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On désigne par
le terme de Gnosticisme, du grec gnôsis, connaissance,
une philosophie éclectique qui prétend formuler
le christianisme; elle s'élabore au Ier
siècle pour arriver au IIe siècle Ã
son complet épanouissement sous forme de divers systèmes dont les éléments
provenaient de la
philosophie hellénique,
des religions orientales, du judaïsme et du
christianisme. Ce système comprenait un grand nombre de sectes;
mais il y avait entre elles quelques principes communs : toutes expliquaient
l'origine des êtres spirituels par émanation du
sein de Dieu
(Eons); Ã
mesure que ces êtres s'éloignaient du foyer divin, ils dégénéraient
et tendaient à se matérialiser, jusqu'au retour de tous au point de départ
et au rétablissement de l'harmonie primitive. A ces données générales
les gnostiques ajoutaient quelques dogmes secondaires, qui variaient selon
les écoles, mais qui revenaient à dire que la gnose était une tradition
réservée à une caste privilégiée, et que le gnosticisme pouvait seul
conduire à la perfection.
Pour découvrir l'origine du gnosticisme,
il faut remonter à la fin du IIe, siècle
avant l'ère chrétienne. L'éclectisme philosophique
trouvait alors un sol propice dans le domaine religieux et pratique, où
se rencontraient les grands systèmes; on ne craignait même pas de chercher
et de s'assimiler des éléments nouveaux pris dans les religions ou dans
les cultes orientaux ou égyptiens. Il suffit de rappeler à cet égard
le néopythagorisme (le Pythagorisme)
du dernier siècle avant notre ère. Les germes qui se formèrent ainsi
arrivèrent à maturité au Ier siècle
de l'ère chrétienne. Le caractère éthique, et religieux de la philosophie
de Sénèque est évident, par exemple. Le syncrétisme,
par contre, se manifeste dans les mystères
où l'influence orientale tend à prédominer; on sait la place prise par
le culte de Cybèle, de Mithra
ou d'Isis. Cette invasion de l'Orient développa
dans la pensée grecque le goût de la spéculation mythologique, de l'allégorie
religieuse, au détriment du raisonnement,
du sentiment de la mesure, de la sobriété morale. Le même mouvement,
en sens contraire, avait entraîné Philon Ã
affubler le judaïsme du vêtement de la pensée
hellénique. Quand le christianisme pénétra
dans les cercles où tous ces éléments étaient comme en fusion, le gnosticisme
prit naissance : les faits chrétiens devinrent l'objet des spéculations
de ces esprits tourmentés, avides de vérité ou de vertu. La cabale
et le néoplatonisme sortirent plus tard
de ce même creuset; mais l'usage a restreint l'emploi du mot gnosticisme
aux systèmes construits par des hommes qui faisaient profession de christianisme.
Le mot de gnosticisme est lui-même de
formation chrétienne. L'épître dite de Barnabas
appelle connaissance ou gnose parfaite une intelligence profonde des mystères
d'allégorie que l'on peut trouver dans l'Ancien Testament
et que pénètrent seuls les initiés. C'est l'application au christianisme
de la méthode exégétique de Philon.
Alexandrie
devint le foyer de cette gnose chrétienne; mais, de là ; elle rayonna
en un double courant : l'un fut censé légitime; Clément
d'Alexandrie et Origène en sont les grands
représentants ; ils appliquent au christianisme les méthodes
de la philosophie hellénique, mais ne
vont pas au delà . L'autre fut jugé dangereux; ceux qu'il portait mélangeaient
avec le christianisme des données mythologiques de provenances diverses;
ils finirent par prétendre qu'ils possédaient une révélation spéciale,
une source cachée de connaissance; ils se nommaient eux-mêmes gnostiques,
c.-à -d. des connaisseurs, des initiés.
Le but des gnostiques est méconnu quand
on s'imagine que ces hommes ne faisaient que suivre un besoin irrésistible
de spéculer et cherchaient un aliment où ils le trouvaient. La cause
du gnosticisme est plus profonde et le but plus spécial. Quand, à la
fin du Ier et au IIe
siècle, des penseurs sérieux virent combien la vie des chrétiens était
respectable, ils s'enquirent et furent étonnés, eux qui étaient saturés
de théorie, de trouver chez les chrétiens une pratique authentique des
grandes vertus sans aucun apparat théorique; ils virent des philosophes,
au sens pratique que ce terme avait pris, sans philosophie. Quelques-uns
de ces hommes se firent recevoir dans les assemblées chrétiennes; ensuite,
ils crurent positivement enrichir la religion nouvelle en la réduisant
en systèmes philosophiques.
