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La Russie au XVIIIe siècle II - Le printemps des tsarines |
Aperçu | Pierre le Grand avait modifié les règles de succession au trône. Désormais l'héritier serait désigné par l'empereur en place. L'ironie veut que la mort l'ait surpris avant d'avoir pu désigner son propre successeur, ce qui a débouché au cours du siècle qui a suivi sur plusieurs crises. Sa veuve, Catherine, soutenue par ceux qui avaient constitué la garde rapproché du tsar est brièvement devenue impératrice. Son successeur désigné, l'empereur Pierre II lui non plus ne règnera pas véritablement, ni très longtemps. Le pouvoir effectif passe à cette époque sous la coupe des familles puissantes de l'empire, qui, à la mort de Pierre II le transmettent à une deuxième impératrice, Anna Ivanovna, fille du frère de Pierre le Grand. Celle-ci se détachera de ceux qui l'ont placée sur le trône, pour s'entourer de conseillers souvent venus de l'étranger, et plus particulièrement d'Allemagne. Une situation qui rendra une fois de plus sa succession difficile. Quand Anna meurt, la couronne passe en principe sur la tête de son petit-neveu, le jeune Ivan VI, dont le pouvoir reviendra en fait à sa mère Anna Leopoldvna, elle-même rapidement renversée par les grandes familles, qui font également assassiner Ivan VI. La couronne est alors attribuée à la fille de Pierre le Grand et de Catherine Ire, Elisabeth Pétrovna. Celle-ci va régner, dans un contexte relativement calme, pendant une vingtaine d'années. Son règne sera marqué par une ouverture de la Russie à la culture française. A la mort d'Elisabeth, le problème de la succession donnera lieu à une nouvelle convulsion, avec l'accès au trône, puis l'assassinat quelques mois plus tard de Pierre III, qui laissera sa place à son épouse, Catherine II, la dernière tsarine. Dates clés :1725 - Accession au trône de Catherine Ire, veuve de Pierre le Grand.
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Jalons | A la mort de Pierre Ier (1725), les partisans de sa veuve, Catherine, Mentchikov, Bassewitz, lagouchinsky et l'archevêque Théophane la firent proclamer impératrice au détriment de l'héritier légitime de la couronne, son petit-fils, le jeune Pierre Alexievitch. Catherine Ire (Catherine Alexievna, en russe Ekaterina), née en 1682; morte le 16 mai 1727. Elle était née, selon les uns : à Germunared, en Suède, fille de Jean Rabe, quartier-maître du régiment suédois d'Afsborg, et avait pour prénom Marthe. Après la mort de son père (1684), elle fut ramenée en Livonie par sa mère qui mourut l'année suivante. D'après d'autres, elle serait née le 15 avril 1679 à Jakobstadt, en Courlande, fille de Samuel Skawronski. Devenue orpheline, elle fut recueillie à Marienbourg par le pasteur Glück qui la fit élever dans la religion protestante. Elle épousa, en 1702, un dragon suédois qui partit pour la guerre et disparut. La même année, Marienbourg fut pris par les Russes; la jeune femme, emmenée prisonnière, fut recueillie chez Mentchikov qui la prit à son service. Pierre le Grand la vit, en devint amoureux et lui fit embrasser l'orthodoxie (1703); elle eut pour parrain le tsarevitch Alexis et prit le nom de Catherine Alexievna ; elle devint la maîtresse en titre du tsar; elle sut habilement s'attacher son affection et lui rendit de grands services lors de la désastreuse expédition du Pruth (1711). En mémoire de cette circonstance, Pierre fonda l'ordre de Sainte-Catherine. L'empereur, qui avait déjà eu d'elle plusieurs enfants, se décida à l'épouser en 1712; en 1724, il la fit couronner à Moscou.Mentchikov exerça de fait le gouvernement au cours du bref règne de Catherine (1725-27), dont les principaux événements furent l'ouverture de l'Académie des sciences (1725) et l'établissement du Conseil supérieur secret destiné à contrebalancer l'influence du Sénat, l'expédition de Behring. (L. L.) Par son testament la tsarine désigna le fils d'Alexis, le petit Pierre II , pour lui succéder. Pierre II - Alexeievitch, empereur de Russie (1727-30), né à Saint-Pétersbourg le 22 (11) octobre 1715, mort à Saint-Pétersbourg le 9 fèvrier 1730. Petit-fils et seul