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L'histoire de la Russie
La Russie au Moyen Âge
Aperçu
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La Russie médiévale
Les Slaves*-
Le commencement
    de l'histoire russe
La monarchie moscovite
La Horde d'Or*-
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Le XVIe siècle
Le XVIIe siècle
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Le XVIIIe siècle
L'Empire de Pierre Ier
Le printemps des tsarines
Le règne de Catherine II
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Le XIXe siècle
La Guerre de Crimée*
La Russie au XXe siècle
L'histoire de l'URSS
La Fédération de Russie
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Et aussi...
La Sibérie*
La langue russe*
La littérature russe*
Les origines

La grande plaine de l'Europe orientale est entrée beaucoup plus tard dans l'histoire que les régions de l'Ouest et surtout du Sud de l'Europe. Alors que les pays méditerranéens avaient derrière eux de longs siècles de civilisation, la Russie d'aujourd'hui était encore la Scythie, en pays semi-hyperboréen, connu seulement par des légendes fabuleuses. Seules, les côtes du Sud, entre l'embouchure du Danube et le Caucase, avaient été parcourues par des navigateurs grecs, probablement dès le IXeet le VIIIe siècle avant notre ère; un peu plus tard, nous y trouvons une série de colonies milésiennes, phocéennes, etc., entre lesquelles, il faut citer Olbia, non loin de l'emplacement actuel d'Odessa, Feodosia (Caffa), Chersonèse, sur la côte Sud de la Crimée, Panticapée, près du détroit de Kertch. Riches, grâce surtout à l'exportation des grains, ces colonies n'ont pourtant qu'une existence assez précaire. Elles sont constamment menacées, en effet, par les populations de l'intérieur. Si quelques-uns de ces Barbares, comme les Scythes royaux d'Hérodote, paraissent avoir joui d'une civilisation relativement avancée, les autres sont des nomades, sans autre industrie que l'exploitation régulière des villes grecques. Fondées et détruites à plusieurs reprises, les colonies grecques n'ont pas eu d'influence durable sur leurs farouches voisins.

Autant qu'on peut le conjecturer d'après les oeuvres d'art qui, retrouvées dans les ruines de ces villes, à Kertch, par exemple, nous ont conservé l'image de ces peuples, ils appartenaient au rameau commun des populations de langues indo-européennes. Leur figure et leur costume seront ceux  des moujiks de la plaine russe : les quelques noms de princes que nous ont conservés les historiens grecs s'expliquent à peu près par des racines iraniennes. Il ne faudrait pourtant pas en conclure que les occupants actuels de l'Europe orientale soient les descendants directs des Scythes d'autrefois : probablement, dès ce temps, parmi les tribus de descendance indo-européenne, il y en avait d'autres d'origine finnoise ou turque; il ne faut pas oublier; d'autre part, que, dans ces immenses plaines où nul obstacle n'arrête un envahisseur, les peuples se balayent et se remplacent avec une grande facilité. Les Scythes de l'époque grecque sont remplacés à l'époque romaine par les Sarmates : au IVe siècle, les Goths ont soumis ceux-ci et fondé, de la Baltique à la mer Noire, un grand empire qui succombe, au siècle suivant, sous les coups des Huns, dont la domination éphémère disparaît au Ve siècle, laissant à elles-mêmes les tribus éparses, qui, au Ier et au IIe siècle, avaient occupé la plaine de l'Oder à la Volga.

Si nous laissons de côté les pays riverains de la Baltique et du Niémen, ceux des rivages de la mer Noire et les pays caucasiques, lesquels ont eu leur histoire particulière jusqu'à l'époque moderne, il paraît que les populations de la grande plaine russe se répartissaient au Moyen âge entre deux groupes Finnois et Slaves

