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Dans
le langage ordinaire, le mot catégorie (en grec katègoriai,
) représente l'idée de classe, quels
que soient les objets auxquels s'applique cette idée. En philosophie,
les catégories peuvent être définies, d'une manière
générale, comme les classes les plus hautes dans lesquelles
viennent se ranger les conceptions de l'esprit.
Ce sont les différentes classes auxquelles on peut ramener les idées
générales et qui ne peuvent être ramenées à
aucune autre au-dessus d'elles. Les expressions catégorie
et prédicament sont tirées, la première, d'un
mot grec, la seconde, d'un mot latin, qui tous deux signifient attribution.
Les universaux et les catégories sont deux classifications : la
première indique les cinq manières générales
dont une chose peut être attribuée à une autre; la
seconde exprime tout ce qui peut être attribué à une
chose.
Aristote désignait par ce mot les termes principaux auxquels peuvent se ramener les choses qu'on exprime, et, comme les idées sont inséparables des termes, les principaux points de vue d'où l'esprit peut considérer les choses. Les catégories sont selon Aristote, les "espèces les plus générales de ce qui est signifié par un mot simple"; littéralement, "chacune des choses dites sans complexité" (Catégories, II.). Kant a restreint le sens du mot catégorie, en l'appliquant uniquement aux concepts a priori, aux formes pures de l'entendement, qu'il oppose aux concepts empiriques, c'est-à-dire acquis par l'expérience. Les catégories kantiennes sont les conditions a priori de l'expérience : elles ne peuvent naître et se développer dans l'esprit sans une matière qui leur est fournie par les sens; mais les sens notes peuvent expliquer, puisque sans elles l'expérience sensible même est impossible. Ce rapport des catégories à l'expérience, Kant reproche à Locke et à Hume de l'avoir méconnu. " Locke, dit-il, parce qu'il rencontrait dans l'expérience des concepts purs de l'entendement, les déduisit de l'expérience, poussant en même temps l'inconséquence jusqu'à entreprendre d'arriver, avec ce point de départ, à des connaissances qui dépassent de beaucoup les limites de l'expérience.Ainsi, Kant distingue deux éléments dans la connaissance : des faits, des données de la sensation et de l'expérience; et des principes a priori, régulateurs de l'expérience. C'est à ces principes a priori qu'il donne le nom de catégories. Les catégories ne nous ramènent pas aux idées innées. Elles nous apparaissent comme le produit d'une force, non comme l'attribut d'une substance; elles ne naissent pas de l'expérience, qu'elles dépassent, qu'elles enveloppent, qu'elles dominent, qu'elles conditionnent; mais elles naissent, sont posées à l'occasion des impressions des sens; elles dérivent de notre activité intellectuelle, mais c'est la sensation qui vient donner le branle à cette activité. " On peut, dit Kant, chercher dans l'expérience par rapport aux catégories, comme par rapport à toute connaissance, sinon le principe de leur possibilité, du moins les causes occasionnelles de leur naissance ou de leur manifestation, puisque les impressions des sens fournissent la première occasion de développer toute la puissance cognitive par rapport à elles, et de constituer l'expérience qui contient deux éléments très différents, à savoir : une matière pour la connaissance et qui est fournie par les sens, et une certaine forme pour ordonner cette matière, laquelle forme dérive de la source interne de la pensée."Comme le philosophe de Koenigsberg, Charles Renouvier appose les catégories aux rapports particuliers donnés par l'expérience et qu'on appelle faits ou phénomènes. Il définit les catégories comme les lois premières et irréductibles de connaissance, rapports fondamentaux qui en déterminent la forme et en règlent le mouvement. " Comme données dans une représentation actuelle, dit-il, les catégories tombent sous l'expérience; elles sont particulières, et cela à quelque point qu'elles se multiplient et que les hommes s'accordent à les poser et à les poser générales; en ce sens, il importe peu que le phénomène soit plus ou moins répété, constaté dans un esprit ou dans plusieurs autres : l'expérience, en tant que telle, ne donne point le général. L'universalité propre aux catégories consiste en ce que, passant nécessairement sous les conditions de l'expérience pour se manifester, elles se présentent pourtant comme supérieures à l'expérience, capables de l'envelopper, propres à la conduire et à lui imposer des règles. Nous nous attendons à trouver les catégories constamment vérifiées par le développement indéfini de l'expérience, et l'ensemble des rapports qu'elles sont propres à embrasser compose pour nous la série de l'expérience possible."Selon Renouvier, un système de catégories complet, lumineux, si bien agencé que sa propre loi parut lui servir de preuve et que l'esprit une fois engagé dans l'admirable labyrinthe s'y trouvât comme invinciblement retenu, constituerait une philosophie achevée. Cette science des sciences aurait pour vrai nom logique générale. Catégories de KanâdaIl