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La langue russe
Le russe est une langue indo-européenne de la famille des langues slaves. C'est la plus répandue des langues slaves, celle qui a le plus fidèlement conservé les éléments empruntés au vieux slavon ou slavenski. Le vieux slavon fut longtemps la seule langue littéraire de la Russie, et l'on ne jugea pas que le russe vulgaire employé dans les relations ordinaires de la vie, fût digne d'être écrit. Mais, à partir de Pierre le Grand, le slavon ne fut plus qu'une langue liturgique ou ecclésiastique, désormais invariable : le russe, qui s'est élevé au rang de langue cultivée, contient, outre son vocabulaire spécial, certains mots tirés du slavon des livres, quelques termes grecs que la communauté de religion entre la Russie et l'Empire byzantin a naturellement introduits et qui expriment principalement des idées religieuses, enfin des mots altaïques apportés par l'invasion des Mongols, et des mots latins, allemands, hollandais, anglais et français, provenant du développement des relations politiques et commerciales. 

Pour écrire le russe, on emploie actuellement un alphabet cyrillique, dérivé de l'écriture cyrillique originelle (alphabet slavon), et dont les caractères ont reçu une forme plus cursive. Il a été fixé au temps de Pierre le Grand et en partie par ce tsar II comprend 36 caractères ou groupes de caractères, dont le dernier, l'Igitsa, est aujourd'hui à peu près inusité. 

La grammaire russe.
La grammaire de la langue russe appartient au type flexionnel synthétique et se caractérise par une morphologie riche, dans laquelle les relations syntaxiques sont largement exprimées par des désinences plutôt que par l'ordre des mots. Cette structure confère au russe une grande liberté syntaxique, tout en imposant une maîtrise précise des formes grammaticales. Les catégories fondamentales de la grammaire russe sont le genre, le nombre, le cas, l'aspect, le temps, le mode et la personne.

Le nom russe est marqué par trois genres grammaticaux, masculin, féminin et neutre, qui se manifestent principalement au singulier. Les noms varient selon le nombre, singulier et pluriel, et selon six cas principaux : nominatif, génitif, datif, accusatif, instrumental et prépositionnel. Le nominatif sert généralement de sujet, tandis que les autres cas expriment des fonctions syntaxiques et sémantiques variées, telles que la possession, l'objet indirect, le complément de lieu ou de moyen. L'accusatif présente des formes distinctes selon l'animé et l'inanimé, surtout pour les noms masculins et pluriels, ce qui constitue une particularité notable du système nominal russe.

Les adjectifs s'accordent avec le nom qu'ils qualifient en genre, en nombre et en cas. Ils possèdent des formes longues et des formes courtes, ces dernières étant principalement employées dans la fonction prédicative et portant souvent une valeur stylistique ou expressive. Les degrés de comparaison sont exprimés soit par des suffixes, soit par des formes analytiques, notamment pour le comparatif, tandis que le superlatif peut être formé par des moyens morphologiques ou lexicaux.

Le système pronominal est complexe et comprend plusieurs catégories : pronoms personnels, possessifs, démonstratifs, interrogatifs, relatifs, indéfinis et négatifs. Les pronoms personnels se déclinent selon les cas, et certaines formes présentent des alternances phonétiques. Les pronoms négatifs, combinés avec la négation verbale, illustrent le phénomène de la double négation obligatoire en russe, où plusieurs éléments négatifs coexistent sans s'annuler.

Le verbe russe constitue l'un des éléments centraux de la grammaire, notamment en raison de la catégorie de l'aspect, qui oppose systématiquement les verbes imperfectifs et perfectifs. Cette opposition exprime la manière dont l'action est envisagée, comme processus en cours, action répétée ou action achevée. Chaque verbe appartient en principe à un couple aspectuel, souvent formé par préfixation ou suffixation. L'aspect influence fortement l'emploi des temps, en particulier du passé et du futur.

Les verbes se conjuguent selon deux conjugaisons principales, définies par les terminaisons du présent et du futur simple. Ils s'accordent avec le sujet en personne et en nombre, et au passé également en genre. Le système temporel comprend trois temps morphologiques : présent, passé et futur. Le futur peut être simple, formé à partir d'un verbe perfectif, ou composé, utilisant l'auxiliaire быть conjugué au futur suivi de l'infinitif imperfectif. Les modes incluent l'indicatif, l'impératif et le conditionnel, ce dernier étant exprimé par une forme analytique du passé accompagnée de la particule бы.

Les formes non personnelles du verbe occupent une place importante. L'infinitif sert de base lexicale et syntaxique dans de nombreuses constructions. Les participes, actifs et passifs, existent au présent et au passé et jouent un rôle adjectival tout en conservant des propriétés verbales. Les gérondifs expriment des actions secondaires ou concomitantes et permettent de condenser l'information syntaxique, bien qu'ils soient soumis à des contraintes strictes d'usage.

