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Charlemagne
L'Empire de Charlemagne
Aperçu Le règne de Charlemagne L'Empire de Charlemagne La légende de Charlemagne*
Eginhard, dans sa Vie de Charlemagne, après avoir énuméré les guerres du règne, a voulu indiquer l'étendue de ses Etats.
« Le royaume franc avant lui ne comprenait que la partie de la Gaule entre le Rhin et la Loire, l'Océan et la mer des Baléares, et la partie de la Germanie habitée par les Francs dits Orientaux, entre la Saxe et le Danube, le Rhin et la Sale, qui sépare les Thuringiens des Sorabes; en outre, les Alamans et les Bavarois reconnaissaient la suprématie des Francs. A ces Etats, Charlemagne ajouta par ses conquêtes, d'abord l'Aquitaine et la Gascogne, toute la chaîne des Pyrénées, et tous les territoires jusqu'à l'Ebre, qui, ayant ses sources en Navarre, après avoir traversé les campagnes les plus fertiles de l'Espagne, tombe dans la mer des Baléares sous les murs de Tortose; puis toute l'Italie, depuis Aoste jusqu'à la Calabre inférieure où se trouve la frontière entre les Grecs et les Bénéventins [...]; puis la Saxe, partie considérable de la Germanie, aussi longue et deux fois plus large, semblet-il, que la partie de cette contrée qui est habitée par les Francs; puis les deux Pannonies, la Dacie située sur l'autre rive du Danube, l'Istrie, la Liburnie, la Dalmatie, à l'exception des cités maritimes qui furent laissées à l'empereur de Constantinople; enfin toutes les nations barbares et sauvages situées entré le Rhin et la Vistule, l'Océan et le Danube, presque semblables par la langue, fort différentes par les moeurs et le genre d'existence. » 
Ces indications générales sont exactes dans leur ensemble, bien qu'il soit erroné et injuste, par exemple, d'attribuer à Charlemagne la conquête de l'Aquitaine qui est surtout l'oeuvre de son père. Sur presque tous les points, les frontières de cet immense empire étaient menacées par les peuples voisins. Pour protéger les côtes contre les pirates danes et vikings au Nord, Sarrasins au Sud, Charlemagne, à la fin de son règne, établit des flottes, des postes militaires à l'embouchure des fleuves : en 800, il visite les embouchures de la Somme, de la Seine, les côtes de la Manche, pour en assurer la défense contre les Vikings; en 811, il inspecte les flottes, les navires en construction à Boulogne, à Gand; il prend des mesures pour recruter les équipages, ordonne à son fils, Louis, de l'imiter et de veiller à la défense du Rhône et de la Garonne. Sur terre, le long de la frontière, il établit des marches (marca ou limes), gouvernements militaires, composés souvent de territoires récemment conquis, plus étendus que de simples comtés, et administrés par des margraves. Tout y est calculé de façon à surveiller l'ennemi voisin, à prévenir ou à repousser ses attaques. On trouve alors les marches de Carinthie, de Pannonie, de l'Est, de Bohême, des Sorbes sur la Sale, de Danie entre l'Elbe et l'Eider, de Bretagne, d'Espagne.
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Carte de l'Empire de Charlemagne.
Carte de l'Empire de Charlemagne. - L'Empire de Charlemagne est en clair; aux territoires directement administrés par les officiers de I'empereur sont ajoutés, sans ligne de démarcation, les contrées mal soumises ou simplement tributaires : Bretagne, Gascogne, Catalogne, duché de Spolète et de Bénévent plaine magyare et pays d'entre Elbe et Oder. Des hachures différentes recouvrent : 1° les possessions musulmanes (Espagne, Maghreb), 2° celles de l'empire d'Orient (Sicile, Calabre, Pouille, littoraux dalmate et grec), 3° les Etats de I'Eglise, 4° les autres contrées indépendantes (royaume de Léon, Angleterre, Danemark, étendues slave, avare et bulgare).