n'est presque pas de philosophe qui n'ait proposé un système de catégories sous une forme ou sous une autre. Colebrooke, qui a fait connaître en Europe les divers systèmes de la philosophie indienne, nous apprend que Kanâda, fondateur de laphilosophie Vaiceshika, distinguait six catégories : la substance, la qualité, l'action, le commun, le propre et la relation. Une septième catégorie est ajoutée le plus ordinairement par les commentateurs : c'est le privation ou négation des six autres. Sous la substance, Kanâda range les corps ou les agents naturels dans l'ordre suivant : la terre, l'eau, la lumière, l'air, l'éther, le temps, l'espace, l'âme et l'esprit. Chacune de ces substances a des qualités propres, qui sont énumérées avec le plus grand soin. Les catégories de Kanâda peuvent donner lieu à deux remarques : 1° elles sont presque identiquement celles d'Aristote; 2° c'est une classification des choses matérielles plus encore que des mots. Catégories pythagoriciennesLes catégories pythagoriciennes nous ont été conservées par Aristote au premier livre de la Métaphysique. Elles sont au nombre de vingt, rangées deux à deux et par contraires : le nombre et l'infini, l'impair et le pair, l'unité et le pluralité, le droit et le gauche, le mâle et la femelle, le repos et le mouvement, le droit et le courbe, la lumière et les ténèbres, le bien et le mal, le carré et toute figure à côtés inégaux. Aristote conclut que les pythagoriciens regardaient les contraires comme les principes des choses, et il trouve que ce premier assai de détermination est bien grossier. Renouvier fait remarquer ce qu'il y avait de juste et de profond dans l'opposition établie par les pythagoriciens entre le nombre, principe de tout ce qui est intelligible, et l'infini, néant de la connaissance. Mais rien n'indique, ajoute-t-il, qu'ils aient spéculé sur le possible, où se trouve la seule explication rationnelle de l'infini. Ils avaient très bien vu que le nombre constitue la loi générale de détermination ou de limite; quant à l'application arbitraire qu'ils faisaient des nombres pour représenter les objets les plus étrangers aux rapports mathématiques, on peut croire qu'elle n'avait à leurs yeux qu'un caractère symbolique.Catégories d'AristoteAristote s'est le premier servi du mot catégorie. Les catégories d'Aristote, sur lesquelles la philosophie a vécu pendant quinze ou dix-huit cents ans, sont au nombre de dix : la substance, la quantité, la qualité, la relation, le lieu, le temps, la situation, l'état, l'action, la passion). Telles sont, dit l'auteur de l'Organon, les seules choses que les mots peuvent exprimer quand il sont isolés. Aristote a analysé avec soin les quatre premières de ses catégories : la substance, la quantité, la qualité et la relation; mais il ne s'est pas arrêté à l'examen des six dernières, parce qu'il les trouvait suffisamment claires par elles-mêmes.La
substance.
1° elle n'est pas dans un sujet autre qu'elle-même;La quantité. La quantité est un accident qui indique qu'une substance possède des parties distinctes. Elle est discrète ou continue. Les parties dont elle se compose ont une position dans l'espace ou n'en ont pas. La quantité discrète comprend le nombre et la parole; la quantité continue comprend la ligne, la surface, le corps, le temps et l'espace. La quantité discrète n'a pas de terme commun ou ses parties puissent se réunir; la quantité continue a toujours un terme commun de ce genre. Les parties de la ligne se réunissant dans le point; les parties de la surface dans la ligne, etc. Le présent unit le passé et l'avenir. Les quantités dont les parties ont position sont la ligne, la surface, le solide et l'espace. Quant au nombre, au temps et à la parole, les parties qui les composent n'ont pas position. La quantité a trois propriétés : 1° elle n'a pas de contraires non plus que le substance;La qualité. On appelle qualité un accident (ce qui existe dans un autre) qui introduit dans la substance une manière d'être spéciale, ex.: science, couleur. La qualité est de quatre espèces : La première espèce comprend la capacité et la disposition; la première, acquise par une longue habitude et difficile à changer;La qualité a trois propriétés : 1° elle reçoit les contraires; la justice est le contraire de l'injustice, le blanc du noir, mais il y a des exceptions;La relation. On distingue la relation : a) réelle, qui existe dans les choses indépendamment de l'esprit qui la pense. Telle est la relation entre la cause et son effet, ex. : entre un menuisier et l'armoire fabriquée par lui. Seule la relation réelle fait partie des catégories ;Les relatifs sont, d'après la définition vulgaire, les êtres qui sont dits d'autres êtres. Le double est le double de sa moitié; la science est la science de ce qui est su. Les relatifs ont quatre propriétés : 1° ils reçoivent les contraires : le vice est le contraire de la vertu, mais il y a des exceptions; le double, le triple, etc., n'ont pas de contraires;Les relatifs ainsi entendus coexistent, et il s'ensuit que dès que l'un est connu d'une manière déterminée, l'autre l'est également.