La syntaxe russe repose sur un ordre des mots relativement libre, rendu possible par la flexion. L'ordre neutre est généralement sujet-verbe-objet (SVO), mais des variations fréquentes permettent de marquer le thème et le rhème, l'emphase ou le style. Les phrases simples peuvent être verbales ou nominales, ces dernières étant fréquentes au présent, où le verbe copule être est généralement omis. Les phrases complexes utilisent une grande variété de subordonnants et de constructions relatives, souvent introduites par des pronoms ou adverbes relatifs.

La négation et la modalité présentent des traits spécifiques. La négation standard se fait au moyen de la particule не, tandis que ни renforce la négation dans certaines structures. La modalité peut être exprimée par des verbes modaux, des constructions impersonnelles ou des particules, qui permettent de nuancer la nécessité, la possibilité ou l'attitude du locuteur. Les constructions impersonnelles, très fréquentes en russe, expriment des états, des sensations ou des événements sans sujet grammatical explicite.

Histoire de la langue russe.
Les origines du russe remontent au slave commun, langue indo-européenne parlée approximativement entre le IIe et le Ier millénaire avant notre ère, qui s'est progressivement différenciée en plusieurs branches. À partir du VIe siècle, les Slaves orientaux occupent un vaste territoire allant du bassin du Dniepr aux régions forestières du Nord, où se développe un continuum dialectal à l'origine du vieux slave oriental.

À l'époque de la Rus' de Kiev, entre le IXe et le XIIIe siècle, le vieux slave oriental constitue la langue vernaculaire de la population. Parallèlement, une langue écrite se met en place à la suite de la christianisation de la Rus' en 988. Cette langue écrite est le slavon d'Église, issu du vieux slave élaboré par Cyrille et Méthode pour l'évangélisation des Slaves. Le slavon d'Église n'est pas une langue parlée en Russie, mais il exerce une influence considérable sur le développement du russe, notamment dans le lexique, la syntaxe et le style. La coexistence du vieux slave oriental parlé et du slavon d'Église écrit crée une situation de diglossie qui marque durablement la tradition linguistique russe.

Après le déclin de Kiev et la fragmentation politique des principautés russes, le vieux slave oriental commence à se différencier en plusieurs langues distinctes, donnant naissance progressivement au russe, à l'ukrainien et au biélorusse. Entre le XIIIᵉ et le XVe siècle, le russe ancien évolue de manière autonome, sous l'effet de changements phonétiques majeurs, tels que la chute des voyelles réduites (yers), la réorganisation du système vocalique et l'évolution de la palatalisation consonantique. Ces transformations rapprochent la langue parlée des formes que l'on connaît aujourd'hui, tout en accentuant les différences régionales.

À partir du XVe siècle, avec l'essor de la principauté de Moscou, le dialecte de la région moscovite acquiert une importance croissante. La centralisation politique favorise l'unification linguistique, tandis que le slavon d'Église demeure la langue de la liturgie et de la culture écrite élevée. Les textes administratifs, juridiques et chroniques commencent cependant à intégrer davantage d'éléments vernaculaires, amorçant un rapprochement entre langue parlée et langue écrite. Cette période voit apparaître une langue mixte, parfois qualifiée de russe chancelleresque, qui constitue une étape clé dans la formation du russe moderne.

Aux XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, la langue russe connaît une phase de normalisation décisive. Les réformes de Pierre le Grand jouent un rôle central, notamment par la simplification de l'alphabet cyrillique, l'introduction d'une typographie civile et l'ouverture massive aux emprunts lexicaux issus des langues d'Europe occidentale, en particulier l'allemand, le néerlandais et le français. Le russe s'enrichit alors d'un vocabulaire technique, scientifique et administratif adapté aux besoins d'un État en modernisation rapide.

Au cours du XVIIIe siècle, des efforts systématiques sont entrepris pour codifier la langue littéraire. Mikhaïl Lomonossov élabore une théorie des trois styles, visant à organiser l'usage du russe et du slavon d'Église selon les registres. Cette réflexion contribue à stabiliser la grammaire et à définir les normes de la langue écrite. La tension entre héritage slavon et usage vernaculaire demeure, mais elle est progressivement résolue par une intégration sélective des éléments slavons dans un cadre grammatical russe.

Le XIXe siècle marque l'apogée de la langue russe classique. Les écrivains jouent un rôle fondamental dans la fixation de la norme littéraire, en particulier Alexandre Pouchkine, qui parvient à harmoniser la langue parlée cultivée et la tradition écrite. Son œuvre sert de modèle à toute une génération d'auteurs et contribue à établir un russe souple, expressif et stylistiquement unifié. Cette période voit également le développement de la linguistique russe et la publication des premières grammaires et dictionnaires scientifiques.