Gouvernement de Charlemagne.
Les divers Etats qui constituaient l'empire franc offraient entre eux des différences profondes. Tout en les soumettant à son action personnelle et à un certain nombre d'obligations uniformes, Charlemagne leur laissa en général la jouissance de leurs institutions particulières. Chaque peuple, dans l'empire franc, conserva ses lois : loi salique, loi ripuaire, lois des Burgondes, des Frisons, des Alamans, des Bavarois, des Lombards, etc., plusieurs furent rédigées ou revisées à cette époque. Eginhard prétend même que Charlemagne fit recueillir et rédiger les coutumes encore non écrites de tous les peuples qui étaient sous sa domination. En bien des circonstances, il montra sort désir de ne pas froisser les amours-propres nationaux : il donna deux de ses fils comme rois particuliers à l'Italie et à l'Aquitaine, et il ordonnait même à Louis de porter le costume basque afin de flatter les sentiments de ses sujets; en dépit du pape Adrien, dans le duché de Bénévent, il laissait subsister la famille ducale. Malgré ces concessions à l'esprit d'autonomie, Charlemagne entendait cependant organiser un gouvernement central et, à défaut de l'unité des lois civiles, établir l'unité des institutions politiques. Il cherche à fondre dans une oeuvre commune des éléments d'origine diverse, tels que les éléments romains et germaniques, et cette tendance se marque même dans les apparences extérieures. Ainsi, il s'intitule « Auguste, couronné par Dieu, grand et pacifique empereur, gouvernant l'Empire romain, et, par la miséricorde de bien, roi des Francs et des Lombards »; mais d'autre part, vêtu d'habits francs, entouré de compagnons qui rappellent les anciens comites germains, il aime à chasser dans les vastes forêts de la région du Rhin, à résider dans les villes qui s'y trouvent, Worms, Nimègue, Ingelheim, Aix-la-Chapelle surtout, que les contemporains appellent la « nouvelle Rome ». 

Charlemagne fait rédiger les lois et les coutumes barbares, recueillir les vieux chants germaniques, mais, au retour de ses chasses et de ses expéditions, il apparaît au milieu d'évêques et d'abbés tout imbus de traditions romaines, il en fait ses conseillers intimes, il cherche à accroître leur influence par le développement des écoles. Devenu empereur, il se considère comme l'héritier des Constantin et des Théodose, et en même temps des rois bibliques; il sait, quand il le faut, bien que rarement et à regret, quitter le manteau franc pour le costume et les insignes impériaux. Il en résulte que l'unité de son gouvernement tient beaucoup à sa personne même, à son activité, à son habileté, et que par suite elle sera éphémère. Pour s'assurer de ses sujets, Charlemagne les lie à lui par un serment de fidélité. Les contemporains y attachaient une importance réelle et, en 786, après un complot, les conjurés alléguèrent qu'ils n'avaient point juré fidélité. Par la suite, des instructions furent données pour que personne ne pût s'y soustraire; quand Charlemagne devint empereur, ce serment fut renouvelé. Il impliquait non seulement la soumission à l'empereur, mais le respect de l'Eglise et l'attachement à la foi chrétienne, l'unité religieuse étant le fondement sur lequel reposait l'oeuvre de Charlemagne. Dans la suite, il le fit encore répéter à d'autres occasions; il est évident que c'était là pour lui une institution essentielle, le véritable lien entre les sujets et le roi. 

Dans ce vaste empire, composé d'éléments si divers, la fidélité à l'empereur tient lieu de patriotisme; sa volonté fait loi, elle se manifeste par des ordres, bannum, praeceptum, dont nul ne doit entraver l'exécution (le mot  de bannum désigne aussi l'amende qui frappe celui qui s'est dérobé à ces ordres). Les fautes graves envers le roi sont considérées comme des crimes de lèse-majesté, et peuvent être punies de mort. Le centre du gouvernement est au « palais sacré ». Les fonctionnaires y sont nombreux, quelques-uns ont une importance spéciale : le chapelain du palais est chargé de toute l'administration religieuse; la chancellerie est dirigée par le grand chancelier; le comte du palais juge toutes les affaires qui ont été portées en appel au palais, il signale au roi les lacunes qui existent dans les lois et coutumes, les dispositions qui devraient y être modifiées. Viennent ensuite le chambrier (camerarius), le sénéchal (senescaleus), le bouteiller (buticularius), le connétable (comes stabuli), etc. Il est à remarquer que le maire du palais a disparu : les Carolingiens qui s'étaient élevés au pouvoir par la possession de cette charge se gardèrent bien de la laisser subsister. 