A l'Est, ce sont des Finnois qui, parfois mélangés de populations turques, s'agglomèrent en groupes guerriers, tels que les Avars, les Bulgares, les Magyars, mais qui, la plupart du temps, restent isolés et paisibles dans les forêts du bassin supérieur et moyen de la Volga. Ils avaient fondé, à une époque fort ancienne, le royaume de Biarmie, qui s'étendait de la haute Volga à l'Oural et à la mer Blanche; sa capitale était Perm; il était riche et commerçant, échangeant contre les produits de l'Inde et de la Perse ses fourrures et les denrées du Nord; les routes de la Volga et de la mer Blanche étaient dès ce moment fréquentées, et les Vikings ont souvent dirigé leurs expéditions vers la Biarmie. En 870, Ottar faisait un voyage vers la mer Blanche dont le roi Alfred d'Angleterre lui fit rédiger le récit; on cite encore l'expédition de Karli, Gunstein et Therer Hund, lesquels rapportèrent du pillage du temple de loumala, à l'embouchure de la Dvina, d'immenses richesses. Les relations commerciales avec la Biarmie se se continuent jusqu'en 1222; la tradition en fut conservée, et, au XVIe siècle, les Anglais essayaient de rouvrir la navigation par la mer Blanche. Le royaume de Biarmie succomba en 1236, sous les coups des Mongols. Il a eu son histoire à part, et c'est seulement aux temps modernes qu'il fut incorporé à la Russie. Les autres tribus finnoises ne sont pas parvenues à ce degré d'organisation, et l'histoire politique de la Russie est celle des Slaves.

Etablis à l'Ouest de la grande plaine, les Slaves ou Vendes étaient plus avancés en civilisation, déjà laboureurs, déjà groupés autour de villes ou plutôt d'enclos fortifiés (gorodichtché), dont l'archéologie a retrouvé d'innombrables vestiges dans les bassins de la Vistule, de la Duna, du Dniepr, de la Volga. La région qui possède les sources de ces trois fleuves, le plateau central de l'isthme ponto-baltique, paraît avoir été le plateau d'essaimement des Slaves, l'acropole dont ils sont partis pour la conquête de l'Europe orientale, conquête pacifique, du reste, faite par la charrue plus que par les armes et dénuée d'événements historiques qui puissent en marquer les étapes. Les Slaves, en effet, ne forment ni un peuple, ni même une fédération de tribus : leurs populations, que seul réunit lien linguistique (les langues balto-slaves) sont isolées les unes des autres, indépendantes les unes des autres, anarchiques, comme le remarquent les historiens byzantins. C'est cet état d'incohérence qui a rendu possible, la formation des empires goth ou hun, et, au XIe siècle, celle de l'empire russe, grâce auquel les Slaves de l'Est entreront enfin dans l'histoire de l'Europe.

Le commencement de l'histoire russe

L'Empire russo-varègue. Kiev.
La partie méridionale et la partie orientale de ce qui allait être la Russie étant occupées, le centre lui-même étant asservi, c'est du Nord et de l'étranger que le salut est venu à la Slavie de l'Est. Des Germains, arrivant de Scandinavie, avaient pris pied au moins dès le VIIIe siècle dans la région du lac Ladoga et de l'Ilmen, et vers les sources de la Volga et du Dniepr. La célèbre Chronique de Nestor ou Chronique des temps passés (XIVe siècle) les appelle Russes, nom dont l'origine n'est pas connue, et aussi Varègues, dérivé d'un mot scandinave qui désignait des mercenaires. Au moment même où d'autres Scandinaves pillaient les côtes d'Angleterre et de France (Les Vikings), les Varègues d'outre-mer selon Nestor, se firent paver tribut en 859 par les Finnois et par les Slaves du Nord. Ceux-ci, après avoir chassé les Varègues, et ne pouvant s'entendre ni se gouverner eux-mêmes, auraient demandé eux-mêmes aux Varègues de venir leur assurer « l'ordre et la justice ».

Toujours est-il que, vers 862, sous la conduite de trois frères : Rurik, Sineous et Trowor, les Varègues vinrent en nombre et fondèrent des villes. Rurik  fonda un État qui avait pour capitale Novgorod. Son successeur, Oleg (879-912), l'agrandit considérablement vers le sud, il prit Smolensk et Kiev où il s'établit comme prince et, selon la tradition, dit-:

«  Cette ville sera la mère des villes russes. »
Les Russo-varègues, d'ailleurs rapidement assimilés, eurent la hardiesse, l'esprit d'aventure, les moeurs de conquête et de pillage qui caractérisaient les Vikings. Les princes, pendant longtemps, gardèrent la physionomie de chefs de bande, guerroyant contre les tribus slaves, contre les Finnois, jusqu'à la Volga, au Caucase et à la Caspienne. Surtout, ils subirent, comme tous les Barbares, la fascination de Constantinople, de sa civilisation, de ses fabuleuses richesses. Dès 865, Askold et Dir, avec 200 barques, descendent le Dniepr pour aller assiéger Constantinople. En 907, Oleg organise une nouvelle expédition, assiége Constantinople et conclut avec Byzance un avantageux traité de commerce. 

