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Le mot Éon
appartient à la terminologie des systèmes
gnostiques. Au fond de la plupart de ces systèmes, on retrouve
quelque chose de la distinction platonicienne
de l'univers en monde idéal et monde sensible. Platon
lui-même (Timée,
p. 37 D) nommait aiôn, «éon », l'éternel
opposé au temps (chronos) du monde
inférieur. Le philosophe judéo-alexandrin Philon
parle assez fréquemment de l'éon qui pour lui est l'équivalent
du monde idéal. Il reste quelque chose de cet emploi du mot dans
les plus anciens systèmes gnostiques : les précurseurs de
Valentin (dans
Irénée, Adv. Haer., I, 30, 1-21, 2), par exemple,
et les Caïnites d'Epiphane (Haer., 38, 1) appellent éon
l'ensemble du monde lumineux. Valentin lui-même et la plupart des
gnostiques donnent à ce qui, dans leur cosmogonie,
représente le monde idéal, le nom de plérôme;
dans ce plérôme, ils font dériver soit par émanation,
soit par génération, soit par création, une série
plus ou moins nombreuse d'éons, généralement 30 :
Valentin n'en admettait que 30; Basilide en
comptait 365, autant que de jours dans l'année
Ces éons représentaient d'abord
les facultés et les attributs divins, comme l'indiquent quelques-uns
des noms qu'ils portent; ils sont fréquemment accouplés de
façon à former des syzygies et divisés alors
en trois groupes, formant une ogdoade, une décade
et une dodécade; ils sont d'autant moins parfaits que leur
effluence de Dieu est plus médiate. La diversité
des combinaisons ne saurait être exposée ici; on ne peut que
renvoyer aux différents systèmes énumérés
à l'article Gnosticisme. Ce qu'il
importe de noter, c'est que, suivant Tertullien
(Adv. Valentinianos, 4), les disciples de Valentin et particulièrement
Ptolémée, ont personnifié de plus en plus les éons.
Les syzygies devinrent des couples d'éons différenciés
sexuellement, et, le raisonnement cédant le pas à l'imagination,
les systèmes gnostiques devinrent des drames souvent plus compliqués
qu'intelligents.
Ces puissances produisent des êtres
de même nature que la leur. Le dernier des Éons, c'est la
Sagesse, qui, cherchant l'être, tombe dans le vide, où elle
produit une sagesse inférieure. Celle-ci est ramenée au monde
divin par le Saint-Esprit; mais, avant d'y arriver, elle a pleuré
dans le vide, et de ces pleurs est né notre monde. Les Éons
formaient ainsi une chaîne d'êtres intermédiaires entre
Dieu et l'homme. Et plus exactement entre le Dieu suprême et le Yahveh
des Juifs (dont les Gnostiques faisaient une divinité secondaire),
entre le Père et le Fils, et enfin entre ce dernier et les hommes.
Au total, ces êtres, purement spirituels, n'étaient autre
chose que des abstractions réalisées : la Sagesse, la Foi,
la Prudence, etc. (F.-H. Krüger). |
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