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Conscience

Le mot conscience a deux acceptions : l'une psychologique, l'autre morale; nous allons tâcher de les éclaircir tour à tour. 

La conscience psychologique.
La conscience, au sens psychologique, signifie le sentiment intime que nous avons de nos divers états. Nous souffrons, nous jouissons, nous pensons, nous voulons, tous ces états sont sentis par nous immédiatement, nous en avons conscience. La conscience n'est donc pas seulement une modification de notre être, mais le sentiment que nous avons de nos modifications. 

On s'est, à propos de la conscience psychologique, posé un assez grand nombre de questions. On s'est demandé quelle était l'origine de la conscience, si elle était de plusieurs espèces, si enfin elle s'étendait à tous les phénomènes psychiques ou si elle venait seulement s'ajouter à quelques-uns. D'après plusieurs philosophes, en particulier d'après Bain (les Sens et l'Intelligence) et Spencer (Principes de psychologie), la conscience se constitue par la perception d'une différence, elle se continue par la perception d'une ressemblance. Herbert Spencer dit :

« Un état de conscience uniforme est, en réalité, une non-conscience. Quand les changements cessent dans la conscience, la conscience cesse. Si donc un changement incessant est la vraie condition sous laquelle seule la conscience peut continuer, il en résulte cette conclusion nécessaire que ces divers phénomènes de conscience sont tous résolubles en changements; que des changements sont les éléments constitutifs de toute pensée. Tant que persiste un état A du sujet pensant, il n'y a pas conscience. Tant que persiste un autre état B, il n'y a pas conscience. Mais quand il y a un changement de l'état A à l'état B, ce changement lui-même constitue un phénomène dans la conscience [...] La conscience doit donc être une différenciation continue de ses états constitutifs. »
Cette opinion est très contestable et ne paraît nullement d'accord avec les faits. Pour que la conscience perçoive une différence entre deux états, A et B, il faut de toute rigueur qu'elle ait quelque notion de A et de B, car, si elle n'en avait aucune notion, A
et B seraient pour elle comme s'ils n'étaient pas et, par conséquent, elle ne pourrait en aucune façon percevoir leur différence. Il est très vrai, sans doute, que ces différencia tions d'états avivent la conscience et que la continuité d'un état l'affaiblit au point qu'il semble avoir disparu. Il n'en est rien cependant, car bien que le meunier semble ne plus entendre le bruit de son moulin, il en a encore quelque conscience. Il est vrai que quand le bruit cesse, il a une perception plus nette du silence qu'il n'avait du bruit, mais cela ne prouve pas qu'il n'entendît rien auparavant; cela prouve simplement que le changement d'état a été plus vivement senti que la continuité du bruit. Poussée à ses conséquences, cette théorie n'irait à rien moins qu'à soutenir que nous ne connaissons que des relations et nos phénomènes de conscience eux-mêmes ne nous seraient connus que par leurs relations. Mais il faut dire, au contraire, que, alors même que la connaissance adéquate de tout le reste nous échapperait, nos phénomènes de conscience, nos propres états nous sont connus tels qu'ils sont, car ce n'est qu'en tant qu'ils sont connus que précisément ils sont; leur connaissance est leur être même. 

Avec la théorie relativiste de Bain et de Spencer, aucune conscience ne devrait ni ne pourrait exister, car l'état R résultant du choc de A et de B, autre que A et que B par conséquent, serait en lui-même un certain état et non une différence. Il ne pourrait donc être perçu que par le choc d'un second état, mais cette nouvelle perception à son tour serait impossible par les mêmes raisons et ainsi la conscience ne devrait jamais exister. 

Un autre philosophe, Renouvier (Essais de critique générale, 1er essai, ch. III), soutient que tout état de conscience est essentiellement constitué par une dua lité, ou il distingue le représentatif et le représenté. Le représentatif est l'affection même de la conscience le représenté est la face objective que, d'après Renouvier, toute affection devrait nous montrer. Il semble qu'il y ait ici exagération. Si, en effet, dans les phénomènes de conscience réfléchie, il n'est pas douteux que le phénomène ait une portée objective en même temps qu'une face subjective, il est loin d'en être de même dans tous les phénomènes de la conscience; dans l'affection pure, il n'y a qu'un état intérieur qui est senti en lui-même, sans être rapporté à aucun sujet. Il est vrai crue ces états sont à peu près impossibles à observer chez l'humain, car, dès qu'il s'observe, la réflexion donne à ses états une forme plus haute, mais la mémoire cependant est capable de les rappeler et ils forment comme la trame de la vie consciente.

La conscience, en effet, n'a pas toujours la même clarté. Ses états diffèrent profondément entre eux. Ils sont d'autant plus riches, d'autant plus complexes qu'ils sont moins clairs et d'autant plus simples qu'ils sont plus clairs. De ce point de vue on peut distinguer, avec Leibniz, des états de conscience clairs et distincts, des états de conscience clairs et confus, des états de conscience sourds et enfin des états de conscience plus que sourds. 

Les états de conscience clairs et distincts sont ceux que non seulement on distingue les uns des autres, mais dont on peut dire de plus en quoi et par quoi ils se distinguent les uns des autres. Ainsi l'idée d'un cercle est claire et distincte, car non seulement nous distinguons cette idée de toutes les autres idées de figures planes, mais encore nous voyons en quoi elle s'en distingue. 