A peine créée, la Russie convoitait déjà cette ville que les Russes appelaient Tsarigrad ( = la Ville Impériale). A maintes reprises, ils renouvelèrent cette attaque et obtinrent de l'argent. Ainsi, Igor (912-945) s'associe aux Petchénègues (Les Turkmènes) pour attaquer la capitale de l'Empire d'Orient. Sviatoslaw (945-972) profite des luttes de Byzance et de la Bulgarie pour pénétrer jusqu'aux régions danubiennes et songe même à transférer sa capitale dans les Balkans. Vers cette époque, les princes varègues cessèrent  de recevoir des recrues suédoises et oublièrent leur origine. Vers la fin du Xe siècle, toute distinction s'effaça entre les descendants des Vikings et leurs sujets. Mais les coutumes conservèrent l'empreinte scandinave. La société, jadis démocratique, tendait vers l'aristocratie : les boïars (seigneurs) commençaient à reléguer dans la misère et le servage les moujiks (paysans).

Une nouvelle évolution eut lieu quand un des fils de Sviatoslaw, Vladimir (980-1015), épousa une princesse byzantine. Ce mariage de Vladimir, « le Clovis de la Russie », avec Anne, soeur de l'empereur Basile II, eut pour conséquence le baptême de ce prince vers 990. Sous son fils Iaroslav le Grand (1015-1054), le christianisme devint pour les Russes une religion vraiment populaire et nationale. Ce fut le christianisme byzantin qu'ils adoptèrent. Les métropolites de Kiev étaient grecs et dépendaient du patriarche de Constantinople. Les « grands-princes» russes épousaient des princesses grecques. La Russie emprunta l'art et la littérature de Byzance. Culturellement, elle devint une colonie byzantine. 

Elle y gagna de faire des progrès rapides. Sous Vladimir et sous Iaroslav, la Russie du Dniepr brille d'un vif éclat, et Kiev, devenue une des plus riches cités d'Europe orientale, ambitionne aussi la gloire d'être une réplique de Constantinople. Mais cette rapidité même fut néfaste. La civilisation en Russie, comme en Bulgarie, fut semblable à une fleur transplantée, et qui ne tarda pas à se flétrir. D'autre part, le triomphe de la culture byzantine en Russie devait plus tard séparer la Russie de l'Europe. Au XIe siècle, les Russes, en empruntant la culture byzantine, adoptaient la forme la plus avancée de la civilisation européenne. Mais quand Byzance eut disparu, les Russes, restés fidèles à ses croyances, à ses rites, à ses habitudes intellectuelles, se trouvèrent séparés des Slaves de l'ouest, des Polonais et par suite de l'Europe par de profonds dissentiments. En revanche, la religion orthodoxe fut un lieu puissant entre les Russes, la piété se confondit avec le nationalisme, « la sainte Russie [prit] pour étendard la croix grecque ».

Le morcellement des pays russes. La Souzdalie.
Si la féerie de la Russie kiévienne ne dura pas, c'est aussi que les cités de cet État étaient essentiellement commerçantes. Les intérêts du négoce constituaient entre elles le lien le plus puissant. Une autorité militaire se superposait tant bien que mal à l'autonomie urbaine. L'oeuvre d'unification était demeurée très superficielle, non seulement dans les vastes régions colonisées, mais dans le domaine primitif. Enfin, le problème principal n'avait pas été résolu par les princes de Kiev : ils n'avaient pas dégagé les voies de la mer Noire, et ils avaient usé vainement leurs forces contre les envahisseurs successifs, Petchénègues, Turks Oghouz, Polovtses. « J'ai fait dix-neuf traités de paix avec les Polovtses », écriraencore l'un d'eux, Vladimir Monomaque, au commencement du XIIe siècle.

Par là s'explique la transformation rapide et profonde qui s'opère après la mort de Iaroslav le Grand (1054). Iaroslav, selon la coutume, avait partagé l'État entre ses fils, mais en établissant le principe du séniorat, l'aîné devant être « grand prince » et résider à Kiev. Son testament eut les mêmes conséquences qu'en Pologne celui de Boleslas Bouche-Torse. Les princes rivaux engagèrent d'interminables et féroces luttes, auxquelles ils mêlèrent l'étranger, païens et chrétiens, Hongrois, Polonais, Petchénègues, Oghouz (Les Turkmènes), Polovtses.  Vadimir Monomaque (1113-1125) fut le dernier grand-prince de Kiev qui ait été réellement obéi de toute la Russie primitive. Après lui, en quarante-quatre ans, Kiev eut dix-huit grands-princes.  Un historien a compté, pour une période d'un siècle et demi, « 6 principautés, 273 princes et 83 guerres civiles.  L'anarchie princière de l'Est fut le digne pendant de l'anarchie féodale de l'Ouest ». Du XIe au XIIIe siècle, on comptera jusqu'à 64 principautés.