Les mesures importantes sont prises dans de grandes assemblées qui se tiennent ordinairement en mai, mais quelquefois en juin, juillet, même en août. Les termes différents dont se servent les contemporains pour les désigner en attestent les différents caractères. Champs de mai, elles ont lieu au moment où vont commencer les campagnes; Charlemagne les convoque souvent dans le voisinage des régions où il veut porter la guerre; il recommande qu'on y vienne en armes. D'autres fois ces assemblées sont réunies surtout pour s'occuper des affaires de l'Eglise, comme à Ratisbonne en 792, à Francfort en 794, à Aix-la-Chapelle en 809; en les appelle alors des assemblées synodales (synodalis conventus), mais on s'y occupe aussi d'affaires civiles, et les évêques et les abbés n'y sont pas exclusivement appelés. Le mot de placitum désigne plus particulièrement le caractère juridique de ces assemblées, celui de generalis conventus l'ensemble de leurs caractères. Des assemblées de grands se tenaient aussi en automne et en hiver, mais, sauf quelques exceptions, elles avaient moins d'importance. 

Ces grandes assemblées de Charlemagne ne sont nullement des assemblées populaires, la prépondérance de l'aristocratie laïque et ecclésiastique y est très marquée; sans doute la foule y est grande, surtout quand une guerre doit suivre et que les guerriers ont été convoqués, mais elle ne joue aucun rôle politique réel. Seuls les grands délibèrent sur les affaires que le roi leur a soumises, ils donnent leur avis, mais le roi décide. Là sont préparées, là sont promulguées des mesures législatives qui portent le nom de capitulaires, mais ce rerme s'applique à des documents fort différents les uns des autres et qu'il faut bien distinguer. Lorsque Charlemagne veut faire des additions aux lois particulières de ses sujets, loi salique, loi ripuaire, il prépare des capitulaires qui devront être ajoutés à la loi (capitula legi addenda), mais seulement après avoir été soumis à l'approbation des intéressés. Quand il veut prendre des mesures générales, indépendantes de ces lois, il rédige des capitulaires qui doivent être acceptés en vertu de leur autorité propre (capitula per se scribenda), qui représentent vraiment son activité gouvernementale et juridique et constituent le droit commun de l'empire franc; il se contente de les porter à la connaissance de ses sujets. Enfin on appelle encore capitulaires des pièces de tout genre émanées de lui, règlements pour l'administration des domaines royaux, instructions pour les missi dominici envoyés en tournées d'inspection, notes sur des questions à examiner. 
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Charlemagne : statuette équestre.
Statuette en bronze doré. - A la cathédrale de Metz,
où elle demeura jusqu'à la Révolution, elle était considérée
comme le portrait de Charlemagne. Cette identification
est hypothétique. (Musée Carnavalet).

Pour l'administration locale, si on laisse de côté les peuples vassaux qui conservent une organisation particulière, tels que les Slaves, les Avars, les Bretons, les Basques, les Bénéventins, le comté, comitatus, pagus, est la base de toute l'organisation, et son chef s'appelle comte ou graf. Les comtes représentent la puissance royale dans son ensemble et ont des attributions fort diverses, militaires, financières, juridiques, mais leur ambition est contenue, d'une part par l'obligation de se rendre sans cesse à l'armée et aux grandes assemblées, de l'autre par le contrôle des missi. Charlemagne, dans ses capitulaires, se préoccupe d'empêcher les comtes de devenir des tyrans locaux, de rendre leurs charges héréditaires, ainsi que cela s'était vu sous les derniers Mérovingiens, et que cela devait se revoir ensuite, Il ne choisissait pas ses comtes exclusivement dans la noblesse, et, s'il ne semble pas qu'il y eût de terme régulier à leurs fonctions, il destituait ceux dont il était mécontent. 

Les comtés se divisaient en centaines, administrées par des centeniers ou vicaires. A côté des comtes, les évêques sont aussi à ses yeux des fonctionnaires locaux qui dépendent de lui. C'est sur sa demande ou avec son consentement que le pape confère le pallium aux métropolitains, c'est lui qui ordinairement nomme les évêques; le système des élections épiscopales ne se maintient guère qu'en Italie, encore sont-elles soumises à la confirmation royale. Si les évêques, les abbés, les prêtres, les diacres enfreignent ses ordres, il les destitue. Il veut enfin que les comtes, ses fonctionnaires dans l'ordre civil, et les évêques, ses fonctionnaires dans l'ordre religieux, se prêtent au mutuel appui. Pour surveiller cette administration, Charlemagne a recours à des inspecteurs ou envoyés royaux, missi dominici; il y en avait déjà eu sous les Mérovingiens, mais ils n'étaient alors que des délégués extraordinaires dont l'action n'avait rien de fixe ni de régulier; au contraire, sous Charlemagne, ils deviennent un des éléments principaux du gouvernement, surtout après l'an 800. 

