la doctrine qui allait s'imposer comme celle de
l'Eglise, de nombreuses autres approches, qui allaient être qualifiées
d'hérétiques, ont vu le jour (le manichéisme,
l'ébionisme, le millénarisme, le montanisme,
etc.). Le principal de ces mouvements a été celui des gnostiques. Le
Gnosticisme
a de nombreuses attaches avec la philosophie grecque décadente et, comme
celle-ci, il présente un alliage syncrétique des théories existantes.
L'origine du mal et du monde où le mal se manifeste est le problème fondamental
de tous les systèmes gnostiques. Pour le résoudre, ils recourent à une
science plus haute que la foi révélée, à une connaissance religieuse
spécifique, qu'ils appellent la gnôsis. Le dualisme
essentiel de Dieu, principe de l'être et du bien, et de la matière, principe
du mal (Philon); l'évolution de l'être divin,
produisant par émanation une série d'Eons de
moins en moins parfaits (Plotin); l'alliage de
l'élément divin et de l'élément matériel donnant naissance au monde
telles sont les idées métaphysiques et cosmologiques du gnosticisme.
La création, la rédemption chrétienne ne sont dès lors que des phénomènes
naturels et nécessaires, des épisodes de la lutte de l'élément divin
contre la matière dont il tend à s'affranchir. La rédemption s'achèvera
par le retour cosmique de toutes choses dans leur place propre, apokatastasis
pantĂ´n. Pour adapter ces doctrines au texte de la Bible ,
les gnostiques interprètent celles-ci dans un sens allégorique (Philon),
jusqu'Ă ce que la lettre se plie de force Ă leurs conceptions. (On retrouve
les mêmes principes philosophiques à la base du manichéisme, bien que
leurs applications aux dogmes catholiques ne soient pas les mĂŞmes que
dans le gnosticisme).
Le gnosticisme revĂŞtit
des formes nombreuses et compta beaucoup d'adhésions. Cérinthe,
Saturnin, Marcion, Carpocrate (vers 160), Basilide,
surtout Valentin - qui tous vécurent au IIe
s. - sont les principaux représentants du gnosticisme.
Premiers écrivains
ecclésiastiques.
Sans doute, la science
ecclésiastique apparaît déjà avec les écrits du Nouveau Testament ,
et notamment dans les lettres de saint Paul, on
peut découvrir un système théologique. Les écrits des premiers Pères
ont aussi une grande importance doctrinale ; mais c'est Justin
le Philosophe, au IIe siècle, qui le premier
indique la marche à suivre pour expliquer et défendre la foi. Vers le
même temps, d'autres que lui, saint Irénée de Lyon (vers 120-202) et
Hippolyte de Rome, mènent vigoureusement l'attaque contre le gnosticisme.
Au IIIe
siècle, il faut se transporter à Alexandrie
- une des places fortes du gnosticisme - pour rencontrer la plus brillante
école chrétienne.
L'Ecole d'Alexandrie.
Origène.
Fondée par
Pantène
( 200), illustrée par deux grands hommes, Clément
d'Alexandrie (mort avant 216) et Origène (185-254), l'école chrétienne
d'Alexandrie ne se put soustraire à l'influence des idées cosmopolites
de la métropole orientale.
Nous possédons de
Clément d'Alexandrie un ouvrage tripartite, comprenant le Logos proteptikos
pros Hellenas, le PaidagĂ´gos, et les StrĂ´mateis; les
deux derniers traités devinrent une des sources de la mystique
catholique.
Origène.