Kiev, la ville sainte, cessa d'être capitale. Georges Dolgorouki (1155-1157), ancien grand prince de Kiev, transporta sa cours à Vladimir, en Souzdalie (pays de Souzdal). Son fils, André Bogolioubski (1157-1174) , le premier prince qui ait eu la conception de l'absolutisme de type oriental, essaiera de refaire l'unité, prend et pille Kiev (1169), que dévastent à leur tour les Polovtses, appelés par les princes de Tchernigov. C'était la fin de la vieille Russie, celle de Rurik et de Iaroslav

La formation politique de la Moscovie

Les Slaves, s'éloignant de la mer Noire, refluent au delà de la Sula, de la Ros et dans les Carpates, et, pendant que les Russes du Sud, ceux que l'on appellera plus tard Petits-Russiens ou Ukrainiens, tombaient dans l'anarchie, grandissait l'importance des Grands-Russiens du Nord. Plus tenaces que les Russes de Kiev, ils étaient destinés à construire la puissance russe. Ils habitaient la région boisée où furent fondées Moscou en 1197 et Nijni-Novgorod en 1220

Le grand-prince de Vladimir ou de Souzdalie était maître absolu de cette Souzdalie, en plein pays finnois, était une région de colonisation à peine peuplée d'une moitié de Slaves.  Il n'y avait pas sur cette terre neuve d'assemblées, d'aristocratie, de traditions pour limiter l'autorité du grand-prince de Vladimir. Ainsi c'est dans une marche lointaine, perdue dans la grande forêt, que se préparait, loin de tout contact européen, bien à l'écart du foyer de la civilisation byzantine, la future Moscovie.

Il y avait bien d'autres groupes russes plus voisins de l'Europe et qui étaient, au début du XIIIe siècle, plus importants que la Souzdalie : l'un en Galicie, l'autre à Novgorod-la-Grande. Mais la Galicie se laissa envahir et annexer par les Polonais. Novgorod, après avoir eu 100.000 habitants et 300.000 sujets, après avoir envoyé ses pionniers audacieux jusqu'à la mer Blanche et en Sibérie, laissa les Allemands s'emparer des provinces baltiques et couper aux Russes le chemin de l'Occident. Ce fut une des causes de l'isolement funeste auquel les Russes furent si longtemps condamnés.

Une autre cause explique cet isolement : ce fut l'irruption d'une nouvelle et terrible vague d'envahisseurs venant d'Asie, des abords même de la Chine.

« En ce temps-là, disent les chroniques, pour nos péchés, arrivèrent des nations inconnues; personne ne savait ni leur origine, ni leur religion. » 
Ces inconnus étaient les Mongols, ou, comme on les appellera improprement, les Tatars. Réunis par Gengis-Khan, entraînant avec eux des Turks et divers peuples finnois, ils s'étaient avancés jusquà la mer Noire. Là, en 1224, ils écrasaient les princes russes. Ils soumirent ainsi l'une après l'autre les principautés russes et brûlèrent les villes. En 1238, ils réapparaissaient sur la Volga, anéantissaient Moscou, Souzdal, Riazan, toute la Grande-Russie. L'année suivante, ils faisaient subir le même sort à Kiev, à Tchernigov, à la Volhynie. Un brusque dégel sauva Novgorod, mais le grand-prince de Souzdalie fut battu et tué à la Sita (1238).Après avoir envahi la Hongrie, la Pologne, poussé jusqu'en Silésieet menacé l'Allemagne, ils se fixèrent en Russie, où l'Etat qu'ils fondèrent est connu sous le nom de Horde d'Or.