" Quelle importance y a-t-il, demande l'auteur du Novum Organum, à ce qu'on ait posé comme principes des choses la substance, la qualité et la relation? "Les auteurs de la Logique de Port-Royal trouvent que les catégories d'Aristote sont "une chose de soi très peu utile, et qui non seulement ne sert guère a former le jugement, ce qui est le but de la vraie logique, mais qui souvent y nuit beaucoup. " Ils donnent de cette opinion les deux raisons suivantes : " La première est qu'on regarde ces catégories comme une chose établie sur la raison et sur la vérité, au lieu que c'est une chose tout arbitraire, et qui n'a de fondement que l'imagination d'un homme qui n'a eu aucune autorité de prescrire une loi aux autres, qui ont autant de droit que lui d'arranger d'une autre sorte les objets de leurs pensées, chacun selon sa manière de philosopher. La seconde raison qui rend l'étude des catégories dangereuse est qu'elle accoutume les hommes à se payer de mots, à s'imaginer qu'ils savent toutes choses quand ils n'en connaissent que des noms arbitraires, n'en forment dans l'esprit aucune idée claire et distincte."Kant reproche à Aristote d'avoir fait figurer sur sa liste des catégories des éléments d'origine empirique et des concepts dérivés. " C'était, dit-il, un dessein digne d'un homme tel qu'Aristote que celui de rechercher toutes les conceptions fondamentales. Mais Aristote n'était guidé par aucun principe; il les prit comme elles se présentaient à son esprit [...]. On rencontre sur sa liste certains modes qui appartiennent à la sensibilité, et qui évidemment ne doivent pas trouver place dans la table des notions primitives de l'entendement. Il compte même des concepts dérivés au nombre des concepts primitifs, et quelques-uns de ceux-ci ont été complètement oubliés."Suivant Charles Renouvier, Aristote, bien qu'il possédât le génie de l'analyse à un degré éminent, bien que ses écrits révèlent à chaque page l'instinct catégorisle, ne se rendit compte ni des conditions ni de la portée de l'oeuvre des catégories, et par là son système a été faussé, si tant est qu'on puisse dire qu'il a fait vraiment un système. Examinant les deux catégories de la relation et de la substance, Renouvier fait remarquer qu'aucun individu, aucune espèce, aucune substance première, aucune substance seconde n'est définie pour nous qu'autant que nous nous la représentons comme groupe et partie, plus généralement comme fonction d'autres choses, sous diverses lois; que rien de déterminé en espèce, en quantité, etc., ne vient à la connaissance que par relation à quelque autre; que par conséquent Aristote ne démontre pas que les substances premières ou secondes, placées en tête de ses catégories, sont indépendantes de la relation; qu'ainsi la catégorie de relation a bien plus d'étendue qu'il ne lui en donne; que la substance véritable et réelle d'Aristote est l'être déterminé, l'individu, non le genre généralissime ou notion universelle de l'ens per se existens, ce qui place le Stagirite au-dessus de ses élèves et de ses interprètes, lesquels donnèrent la primauté aux essences secondes et commencèrent le règne de la substance en philosophie; que cependant, même comprise comme synonyme d'individualité, la substance ne peut former une catégorie, parce que l'individualité ne représente pas une notion primitive et irréductible. Les catégories d'Aristote inspirent au savant traducteur du philosophe grec, à Barthélemy Saint-Hilaire une admiration sans réserve : " Quelle est, dit-il, quelle doit être la première catégorie? C'est celle-là même qui exprime l'existence, la première chose sans contredit que l'esprit découvre et observe dans l'individu, dans l'être quelconque qui tombe sous son regard. La catégorie de la substance est à la tête de toutes les autres, précisément parce que la première la plus essentielle marque d'un être, c'est d'être. La substance précédera donc, et de toute nécessité, toutes les catégories. Cela revient à dire qu'avant tout l'être est, l'être existe. Par suite, les mots qui expriment la substance sont antérieurs à tous les autres et sont les plus importants. Il faut ajouter que ces mots-là participeront en quelque sorte à cet isolement que les individus nous offrent dans la nature. Ils seront en eux et pour eux, comme les êtres, les individus sont en soi et pour soi. Mais de même que, dans la réalité, les individus subsistent par eux seuls, forment des espèces et des genres, qui ont bien aussi une existence substantielle, la substance se divisera de même en substance première et en substance seconde. Les espèces, les genres ne peuvent être sans les individus; les individus pourraient être sans former tes espèces et des genres. Les mots qui représentent les individus ne pourront jamais que se servir à eux seuls; ils ne pourront servir à d'autres