Dans son principal
ouvrage Peri archôn, Origène entreprend
le premier exposé systématique du dogme. A ce titre, il occupe une place
de choix dans l'histoire de la pensée chrétienne. Entre tous les Pères
alexandrins, Origène subit le plus vivement l'empire de son milieu : de
la philosophie gréco-judaïque d'abord, notamment de Philon à qui il
emprunte sa théorie de l'interprétation allégorique de la Bible,
- de la philosophie de Platon, d'Aristote
et des stoïciens, par l'entremise du néoplatonisme,
- des systèmes gnostiques même. Si bien qu'on a pu dire d'Origène qu'il
était chrétien dans son commerce social, grec dans ses conceptions
du monde et de Dieu. Aussi dans ses réfutations du gnosticisme s'est-il
abandonné à plusieurs théories que plus tard ses successeurs désavouèrent
telles sont les doctrines de la préexistence des esprits dans un monde
antérieur (Platon), leur égalité originelle, la création éternelle,
le retour de toutes les créatures à Dieu à la fin des choses.
Malgré quelques
théories que l'Eglise ne retiendra pas, Origène met à la base de sa
philosophie la théorie de la création, que ses prédécesseurs interprètent
déjà dans le sens biblique, mais dont il se constitue un des promoteurs
les plus éloquents. Ainsi prennent fin les hésitations et les alternatives
des philosophes grecs, impuissants Ă expliquer
les rapports de Dieu et du monde. Les uns souscrivaient au dualisme de
Dieu de la matière, sans justifier l'origine et l'indépendance de la
matière
(Platon, Aristote); les autres enseignaient l'effusion fatale de la substance
ou de l'activité divine dans le fini (stoïcisme, panthéisme
alexandrin). Aucun de ces systèmes ne rend compte des rapports de l'infini
et du fini. Le panthéisme moniste n'explique
pas pourquoi Dieu se répand dans le contingent, tandis que l'individualisme
dualiste se heurte à une arbitraire juxtaposition de la matière et de
Dieu. Au contraire, la doctrine de la création, ou de la production du
monde ex nihilo, par un acte de la volonté libre du Tout-Puissant,
résout l'insoluble énigme; elle maintient avec Aristote la distinction
substantielle de l'Être nécessaire et de l'être
contingent, avec Plotin la dépendance primordiale du monde vis-à -vis
de Dieu. La théorie créationiste est une des plus importantes expressions
de la doctrine chrétiennne ajoutée aux idées grecques et païennes en
général. Elle fut reprise par toute l'époque patristique et médiévale.
L'École d'Alexandrie
s'éclipse déjà avec les disciples d'Origène, Denys le Grand (mort en
204), auteur d'un traité contre le matérialisme atomiste, et Grégoire
le Taumaturge.
Ecrivains de langue
latine.
Minucius Felix ouvre
la série des écrivains de langue latine
qui se consacrèrent à la défense philosophique des idées religieuses.
Mais le plus célèbre est Tertullien de Carthage
(169-220). Ses ouvrages (principalement De idolatria, Apologeticus,
De anima, libri duo ad nationes, et plusieurs traités sur le gnosticisme,
écrits dans une langue vigoureuse et hardie, contiennent des diatribes
acerbes contre le gnosticisme, contre les productions artistiques et scientifiques
de la société romaine, voire même contre toute
science rationnelle. On connaît cette dure parole qu'on place dans sa
bouche : credo quia absurdum. Prise au sens absolu, elle trace la
délimitation entre la raison et la foi.
Cependant Tertullien
lui-mĂŞme porte l'empreinte du milieu grec, du stoĂŻcisme par exemple qui
inspire maint passage de son Traité de I'âme. Il croit devoir
reconnaître à l'âme une certaine nature corporelle, animae corpus
asserimus propriae qualitatis et sui generis, sans néanmoins nier
son immortalité; puis, en conformité avec cette doctrine, il souscrit
franchement au traducianisme, enseignant que l'âme,
aussi bien que le corps, doit son origine à la génération, velut
surculus quidam ex matrice Adam.
Après Tertullien,
mais moins importants que lui, viennent Cyprien
de Carthage (vers 200-258), Commodien, Arnobe,
qui écrivit dans les premières années du IVe
siècle (Adversus gentes) et Lactance
(vers 260340, Institutiones divinae).