A cet effet, l'Empire fut partagé en un certain nombre de vastes circonscriptions, missatica, dont on n'a pas la liste précise pour le règne de Charlemagne. Pour chaque missaticum l'empereur désigne plusieurs missi, ordinairement deux, un clerc et un laïque. Ces missi reçoivent les instructions de l'empereur, font des tournées d'inspection, puis ils envoient leurs rapports à une date fixée. An cours de leurs tournées, les missi tiennent des plaids où ils font connaître les lois et les capitulaires nouveaux, recueillent les plaintes des administrés, rendent la justice. Il leur appartient de découvrir les mauvais fonctionnaires, les comtes qui oppriment ou dépouillent les hommes libres, qui s'approprient les biens ou les revenus royaux, mais il était difficile de trouver des missi intègres, capables de résister aux intrigues, aux tentatives de corruption qu'on multipliait autour d'eux. 

Pour l'administration de la justice dans les provinces, les scabins deviennent les assesseurs réguliers des comtes.

L'organisation financière ne présente pas sous Charlemagne de modifications notables. L'organisation militaire fut réglée par plusieurs capitulaires. Chaque année, avant l'époque où il va entreprendre une campagne, le roi proclame son ban militaire, hériban, et il indique l'endroit où se réunira l'armée. Les comtes, les évêques, les abbés font connaître les ordres du roi; celui qui ne se rend pas à la convocation est frappé d'une forte amende. L'obligation du service militaire s'étend à tous les hommes libres, mais, dans la pratique, Charlemagne établit des règles qu'il modifia lui-même. D'après les dispositions les plus rigoureuses, qu'on trouve en 807, tout propriétaire de trois manses doit le service militaire, ceux qui possèdent moins, et même ceux qui ne possèdent ni esclaves ni terres, doivent s'associer proportionnellement pour équiper l'un d'entre eux. 

Si cette charge était lourde, il faut observer que tous ceux qui devaient le service militaire, n'étaient pas appelés chaque année, on n'en convoquait qu'une partie, surtout ceux des régions voisines du pays où devait se faire la guerre. Les guerriers s'armaient à leurs frais, ils devaient se munir de vêtements et d'armes pour six mois, de vivres pour trois mois, calculés à partir du moment où l'on se trouvait près du territoire ennemi. En marche les guerriers d'une même circonscription administrative restaient ensemble, commandés par les mêmes fonctionnaires qui les administraient en temps de paix. La campagne durait quelques mois, puis on rentrait sur le territoire franc; cependant, par exception, l'armée hiverna quelquefois en Saxe, et une fois en Italie, en 774. C'est avec ces armées qui nous paraissent avoir dû être fort défectueuses, sans troupes permanentes, que Charlemagne a fait toutes ses guerres, accompli toutes ses conquêtes. Pour les maintenir en ordre il les soumettait à une discipline rigoureuse. 

Pendant ce long règne, l'autorité de Charlemagne fut respectée, les complots furent peu nombreux. En 786, on en découvrit un formé par le comte Hardrad et des Thuringiens; ils voulaient s'emparer du roi et le tuer. En 799, un autre complot eut pour chef un fils même de Charlemagne, Pépin, né de son union avec Himiltrude, qui s'était associé plusieurs nobles francs; la cruauté de la reine Fastrade, l'influence qu'elle exerçait sur le roi étaient, paraît-il, la cause de leur mécontentement; le Lombard Fardulf découvrit le complot et devint en récompense abbé de Saint-Denis. Bon nombre des conspirateurs furent exécutés, on fit de Pépin un moine, il mourut au monastère de Prüm en 811. Mais, si la personne de Charlemagne fut peu visée, son oeuvre fut de son vivant même compromise. Il aurait voulu, par l'ensemble de ses institutions, soumettre à l'action du pouvoir central l'aristocratie qui s'en était affranchie sous les Mérovingiens, et, d'autre part, pour lui faire contrepoids, fortifier la classe des simples hommes libres qui n'avait cessé de s'affaiblir en nombre et en indépendance. 