mots, c'est-à-dire en être les attributs. Les mots, au contraire, qui représentent les espèces et les genres ne sont pas en soi et pour soi; ils servent à la substance première, aux individus, c'est-à-dire qu'ils peuvent leur être attribués. C'est que les espèces et les genres, s'ils expriment la substance, ne l'expriment pas dans toute sa pureté; c'est déjà, selon expression d'Aristote, de la substance qualifiée. Mais les mots n'ont-ils qu'à exprimer des substances individuelles, qu'à exprimer des espèces et des genres? Il n'y a bien dans la réalité que des individus et des espèces ou genres; mais ces individus en soi et pour soi n'existent pas seulement : ils existent sous certaines conditions; leur existence se produit sous certaines modifications que les mots expriment aussi, tout comme ils expriment existence absolue. Ces nouvelles classes de mots formeront les autres catégories qui seront à la première, à celle de la substance, dans le rapport même où les modifications sont à l'individu modifié. Sans la catégorie de la substance, les autres ne sont pas, non plus que sans les individus il n'y a point de modifications. La substance ne peut être considérée comme un accident de l'être : elle s'identifie avec lui. Les autres catégories, au contraire, ne sont que des accidents. Ces accidents sont au nombre de neuf. Aristote n'en reconnait pas davantage. Après la substance, après la notion d'existence substantielle, ce que l'esprit observe dans l'être, c'est sa quantité; car il n'y a pas d'être sans quantité. La quantité sera donc la seconde des catégories. La troisième sera la qualité. La quatrième sera celle des mots qui expriment la relation, c'est-à-dire le point de vue où l'esprit considère l'être en tant qu'il n'est ce qu'il est que par rapport à un autre. Et viendront à la suite et par ordre, le lieu, le temps, la situation, l'état, l'action et enfin la passion. Voilà donc les dix catégories. Par la première, on nomme les individus sans faire plus que les nommer; par les autres, on les qualifie. On dit d'abord ce qu'est l'individu, et ensuite quel il est. Cette grande théorie d'Aristote est en admirable accord avec l'esprit humain lui-même. Toutes les langues, sans en excepter une seule, des plus barbares, jusqu'aux parfaites, ont instinctivement distingué les sujets et les attributs comme l'a fait le philosophe. Cette distinction, qu'impose la nature elle-même, constitue le jugement, la proposition; et les catégories représentent fidèlement, du moins en ce point le plus grave de tous, d'abord la nature, et ensuite le langage tel qu'il a été donné à l'homme de le faire." Catégories des StoïciensLes Stoïciens paraissent avoir considéré les catégories au même point de vue qu'Aristote. Seulement, ils tentèrent d'en réduire le nombre, et, au lieu de dix, ils n'en reconnurent que quatre la substance, la qualité, la manière d'être, et la relation. Il serait difficile d'en rendre un compte rigoureux sur ce qui nous en a été transmis. Cependant, on sait que les logiciens du Portique se proposaient de déterinmer les genres les plus universels contenus sous le genre des genres, la chose; ils trouvaient d'abord la substance ou matière, sujet indéterminé par lui-même; puis l'essence ou qualité, les attributs essentiels, inséparables de leurs sujets; puis les modes variables, et ils comprenaient sous ce groupe les catégories d'Aristote exprimées par le où, le quand, le faire, le pâtir, le situs et l'habitus, et probablement aussi la quantité; puis enfin les modes de relation, soit entre des qualités, soit entre des manières d'être" Ici, dit Renouvier, la substance est nettement réduite à son rôle de substratum ou de support, cette plaie de la philosophie. Les essences ne sont plus avant tout des individus, êtres réels, mais se confondent avec ces propriétés, termes généraux, qui Aristote appelait des essences secondes. Le temps, l'espace et même le principe d'action cessent de se distinguer; tout cela devient manière d'être et l'on ne voit pas sur quoi les stoïciens se fondaient raisonnablement pour signaler dans leurs modes variables et dans leurs qualités constantes autre chose que des relatifs, puisqu'ils ne pouvaient définir des qualités ou modes quelconques , si ce n'est par les relations de ces choses entre elles ou avec la substance, leur commun support à toutes. En un mot, cette logique, qui est celle du panthéisme, n'admet essentiellement que deux catégories, la substance et les modes de la substance; et elle pèche doublement : 1° par l'admission de cette substance, qui, en elle-même, ou sans ses modes, n'est rien; 2° en ne reconnaissant pas que les modes prétendus, soit variables, soit constants, soit particuliers, soit généraux, sont des phénomènes ou des lois qui viennent à la représentation sous forme de relations." Catégories de PlotinPlotin