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L'optimisme
est la conception de la vie et de l'univers d'après laquelle tout
est bien, ou au moins tout est le mieux possible; s'oppose au pessimisme.
On peut distinguer deux variétés
d'optimisme, l'un tout instinctif et sentimental,
l'autre systématique et philosophique. L'état d'esprit des
humains satisfaits de leur sort, contents de tout, prenant tout par le
bon côté, de même que l'état d'esprit inverse,
tiennent évidemment, ou bien à des causes
particulières et accidentelles, ou bien
au tempérament même; en ce sens, on naît peut-être
optimiste ou pessimiste, et bien plus certainement il existe des moments
et des circonstances dans la vie où l'on se montrera optimiste ou
pessimiste, et il n'est pas douteux que ce genre d'optimisme « béat
» ne va pas sans beaucoup d'égoïsme
et une grande indifférence aux douleurs d'autrui.
Il ne peut d'ailleurs se justifier ni se fonder théoriquement :
le fait seul que quelques individus souffrent,
ou seulement croient souffrir, suffit à poser le problème
de la nature et de l'origine du mal sous sa forme philosophique. On tend
quelquefois, il est vrai, à réduire l'optimisme ou le pessimisme
systématique à l'optimisme ou au pessimisme sentimental,
en cherchant l'origine des doctrines dans la vie
de leurs auteurs, leur bonheur ou leur infortune, leur bonne santé
ou leurs maladies; mais, quel que soit l'intérêt psychologique
de ces explications, et en admettant même qu'elles suffisent à
rendre compte de l'adoption par tel ou tel penseur de telle ou telle théorie,
elles ne suppriment pas la théorie même,
ni la valeur rationnelle qu'elle peut avoir.
Sous sa forme philosophique, le problème
de l'optimisme ne paraît que tardivement dans l'histoire des idées;
il suppose, en effet, que l'homme se détache assez, par l'observation,
de tout l'univers, et, par la réflexion,
de sa propre souffrance, pour essayer de les juger; au départ, les
humains jouissent ou souffrent, non pas sans se demander pourquoi, ni sans
chercher à apporter des réponses, aiment ou haïssent
les causes prochaines de leurs joies et de leurs douleurs, non pas sans
prétendre non plus systématiser leurs sentiments et chercher
l'origine de la souffrance en général. Mais ils le font plutôt
dans le contexte offert par les religions,
et hors des sentiers ouverts par la philosophie.
On a ainsi le plus souvent considéré
que la question est intimement liée à celle de l'existence
et de la nature de Dieu;
et par suite, toutes les métaphysiques
ou les religions, sous forme expresse ou implicite, symbolique ou directe,
en enveloppent plus ou moins une solution. Les grandes métaphysiques
antiques sont en général optimistes en ce sens. Mais le problème
ne se pose guère avec précision que chez Platon,
les stoïciens et les néo-platoniciens.
Platon, dans le Xe livre de la République,
essaie nettement de justifier l'existence du mal et de montrer que «Dieu
en est innocent» ; le plus souvent, il semble présenter
la douleur comme une punition, et l'idée de la providence,
sous forme plus ou moins mythique, joue un grand rôle dans sa doctrine,
ainsi que plus tard chez les néo-platoniciens. Les stoïciens,
eux, insistent sur l'idée qu'on ne pourrait juger du caractère
bon ou mauvais de, l'univers qu'en le connaissant dans sa totalité,
et que le mal particulier peut servir à la perfection de l'ensemble.
Au Moyen Age, la question prend une forme
toute théologique; c'est l'existence du mal moral,
c.-à-d. du péché, qu'on vent concilier avec la prescience
divine d'une part, d'autre part avec le dogme du concours divin, de la
grâce et de la prédestination; elle se trouve ainsi intimement
liée au problème de la liberté, humaine et divine,
et chez tous les grands penseurs de la scolastique, de saint Augustin à
Duns Scot et à saint
Thomas, elle tient une place éminente, ainsi que dans la plupart
des grandes querelles religieuses : pélagianisme et manichéisme,
socinianisme et protestantisme,
molinisme et jansénisme.
La Providence
et l'Optimisme. - Le Mal
«
Il n'y a aucune nature mauvaise, et le mal n'est qu'une, privation du bien;
mais depuis les choses de la terre jusqu'à celles du ciel, depuis
les visibles jusqu'aux invisibles, il en est qui sont meilleures les unes
que les autres, et leur existence à toutes tient essentiellement
à leur inégalité.
Que
personne ne cherche une cause efficiente de la mauvaise volonté.