descendant mâle de Pierre le Grand, fils du tsarevitch Alexis et de Charlotte de Brunswick, il succéda le 17 mai 1727à Catherine Ire qui l'avait désigné à l'instigation de Menchikov. Celui-ci fut le vrai maître, cessa de réunir le conseil de régence dès qu'il ont validé le testament de Catherine, fiança l'enfant impérial à une de ses filles, le logea dans son palais, fit partir pour ses États le duc de Holstein et sa femme Anne. Mais un camarade du jeune tsar, Ivan Dolgorouki, le persuada d'exiler le favori, et le pouvoir passa aux Dolgorouki, qui firent couronner Alexis à Moscou (7 mars 1728) où il se fixa. Le 10 décembre 1729, on le fiança à Catherine Dolgorouki, qu'il devait épouser le 2 février 1730; mais il tomba malade à la chasse le 28 janvier et mourut de la petite vérole.A la mort prématurée de Pierre II, les Dolgorouki, grands maîtres de la couronne, la donnent, tout à fait arbitrairement, en excluant la fille de Pierre le Grand, Elisabeth, à une fille du frère de Pierre le Grand, l'imbécile Ivan V, Anna (1730-40). (Ph. B.). Le règne d'Anna Ivanovna Anna Ivanovna, était née en 1693, et avait épousé, en 1740, Frédéric-Guillaume, duc de Courlande, qui l'avait laissée veuve un an après; sa jeunesse s' était écoulée tristement à la petite cour de Mittau; elle avait été en butte aux sollicitations d'un grand nombre de prétendants, mais elle les avait repoussé. En 1730, lorsqu'avec Pierre Il s'éteignit la descendance masculine de Pierre le Grand, le haut conseil secret (composé du comte Golovkine, du chancelier Loukitch, du prince Dolgorouki et du prince Dmitri Golitsine), lui avait offert la couronne en espérant profiter des circonstances pour mettre des bornes à la puissance impériale et réduire la Russie au gouvernement d'une oligarchie. La princesse s'engagea à accepter les conditions suivantes : 1° à consulter le conseil sur toutes les affaires gouvernementales; le conseil devait se renouveler par cooptation;L'impératrice, si elle violait ces conditions, devait être privée de la couronne. Mais la Russie n'était préparée ni pour la monarchie constitutionnelle, ni pour l'oligarchie, et ces restrictions imposées à l'autorité souveraine excitèrent dans le clergé et le peuple la plus vive indignation. Anna en fut informée peu de jours après son arrivée à Moscou et s'empressa de reprendre sa liberté. Les membres du haut conseil furent exilés, jetés en prison ou décapités. Retour à Pétersbourg. - Autre signe de cette mise au pas de l'aristocratie, le retour à Saint-Pétersbourg, abandonné à la mort de Pierre le Grand (1725) par la cour qui était retournée à Moscou, suivie par le Sénat, les collèges et par un grand nombre de seigneurs qui n'y étaient installés que contraints par ordre de l'empereur. La cour dut donc revenir à la nouvelle capitale, mais les puissants du pays se refusaient encore à reconnaître à la nouvelle cité ses droits politiques au détriment de la vieille Moscou. L'impératrice Anna fit des efforts considérables pour attirer à Saint-Pétersbourg l'élite de la nation. Après les incendies de 1736 et 1738, un plan général fut établi pour la reconstruction et l'agrandissement de diverses demeures. Le Palais d'Hiver fut désormais considéré comme le centre de la capitale.Désormais Anna s'entoura de Courlandais et d'Allemands, Biren (ou Biron) et ses deux frères, les Treiden, Bismark, parent de Biren, les frères Lewenwold, le général Münnich, Ostermann. Le haut conseil secret fut dissous, le sénat reconstitué. Cette période, où dominent uniquement les Allemands, a été désignée par les Russes sous le nom de Bironavtchina. Sous le règne d'Anna Ivanovna un certain nombre de réformes s'accomplirent; le régime judiciaire fut amélioré, l'oulojenié (ou code) du tsar Alexis fut continué, la chancellerie secrète établie, l'armée dont l'impératrice avait plus besoin que jamais pour défendre ses favoris contre les colères populaires reçut d'importantes améliorations; deux régiments nouveaux furent créés, celui d'Izmaïlovsky et le régiment de la garde à cheval. Le corps des cadets fut créé pour 360 gentilshommes. La noblesse fut obligée de faire donner à ses fils une certaine