distingue les catégories en deux grandes classes, celle du monde intelligible, au nombre de cinq, et celles du monde sensible en nombre égal. Les premières sont la substance, le repos, le mouvement, l'identité et la différence; les secondes sont la substance, la relation, la quantité, la qualité et le mouvement. De plus, il propose de réduire les quatre dernières à une seule, celle de la relation, qui comprendrait les trois suivantes; et par là les catégories du monde sensible seraient réduites à deux, la substance et la relation.Catégories de Port-RoyalDurant le Moyen âge, la doctrine des catégories ne joue pas de rôle nouveau. Elle n'est que celle d'Aristote acceptée, reproduite et commentée par les diverses écoles. On doit même remarquer que l'esprit de la division aristotélique des catégories fut altéré par les scolastiques qui, à l'exception des nominalistes, ne comprirent pas ou ne voulurent pas comprendre la théorie de la substance telle que l'avait exposée Aristote. Ils ne reconnurent bientôt plus que deux grandes catégories : la substance et l'accident. Ce dernier parut même tout autre chose qu'un rapport; on le substantialisa. La substance étant le subjectum inhaensionis, l'accident fut l'ens inhaerens; on eut des accidents solides (qui peuvent par la volonté divine se conserver sans sujet, sans substance) et des accidents modaux.Le platonisme de la Renaissance, puis l'empirisme baconien et surtout le cartésianisme, mirent fin au long règne des catégories d'Aristote. Descartes rangea sous la substance deux attributs essentiels; la pensée et l'étendue, et enseigna sans difficulté que ces attributs constituaient tout ce que la substance avait d'accessible à la connaissance. Les anciens accidents rentrèrent dans ces deux grandes classes sous le nom de modes; la figure et le mouvement se rapportèrent à l'étendue et composèrent une matière d'où les qualités sensibles et les forces se trouvèrent exclues. Sous l'influence de l'esprit cartésien, les logiciens de Port-Royal essayèrent une classification nouvelle des catégories, qui se trouve exprimée par ces deux vers latins : Mens, mensura, quies, motus, positura, figuraIls établirent ainsi sept catégories : 1° mens, l'esprit ou la substance qui pense; Catégories de KantNous avons vu comment le problème des catégories s'était posé à l'esprit de Kant. Les catégories sont pour lui les éléments de la raison pure, les concepts a priori qui enveloppent, dominent et conditionnent l'expérience. Elles sont au nombre de douze, correspondant aux douze espèces de jugements possibles. D'où vient cette correspondance entre le nombre des catégories et celui des modes de jugement? De ce fait, que toutes les opérations de l'entendement viennent se résoudre dans le jugement; que l'entendement se sert des catégories pour juger, et que, par conséquent, la différence des jugements considérés abstraitement, c'est-à-dire indépendamment de leur contenu ou de leur matière, suppose nécessairement la différence des catégories qui y interviennent. On peut envisager tous les jugements sous quatre points de vue : celui de la quantité, celui de la qualité, celui de la relation et celui de la modalité.La quantité dans le jugement détermine le plus ou le moins d'extension du sujet. Le sujet peut être ou individuel, ou pluriel, ou universel; de sorte que, considérés sous le point de vue de la quantité, les jugements sont ou généraux, ou particuliers, ou singuliers. On envisage un jugement sous le point de vue de la qualité, lorsque, au lieu de considérer le sujet, on considère l'attribut; lorsque, au lieu d'examiner l'extension du premier, on examine l'extension du second par rapport à l'autre. Or l'attribut peut être affirmé ou nié du sujet. De là le jugement affirmatif et le jugement négatif. Il y a encore autres jugements qui à la fois participent et se distinguent des précédents; ce sont les jugements limitatifs. Ce jugement : l'âme n'est pas mortelle est négatif quant à l'énoncé, mais il contient en réalité une affirmation; car, en niant de l'âme qu'elle soit mortelle, j'affirme par là même qu'elle fait partie de la classe indéterminée des êtres immortels. Comme tout ce qui est mortel est une partie de l'ensemble des êtres possibles, et que tout ce qui est immortel en est l'autre partie, la proposition en question signifie seulement que l'âme est comprise dans le nombre indéfini des êtres qui restent, lorsque de l'ensemble de tous les êtres on a retranché tous ceux qui sont mortels : or, en rangeant ainsi l'âme dans cette classe indéfinie d'êtres, on dit bien ce qu'elle n'est pas, on ne dit pas précisément ce qu'elle est, et on est plutôt à l'abri d'une erreur qu'en possession d'une vérité. On envisage le jugement sous le point de vue de la relation, lorsqu'on ne se borne pas à considérer l'existence de