Après la Révolution de 1917, la langue russe est à nouveau transformée par des facteurs politiques et sociaux. Une réforme orthographique est mise en oeuvre en 1918, simplifiant l'écriture et supprimant plusieurs lettres archaïques. Le russe devient la langue de communication interethnique de l'Union soviétique, ce qui renforce sa diffusion géographique et son rôle normatif. De nombreux néologismes idéologiques et techniques apparaissent, tandis que la langue est encadrée par une politique linguistique visant à en assurer la clarté et l'uniformité.

Dans la seconde moitié du XXe siècle et au début du XXIe siècle, le russe évolue dans un contexte de mondialisation et de transformations technologiques rapides. L'effondrement de l'Union soviétique entraîne une diversification des usages et une réévaluation de la norme, avec l'entrée massive d'emprunts à l'anglais, notamment dans les domaines économique, informatique et culturel. Malgré ces changements, la structure fondamentale de la langue demeure remarquablement stable.

Les variantes du russe.
La langue russe présente une variation dialectale relativement limitée par rapport à son immense aire géographique, en raison d'une standardisation précoce et d'une forte mobilité interne. Néanmoins, on distingue traditionnellement plusieurs grands ensembles dialectaux, fondés principalement sur des critères phonétiques, morphologiques et prosodiques. L'influence croissante du russe standard, diffusé par l'école, les médias et l'administration, a entraîné une forte érosion des dialectes traditionnels. Aujourd'hui, ceux-ci subsistent surtout dans la parole des générations âgées ou dans des contextes ruraux, tandis que la majorité des locuteurs utilisent un russe proche de la norme, parfois teinté de légères particularités régionales. Ces dialectes se répartissent en trois groupes majeurs : les dialectes du Nord, les dialectes du Sud et les dialectes centraux, ces derniers ayant servi de base au russe standard moderne

Les dialectes du Nord. 
Les dialectes russes du Nord se caractérisent avant tout par le maintien d'une distinction claire entre les voyelles /o/ et /a/ en position non accentuée, phénomène appelé okanye. Contrairement au russe standard, où ces voyelles tendent à se neutraliser en [a] ou [ə] hors accent, les parlers du Nord conservent une articulation proche de la forme accentuée. On y observe également une prononciation dure de certaines consonnes qui sont adoucies dans la norme, ainsi qu'une intonation souvent plus monotone. Sur le plan morphologique, certains dialectes nordiques conservent des formes archaïques, notamment dans la déclinaison nominale et les terminaisons verbales. Ces parlers sont historiquement associés aux régions de l'ancienne Russie septentrionale, comme les zones de Vologda, Arkhangelsk et une partie de la Carélie.

Les dialectes du Sud. 
Les dialectes du Sud se distinguent principalement par le phénomène d'akanye, dans lequel les voyelles /o/ et /a/ non accentuées sont neutralisées en un son proche de [a], parfois très ouvert. On y rencontre également le yakanye, c'est-à-dire la tendance à prononcer /e/ non accentué après une consonne palatale comme un son proche de [a] ou [ja]. La consonne /g/ est fréquemment réalisée comme une fricative sonore [ɣ] ou [h], ce qui constitue un trait particulièrement marquant. L'intonation y est souvent plus mélodique et expressive. Sur le plan grammatical, on observe des particularités dans l'usage des pronoms, des formes verbales simplifiées et parfois des différences dans l'accord. Ces dialectes sont parlés dans les régions méridionales de la Russie européenne, notamment autour de Koursk, Belgorod et Voronej, et présentent des affinités historiques avec les parlers ukrainiens et biélorusses.

Les dialectes centraux.
Les dialectes centraux occupent une position intermédiaire et combinent des traits du Nord et du Sud. Ils sont eux aussi marqués par l'akanye, mais de manière plus modérée et régulière que dans le Sud. La prononciation des consonnes y est plus proche de celle du russe standard, et les formes morphologiques sont généralement plus uniformes. C'est dans cette zone, en particulier dans la région de Moscou, que s'est développée la langue littéraire russe à partir du XVIe et du XVIIe siècle. Les dialectes centraux ont bénéficié d'un prestige politique et culturel croissant, ce qui a conduit à leur généralisation progressive comme norme nationale.

Les autres variantes.
En marge de cette classification principale, il existe des parlers de transition et des dialectes périphériques, notamment en Sibérie et dans l'Extrême-Orient russe. Ces variétés sont issues de la colonisation relativement récente de ces territoires et reposent majoritairement sur des dialectes centraux, enrichis de traits régionaux, d'archaïsmes et d'emprunts aux langues autochtones turciques, finno-ougriennes ou paléo-sibériennes. Leur diversité est davantage lexicale que phonétique ou grammaticale.

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