La Horde d'Or.
Le chef de ces envahisseurs, Batou, qui n'agissait que d'après les conseils du vieux général Souboutaï, établit sa tente d'or à Saraï, sur la Volga, là où se trouvera plus tard la ville de Tsarov. Les Mongols de la Horde d'or avaient pour vassaux tous les princes du pays. Le prince de Novgorod, Alexandre Nevski, après de brillantes victoires sur les Suédois et les Allemands, dut se soumettre aux Mongols et payer tribut. Sous la domination de la Horde, la Russie fut complètement fermée à l'influence européenne. Elle ignora la Réforme, la Renaissance. L'Europe oublia même son existence. Toute l'énergie des Russes était consacrée à préserver leur foi, leur culture, leur existence même. Dans cette triste et muette servitude allait se former obscurément et fortement la nationalité russe.
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Le front occidental

Les immenses territoires occupés primitivement, en tout ou en partie, par les Slaves de l'Est, se trouvèrent abandonnés et exposés aux entreprises des voisins. Après l'émiettement de la Russie kiévienne, et surtout après l'invasion mongole, aucune construction politique un peu solide n'apparut dans les bassins du Dniestr et du Dniepr occidental, si ce n'est une principauté de Halicz, en Russie Rouge, principauté qui, édifiée vers 1134, tomba sous le joug mongol dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Ces conjonctures favorisèrent les intérêts de deux États voisins, la Pologne et la Lituanie

La Pologne, abandonnant au XIVe siècle la lutte contre les Allemands, s'était retournée vers l'Est pour se rendre maîtresse de la Galicie et de la Volhynie. Quant à la Lituanie, jeune État encore païen, son développement fut très rapide. Alors qu'au XIIIe siècle elle se bornait encore à défendre péniblement son indépendance contre les Chevaliers Teutoniques, on la voit, au XIVe siècle, avec Gedymin (1315-1341), conquérir Polotsk, Tchernigov, toute la Volhynie, Kiev; puis, sous Olgierd (1345-1377), s'emparer de Vitebsk, de Mohilev, et atteindre le littoral de la mer Noire.

Quand le fils d'Olgierd, Jagellon, épousera en 1386 Hedwige, reine de Pologne, l'unification de l'ancien domaine des Slaves de l'Est se trouvera réalisée, pour plusieurs siècles, en dehors de la Russie, et contre elle. De longs efforts seront nécessaires aux tsars de Moscovie pour détruire.

Tandis qu'une partie des populations russes, conquise par les grands princes de Lituanie, passait sous la domination polonaise, les princes de Moscou achevèrent de former autour de leur capitale la Grande Russie, noyau du futur Empire. Les diverses principautés qu'avaient épargnées la conquête lituanienne, celles de Riazan, de Vladimir, de Tver et de Moscou, étaient restées, depuis le XIIIe siècle, sous la domination des Mongols de la Horde d'Or. Celle de Moscou, étouffée entre les autres, n'ayant encore pour capitale qu'une pauvre bourgade, avait cependant pour elle l'avenir. 

Là « acheva de se former, sous le joug mongol, un peuple résigné, patient, énergique, entreprenant, fait pour endurer la mauvaise fortune et profiter de la bonne, et qui à la longue, devait avoir le dessus sur la Russie occidentale et sur la Lituanie. Là grandit une dynastie de princes politiques et persévérants, prudents et impitoyables, de triste et terrible mine. marqués au front du sceau de la fatalité furent les fondateurs de l'Empire russe, comme les Capétiens le furent de la monarchie française. » (A. Rambaud).
Ils employèrent a vrai dire les pires moyens et ils furent les serviles vassaux des khans de la Horde d'Or : mais leur complaisance même et leur bassesse, qu'excusait la nécessité, furent une condition des progrès futurs. Ils gagnèrent à ce rôle des domaines, des trésors, des moyens d'influence; sans éclat, sans grandeur; ils ont préparé la formation de la Russie moderne.

Alexandre Nevski le grand prince de Novgorod, le vainqueur des Scandinaves et des Chevaliers Porte-Glaives (Les Chevaliers Teutoniques), avait donné Moscou à son plus jeune fils, Daniel (1263-1303); sous lequel a commencé la fortune de l'État moscovite. Son fils Georges Danilovitch (1303-1326) réussit, au prix d'une lutte sauvage qui dura pendant tout son règne et avec l'appui du khan des Mongols à enlever à Michel de Tver le titre de grand-prince, qui lui conférait une véritable suprématie sur les autres grinces russes. 

