| Justin (Saint et martyr) est un apologiste chrétien, né à Flavia Neapolis (Palestine) vers l'an 100, mort à Rome vers 165. Fête le 13 avril. Bien que né en Samarie, sur l'emplacement de l'antique cité israélite de Sichem, Justin était d'origine païenne et probablement grecque; son père se nommait Priscus, son grand-père Bacchios. Lui-même acquit une instruction philosophique assez étendue. Il recherchait ardemment le bonheur; il fréquenta les stoïciens, les péripatéticiens, les pythagoriciens, sans trouver ce qu'il désirait; un maître platonicien le satisfit davantage; la «-contemplation des idées donna des ailes à son esprit » (Dial., ch. I); il espérait enfin contempler Dieu. Alors, il rencontra un vieillard qui était chrétien et qui lui montra combien l'intellectualisme des philosophes était insuffisant et comment, par la révélation du christianisme, « Dieu devient sensible au coeur-». Sans plus tarder, Justin se mit à l'étude de la révélation prophétique contenue dans l'Ancien Testament et reconnut bientôt dans l'enseignement du Christ « la vraie philosophie, seule éprouvée et pratique », celle qui découvre « les principes et les fins de toutes choses ». Il garda néanmoins le manteau de philosophe et s'en alla à travers le monde, enseignant ce qu'il avait trouvé. A Rome, il ouvrit une école de philosophie et disputa vaillamment avec ses contradicteurs païens et hérétiques; car Justin, avec son esprit de portée moyenne et son grand bon sens, évita les écarts nombreux qui faisaient dévier, à cette époque critique du développement du christianisme, tant de penseurs chrétiens (Gnosticisme); il sentait l'importance de l'unité et l'autorité de la tradition. Il veut être « orthodoxe »; il est, de fait, le premier écrivain chrétien qui parle de dogmes et de théologie, au sens que ces mots ont conservé depuis. Crescens, un philosophe cynique, que Justin avait combattu, finit par le dénoncer aux autorités, et, soit aussitôt, soit quelques années plus tard, le philosophe chrétien fut condamné à mort. On peut hésiter, en effet, entre 160 et 167 pour dater le martyre de Justin; l'an 165 a une certaine probabilité. Divers écrits ont été faussement attribués à Justin; tels le Discours aux Grecs, qui pourrait être contemporain de Justin; l'Exhortation aux Grecs, qui est probablement du IIIe siècle, et un De Monarchia, qui a toutes les marques de l'apocryphe. Par contre, le Traité polémique contre toutes les hérésies, qu'Irénée a employé et qu'il attribue à Justin (Adv. haer., IV) est perdu; il n'existe plus que deux fragments d'un autre écrit de Justin sur la résurrection. Les ouvrages de Justin qui subsistent sont les deux Apologies et le Dialogue avec Tryphon Editions anciennes - Ed. princeps de R. Estienne, Paris, 1551, in-fol.; parmi les éditions postérieures, celle de dom Prud. Maran, à Paris, 1742, in-fol., se distingue par ses excellentes introductions et notes; la dernière édition de Justin est la troisième de J.-C. d'Otto, à Iéna, 1876-81, 3 vol. in-8 ; t. 1 : Opera indubitata; t. II : Op. addubitata; t. III : Op. subditicia; la Patrologie de Migne, série grecque, Paris, 1857, t. VI, est une compilation du texte de Maran et de la seconde édition d'Otto). La première Apologie, de beaucoup la plus longue, est adressée à l'empereur Antonin le Pieux avec ses corégents L. Verus et Marc Aurèle; elle peut donc dater de 147-60; on la place ordinairement vers 150. Justin commence par réfuter les fausses accusations formulées contre les chrétiens (ch. III-XXIII); puis il expose la doctrine chrétienne (ch. XXIII-LXI); enfin, il décrit le culte et la vie des chrétiens (ch. LXI-LXVIII); mais l'ouvrage est loin d'être bien ordonné et clairement divisé; l'écrivain se laisse aller; il a confiance en la cause qu'il défend; il estime qu'elle n'a pas besoin de beaucoup d'art ni de science de la part de son défenseur. Tous les écrits de Justin font ainsi l'effet d'improvisations d'un auteur qui improvisait médiocrement. Cela n'exclut pas quelques éclairs de génie. Le style est aussi lâche que la pensée; souvent il est incorrect. La seconde Apologie débute abruptement par le récit d'une condamnation à mort de plusieurs chrétiens à Rome, à propos d'une femme qui demandait le divorce contre un mari débauché. La suite semble devoir être une sorte d'appendice à la première apologie. Le Dialogue avec Tryphon est, sans doute, postérieur aux deux autres oeuvres. Tryphon est un rabbin avec