éducation; à seize ans, les jeunes gens passaient un examen. Quiconque ignorait le catéchisme, l'arithmétique et la géométrie, était fait matelot. A l'extérieur, les deux épisodes les plus importants du règne de l'impératrice Anna furent la guerre de la succession de Pologne (1733-1735) et la guerre de Turquie (1735-1739). Auguste Il, mort en 1733, avait laissé vacant le trône de Pologne; les patriotes avaient offert la couronne à un candidat national, Stanislas Leszczynski, il était naturellement soutenu par le gouvernement de Louis XV. Mais l'Autriche et la Russie lui opposèrent Auguste III de Saxe. Le gouvernement russe envoya une armée en Pologne; Lascy fit élire Auguste llI; Stanislas, assiégé dans Dantzig, fut obligé de s'enfuir, malgré les secours que la France lui avait envoyés. Ce fut la première rencontre entre les Français et les Russes. Auguste III fut définitivement élu, mais la guerre continua entre l'empire d'Allemagne et la France; Anna mit au service de Charles VI un corps de 20 000 hommes qui traversa la Silésie, la Bohème, la Franconie et arriva jusqu'aux environs de Heidelberg. « On s'aperçut pour la première fois que cette Asie européenne pouvait, par-dessus l'Allemagne, étendre ses longs bras jusqu'au Rhin (Michelet). »Le traité de Vienne termina, en 1733, la guerre de la succession de Pologne; la Russie se retourna alors contre l'empire ottoman; les armées russes entrèrent en Crimée; Münnich s'empara de Perekop et de Bakhtchisarai; Kinbourn, Azov, Otchakov, Khotin, Iassy furent pris. Le traité de Belgrade laissa Azov à la Russie. Mais cette campagne fut fort pénible et coûta plus de 100 000 hommes et des sommes immenses. La paix fut célébrée par des réjouissances extraordinaires; c'est en cette occasion qu'on construisit à Pétersbourg le fameux palais de glace où furent célébrées les noces d'un bouffon. D'un tempérament masculin, d'un caractère grossier et brutal, l'impératrice Anna se plaisait aux divertissements grossiers. Elle fit un jour couver des oeufs de poule à des représentants des plus grandes familles russes. Elle introduisit à sa cour le luxe des vêtements, les jeux ruineux. Le pire goût allemand prévalut sous son règne, mais il faut reconnaître qu'il prépara la voie au goût français. (L. Léger). La régence et la chute d'Anna Leopoldvna En 1740, Anna Ivanovna, atteinte de la pierre (lithiase vésicale) et sentant sa fin prochaine, désigna Biren comme régent de son successeur, son petit-neveu, le jeune Ivan de Brunswick. Ivan VI sera très vite renversé par sa mère Anna Leopoldvna : Anna Leopoldvna , princesse russe, née à Rostock (Allemagne) en 1718, morte à Kholmogory (Russie) en 1746, était fille du duc Charles-Léopold de Brunswick, et de Catherine, soeur de l'impératrice Anna Ivanovna. Elle avait été élevée en Russie et avait embrassé l'orthodoxie en 1733. En 1739, elle avait épousé Antoine Ulrich, duc de Brunswick (Wolfenbutte), dont elle avait eu Ivan. Quand celui-ci, à la mort de la tsarine (28 octobre 1740), fut proclamé, d'après le désir exprimé par la défunte tsarine, Biren prit le titre de régent. Trois semaines après (19 novembre), il fut renversé par Münnich, d'accord avec Anna Léopoldovna. Elle prit le titre de grande princesse de Russie et de régente. Son mari fut nommé généralissime, Münnich, premier ministre...Anna Leopoldvna ne conserva pas longtemps sa haute situation. La faveur qu'elle accorda à une favorite allemande. Julie von Mengden, au Saxon Linhardt, lui aliéna le soutien d'une aristocratie irritée de la domination des étrangers. Elle crut pouvoir éloigner Münnich, à qui elle devait sa fortune et succomba (5 décembre 1741) a une nouvelle révolution de palais. Elisabeth, fille de Pierre le Grand, fut appelée sur le trône. Le prince Ivan fut enfermé dans la forteresse de Schlusselbourg ou il périt, plus tard, assassiné. Osterman et Münnich furent déportés. Anna Léopoldovna fut d'abord exilée avec son époux, en Allemagne. Mais l'impératrice se ravisa et les fit interner à Kholmogory, dans le gouvernement d'Arkhangel. Elle y mourut en 1746 (18 mars). Elle avait eu dans son exil deux fils, Pierre et Alexis. (L. L.). Le règne