Mais la féodalité grandissante fut plus forte que lui, et la défaite du pouvoir central est sensible même sous son règne. Ainsi, il avait voulu supprimer l'exercice du droit de vengeance; en 813, il doit le reconnaître. A chaque instant il se plaint que ceux à qui il a accordé des bénéfices en usent mal ou cherchent à se les approprier. Les capitulaires montrent que les seniores, c. -à-d. les hommes puissants, les seigneurs, deviennent des tyrans locaux, entravent l'action du pouvoir royal, cherchent à réduire les hommes libres en leur pouvoir par la recommandation. Pourtant Charlemagne n'ose pas engager une lutte ouverte avec eux ; loin de là, il en arrive à régler lui-même les obligations du recommandé vis-à-vis du seigneur. Aussi, lorsqu'il aura été remplacé par un successeur débile, que la discorde divisera la famille carolingienne, qu'il n'y aura plus une autorité assez ferme pour maintenir ensemble les peuples de l'empire franc, que les invasions viendront s'ajouter aux dissensions, son oeuvre s'effondrera en grande partie.

Charlemagne et l'Eglise. Les Lettres et les arts.
A l'intérieur de l'Eglise, Charlemagne s'est véritablement considéré comme investi du gouvernement de la société chrétienne, et ses contemporains semblent avoir pensé de même. Quand il organise l'Eglise saxonne, il le fait de sa pleine autorité, sans consulter le pape. Il convoque des synodes, les dirige, en confirme les décisions; il va si loin dans cette voie qu'il fait condamner par le synode de Francfort, en 794, les décisions du concile de Nicée de 787 que cependant le pape a approuvées. Il fixe et défend le dogme lorsqu'il poursuit l'adoptianisme, qui introduit une nouvelle hérésie au sujet de la nature du Christ; imaginé par Elipand, évêque de Tolède, défendu par Félix, évêque d'Urgel, l'adoptianisme fut condamné à Rome et au synode de Francfort; dans un synode tenu à Aix-la-Chapelle en 799, Alcuin discuta encore avec Félix d'Urgel qui fut exilé à Lyon. Du reste, Charlemagne poursuit l'oeuvre commencée par son père; il veut rétablir l'ordre, la discipline dans l'Eglise qui avait été si violemment troublée à la fin de la période mérovingienne, il entend la soumettre aux canons. A l'assemblée d'Aix-la-Chapelle de 802, il promulgue la collection de canons et de décrétales de Denys le Petit, que le pape Adrien lui a envoyé en 774 sous une forme remaniée (collection dionyso-hadrienne).

Avec son activité multiple, Charlemagne a aussi travaillé à susciter une forme de renaissance littéraire et artistique. Il va chercher à l'étranger des auxiliaires; il protège le grammairien italien Paulin, l'attire auprès de lui et en fait plus tard un patriarche d'Aquilée; il distingue l'Anglais Alcuin, alors que celui-ci était en Italie comme envoyé de l'évêque de York, il parvient à le fixer auprès de lui et en fait son ami; il fait venir à sa cour le grammairien Pierre de Pise, l'historien lombard Paul Diacre. D'Espagne, semble-t-il, lui est venu Théodulf, qui devient évêque d'Orléans, personnage politique, mais en même temps poète, qui, dans quelques-unes de ses compositions, trace un tableau intéressant de la cour de Charlemagne. Angilbert, Leidrade, Eginhard, bien d'autres encore, figurent à la fois parmi les hommes d'Etat et les hommes de lettres. 

Les grands monastères fondés ou développés à cette époque, comme Saint-Gall, Fulda, Prüm, Lorsch, etc., devinrent des centres d'études où la culture intellectuelle se conserva pendant les troubles qui agitaient la société au IXe et au Xe siècle. Sous le règne de Charlemagne, le monastère de Saint Martin de Tours, grâce à Alcuin qui en fut abbé de 796 à 804, fut quelque temps comme un séminaire des hautes études ecclésiastiques. Cependant, bien qu'entouré des adeptes de la culture latine, Charlemagne ne méprisa pas la langue germanique, il en commença une grammaire, en fit recueillir les chants nationaux.