lequel Justin discute contre les juifs. Il veut démontrer d'abord que la loi de Moïse est abrogée (ch. XI XLVII); ensuite, il prouve la divinité du Christ et de son enseignement (ch. XLVIII-CVIII) ; finalement, il déduit de ces faits la nécessité pour les juifs de se mettre avec les païens au bénéfice de la nouvelle alliance. Les oeuvres de Justin sont d'un intérêt très grand pour l'histoire du christianisme : c'est la première fois qu'un penseur, armé d'une culture hellénique suffisante, expose le christianisme tel qu'il le comprend; c'est même le premier exposé du christianisme, car toute la littérature chrétienne antérieure est édifiante ou épistolaire. De là le succès des écrits de Justin dans l'Église chrétienne, bien qu'ils fussent destinés aux païens; aussi bien leur action sur les chrétiens a été plus considérable que leur influence sur les autorités romaines. Il importe de noter les points saillants de la pensée de Justin; on caractérise ainsi l'enseignement chrétien dans le monde gréco-romain vers le milieu du second siècle; cependant il ne faut pas oublier que les écrits de Justin sont adressés à des adversaires, auxquels, tout en restant sincère, il pouvait ne présenter qu'un côté de sa pensée. L'argument principal que Justin invoque en faveur du christianisme est celui de la prophétie : puisque les prédictions de l'Ancien Testament se sont réalisées en Jésus, elles sont de Dieu; il faut les croire et par conséquent accepter l'enseignement de celui qui a été annoncé par ces prophéties. Cela est d'autant plus évident que l'enseignement du Christ, c'est la loi nouvelle et universelle tout humain peut et doit obéir à cette loi; il n'y a pour cela qu'à suivre la raison (logos) que les démons tiennent asservie, il est vrai, mais que la lumière répandue par Jésus éclaire et affranchit. La raison existe, en effet, à l'état de semence divine dans chaque humain; Socrate, par exemple, a suivi sa raison; aussi Justin le considère-t-il comme un chrétien avant la lettre. La mort du Christ avec ses effets salutaires ne tient par aucun lien organique à ces principes (en particulier, Dial., ch. XLIV). Justin conserve ce point capital de la tradition chrétienne ainsi que la plupart des autres; mais, dans le courant général de sa pensée, cela ne forme que des îlots isolés; ce grand courant est hellénique, et Justin en a conscience; il s'en vante (Apol., I, ch. XX; Apol., II, ch. XIII et passim). Mais, ici surtout, il faut se rappeler qu'il plaide la cause du christianisme devant des philosophes. Il ne manque pas, d'ailleurs, de relever ce qui distingue le christianisme : c'est que la raison tout entière (Apol., II, ch. X) a résidé en Jésus; il est le logos personnifié (Apol., I, ch. XIV, fin). On voit que le mot de logos sert ainsi de moyen terme entre la pensée chrétienne de Justin et la philosophie alexandrine; le sens du terme devient chatoyant : il signifie alternativement ou simultanément « verbe » et « raison ». Pourtant le logos personnifié est, pour Justin, le fils unique, engendré avant la création et pour devenir l'instrument de la Création, par le Dieu de l'univers; c'est une sorte de « second Dieu », distinct comme personnalité, subordonné, mais animé du même esprit (Dial., ch. LVI). Avec cela, Justin, qui est loin de saisir la vraie portée de l'Ancien Testament ni de la pensée réelle des apôtres, surtout de Paul, conserve l'eschatologie chrétienne primitive comme un élément dramatique et qu'il fait souvent intervenir. En somme, il essaye d'animer d'un principe rationnel la tradition historique du christianisme primitif ; en réalité, sans le savoir et sans le vouloir, il risque de dénaturer le christianisme et de le réduire à une morale générale. Par contre, les renseignements que Justin fournit sur le culte et l'organisation des chrétiens (surtout Apol., I, ch. LIV et suiv.) sont inappréciables. C'est la seule description détaillée et faite par un témoin oculaire, que possède l'archéologie chrétienne. De même, Justin parle de livres qu'il nomme les «-mémoires des apôtres » et dont le contenu ressemble de très près à celui des évangiles dits synoptiques. Il cite encore l'Apocalypse de Jean, mais il ne mentionne jamais l'évangile de Jean, ni les épîtres, quoi qu'il dénote une connaissance de ces écrits; d'où l'on tire la conclusion que les diverses parties du Nouveau Testament ne formaient pas encore un recueil fermé au milieu du IIe siècle. (F: H.. Krüger). | |