La philosophie patristique
du IVe au VIIe
s.
La patristique au
IVe et au Ve
s.
L'édit de
Milan
(313), dĂ» Ă la protection de Constantin
le Grand, avait donné à l'Église catholique droit de cité dans
l'Empire romain; le concile de Nicée
(325) avait fixé ses dogmes capitaux. Elle put désormais produire le
dogme au grand jour, tenir des assises solennelles pour promulguer l'enseignement
de ses docteurs et repousser les assauts de ses ennemis.
Pendant le IVe
et le Ve s. en effet, l'hérésie lutte
corps à corps avec la religion nouvelle. Les écoles d'Antioche,
d'Alexandrie et de Cappadoce sont, en Orient,
les foyers principaux de l'étude théologique; les luttes doctrinales
absorbent le meilleur effort des hommes de ce temps; d'après leur objet
principal, nous distinguons les controverses trinitaristes, christologiques,
anthropologiques.
Les
controverses trinitaristes.
Elles furent soulevées
par l'arianisme à propos du mystère de la Trinité.
Les ariens enseignaient la subordination du Fils vis-à -vis du Père, niaient
la procession divine et l'éternité du Fils et faisaient du Saint-Esprit
une créature du Fils.
Saint Athanase,
évêque d'Alexandrie (mort en 373), puis Grégoire
de Nysse (331-394), son frère Basile le Grand
(mort en 379) et Grégoire de Naziance
- les « trois lumières de Cappadoce » - furent les adversaires les plus
redoutables de l'arianisme. Héritier des traditions de l'école d'Alexandrie,
Grégoire de Naziance rédigea des extraits de l'Organon. Mais son
renom ne peut rivaliser avec celui de Grégoire de Nysse, le grand continuateur
de l'oeuvre d'Origène. Grégoire de Nysse chercha à démontrer l'accord
de la raison et de la foi, mais il se débarrassa des thèses hétérodoxes
du théologien alexandrin.
En Occident, l'arianisme
fut combattu par Hilaire de Poitiers (mort en
366) et saint Ambroise (vers 340-420). Les ouvrages
de saint Ambroise sont marqués au coin du caractère pratique de leur
auteur; chez le célèbre évêque de Milan, l'homme de science est au
service de l'homme d'action. Entre tous les écrits des Pères, l'Hexaemeron
de saint Ambroise est un de ceux que le Moyen âge étudiera le plus volontiers.
Les conciles oecuméniques
de Nicée et de Constantinople (381) portèrent à l'arianisme un coup
mortel.
Les
controverses christologiques.
Nestorius
(428) mutile le dogme de l'incarnation, en admettant dans le Christ l'existence
réelle de deux personnes correspondant aux deux natures. Il fut combattu
par Cyrille d'Alexandrie (mort en 444).
Une réaction excessive
contre le nestorianisme inspira aux Eutychiens monophysites
la doctrine de la confusion des deux natures dans la personne du Christ.
Le concile de ChalcĂ©doine mit fin Ă
cette hérésie (451).
Une autre controverse
christologique fut soulevée au VIIe siècle,
par les monothélites qui n'admettaient
dans le Christ qu'une seule volonté. Cette thèse
fut condamnée au concile de Constantinople
(680-681).
Les
controverses anthropologiques.
Les luttes précédentes
avaient porté la discussion sur les notions métaphysiques de la nature
et de la personne. Plus importantes au point de vue philosophique furent
les controverses sur la grâce, le péché originel
et la liberté, parce qu'elles mirent en cause
la nature de l'homme et ses rapports avec l'Infini. Le
pélagianisme
niait le péché originel et la nécessité de la grâce pour arriver au
salut; il transformait la doctrine de la
prédestination,
en déclarant que les oeuvres sont bonnes par les seules forces de la nature
et constituent la cause méritoire du bonheur.