Cette cause n'est point positive, efficiente, mais négative, déficiente,
parce que la volonté mauvaise n'est point une action mais un défaut
d'action [Voilà l'origine de
la fameuse maxime scolastique, souvent citée et approuvée
par Leihniz dans ses Essais de Théodicée : Malum causam
habet non efficientem, sed deficientem]. Déchoir
de ce qui est souverainement vers ce qui a moins d'être, c'est commencer
à avoir une mauvaise volonté. Or, il ne faut pas chercher
une cause efficiente à cette défaillance, pas plus qu'il
ne faut chercher à voir la nuit. ou à entendre le silence.
Ainsi, que personne ne me demande ce que je sais ne pas savoir, si ce n'est
pour apprendre de moi qu'on ne le saurait savoir.
[...]
«
Ce que je sais, c'est que la nature de Dieu n'est point sujette à
défaillance, et que les natures qui ont été tirées
du néant y sont sujettes; et toutefois, plus ces natures ont d'être
et font de bien, plus leurs actions sont positives et ont de causes positives
et efficientes ; au contraire, quand elles défaillent, et par suite
font du mal, leurs actions sont vaines et n'ont que des causes négatives.
Je sais encore que la mauvaise volonté n'est en celui en qui elle
est que parce qu'il le veut, et qu'ainsi on punit justement la défaillance,
qui est entièrement volontaire. »
(Extrait
de Saint-Augustin).
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La philosophie
cartésienne rend au problème toute sa largeur; c'est
à la fois du mal physique ou de la douleur, du mal moral ou du péché,
du mal métaphysique ou de l'imperfection, qu'il faut rendre compte.
Si Descartes ne l'aborde guère de front,
Malebranche le pose nettement, en montrant
que le mal n'a jamais une cause propre, qu'il résulte de lois générales,
et que la question revient dès lors à se demander si Dieu
devait agir par lois générales ou par miracles continuels;
le, dogme de l'incarnation lui semble d'ailleurs confirmer définitivement
l'optimisme, puisqu'il donne à la nature humaine une dignité
et une valeur infinies. Enfin, chez Leibniz,
l'optimisme, approfondi sous tous ses aspects, dans ses relations avec
l'idée de Dieu et avec la prédestination, avec, la liberté
et avec le mécanisme, devient
une des pièces essentielles de sa philosophie, et l'on peut dire
que depuis la formule n'en a guère changé.
Des trois formes du mal, la plus essentielle
pour Leibniz, c'est le mal métaphysique,
c'est l'imperfection ; or, si chaque substance
prise à part était parfaite, elles seraient toutes semblables
(Théod., 200) :
«
Dieu ne pouvait pas donner tout à une créature sans en faire
un Dieu » (31).
Il fallait donc qu'il y eût des limitations
de toutes sortes; un univers à la fois créé et parfait
est une contradiction dans les termes, et comme la cause du mal est toujours
négative, déficiente plutôt qui efficiente, qu'elle
tient à la limitation des lois de Ia nature
les unes par les autres, le mal métaphysique entraîne déjà
en un sens et explique le mal physique ou moral. Reste à savoir
si l'univers n'aurait pas pu être moins imparfait et moins mauvais
qu'il ne l'est.
«
Absolument parlant, en effet, ni la douleur ni le péché ne
sont nécessaires, puisque cela seul est nécessaire dont l'absence
implique contradiction ; ils ne résultent pas fatalement de la nature
des choses, mais du décret créateur de Dieu. » (Théod.,
120 et passim).
Est-ce donc à dire que Dieu veut proprement
le mal? En aucune façon. Si rien n'est nécessaire dans les
actions humaines on divines, tout est déterminé, tout a une
cause ou une raison suffisante;
par suite, tout se tient dans l'univers ; le mal, physique ou moral, ne
se produit que conformément à des lois générales;
il serait possible de supprimer telle infortune particulière, mais
à condition que les causes ne s'en fassent pas produites et que
les conséquences ne s'en produisent pas,
c.-à-d. qu'il faudrait pour cela changer toute la série des
choses, créer un autre univers.
Pour que Sextus
ne retourne pas à Rome et ne viole pas Lucrèce,
il faut que toute l'histoire romaine et par là toute l'histoire
du monde soit antre. Avant le décret créateur de Dieu, les
possibles existaient déjà de toute éternité
dans son entendement, et le mal entrait en plusieurs d'entre eux et même
dans le meilleur de tous (21), et ces possibles sont les seules choses
que Dieu n'ait point faites, «puisqu'il n'est pas auteur de son
propre entendement» (380). D'autre
part, parmi tous ces univers possibles, il doit
y en avoir un meilleur que tous les autres : il est vrai qu'une substance
particulière peut toujours être surpassée par une autre,
«cela ne doit pas être appliqué à l'univers,
lequel se devant étendre par toute l'étendue future, est
un infini » (195). Dès lors,
en créant cet univers, Dieu ne veut pas le mal, il le permet seulement,
parce que le mal se rencontre comme une condition sine qua non dans le
meilleur de tous les univers possibles, quo seul il pouvait choisir en
verts de sa sagesse et de sa bonté : « ce serait un vice
dans l'auteur des choses s'il voulait exclure le vice qui s'y trouve »
(123). Par là, le mal des parties peut servir à l'excellence
du tout; «toute la suite des choses à l'infini peut être
la meilleure qui soit possible, quoique ce qui existe par tout l'univers
dans chaque partie du teintes ne soit pas le meilleur » ; pour
juger de l'univers, il faudrait tenir compte de sa totalité non
seulement spatiale, mais encore temporelle, et il se pourrait qu'il «aille
toujours de mieux en mieux» (202). Ainsi se concilient l'existence
du niai et l'excellence du monde, la bonté divine et la souffrance
humaine, la liberté et la sagesse de Dieu.