l'attribut par raport au sujet, par exemple, si c'est un attribut ou nié ou affirmé du sujet, mais que l'on examine la nature même du rapport qui lie l'un à l'autre. Envisagé sous ce point de vue, le jugement est ou catégorique, ou hypothétique, ou disjonctif. Il est catégorique lorsque la relation qui existe entre les deux termes est une relation de substance à qualité, c'est-à-dire un rapport d'inhérence. Exemple : Dieu est juste. Dans ce jugement, il n'y a que deux idées, celle de Dieu et celle de la qualité d'être juste. Le jugement est hypothétique lorsque la relation des deux termes est une relation de principe et de conséquence, un rapport de dépendance. Exemple : s'il est une justice parfaite, celui qui persiste dans l'injustice sera puni. Dans ce jugement, les deux termes ne sont plus seulement deux idées, mais deux propositions, à savoir : Il est une justice parfaite; celui qui persévère dans l'injustice sera puni.Le jugement ne décide rien sur la vérité intrinsèque de l'une ou de l'autre proposition; il énonce seulement qu'il y a entre elles un rapport de principe à conséquence. Enfin le jugement est disjonctif lorsqu'il y a entre les différents concepts ou les différentes propositions dont il se compose un rapport de communauté, bien que ces propositions s'excluent les unes les autres. Exemple : Le monde existe ou par hasard, ou par une nécessité intérieure, ou par une cause extérieure. Les trois propositions que contient ce jugement ne sont pas réunies comme dépendant l'une de l'autre, mais comme s'excluant réciproquement. La vérité de chacune d'elles entraîne la fausseté des deux autres. Mais il y a entre ces jugements un autre rapport que celui d'opposition. Si, pris à part, ils s'excluent les uns les autres, ils se réunissent pour former l'ensemble des hypothèses qui peuvent rendre compte de l'existence de ce monde, et, sous ce point de vue, ils sont nécessaires l'un à l'autre, et ont entre eux un rapport de communauté. Enfin, on envisage le jugement sous le point de vue de la modalité lorsqu'on examine le rapport qui existe entre le jugement d'une part et le sujet pensant de l'autre, ou la valeur que l'esprit attache au rapport qui unit les termes d'un jugement. On doit distinguer sous ce point de vue, comme sous les précédents, trois sortes de jugements : les jugements problématiques, les jugements assertoriques et les jugements apodictiques. • Les jugements problématiques sont ceux dans lesquels l'assertion ou la négation est énoncée comme simplement possible.Les deux jugements dont la relation constitue le jugement hypothétique, de même que les jugements qui se réunissent pour former, le jugement disjonetif ne sont considérés à part, que problématiques. Quand je dis : L'homme est doué de raison, je fais un jugement assertorique, et si je dis : Tout cercle a un centre, un jugement apodictique. La détermination
des catégories résulte naturellement de celle des modes de
jugement. Par rapport à la quantité, les jugements sont individuels,
particuliers et généraux. Ces jugements seraient-ils possibles
sans les catégories de l'unité, de la pluralité, de
la totalité? Les trois sortes de jugements qu'on distingue sous
le point de vue, de la qualité sont fondés sur trois autres
catégories, qui sont la réalité (jugement affirmatif),
la négation (jugement négatif) et la limitation (jugement
imitatif).
Tableau des catégories de Kant
On remarquera que les douze catégories de Kant se rangent par trois en quatre classes ou quatre catégories supérieures : quantité, qualité, relation, modalité; que, dans chaque classe, la troisième catégorie présente toujours la synthèse des deux autres; par exemple, que sa totalité n'est que la pluralité considérée comme unité; que la limitation n'est que la réalité unie à la négation, etc.; que les six catégories de la quantité et de la qualité sont désignées par Kant sous le nom de catégories mathématiques, et les six catégories de la relation et de la modalité sous le nom de catégories dynamiques; que Kant ne fait pas figurer dans sa liste des catégories les deux concepts a priori de l'espace et du temps, parce qu'il les rapporte à la sensibilité, non à l'entendement, et qu'il les considère comme les formes pures de la sensibilité, non de l'entendement; que l'un de ces concepts, le temps, est le lien des catégories et des phénomènes, le moyen terme, à la fois intellectuel et sensible, qui permet l'application des catégories aux objets de la sensibilité; que cette combinaison des catégories avec la temps constitue ce que Kant appelle la forme sensible, le schème des concepts intellectuels; qu'ainsi il y a autant de schèmes que de catégories, autant de classes de schèmes que de classes de catégories : schèmes de quantité, de qualité, de relation et de modalité. Critiques diverses
des catégories de Kant.