Le développement des lettres lui apparaît lié à la puissance de l'Etat et aux intérêts de la religion, elles ont donc leur place marquée dans l'oeuvre de réorganisation qu'il entreprend. Il a trouvé l'Eglise envahie par les laïques; pour la réformer, il faut la ramener, à l'étude de la Bible et des Pères. A un des plus hauts dignitaires de l'Eglise franque, à Lull, archevêque de Mayence, il reproche de ne pas se préoccuper de la propager; par des circulaires adressées aux évêques et aux abbés, il leur recommande, en 789, 802, de la répandre, d'ouvrir des écoles: quelques prélats, comme Théodulf à Orléans, Leidrade à Lyon, se montrèrent ses auxiliaires zélés. On connaît la légende de date postérieure qui le montre visitant les écoles. 

A sa cour même, Charlemagne établit l'école Palatine, sorte d'école d'enseignement supérieur ou d'académie, où il enrôle lui, ses enfants, ses courtisans. Chacun y prend quelque nom d'emprunt, païen ou chrétien : Charlemagne s'appelle David, Alcuin' Flaccus, Angilbert' Homère, Eginhard' Beseleel, etc. Il suit des leçons, cherche à refaire son instruction négligée, s'occupe de calcul, d'astronomie; son biographe Eginhard le montre essayant, mais trop tard, d'apprendre à écrire. L'université de Paris prétendit plus tard remonter à Charlemagne et à l'école palatine, et cette fiction, accueillie et longuement développée par de graves historiens comme Pasquier au XVIe siècle, Du Boulay au XVIIe siècle, a fait de Charlemagne un patron des études que l'on demandera de fêter aux lycées de Paris. Cependant, s'il y eut alors une renaissance des études, la littérature du temps ne produisit pas d'oeuvres originales : elle eut un caractère érudit, pédantesque même. 

Charlemagne protégea les arts comme les lettres. Au cours de ses voyages en Italie, la vue des monuments de Rome, de Ravenne, l'avait frappé; il se fit donner par le pape Adrien l'autorisation d'en tirer des marbres qu'il employa pour la décoration de ses édifices, il fit même transporter de Ravenne à Aix-la-Chapelle une statue de Théodoric. De cette dernière ville il voulait faire, selon l'expression d'un contemporain, « une seconde Rome ». Malheureusement, les édifices nombreux qui s'y élevèrent alors ont presque tous disparu; du palais impérial il ne reste que la chapelle ou dôme d'Aix-la-Chapelle, construction circulaire, recouverte d'une coupole et qui, par certains traits, rappelle Saint-Vital-de-Ravenne. L'intérieur était décoré de mosaïques comme les églises d'Orient et d'Italie; les portes de bronze de la chapelle existent encore. Ce monument, commencé vers 796, était terminé en 804; on a supposé qu'Éginhard, et, sous sa direction, Anségise, abbé de Fontenelle, y avaient travaillé; une inscription mentionne aussi un certain maître Odo, originaire de Metz, comme l'ayant achevé; des restaurations, des additions faites à diverses époques en ont modifié sur plusieurs points l'ancienne physionomie. Charlemagne fit construire encore d'autres palais à Nimègue, à Ingelheim. Parmi ses entreprises architecturales, une de celles qui frappèrent l'esprit des contemporains fut son projet de jeter sur le Rhin, près de Mayence, un pont tout en pierre; sa mort interrompit les travaux. 

Charlemagne voulait en outre que, dans tout l'empire, on construisit des églises nouvelles où cela paraîtrait nécessaire, qu'on restaurât les anciennes, soit qu'il s'agit de la construction ou de la décoration. Telles sont les instructions qu'il donne aux missi dans un capitulaire. Aussi, de vieilles traditions, aujourd'hui encore fort répandues, font remonter jusqu'à son règne l'origine de bien des églises anciennes de la France, mais elles ne se justifient pas par l'étude de ces monuments. On ne saurait guère faire d'exception que pour l'église de Germigny-des-Prés (Loiret), qui du moins fut construite de son vivant par Théodulf, évêque d'Orléans, et qui est encore assez bien conservée. De même, les monastères qui furent bâtis ou agrandis alors, tels que celui de Saint-Riquier, près d'Abbeville, fondé par Angilbert, le favori de Charlemagne, de 793 à 814, et celui de Fulda élevé autour du tombeau de saint Boniface et dont un des principaux architectes fut alors Ratgar qui devint abbé en 802, ne sont connus que par des descriptions écrites ou des croquis anciens. 