Les états de conscience clairs et confus sont ceux que l'on distingue les uns des autres, mais sans pouvoir dire en quoi et par quoi. Ainsi, pour un ignorant, l'état de conscience rouge se distingue de l'état de conscience vert, ce sont des états clairs, mais ces états restent confus, car l'ignorant ne voit pas en quoi et par quoi le rouge est distinct du vert. Le savant seul le voit par la physique. La science a précisément pour but de faire passer nos représentations de l'état confus à l'état distinct par l'analyse des éléments qui les composent. Elle transforme ainsi les sensations en idées. 

Les états de conscience sourds sont les états élémentaires de conscience qui entrent dans la composition des états confus. Ainsi, chacune des paroles en des clameurs dont est composée la rumeur d'une foule arrive à la conscience, mais à l'état sourd. Nous serions incapables de la démêler et cependant nous l'entendons, car si nous n'entendions aucune de ces paroles ou de ces clameurs, nous n'entendrions rien. La rumeur de la foule n'est autre chose que leur confusion. 

Les états de conscience plus que sourds sont ceux sur lesquels l'expérience directe de la conscience ne nous peut rien dire, mais dont le raisonnement nous démontre l'existence. Durant un sommeil sans rêve, dit ce philosophe, le cours de la conscience n'a pas été interrompu. Les états de conscience de ce sommeil profond ne peuvent être remémorés, l'expérience ne nous en dit rien, seul le raisonnement nous prouve qu'ils ont existé; ils sont plus que sourds. En effet, de même que lorsque nous voyons un corps en mouvement, comme un train qui sort d'un tunnel ou une balle d'un tube, nous affirmons que le mouvement actuel résulte du mouvement antérieur, car un mouvement ne peut avoir sa raison suffisante que dans un autre mouvement antérieur; de même, quand nous voyons un état de conscience se produire (dans l'espèce, le premier état de conscience du réveil), nous devons affirmer l'existence d'un état de conscience immédiatement antérieur, bien que nous n'en ayons aucune expérience, car un phénomène de conscience ne pent avoir sa raison suffisante que dans un phénomène de conscience antérieur, comme le mouvement dans l'espace ne peut avoir la sienne que dans un autre mouvement dans l'espace.

Ces phénomènes plus que sourds sont souvent appelés par les psychologues subconscients et même inconscients. Ca sont eux qui font la continuité de la vie psychique. On voit que, pour Leibniz, ces phénomènes sont au-dessous de notre conscience, mais non en dehors de la conscience. Certains psychologues ont soutenu qu'on devait à la fois les considérer comme psychiques et cependant les rejeter complètement en dehors de la conscience (V. Taine, De l'intelligence; Hartmann, Philosophie de l'inconscient). Ces théories seront examinées plus à loisir au mot Inconscient. Disons seulement ici qu'il ne semble pas y avoir de milieu : ou le phénomène psychologique est conscient ou il n'est pas psychologique. 

La conscience ne nous paraît pas être un oeil intérieur qui voit ce qui se passe dans l'âme, ce qui se passe est senti au temps même et dans le mode où il se passe. Ainsi qu'on disait dans l'école éclectique, la conscience n'est pas une faculté à part, comme l'a soutenu entre autres Garnier (Traité des facultés de l'âme), mais la forme générale de toutes les facultés, ainsi que le soutient avec Aristote et Victor Cousin Francisque Bouillier (la Conscience en psychologie et en morale). Les phénomènes psychologiques et conscients correspondent d'ordinaire aux phénomènes physiologiques. Cependant, la correspondance est loin d'être complète. Il y a des états du corps auxquels ne correspond aucun état de conscience. Il faut même pour les organes des sens une excitation assez forte avant que la conscience réponde à l'état de ces organes. Ainsi, au-dessous de douze vibrations simples par seconde, il y a certainement une modification du nerf acoustique; il n'y a cependant pas encore de son conscient. De même, nous n'entendons plus au-dessus de trente-deux mille vibrations par seconde. Il y a donc une limite au-dessus et au-dessous de laquelle la conscience n'existe plus ou n'existe pas. Les psychologues allemands appellent seuil de la conscience ou seuil de l'excitation (V. Ribot, la Psychologie allemande contemporaine), le degré le plus bas d'excitation physico-psychologique qu'enregistre la conscience.

La conscience morale.
Au point de vue moral, le mot conscience a une signification assez étendue. II sert d'abord à désigner le sentiment intime que nous avons du devoir à accomplir. La conscience joue ici le rôle, sinon de législateur, au moins de héraut du législateur moral. Elle n'est pas le préteur, mais l'album sur lequel nous lisons l'édit. D'après Kant, elle serait le préteur lui-même (V. Autonomie de la volonté). Pendant que nous accomplissons l'action et après que nous l'avons accomplie, la conscience morale joue le rôle de témoin et se confond ici avec la conscience psychologique. Enfin, la conscience morale juge nos actes et leur applique une sanction, sinon définitive, du moins provisoire. Nous jouissons alors des plaisirs de la conscience ou nous éprouvons des remords, des regrets ou du repentir. C'est à cette dernière espèce de conscience que s'adresse la célèbre apostrophe de J.-J. Rousseau au I. IV de l'Emile. (G. F.).

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