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Le mot pagani, employé pour désigner ceux qui étaient restés attachés aux anciennes religions de l'Empire romain, se trouve pour la première fois dans un édit de Valentinien (368). Il semble indiquer que, à cette époque, les anciennes religions avaient été abandonnées par les habitants des villes, et qu'elles ne trouvaient plus guère d'adhérents que parmi les paysans. Malgré la limitation qui devrait résulter de cette étymologie, le mot paganisme est communément employé comme désignant, à toutes les époques, toutes les religions autres que le judaïsme et le christianisme. C'est avec cette signification que nous nous en servons dans la présente notice. La foi en la puissance des divinités nationales n'implique nullement la négation de l'existence et de la puissance d'autres divinités, non plus que de la légitimité et de l'utilité du culte qui leur est rendu. La première attitude du paganisme à l'égard du christianisme devait donc être celle de la tolérance ou de l'indifférence. Il ne commença à réprimer les chrétiens que lorsqu'il les vit se présenter et agir comme des ennemis irréconciliables de ses dieux et des institutions nationales auxquelles leur culte était associé (Persécutions des Chrétiens). L'édit de Milan promit une liberté complète aux chrétiens comme aux païens : potestatem liberam et apertam sequendi religionem quam quisque voluisset. Quoiqu'il désirât la victoire du christianisme, Constantin maintint dans leurs privilèges les prêtres des anciennes religions. Lui-même portait le titre et les insignes de Summus Pontifex. De même, ses successeurs jusqu'à Gratien (375-383). Constantin avait fait relever à Rome le temple de la Concorde. Après sa mort, il reçut l'apothéose et le titre de divus. En 340, un édit de Constance condamnait aux mines ceux qui profaneraient les sépultures païennes; mais, dès l'année suivante, un autre édit abolit formellement les sacrifices. Cette prohibition fut renouvelée en 353 et 356, avec peine de mort. Les maximes de tolérance et l'impartialité reprirent faveur sous les règnes de Julien (361-363), Jovien (363-364), Valentinien en Occident (364-375) et de Valens en Orient (364-278). La victoire définitive de l'orthodoxie nicéenne sur l'arianisme ranima l'esprit de persécution. En 382, Gratien fit enlever du Capitole la statue et l'autel de la Victoire. En Orient, Théodose, qu'il s'était associé, procéda avec une incessante rigueur à l'extirpation du paganisme. Ses édits instituèrent contre les relaps l'incapacité de tester (381); contre les présages tirés de l'inspection des entrailles, la peine de mort (385); contre les sacrifices et même contre la simple entrée dans un temple, même peine (392). On prétend qu'il ordonna la démolition de tous les temples; mais l'édit qui aurait contenu cet ordre ne nous est pas parvenu; et des témoignages contemporains montrent qu'en Egypte, où les païens étaient encore nombreux, les temples furent fermés, mais non détruits. Ces mesures obtinrent un facile succès en Orient. Les chrétiens y formaient non seulement la majorité de la population, mais aussi les classes les plus influentes. La résistance ne se manifesta d'une manière sérieuse que dans quelques écoles. En Occident, au contraire, les plus chères et les plus illustres traditions des Romains étaient associées à l'histoire et à la cause du paganisme. Le christianisme avait été introduit chez eux, et pendant longtemps n'y avait été professé que par des Grecs, des Syriens et des Orientaux méprisés. Ils avaient vu la croissance de la religion nouvelle correspondre à la décadence de la grandeur romaine. Ils avaient frémi, lorsqu'un empereur chrétien avait enlevé la statue de la Victoire; le ressentiment de cette honte avait armé les mains de la plupart des soldats qui massacrèrent Gratien. Lorsque Symmaque demandait, au nom du peuple de Rome, la restauration de cette statue, cinq familles seulement parmi les familles sénatoriales, professaient la foi chrétienne; le reste de la noblesse protestait pour le maintien de la religion nationale. C'est pourquoi Théodose n'osa pas poursuivre en Occident l'exécution des édits qui ordonnaient la fermeture des temples et l'expulsion des pontifes. Au commencement du règne d'Honorius (395-423), les temples de Jupiter, de Mercure, de Saturne, de la Mère des Dieux, d'Apollon, de Diane, de Minerve, de l'Espérance, de la Fortune, de la Concorde, étaient restés ouverts à la célébration des fêtes et des antiques cérémonies. Un édit promulgué à Ravenne (399) prohiba enfin le culte, mais recommanda de conserver les temples pour l'ornement de la ville. L'abolition officielle du paganisme en Occident ne doit être datée définitivement que de l'édit de décembre 408, défendant d'affecter aucune portion de l'annone à la célébration du vieux culte ; ordonnant de détruire les autels, de retirer des temples toutes les images, et d'assigner aux édifices des usages séculiers; Cette proscription fut complétée par quatre autres édits d'Honorius, et sévèrement exécutée par les officiers impériaux, notamment en Afrique. Saint Augustin (De Civitate Dei, XVIII, 54) y constate l'expulsion de Carthage des prêtres païens, leur relégation dans les villes et les villages ou ils étaient nés, et la confiscation de tous les biens affectés à leur culte. Vers la même époque, plusieurs écrivains ecclésiastiques décrivent emphatiquement la ruine honteuse du paganisme. Enfin, un édit de Théodose II. (423) le considère comme virtuellement supprimé : Paganos, qui supersunt, QUAMQUAM JAN NULLOS ESSE CREDAMUS, promulgatarum legum jamdudum praescripta compescant. Mais cette déclaration parait ressembler à celle par laquelle Louis XIV motiva la révocation de l'Edit de Nantes. En effet, des édits postérieurs montrent que les païens étaient