d'Elisabeth Petrovna Elisabeth, née en 1709, morte le 9 janvier 1762 (1761, style russe) était fille de Pierre le Grand et de Catherine Ire. Sa mère avait songé à la marier à Louis XV; mais ce projet n'aboutit pas. Sous le règne d'Anna Ivanovna, elle avait vécu éloignée des affaires publiques, se consolant de son célibat et de son isolement avec des favoris dont le plus célèbre fut Alexis-Gregorovitch Razoumovsky,qu'elle aurait d'ailleurs, d'après certains témoignages épousé secrètement. Après la mort d'Anna Ivanovna, qui avait laissé le trône au jeune Ivan VI et la régence à Anna Léopoldovna, Élisabeth avait su profiter habilement du mécontentement de l'armée et des vieilles familles qui étaient lasses de la domination des étrangers, et qui éprouvaient une vive sympathie pour la fille de Pierre le Grand. Avec le concours du chirurgien français Lestocq, l'appui du ministre de France, La Chétardie, et de Vorontsov, elle avait ainsi réussit à se faire proclamer impératrice (18 décembre 1742). L'avènement d'Elisabeth mit fin à la domination des Allemands; il marqua aussi le commencement de l'influence française en Russie. Elisabeth prit part à la guerre de Sept Ans; jalouse du succès de Frédéric II, et blessée par ses épigrammes, elle envoya en Prusse une armée de quatre-vingt mille hommes. Le général Apraxine vainquit les Prussiens à Grossjoegerndorf, mais il ne sut pas profiter de son succès. En 1758, les Russes prirent Koenigsberg mais ils furent battus à Zorndorf; l'année suivante, ils prirent leur revanche à Zullchau et à Kunersdorf en Silésie. En 1760, ils pénètrent à Berlin; en 1761, ils occupent la Poméranie. La mort d'Élisabeth sauva Frédéric. Sous le règne de cette princesse, la Russie acquit en Asie une partie de la Dzoungarie et des pays turkmènes. Ce fut en somme un règne prospère. Lomonossov chanta les triomphes des armées russes, Soumarokov écrivit les premières tragédies; les premières revues en langue russe furent publiées. L'architecte italien Rastrelli embellit l'empire de remarquables édifices. (L. L.). Les arts et les sciences. « Jamais, dans n'importe quel pays, aucun établissement n'a été comparativement plus utile et plus fécond en résultats bienfaisants : aujourd'hui même encore (en 1844), il est rare qu'un homme qui écrit sa langue correctement, qu'un fonctionnaire honnête et éclairé, qu'un magistrat probe et forme ne soit pas sorti de l'université de Moscou.»Schouvalof voulut que tout étudiant, quelle que fût son origine, portât l'épée et eût le dixième rang du tchin; tout docteur avait le huitième. Dix professeurs étaient répartis entre les trois facultés de jurisprudence, médecine et philosophie. Il projetait de créer deux autres universités à Saint-Pétersbourg et à Batourine, des gymnases et des écoles dans tous les gouvernements; il établit des écoles sur les confins militaires du Midi, une à Orenbourg pour les enfants des exilés. Il envoya des jeunes gens achever leurs études de médecine à l'étranger. Il fut, en 1768, le créateur de l'Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg où il appela des maîtres français : le peintre Lorrain, le sculpteur Gilet, l'architecte Valois, plus tard Dévely et les frères Lagrenée. Saint-Pétersbourg, qui n'avait encore que 74 000 habitants, prenait figure de capitale. L'Italien Rastrelli bâtissait le Palais d'Hiver, le monastère de Smolna pour les filles de la noblesse, le palais de l'Académie des sciences et traçait le plan de Tsarskoé-Sélo, le Versailles russe. Sous la présidence de Cyrille Razoumovski, fils de l'ancien favori d'Élisabeth, l'Académie des sciences, fondée par Pierre le Grand et Catherine Ire , commençait à faire parler d'elle : malgré les luttes interminables de ses professeurs russes, excités par Lomonossov contre les professeurs allemands, elle publiait des livres et des traductions. Les académiciens Bauer et Miller s'attaquaient aux origines de la Russie. Tatishchev, ancien gouverneur d'Astrakhan, écrivait la première histoire de la monarchie. Lomonossov, professeur de physique, se faisait le Vaugelas et le Malherbe de son pays. Fils d'un pêcheur des environs d'Arkhangel, il avait la taille