Le pélagianisme
trouva un adversaire de génie en la personne de saint Augustin.
Saint Augustin.
Sa
vie et ses oeuvres.
Saint
Augustin n'est pas seulement un des plus célèbres Pères de l'Église;
il est aussi le plus grand philosophe de son temps. Sa philosophie suit
d'abord pas à pas les cadres de sa dogmatique, mais elle s'étend bientôt
au-delà des nécessités de la polémique pour embrasser des problèmes
nouveaux et indépendants.
NĂ© en 354 Ă Thagaste,
d'une mère chrétienne, Monique, qui contribua puissamment à sa formation
morale, saint Augustin quitta bientôt l'enseignement de la rhétorique
qu'il avait pratiqué eu diverses villes de l'Asie
Mineure et de l'Italie, pour
s'adonner aux études théologiques. Après avoir adhéré au manichéisme,
nourrissant aussi des sympathies pour le scepticisme de la nouvelle Académie,
il fut converti au catholicisme par saint
Ambroise de Milan qui le baptisa en 387. Nous le retrouvons ensuite Ă
Hippone
dont il illustra le siège épiscopal; jusqu'à sa mort en 430, saint Augustin
se consacra à la propagation du catholicisme, et à la réfutation des
hérésies contemporaines, du pélagianisme notamment, et du manichéisme
dont il avait autrefois partagé les thèses.
Nous n'étudions
ici que l'oeuvre philosophique de saint Augustin. A ce point de vue, citons
parmi ses nombreux traités : les Retractationum libri duo écrits
vers 427 et contenant un résumé critique de ses travaux depuis sa conversion,
- les Confessiones (400) oĂą il relate l'histoire de sa formation
intellectuelle et morale jusqu'à la mort de sa mère (387), - le traité
contra
Academicos, dirigé contre ces néo-sceptiques dont il avait un instant
partagé les doutes. - les Soliloquia, de immortalitate animae, de quantitate
animae, de libero arbitrio, de magistro. Les célèbres ouvrages de
civitate Dei et de trinitate, dont la portée est avant tout
dogmatique et apologétique, sont riches aussi en considérations philosophiques.
Saint Augustin était
familiarisé avec les principaux penseurs de l'Antiquité, qu'il connaissait
surtout par Cicéron. Il estimait Aristote, mais
le mettait bien en dessous de Platon (vir excellentis ingenii et eloquii
Platoni quidem impar) . Il considérait ce dernier comme un précurseur
de la pensée chrétienne, et il a fait siennes plusieurs de ses doctrines.
Saint Augustin lisait aussi les stoïciens et les Néo-platoniciens, surtout
Plotin,
Jamblique,
Porphyre.
Le rhéteur Marius Victorinus (154), inféodé
aux idées alexandrines, a exercé sur l'évêque d'Hippone un ascendant
réel et lui a fourni plusieurs traductions latines d'oeuvres anciennes.
Philosophie
de saint Augustin.
La philosophie de
saint Augustin est avant tout une étude de Dieu; vers celle-ci convergent
sa métaphysique, sa morale et surtout sa psychologie.
«
Deum et animam scire cupio. Nihilne plus? Nihil omnino. »
Mais toutes ses spéculations
rationnelles sont dominées par une théorie originale sur les rapports
de la foi et de la raison.
1° Rapports
de la foi et de la raison. - Saint Augustin jette les fondements d'une
doctrine qui sera chère au Moyen âge, et qui trouvera au XIIIe
s. son expansion complète : la foi et la raison se rendent des services
mutuels, à des points de vue différents. « Intellige ut credas, credo
ut intelligas ».
a) Intellige
ut credas, car la raison fournit les concepts
qui sont à la base des vérités qu'il faut croire, elle prétend prouver
l'existence et l'infaillibilité de la révélation, elle montre que le
mystère est suprarationnel mais non antirationnel.
b) Crede ut intelligas,
car il est des vérités que la raison ne saurait soupçonner, si Dieu
ne les proposait d'abord à la foi du croyant, par la révélation.