L'abbaye de Lorsch, entre Darmstadt et Manheim, qui fut consacrée en 774, en présence de Charlemagne, conserve encore un petit porche qu'on peut attribuer à cette époque. Pour la peinture et la sculpture, si on excepte les mosaïques de Germigny, aucune grande oeuvre décorative ne subsiste. On sait que, dans le palais d'Ingelheim, les peintres et les sculpteurs avaient été chargés de représenter non seulement des sujets de la Bible depuis l'histoire d'Adam et d'Eve jusqu'à l'ascension du Christ, mais des événements de l'histoire profane, Ninus, les grandes actions de Cyrus, les cruautés de Phalaris, les conquêtes d'Alexandre, la fondation de Rome, Hannibal, puis, à une époque plus rapprochée, Constantin abandonnant Rome pour Byzance, les hauts faits de Théodose, enfin l'histoire même des Carolingiens, les victoires de Charles Martel, de Pépin et de Charlemagne. On peut juger de la peinture carolingienne par quelques beaux manuscrits à miniatures comme l'évangéliaire, conservé au Louvre, qui fut exécuté par Godescalc pour Charlemagne et sa femme Hildegarde, et qui fut terminé en 781.
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Evangéliaire de Charlemagne : Jésus.
Miniature de l'évangéliaire 
de Charlemagne (Jésus).

Agriculture, industrie, commerce.
Quant à la prospérité matérielle de l'empire franc, Charlemagne cherche à la développer par des mesures favorables à l'agriculture, à l'industrie, au commerce. De ses domaines, il veut faire des propriétés modèles, et un de ses capitulaires les plus développés, le capitulaire De villis, entre à ce sujet dans les plus minutieux détails : l'administration, les cultures, l'emploi des produits sont réglés. On voit par là que, outre l'élevage du bétail, qui était encore la principale industrie agricole, on connaissait dès lors la plupart des arbres fruitiers, des légumes et même des plantes médicinales qu'on cultive aujourd'hui. Cependant, il ne faudrait pas juger de l'état général de l'agriculture à cette époque d'après les villae royales. D'ailleurs, en matière d'économie politique, les idées de Charlemagne étaient encore fort rudimentaires; c'est ainsi que, afin de prévenir les famines, il avait recours à la fixation d'un maximum pour le prix du blé, à la défense d'exporter les matières alimentaires. Quant à l'industrie, elle avait sa place même dans les villae royales; on voit qu'il y existait des ateliers de tout genre, charpentiers, armuriers, forgerons, etc. mais ce fait même ne devait guère contribuer au relèvement des industries urbaines qui ne semblent pas avoir été très florissantes. 

L'Empire germanique exportait cependant des draps (ceux de la Frise surtout étaient fort appréciés), du vin, de l'huile, etc.; il recevait du dehors les épices, les pierres précieuses, les tissus de soie, le papyrus. Marseille notamment était en relations avec l'Orient byzantin, l'Egypte, bien qu'on manque sur ce point de renseignements précis. Avec les pays du Nord, on communiquait par les ports de Boulogne, Quantovic, Dorestadt. Vers l'Est la conquête de la Saxe avait assuré aux marchands francs plus de sécurité pour le commerce en Germanie et au-delà. Un capitulaire de 805 s'occupe des marchands qui commercent avec les Slaves et les Avars et leur fixe comme stations qu'ils ne doivent pas dépasser Bardowiek, Schesel près de Celle, Magdebourg, Erfurt, Halazstadt qui était situé près de Bamberg, Forcheim, Pfreimt, Ratisbonne, Lorch près d'Ens. Dans ces stations, l'empereur avait établi des fonctionnaires spéciaux chargés de veiller au commerce; ils devaient empêcher l'exportation des armes. 

Charlemagne songea même à réunir le Rhin et le Danube par un canal entre la Rednitz et l'Altmühl et à ouvrir ainsi une grande voie fluviale entre l'Occident et l'Orient. Ne voulait-il par là qu'arriver à des avantages militaires, ou bien songeait-il aussi aux intérêts du commerce? Quoi qu'il en soit, les travaux commencés en 793 furent bientôt abandonnés. A l'intérieur de l'Empire, Charlemagne cherchait à supprimer les péages, les redevances de tout genre, qui, nouvellement établis, entravaient les relations, il aurait voulu également faciliter les transactions en établissant l'unité des poids et mesures, mais il n'y réussit pas; ce fut aussi en vain qu'il essaya de remettre de l'ordre dans la fabrication des monnaies, de restreindre le nombre des ateliers monétaires; ses mesures n'eurent pas d'effet durable. (C. Bayet).

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Dictionnaire biographique
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