Le but des gnostiques est donc scientifique
: découvrir et formuler la théorie d'un fait constaté. Cela se confirme
par l'énoncé des grands problèmes qui préoccupent les gnostiques. Avant
leur contact avec le christianisme, l'antithèse
entre la sensualité et la raison, entre la matière
et l'esprit, entre la pluralité et l'unité les
tourmentait; cela demeura leur point de départ. Le christianisme
proclamait une délivrance opérée par un sauveur; ils transposèrent
cela à leur usage; ils en firent l'affranchissement, l'émancipation de
l'esprit des liens de la matière. Ils affirment désormais que le secret
du salut est livré par la révélation chrétienne, et ils s'efforcent
de justifier et d'expliquer le mode et la possibilité de cette révélation.
Seulement, en adaptant ainsi les catégories de leur esprit philosophique
au fait central du christianisme, ils croient devoir céder au goût du
jour et développer leur spéculation dans les plis somptueux et pleins
de mystères de la théosophie
orientale. Le gnosticisme apparaît ainsi comme une tentative d'assimilation
trop hâtive du christianisme par la pensée du siècle, une conquête
par surprise.
On nomme souvent parmi les premiers gnostiques
Dosithée,
Simon le Magicien, Ménandre et Cléobius; mais
ces hommes furent, autant qu'on peut le savoir, plutôt des messies samaritains
ou des hérétiques quelconques. Il est peut-être plus juste devoir des
symptômes du gnosticisme naissant dans certaines idées combattues par
l'épître aux Colossiens
(II, 18-23); les épîtres à Timothée
(Ire épître, chap. I, 3 et suiv.; IV,
4 et suiv.; VI, 3, 20; IIe ép., chap. II, 14 et suiv.; III, 5 et suiv.),
la 1re épitre de Jean (chap. II, 22 et
suiv.; IV, 2 et suiv.) et quelques autres passages du Nouveau Testament.
Cérinthe
pourrait revendiquer le titre de premier gnostique si l'on était mieux
renseigné sur sa doctrine; il est à remarquer, en tout cas, qu'on le
dit originaire d'Alexandrie.
Cette période d'incubation dura jusque
vers la fin du Ier siècle. Alors, sous
Trajan et sous Hadrien
(98-138), le gnosticisme surgit partout à la fois : en Syrie, Satornil
ou Saturnin, Cerdon
et les Ophites ( ainsi
nommés du rôle que le serpent jouait dans
leurs cérémonies), avec les Naasséniens, les Séthiens
(qui se rattachaient au Judaïsme), les Pérates,
les Caïnites (qui regardaient Yahveh comme un
mauvais génie et la lignée de
comme celle des élus) et un nommé Justin.
A Alexandrie,
les grands noms de Basilide
qui venait de Syrie, et de Valentin
qui alla à Rome et auquel il faut rattacher,
après 140, ses disciples Héracléon, Ptolémée,
Markos, Bardésane. Valentin marqua le point
culminant de cette évolution; c'est l'époque de l'antithèse violente
entre l'Eglise et le gnosticisme. Après cela,
vers la seconde moitié du IIe siècle,
on remarque comme une tendance de certains gnostiques à modérer leurs
élucubrations; tel est le cas pour quelques valentiniens, pour l'auteur
ophite du livre intitulé Pistis Sophia; enfin Marcion, Tatien,
Hermogène, et surtout Apelles, le disciple de Marcion, méritent à peine
encore le nom de gnostiques.
Vers le même temps et plus tard, les Nicolaïtes,
les Simoniens, les Carpocratiens représentent les derniers efforts du
gnosticisme vrai, étouffé, nons sans peine, par l'Eglise. L'influence
du gnosticisme fut bornée; combattu par les Pères
de l'Église et surtout par Saint Irénée, poursuivi avec rigueur
par les empereurs grecs, il disparut peu à peu, mais non sans laisser
de traces. Certaines doctrines isolées se perpétuent en Orient chez les
Manichéens, les Pauliciens,
les Bogomiles; en Occident chez les Cathares
(les Albigeois) et chez d'autres sectes du
Moyen âge, qui se rattachaient à ces dernières.