colossale des anciens bogatyrs et certains vices du peuple; envoyé à l'étranger pour compléter ses études, il y avait eu cent aventures : marié à la fille d'un tailleur de Magdebourg, raccolé pour le roi de Prusse, emprisonné. En Russie même, son ivrognerie et sa turbulence lui auraient attiré de fâcheuses affaires sans l'intervention de ses protecteurs. Il publia une grammaire, une rhétorique et une poétique, travailla à dégager la langue russe moderne du slavon d'église: ses panégyriques de Pierre Ier et d'Élisabeth, mais surtout ses odes sont les chefs-d'oeuvre de l'époque. Soumarokof commençait à écrire des drames, des comédies, des satires et publiait la première revue russe, l'Abeille laborieuse. Kniajnine avait beaucoup de succès dans la comédie, moins dans le genre tragique. Le prince Cantémir, fils de l'hospodars de Valachie, ambassadeur à Paris et à Londres, publiait des épîtres et des satires. Trédiakovski, auteur de la tragédie de Déidamie et d'une médiocre épopée, imitée de Fénelon, la Témémakhide, est surtout connu comme un réformateur de la langue et comme un infatigable traducteur : il traduisit toute l'Histoire ancienne de Rollin, l'Art poétique de Boileau, des libretti d'opéras italiens, des ouvrages de science et de politique. Comme on l'a dit, le trait caractéristique de l'époque d'Elisabeth, c'est l'établissement de relations directes avec la France, qui depuis le dix-septième siècle, était perçue à l'extérieur, comme le représentant le plus élevé de la civilisation européenne; jusqu'alors on n'avait connu notre civilisation que par des intermédiaires. On avait été Hollandais sous Pierre Ier, Allemands sous Anna Ivanovna. Les Russes s'étaient faits, disaient-on, les élèves de ceux qui n'étaient que les élèves des Français. Maintenant les barrières s'abaissent : à l'Académie des sciences on a des savants français; à l'Académie des beaux-arts, des artistes français; on court aux représentations françaises de Sérigny, et ce sont encore des traductions de chefs-d'oeuvre français que Soumarokof fait jouer sur la scène russe; on traduit les ouvrages de Vauban sur les fortifications, de Saint-Remy sur l'artillerie; on apprend à connaître Corneille, Racine et Molière. Le favori Ivan Schouvalof fait venir ses meubles de France, s'habille à Paris, aime tout ce qui est français et fait partager son goûts à Élisabeth l'ancienne fiancée de Louis XV. La Chétardie, L'Hôpital mettent à la mode les manières de Versailles. La cour se découvre soudain plus d'affinités de caractère et d'esprit avec les Français qu'avec les Allemands. Trédiakovski, Cyrille Razoumovski, le futur président de l'Académie, vont se perfectionner à Paris; les étudiants russes y sont assez nombreux déjà pour qu'on y élève une chapelle orthodoxe, sous la protection de leur ambassadeur. Un Voronzof entre au service de Louis XV et monte la garde en uniforme de chevau-léger dans les galeries de Versailles. L'ambassadeur Cantémir est un ami de Montesquieu. Une génération toute française d'idées et de culture grandit à la cour d'Élisabeth : Catherine II, la princesse Dachkov, les Voronzof, écriront aussi facilement en français que dans la langue maternelle. En 1746, Delisle fera part à l'Académie des sciences du désir exprimé par Voltaire d'en devenir membre correspondant; l'année suivante, par d'Allion et Cyrille Razoumovski, Voltaire entrera en relations avec Schouvalof, et, d'après les documents fournis par lui, s'inspirant de ses conseils et de ses critiques, entreprendra son Histoire de Russie sous Pierre le Grand. Élisabeth, à l'intérieur, s'est donc inscrite dans la même perspective que son père; elle a réformé la législation, créé des centres nouveaux de population; elle a donné une impulsion énergique aux sciences et à la littérature nationale. Elle lèguera le trône à un neveu, fils, comme Ivan VI, d'un prince allemand. Pierre III de Holstein ne règnera que quelques mois (5 janvier-9 juillet 1762), et se fera renverser par sa femme, Catherine d'Anhalt-Zerbst (Catherine II, entre ombre et Lumières), qui,elle, régnera jusqu'en 1796. (A. Rambaud). |
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