2° Métaphysique,
physique et théodicée. - Chez saint Augustin la métaphysique et
la physique sont intimement soudées à la théodicée
: ce n'est en effet que pour fixer leurs rapports avec l'Infini, que le
philosophe africain considère les déterminations générales de l'être
et les lois qui régissent les substances corporelles. Nous nous bornerons
à signaler en cette matière les thèses les plus importantes pour l'histoire
des idées.
a) Existence
et nature de Dieu. - Saint Augustin prétend démontrer l'existence
de Dieu par l'étude a posteriori de la contingence du monde, par
la contemplation de l'ordre de l'univers, par le témoignage de la conscience,
et de préférence par les caractères de nécessité et d'immutabilité
que possède l'objet de nos représentations intellectuelles.
Contre les manichéens,
il défend le monisme primordial d'un Dieu bon, infiniment parfait; contre
les néo-platoniciens, la théorie de la
création, et toutes les conséquences quelle implique (162). Néanmoins
divers thèmes alexandrins sont heureusement transposés dans cette théodicée
chrétienne : Dieu est la simplicité par essence, il est inconnaissable
en lui-même; sa majesté suzeraine est surélevée au-dessus des catégories.
La science divine est un des problèmes de prédilection de la philosophie
augustinienne; à cette étude se rattache la théorie de l'exemplarisme
à laquelle saint Augustin a attaché son nom.
b) La théorie
de l'Exemplarisme. - une correction de la doctrine
platonicienne et néo-platonicienne des Idées - est une des clefs
de voûte de la métaphysique augustinienne. Avant de créer l'univers,
Dieu a dû en concevoir le plan grandiose; il connaît les essences possibles,
dans leur rapport avec son essence infinie dont
elles sont de lointaines imitations (principales formae quaedam vel
rationes rerum). A chaque individualité contingente
correspond une idée divine, norme de sa réalité.
(Singula igitur propriis sunt creata rationibus).
Fondement ontologique
suprême des essences contingentes, les idées divines
sont aussi la base définitive de leur cognoscibilité, et par voie de
conséquence, sur elles repose en dernière analyse la certitude du savoir
humain; non pas que nous connaissions les choses en Dieu (ontologisme),
mais parce que, par un retour synthétique, nous voyons que les attributs
de toutes choses reproduisent nécessairement leur exemplaire incréé.
c) Les rationes
seminales. - Les choses contingentes sont la copie des idées divines;
elles les reproduisent imparfaitement. A l'origine du monde corporel, Dieu
a déposé dans la matière des forces actives, constituées d'après les
exemplaires qui, dans sa science éternelle, correspondent aux essences
matérielles. Ce sont les principes séminaux ou les rationes seminales,
dont la germination successive dans le sein de la matière réalise les
êtres concrets et ultérieurement l'ordre cosmique. Saint Augustin souscrit
franchement à l'optimisme esthétique et métaphysique,
et cherche ses fondements dans la pensée de Dieu qui a dû concevoir entre
les essences des rapports harmonieux.
3° Psychologie de
saint Augustin. - Saint Augustin est un psychologue; sa méthode est
l'observation interne; il excelle à décrire les états psychiques.
a) La
nature humaine. - L'homme est une juxtaposition de deux substances,
l'âme et le corps. Élevée
au-dessus du corps, l'âme, dit-il, est indépendante de lui (Platon).
Le corps n'agit pas sur l'âme, c'est l'âme qui agit sur elle-même dans
le corps où elle est répandue.