Toute autre classification des gnostiques
que celle fournie par l'histoire est artificielle; il n'y aurait donc que
peu d'intérêt à énumérer et à reproduire toutes les divisions et
les subdivisions dans lesquelles on a essayé de caser les gnostiques.
Il sera plus utile de noter brièvement les points que les divers gnostiques
ont en commun; le caractère du gnosticisme se dégage ainsi, et ce qui
le distingue de la théologie chrétienne
des pères alexandrins se manifeste du même coup. Cela peut se réduire,
en négligeant les questions secondaires, à trois ou quatre points :
1°Les gnostiques font dépendre
le salut individuel de la gnose ou connaissance spéciale à laquelle il
faut se faire initier par degrés successifs. Ainsi, ce que la proclamation
de l'évangile
attribue à la foi, c.-à -d. à un acte de confiance en Dieu,
d'abandon à lui, le gnosticisme le rattache à une compréhension intellectuelle.
Les conséquences sont évidentes; là , un appel adressé à tous d'entrer
dans l'association des croyants qui forment l'Église
ici, une admission par initiation à une sorte de société
secrète ou d'aristocratie intellectuelle, à une école philosophique
plu tôt qu'à une Eglise. Aussi bien la théorie renchérit encore; la
volition est réputée vaine; l'humain ne saurait
se déterminer; sont gnostiques ceux dont la constitution primordiale est
spirituelle, pneumatique, comme on dit; les matériels on hyliques (de
hylè = « matière ») partageront irrémédiablement le sort de
la matière. Dans la seconde moitié du IIe
siècle seulement, des disciples de Valentin
admettent une classe d'hommes intermédiaires, celle des psychiques (de
psychè, « âme »), ou pistiques (de
pistis, « foi »),
c.-à -d. des chrétiens non gnostiques; ils seront sauvés, mais demeureront
éternellement inférieurs aux gnostiques.
La morale des
gnostiques se réduit à une sorte d'action chimique de
la gnose sur l'humain pneumatique; elle
dégage l'esprit de la matière.
En pratique, comme dans tous les systèmes qui procèdent de l'antithèse
entre la sensualité et la spiritualité essentielles, la morale gnostique
était soit un ascétisme rigide, soit une
indifférence qui conduisait parfois au libertinisme.
2° On se rappelle que les gnostiques font
remonter le secret de leur connaissance
à une révélation; ils la disent contenue dans les écrits apostoliques;
mais ils appliquent à ces écrits la méthode exégétique philonienne;
bientôt ils en viennent à invoquer l'autorité d'une tradition apostolique
secrète rattachée directement à Jésus et dont
ils auraient en et conservé le dépôt. L'Eglise
leur a toujours opposé sur ce point l'entière publicité de la doctrine
chrétienne.
3° Cet élément de mystère
provient apparemment dans tous les systèmes gnostiques de l'influence
orientale, babylonienne surtout,
mais aussi égyptienne; de cette
même action résulte une défiguration très sensible du christianisme
des gnostiques; il est obscurci par des mythes
cosmogoniques
compliqués et chimériques, qui nécessitent en surplus l'admission du
devenir par émanation ou évolution et le rôle important attribué Ã
des êtres intermédiaires (Démiurge,
Eon).
4° Enfin, presque tous les gnostiques
enseignent l'identité du mal et de la matière,
d'où leur docétisme et le problème des deux natures qu'ils ont posé
à l'Eglise; ils enseignent de plus l'éternité
de la matière, d'où leur dualisme. On a pu
dire, avec raison, que le gnosticisme est un phénomène fort intéressant
pour l'histoire de la pensée humaine aux trois premiers siècles de notre
ère; mais que « si la gnose avait prévalu, le christianisme eût cessé
d'être un fait moral pour devenir une cosmogonie et une métaphysique
sans influence sur la marche générale de l'humanité ».
( Herm. Kruger).
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En
bibliothèque. - Matter, Histoire
critique du Gnosticisme et de son influence sur les sectes religieuses
et philosophiques des six premiers siècles de l'ère chrétienne,
3 vol. in-8°. . |
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