On peut considérer, en un sens,
l'effort de Leibniz comme définitif; non
pas sans doute qu'il ait éclairci toutes les difficultés,
et celles en particulier qui se rattachent il la nature du libre
arbitre. Mais il a montré que le problème
se résout nécessairement en un autre plus général,
qu'il se confond avec le problème même de la création,
et par là sa doctrine reste tout à fait au-dessus de critiques
telles que celles du Candide. Aussi, peu importe qu'après
lui l'optimisme se présente, au XVIIIe
et au XIXe siècle, chez Condorcet
par exemple, surtout commie un optimisme dans le temps, un optimisme d'espérance,
l'optimisme du «progrès indéfini» ; peu
importe que les évolutionistes expliquent la douleur comme une condition
du salut individuel, un avertissement des causes de destruction possible:
on n'ajoute rien à sa doctrine qu'il n'est prévu, rien qui
en change l'économie ; le problème se ramène toujours
à celui de l'existence de Dieu ; il s'agit désormais de savoir
si oui ou non l'univers a un but, s'il y a une fin à la création;
mettre à la source des choses le vouloir-vivre aveugle de Schopenhauer
on la fatalité du matérialisme,
c'est explicitement ou virtuellement tendre au pessimisme ; admettre une
finalité dans les choses, c'est être
optimiste.
Par suite, la question peut être
considérée comme abandonnée en elle-même, voire
comme supprimée; Leibniz a définitivement démontré
que le mal est une conséquence nécessaire de l'existence
des choses, qu'il n'y a rien en lui d'arbitraire et de fortuit. Au point
de vue psychologique, en effet, plaisir et douleur, joie et souffrance,
apparaissent de plus en plus comme inséparables, comme conditions
nécessaires l'un de l'autre, comme la farine même de la sensibilité
et de la vie ; si la joie n'est qu'une tendance satisfaite, et la douleur
cette tendance contrariée, nos aptitudes à ,jouir et à
souffrir croissent ensemble et solidairement. Et comme d'ailleurs les causes
externes par lesquelles notre développement peut être favorisé
ou entrave résultent elles-mêmes de lois générales;
que ces lois sont tour à tour ou tout ensemble occasions de jouissance
et de peine, le mal et, le bien sont essentiellement unis et éléments
nécessaires de l'existence des choses.
Au point de vue moral encore, le mal paraît
logiquement lié à l'idée même d'une vie morale
: si le devoir ou l'obligation ne s'entend que par opposition à
l'entraînement et à la propension instinctifs, le mérite,
la vertu, le bien sont inséparables du sentiment de l'effort, de
la lutte contre la nature, de la passion dominée et vaincue, inséparables
par là même de la souffrance.
Au point de vue métaphysique
enfin, plus absolument encore que ne le faisait Leibniz, on reconnaît
que tout mal est négation et privation, que la cause originelle
en réside donc, dans notre imperfection d'êtres créés
: c'est reconnaître que le monde ne pouvait pas être sans être
imparfait, ni être imparfait sans être mêlé de
mal; et puisque c'est une hypothèse
visiblement arbitraire et oiseuse que d'admettre que ce mal nécessaire
aurait pu être moindre en quantité, une seule question semble
pouvoir encore logiquement se poser: pourquoi l'univers a-t-il été
créé, pourquoi l'être est-il Mais cette question à
son tour, évidemment insoluble, est peut-être encore contradictoire,
s'il est impossible de penser le néant. Tout revient donc à
se demander, non pas si l'univers aurait pu ne pas être, mais si
cette existence, nécessaire sans doute, est orientée, vers
une fin, on n'est que la manifestation stérile et vaine d'une substance
aveugle ; si au fond des choses est la pensée
ou le hasard, si nous devons être par suite,
en présence de la douleur et de la vie, résignés et
confiants, on sceptiques et désespérés.
Le problème de l'optimisme se perd ainsi inévitablement dans
le problème métaphysique et religieux. (D.
Parodi).
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En
bibliothèque - Platon, passim.
- Malebranche, Entretiens métaphysiques. - Leibniz, Théodicée
et passim. - Schopenhauer, passim. |
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