Saint Augustin affirme
l'immatérialité de l'âme humaine par les caractères de la représentation
intellectuelle et par la connaissance que
l'âme possède d'elle-même; l'immortalité de l'âme par sa participation
aux vérités immuables et éternelles. Mis en demeure de se prononcer
sur l'origine de l'âme, le philosophe africain se meut dans des hésitations
pénibles qui se perpétueront pendant la première partie du Moyen âge
: d'une part, la transmission du péché originel l'incline à souscrire
au traducianisme ou génératianisme, pour qui l'âme de l'enfant se détache
de l'âme même des générateurs; d'autre part, il ne rejette pas le créatianisme
qui enseigne la création journalière des âmes lors de la génération.
L'âme se manifeste
par de multiples activités qui ne diffèrent pas réellement de sa substance
: saint Augustin reconnaît volontiers trois facultés, la mémoire,
l'intelligence, la volonté,
- une des nombreuses divisions trichotomiques de sa psychologie, dans laquelle
il cherche de préférence une image de la sainte Trinité. Étudions de
plus près l'intelligence et la volonté.
b) L'intelligence.
- A l'encontre du scepticisme académicien
auquel il avait adhéré d'abord, saint Augustin pose en thèse que la
certitude
est nécessaire à la possession du bonheur. La certitude primordiale est
celle de la conscience et de la réalité du moi
pensant; car pour douter il faut ĂŞtre, bien plus, pour douter il faut
se souvenir, raisonner, vouloir.
Noli foras ire, in te redi, in interiori
homine habitat venitas.
Nous sommes certains
aussi de la vérité de nos représentations
intellectuelles (ratio, intellectus; du monde extérieur, et si
nous leur donnons une adhésion que nous refusons aux sensations,
c'est que nous connaissons la norme de leur vérité. Cette norme est leur
ressemblance avec les idées divines, et conséquemment avec la réalité
objective. Notre intelligence est faite pour connaître le vrai, parce
qu'elle est une participation créée de l'intelligence infinie, qui ne
peut ni se tromper ni nous tromper. En dernière analyse, saint Augustin
résout le problème critériologique en le rattachant, par voie déductive,
à sa métaphysique et à sa théodicée.
Parlant de l'origine
de nos connaissances intellectuelles, il en fait des phénomènes
purement actifs, qui ne subissent aucune influence causale de nos représentations
sensibles (Platon). La connaissance de l'âme par elle-même est, pour
le philosophe africain, l'objet principal du savoir.
c) La volonté
occupe une place prépondérante dans la psychologie augustinienne. Sur
son ordre, le sens intime et l'intelligence
entrent en exercice. C'est aussi de la volonté que relève l'acte de foi,
ou l'assentiment de l'intelligence à une vérité qu'elle ne comprend
pas.
4° Morale de saint
Augustin. - Dieu est le terme de la vie humaine. Le bonheur surnaturel
réalisera l'union du fini et de l'infini par la connaissance et par l'amour.
Les polémiques qu'il engagea contre le manichéisme, le pélagianisme
et le semipélagianisme, amenèrent saint Augustin à étudier les problèmes
du mal, de la liberté, de la grâce, de la prédestination. Le mal ne
se partage pas avec le bien l'empyrée métaphysique
(manichéisme), il est une privation du bien et par conséquent n'affecte
que les choses contingentes, douées d'un certain degré de bonté. - Quant
à la doctrine de saint Augustin sur la prédestination, elle n'est pas
facile à déterminer. Une controverse séculaire s'est élevée sur les
textes qui s'y rapportent et les systèmes les plus divers se sont autorisés
du nom de l'illustre penseur.
Saint Augustin exerça
une influence prépondérante sur les destinées de la
théologie
et de la philosophie chrétienne. Parmi les autres écrivains du IVe
siècle, moins directement mêlés à la polémique, mentionnons
:
+ Saint
Jérôme (mort en 420), auteur de la Vulgate, du
liber de
viris illustribus, d'une traduction de la chronique d'Eusèbe.
Ses lettres firent
les délices des
clercs du Moyen âge, et son histoire littéraire resta pendant de longs
siècles le modèle des annalistes et chroniqueurs.