restés assez nombreux, pour qu'il fût nécessaire de leur interdire le droit de plaider, de recevoir des grades dans l'armée et de posséder des esclaves chrétiens. En réalité, le paganisme ne fut jamais détruit, parce qu'il est indestructible. Des documents, trop nombreux pour que vous puissions les citer ici, indiquent qu'à l'époque où l'édit de Théodose II le considérait comme éteint, et, même longtemps après, le paganisme s'est maintenu dans l'Empire,à l'état de résistance intransigeante, non seulement partout parmi les paysans, mais en certaines contrées parmi une partie importante de la population, parfois même chez la population entière; à Rome, dans la préfecture d'Italie, notamment dans le Piémont, dans le pays napolitain, en Sicile, dans les îles occidentales de la Méditerranée, en Afrique, dans l'Ouest et le Nord de la Gaule. Même dans certaines contrées d'Orient, on voit encore au VIe siècle des païens opiniâtres persécutés aussi cruellement que les chrétiens l'avaient été au temps de Dioclétien. Parmi les Capitulaires mentionnant et condamnant les croyances et les pratiques païennes, il convient d'indiquer, comme les plus intéressants, ceux de 768, 785, 789, 794, 796, 805. On trouvera de nombreuses dispositions relatives au même objet, dans les canons des conciles nationaux ou provinciaux; et en outre dans le Glossarium mediae et infima latinitatis de du Cange, au mot Arror, une longue liste des passages des écrivains ecclésiastiques sur ce sujet. Les habiles accommodations de l'Église opérèrent ce que les ordonnances des princes et les canons des conciles n'avaient pu effectuer. Tant que les chrétiens durent lutter contre le paganisme dominateur, et qu'ils ne purent propager leurs croyances que par la persuasion, en s'adressant à la conscience morale et à la pensée religieuse ils s'attachèrent à faire ressortir les points sur lesquels leur doctrine et leur culte leur apparaissaient manifestement supérieurs au polythéisme et à l'idolâtrie, c.-à-d. l'unité de la divinité et la spiritualité dé l'adoration. Au sein même de l'Église, les évêques et les docteurs s'efforçaient de réagir contre les inclinations héréditaires des païens convertis; mais ils n'y réussirent que fort imparfaitement. On ne se dépouille jamais complètement de ses croyances natives. Les païens convertis en importèrent les plus tenaces dans leur religion nouvelle; et, quand ils formèrent la majorité parmi les chrétiens; on put constater dans les doctrines et les cérémonies de l'Église beaucoup de choses qui ne provenaient pas des sources évangéliques. Cela, bien avant Constantin. Cette invasion du paganisme dans l'Eglise; qu'on pourrait appeler la revanche du paganisme s'accéléra et se fortifia lorsque le christianisme fut devenu la religion de l'Empire. Il s'agissait moins de se distinguer et de se séparer des païens, que de les amener en foule dans l'Église et de les y retenir. Beaucoup de pratiques et de rites furent adaptés au culte chrétien; les jour et les époques célébrés par les païens furent affectés à des fêtes chrétiennes; dans les pèlerinages les plus fréquentés, près des sources, et des sanctuaires vénérés, on construisit des églises et des monastères; aux carrefours des routes, on plaça des images et des chapelles. La vénération qu'on avait pour les choses anciennes se transforma peu à peu en vénération pour les choses nouvelles. La superstition ainsi déplacée profitait à ce qu'on appelait la religion chrétienne. Ce procédé fut formellement recommandé par le pape Grégoire le Grand au moine Augustin, qu'il envoyait en Bretagne pour convertir les païens. Boniface la pratiqua largement en Germanie. Mais l'infiltration païenne se fit partout et d'une manière continue. (E.-H. Vollet). Des effets qu'elle a produits et qu'elle ne cesse pas de produire, il résulte que la description sommaire de la religion catholique, telle qu'elle est professée aujourd'hui, présente, au moins pour les cotés extérieurs, plutôt l'image du culte païen au temps où Jésus mourut, que celle du culte chrétien à l'âge apostolique. Il serait difficile de ne pas reconnaître les ressemblances indiquées par A. Sabatier dans son Esquisse d'une philosophie de la religion (Paris, 1897, in-8) : "Entre la terre et le ciel, on voit reparaître toute l'antique hiérarchie des dieux, demi-dieux, héros, nymphes ou déesses, remplacés par la vierge Marie, les anges, les diables, les saints et les saintes. Chaque ville, chaque paroisse, chaque fontaine a son patron ou sa patronne, son gardien tutélaire, à qui l'on s'adresse plus familièrement qu'à Dieu, pour en obtenir les bénédictions temporelles et les grâces de chaque jour. Les saints ont leur spécialité comme les petits dieux d'autrefois. L'un guérit de la fièvre et l'autre des maladies de la peau. Celui-ci protège les voyageurs et celui-là garde les moissons on sauve le bétail; un troisième est tout-puissant peur faire retrouver les objets perdus ou donner des héritiers, aux maisons menacées de déshérence. Avec cette mythologie renaissaient toutes les superstions, jusqu'au fétichisme le plus naif : pèlerinages, chapeletset litanies, vénération des images et des reliques, signes de croix, rites et sacrements conçus et célébrés à la mode des anciens mystères. Et tout cela s'est fait avec une sorte d'inconscience; par une progression lente et, souvent, par l'effet d'un zèle qui se croyait chrétien [...]. A Rome, sous la basilique de Saint-Pierre, se dresse une superbe statue du Prince des Apôtres. Ce fut une statue de Jupiter. L'orteil du pied est usé par les baisers des pèlerins et des fidèles. Avant le christianisme, on baisait le pied du maître des dieux; on baise, depuis, celui de Pierre. Le culte est-il d'ordre différent, et la dévotion d'une qualité supérieure?"
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