Son frère, Ivan Kalita (1328-1341), compléta sa victoire, saccagea Tver, rançonna il étendit ses domaines, se maintint en rapports étroits avec le khan des Mongols, Ouzbek, qui ouvrit son empire au commerce russe, donna à Moscou, sa capitale, la suprématie religieuse (qui avait jusque-là appartenu à Vladimir) et bâtit des églises dans le Kremlin. Ce fut un prince pieux et assez pacifique, mais qui recourut cependant contre ses ennemis, comme tous ceux de sa dynastie, aux basses intrigues et aux perfidies. Ses deux fils, Siméon le superbe (1341-1353) et Ivan II (1353-1359) lui succédèrent l'un après l'autre. Ce dernier, pacifique et débonnaire, laissa l'autorité s'affaiblir entre ses mains et ne sut pas maintenir la suprématie des principauté. Mais déjà ses prédécesseur avaient créé une tradition et un véritable esprit national, et les boïars moscovites furent assez influents pour faire restituer par le Khan le titre de grand-prince au fils d'Ivan, Dmitri un enfant de dix ans. Ainsi Moscou garda son rang. 

Dmitri IV (1363-1389), fut un héroïque chevalier, qui lutta longtemps contre les princes voisins de Tver et de Rjazan. Ceux-ci cherchèrent des appuis au dehors et ainsi la principauté de Moscou entra en lutte contre la Lituanie et même contre les Mongols de la Horde d'Or, jusqu'alors ses protecteur. La Horde était alors en décadence, déchirée par des rivalités, et Dmitri voulut en profiter, mais ses premiers succès faillirent lui coûter cher. Le khan Mamaï, qui avait rétabli l'ordre, prépara contre lui une formidable armée. L'enthousiasme religieux des Russes permit à Dmitri d'affronter péril : à Koulikovo, sur les bords du Don, il écrasa les Mongols dans une meurtrière bataille et salué du titre de Donskoï, vainqueur du Don (1380). Les Russes se crurent délivrés. Mais l'heure l'Indépendance n'était pas venue. Tamerlan venait de restaurer en Asie l'Empire mongol; un de ses lieutenants, Tokhtamych ayant vaincu Mamaï, amena contre la Russie de nouvelles hordes, s'empara de Moscou, qui fut brûlée, et en massacra les habitants : 

« Nos pères, s'écriait douloureusement Dmitri, qui n'ont point triomphé des Tatars, furent moins malheureux que nous. »
La déception était cruelle, mais du moins les Russes savaient que les grands-princes de Moscovie étaient désormais leurs véritables chef nationaux et qu'ils pouvaient compter sur eux l'oeuvre de la libération définitive.

Les progrès reprennent sous Vassili Ier Dmitriévitch (1389-1425), qui étend son État, le long de la Volga, jusqu'à Nijni-Novgorod, et met les territoires voisins sous sa dépendance. Il contient les Lituaniens, plus dangereux encore que les Mongols. Sous Vassili l'Aveugle (1425-1462), la Russie fut déchirée par des compétitions de famille dévastée par des compagnies de mercenaires, sauvagement ruinée. Mais Vassili, après bien des vicissitudes, parvint à triompher de son compétiteur Chémiaka, qui mourut en 1453, au moment même où la disparition de l'Empire byzantin faisait de la Russie la seule protectrice des orthodoxes. Aussi Vassili ne se prêta nullement au rapprochement qui venait de s'opérer en 1439, au Concile de Florence, entre orthodoxes et catholiques, La décadence définitive des Mongols ouvrit des voies nouvelles à l'ambition des grands-princes de Moscou. mais les destinées de leur État étaient encore incertaines à la mort de Vassili, malgré l'autorité absolue dont ils jouissaient. Moscou s'était embellie, ornée d'églises, dépassant sa vieille rivale, et prenait déjà figure de capitale.

L'oeuvre d'unification du tsar moscovite Ivan III.
La Moscovie cependant était encore bien loin de l'Europe, et n'avait pas encore achevé son unité ; elle avait toujours des voisins bien redoutables, Suède et Porte-Glaives, Lituaniens et Mongols, au moment où monta sur le trône le prince qui allait être « le grand assembleur de la terre russe », Ivan III (1462-1505). Celui-là ne fut pas un héros ni un chevalier, mais un politique du type Louis XI, froid et retors, habile à épuiser ses ennemis sans les attaquer directement, terrible et cruel dans ses colères et dans ses vengeances.