+ Rufin (vers 346-410)
qui fut d'abord l'ami de saint Jérôme, plus tard s'aliéna son amitié
à cause de ses opinions origénistes, traduisit un grand nombre d'oeuvres
grecques en latin, notamment l'histoire ecclésiastique d'Eusèbe, des
homélies d'Origène son Peri archôn. Il écrivit aussi des traités
originaux en latin.
Les auteurs du Ve
siècle.
A partir du Ve
siècle, la philosophie patristique perd de sa vigueur. Ceux de ses représentants
qui nous ont transmis des théories philosophiques, les ont demandées
au néo-platonisme. On retrouve l'influence du néo-platonisme, dans la
mesure où il se concilie avec le christianisme, chez Synésius
de Cyrène (365/370 - 430), Nemesius d'Emèse
(vers 450); à l'école de Gaza, Procope écrivit
un contre-traité pour combattre la stoicheiôsis theologikè de
Proclus.
Au point de vue de
l'histoire générale des idées, un seul homme émerge dans la littérature
orientale de cette période, c'est l'auteur faussement connu sous le nom
de saint Denys l'Aréopagite, disciple
de saint Paul. De longues controverses se sont élevées sur cette personnalité.
Il semble qu'il faille localiser Ă la fin du Ve
siècle les écrits du pseudo-Denys. Ils n'apparaissent pas avant l'époque
de la grande Conférence religieuse de Constantinople. Les traités du
pseudo-Denys sur les noms
divins, la théologie
mystique, la hiérarchie céleste, la hiérarchie ecclésiastique, ont
inspiré la mystique et la scolastique jusqu'à la Renaissance.
Un des premiers admirateurs et imitateurs du pseudo-Denys fut Maxime le
Confesseur (vers 580-662).
Philosophie
du Pseudo-Denys.
La philosophie du
pseudo-Denys a pour pivot Dieu et l'union mystique.
a) Dieu
en lui-même. - Dieu a toutes les perfections des créatures. Il est
bien, beauté, force, unité (traité des noms divins). Mais à raison
de sa transcendance (traité de la théologie mystique), il est à un certain
point ineffable, obscur, non-ĂŞtre (Plotin).
b) Dieu principe
des choses. - Dieu est avant tout bonté, et tous les autres êtres
sont une effusion de sa bonté (processiones divinae) comme la lumière
est une effusion du soleil (Platon, Plotin). Entre l'homme et Dieu, il
y a tout un échelonnement d'esprits célestes (traité de la hiérarchie
céleste) dont la hiérarchie ecclésiastique est le décalque (traité
de la hiérarchie ecclésiastique).
c) Dieu fin des
choses. - Toutes choses tendent vers Dieu. Le bien, après être descendu
dans la créature, remonte à son point de départ. En ce qui concerne
l'homme, ce retour vers Dieu se réalise par le ravissement de la connaissance
et le délire de l'amour.
Malgré les larges emprunts
qu'il fait aux néo-platoniciens, l'inspiration chrétienne du pseudo-Denys
n'est pas douteuse; le mysticisme qu'il développe est un mysticisme catholique
et orthodoxe. En effet, d'une part la distinction substantielle de Dieu
et des créatures est nettement affirmée, d'autre part l'union mystique
a pour fondement la grâce surnaturelle.
Il n'en est pas moins
vrai que les termes obscurs et exaltés dont se sert l'auteur, ont donné
le change et qu'au moyen âge le mysticisme hétérodoxe, aussi bien que
le mysticisme orthodoxe, s'autorise de son nom.
Les écrivains
postérieurs au Ve siècle.
Parmi les philosophes
latins postérieurs au Ve siècle
Isidore
de Séville et Bède le vénérable brillent
au premier rang. Par leur mode de penser et leur influence, ils appartiennent
à l'époque médiévale. (De Wulf). |
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