" Assurément, dit Victor Cousin il y a uns distinction profonde entre la sensibilité et l'entendement, si on regarde la première comme la faculté que nous avons de recevoir et d'éprouver des sensations, et la seconde comme la faculté de connaître et de penser en général. Mais, pour Kant, la sensibilité est quelque chose de plus; car il lui rapporte les idées de l'espace et du temps, dont il fait les formes mêmes de cette faculté. Or, il est bien clair que, sans ces idées, toute représentation des objets des sens est impossible; mais s'ensuit-il que ces idées appartiennent à la sensibilité? En vain dira-t-on que la sensibilité ne peut s'exercer sans ces idées; on n'établit point par là que la faculté qui nous donne les idées universelles et nécessaires de l'espace et du temps est, en effet, différente de la faculté à laquelle nous devons les autres idées universelles et nécessaires, celles de cause et de substance, par exemple."Maintenant, tous les concepts que Kant fait figurer sur la liste des catégories sont-ils essentiellement différents entre eux , sont-ils réellement irréductibles? Cousin le nie : " Il n'est pas besoin, dit-il, d'un long examen pour voir s'effacer les lignes si tranchées des classifications de Kant. Nous ne choisissons pas, nous prenons au hasard. D'abord l'affirmation et la négation sont-elles deux catégories essentiellement différentes? Nier, c'est affirmer qu'une chose n'est pas; la grammaire et la logique en conviennent également. Toutes les fois que l'esprit juge et prononce pour ou contre, son jugement se traduit par une affirmation. Quant à la limitation, Kant essaye vainement de la séparer des deux autres catégories. Voici la raison sur laquelle il se fonde. Selon lui, quand je dis : L'âme n'est pas mortelle, cette proposition signifie simplement que je place l'âme dans le nombre indéfini des êtres qui subsistent, lorsque j'en ai séparé ceux qui sont mortels; mais cette proposition n'ajoute rien à notre connaissance de l'âme. Kant ici se fait évidemment illusion. Emporté par le désir de conserver la parfaite Symétrie de ses catégories, il ne voit pas ou ne veut pas voir que ces deux propositions L'âme n'est pas mortelle, L'âme est immortelle, sont au fond absolument identiques. Il y a donc dans les catégories de qualité une réduction à faire, et notre examen ne laisse subsister que le jugement d'affirmation. De même, dans les catégories de relation, la cause et la réciprocité sont une seule et même chose. La cause, c'est l'action productrice; dans la réciprocité, il y a l'action productrice encore sous la forme de la réaction; mais l'action et la réaction ne se distinguent pas essentiellement; c'est toujours de l'action, Dans l'un et l'autre cas, il n'y a qu'une seule catégorie, une seule notion, la notion de cause. Ce qu'il y a de différent, c'est la différence de ses applications. Substance et existence, voilà encore deux notions distinctes dans la liste de Kant, l'une attribuée à la relation, l'autre à la modalité, et qui cependant sont réductibles l'une à l'autre. Toute substance, tout sujet d'inhérence, si ce n'est pas une abstraction, possède l'existence, et tout ce qui existe réellement est substance. Il n'y a rien de plus dans l'une de ces conceptions que dans l'autre. "Barthélemy Saint-Hilaire ne fait que répéter ce qu'a dit son maître, Victor Cousin. " Kant, dit-il, distingue deux choses qui évidemment se confondent, qui sont évidemment identiques. Son jugement limitatif, tel qu'il l'imagine, est absolument le même que le jugement négatif, dont il prétend toutefois le séparer. Qui jamais a ouï parler de jugements problématiques, assertoriques, apodictiques? On ne voit, pas pourquoi Kant n'en aurait pas énuméré bien d'autres encore. Sa fécondité n'était pas épuisée, et il est difficile de dire pourquoi elle s'est arrêtée dans de si étroites limites. Créer des distinctions verbales ne lui coûtait en rien; il aurait pu les multiplier bien davantage encore, sauf à ne décrire qu'un pays chimérique et à faire le roman de la raison pure, au lieu d'en faire la véritable histoire. Kant, se jetant ou croyant se jeter en dehors de tout empirisme, ne pouvait que marcher à des abîmes, et sa table des catégories ne semble qu'une longue erreur, témoignage d'une rare puissance d'esprit, d'un esprit bien sûr de lui-même, mais bien peu sûr des matériaux qu'il emploie, ne cherchant ni d'où ils viennent ni ce qu'ils valent. La Critique de la raison pure est certainement une grande tentative, quoique, après soixante uns à peine, il en reste aujourd'hui bien peu de chose. En ce qui concerne les catégories il faut dire qu'elles sont aussi loin de celles d'Aristote que l'imagination l'est de la réalité. "Pour le prendre avec Kant sur ce ton tranchant, pour décider en cette manière qu'il ne reste presque plus rien de la Critique de la raison pure, il faudrait peut-être y être autorisé par d'autres travaux qua par des traductions; il faudrait certainement prendre le peine d'apporter quelques raisons à l'appui de tels arrêts. Personne n'a fait ressortir avec plus d'exactitude et de profondeur que Charles Renouvier les défauts de la classification kantienne des jugements