Les grands princes qui régnaient à Tver, Rjazan, Souzdal, laroslavl, les républiques marchandes de Novgorod et de Pskov vénéraient en Moscou leur capitale religieuse où résidait le patriarche orthodoxe. Mais le monarque de Moscou n'avait d'abord aucune prééminence sur les grands princes issus comme lui de l'ancienne dynastie des Varègues. Ivan III se proclama suzerain. Bien plus, il prit les seigneuries en supprimant les titulaires, fussent-ils ses propres frères. 

Son premier coup de maître fut la soumission de Novgorod. La grande République avant essayé de se soustraire à la suzeraineté moscovite, Ivan III l'attaqua, l'obligea à reconnaître son autorité, puis profita d'une révolte pour supprimer les vieilles libertés de la ville (1478); Les supplices et les transplantations d'habitant achevèrent la soumission. Il abolit la Vétché, assemblée du peuple souverain à Novgorod; il emporta la cloche qui sonnait pour convoquer les citoyens. Par cette conquête, la Moscovie s'étendait jusqu'à la Finlande, à la mer Blanche, à l'océan Glacial et déjà prenait pied en Asie. Ivan s'empara aussi de la grande principauté de Tver, réussit à mettre la main sur les apanages de ses frères et constitua ainsi un vaste État au centre et au nord de la Russie.

Quand la Moscovie tout entière fut sous sa main, Ivan III entreprit de la libérer du joug des Mongols, qui pesait sur la Russie depuis deux siècles. Il profita du démembrement de l'empire de la Horde d'Or et de l'amitié qu'il avait nouée avec le khan des Tatars de Crimée pour refuser le tribut et, avec une forte armée, il attendit sur les bords de l'Oka l'attaque des Mongols (1460). Les deux armées s'observèrent longtemps sans en venir aux mains, Ivan semblant peu pressé de céder à l'enthousiasme belliqueux de son peuple. Soudain, toutes deux furent prises de terreur panique et s'enfuirent. Les Mongols ne revinrent jamais à la charge et, c'est ainsi que leur suprématie prit fin. L'attaque d'une horde rivale sur la capitale des dominateurs de la Russie fit le reste : la forteresse ou tant de grands princes moscovites étaient venus «  ramper  » devant le khan, souverain en lui apportant le tribut, Saraï, fut détruite par les Tatars de Crimée. Ivan soumit encore au tribut le khanat bulgaro-tatar de Kazan. La Moscovie, affranchie de l'empire des nomades asiatiques, devait conserver longtemps l'empreinte de l'éducation servile que ses maîtres mongols lui avaient infligée.

Ivan III voulut aussi briser la puissance du grand Etat lituano-polonais, voisin redoutable, qui retenait sous son joug de nombreuses populations russes et orthodoxes. Deux guerres successives lui donnèrent tout le pays jusqu'à la Soja, mais les Lituaniens appelèrent à la rescousse les Porte-Glaives de Livonie, et le grand maître Hermann de Plettenberg écrasa l'année d'Ivan près d'Isborsk (1501), En revanche, le khan de Crimée, allié d'Ivan, attaqua la Grande horde, qui avait; voulu faire une diversion en faveur des lituaniens et acheva sa destruction. Sa capitale, Saraï, fut à tout jamais rasée. Entre la Russie et Lituanie, une trêve fut conclue qui laissait à Ivan ses conquêtes, mais l'accès de la Baltique restait encore fermé aux Russes pour longtemps.

Depuis qu'il avait épousé, par l'entremise du pape Paul II, une nièce du dernier empereur de Byzance, Sophie Paléologue, et mis dans ses armes l'aigle à deux têtes des Césars byzantins, Ivan III avait une très haute idée de son pouvoir. Il fortifia l'autocratie en créant une armée permanente, en promulguant un code très rigoureux, destiné surtout à faire disparaître les privilèges et les différences entre les provinces. Des Grecs, venus à sa cour avec Sophie, furent les premiers diplomates qu'employa la Russie. Ils lui fournirent encore des ingénieurs, des artistes, et Ivan en fit venir aussi d'Italie. En dépit de l'éloignement, quelques effluves de la Renaissance pénétraient ainsi en Russie. Ivan s'efforçait d'entrer en communication avec l'Europe, par-dessus toutes les barrières. Il avait agrandi son État abattu tout ce qui s'opposait à son essor; il avait en outre, préparant l'avenir, fait de la Russie la protectrice et l'espoir des Slaves orthodoxes, et déjà elle tendait la main vers l'Europe. (Haumant / HGP / HUP).

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