et des catégories. Il remarque d'abord que, dans les jugements généraux ou particuliers que Kant rapporte à la quantité, la forme de qualité intervient essentiellement, toute qualité étant genre, espèce ou différence, et réciproquement tout genre, toute espèce et toute différence pouvant être considérés comme qualités. Les jugements affirmatifs et négatifs peuvent s'appliquer à d'autres rapports qu'à ceux de qualité. Les jugements limitatifs ne forment pas une espèce particulière de jugements. En réalité, tous les jugements sont limitatifs, car toute affirmation nie, toute négation affirme quelque chose. On ne peut en effet poser ou supprimer un rapport sans que de cela seul on en supprime ou on on pose un autre. Les jugements singuliers, c'est-à-dire ceux dont le sujet est par hypothèse un individu, ne diffèrent des autres qu'en ce que ce sujet n'est pas un genre et ne se divise pas en espèces, ce qui n'affecte en rien la forme d'une proposition où il tient lui-même la place d'une espèce. La nature collective ou individuelle du sujet concerne plutôt la matière que la forme du jugement. Le jugement catégorique n'est pas une espèce de jugement, mais il est le jugement même, et ne diffère pas de l'assertorique. Le jugement hypothétique est un jugement composé, et, par suite, ne doit pas figurer parmi les formes simples du jugement. Quel qu'il soit, si nous le considérons au point de vue de l'hypothèse dont il est affecté, il ne diffère nullement du jugement problématique. Voulons-nous n'y voir que le rapport du principe à la conséquence; le genre de dépendance ainsi défini ne nous donne nullement le rapport spécial de cause à effet. Le jugement disjonctif se ramène au principe de contradiction quand il est régulier, et constitue par suite un véritable raisonnement. En tous cas, la réciprocité logique qui s'y trouve n'a rien de commun au fond avec celle qui lie l'agent et le patient, et ces dernières notions appartiennent, sans contredit, à la causalité. Enfin la distinction du jugement problématique et du jugement apodictique laisse dans la plus complète obscurité les concepts de nécessaire et de possible. Kant déduit l'impossible et le contingent, l'un de la négation du possible, l'autre de la négation du nécessaire, et il ne remarque pas que l'impossibilité rentre dans la nécessité, et que la possibilité comprend la contingence. De l'examen des jugements, passant à celui des catégories considérées indépendamment de leur prétendu mode de déduction, Renouvier montre que Kant n'éclaircit pas bien le concept de nombre, parce qu'il prend pour types du quantum l'universalité et la particularité, notions surtout qualitatives, et où la détermination numérique est toujours vague; que l'affirmation, la négation, la limitation se rencontrent, convenablement diversifiées, dans toutes les catégories : que la réalité n'est pas donnée par l'affirmation, comme le pense Kant, mais partout et toujours par la détermination d'un rapport, c'est-à-dire par la limitation; que l'inhérence est toujours une détermination de qualité; que la réciprocité est visiblement une notion composée; que l'existence appartient à toutes les catégories, et se confond avec la relation en général, ou plus déterminément dans la proposition avec inhérence; enfin que la nécessité et la possibilité rentrent en un sens dans la causalité, et, dans un autre, s'expliquent par l'analyse de la relation en général. On a aussi reproché à Kant des lacunes. Par exemple, le devenir n'est pas une des catégories de Kant, quoique essentiel à la représentation et impliqué dans tout jugement, puisque tout jugement, pour être nommé tel, doit se produire. Malgré les défauts de son système, Kant a, selon Renouvier, deux mérites éminents, le premier d'avoir mis en lumière la forme ternaire des lois irréductibles de la connaissance, le second d'avoir parfaitement défini la nature et l'objet des catégories, et d'avoir vu, ce qui avait échappé à tous ses prédécesseurs, notamment à Aristote, qu'elles étaient les lois et les règles a priori de la représentation, les formes constamment affectées par la matière de la connaissance par les phénomènes, Nous devons dire que ici second de ces mérites nous paraît bien au-dessus du premier. Catégories de RenouvierRenouvier ne s'est pas borné à critiquer le système des catégories de Kant, il en a proposé un autre. Ses catégories sont au nombre de neuf 1° celle de relation, qui est la plus générale et qui embrasse toutes les autres; 2° celle de nombre; 3° celle de position ou d'étendue; 4° celle de succession ou de durée; 5° celle de qualité; 6° celle de devenir ou de changement; 7° celle de force ou de causalité efficiente;8° celle de finalité; 9° celle ce personnalité. Renouvier s'est plu
à montrer que chacun de ces neuf concepts se forme par thèse
antithèse et synthèse. Ainsi, dans la catégorie de
relation, nous trouvons la thèse distinction, l'antithèse
identification et la synthèse détermination; dans la catégorie
de nombre, l'unité est la thèse, la pluralité l'antithèse
et la totalité la synthèse. Voici du reste le tableau des
catégories de Renouvier :
(PL)
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