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jusqu'en 1914 |
A ne juger la péninsule
des Balkans
que par ses contours, il semblerait qu'elle doit être, comme l'Espagne,
comme l'Italie, habitée par un peuple
unique ou du moins être le domaine d'une nationalité dominante.
Il n'en est rien. Les montagnes qui la divisent ont toujours formé
obstacle à l'unification des divers peuples qui l'occupent. Dans
l'Antiquité, la péninsule
était occupée par une foule de nations diverses probablement
d'origine indo-européenne, mais qu'il est assez difficile d'identifier
aujourd'hui, des Penestes, des Labéates, des Odryses, des Macédoniens,
des Hellènes, etc. Tous ces peuples, après la fusion de la
Macédoine,
finirent par s'helléniser. Les Albanais
actuels et les Grecs sont les seuls représentants
incontestables de ces anciennes nations. Au temps
des empereurs, les Romains apparurent
sur le Danube
et les colonies qu'ils laissèrent
devinrent le noyau de la nationalité roumaine. Cette nationalité
a surtout prévalu au Nord du Danube; mais elle a essaimé
un certain nombre de colonies au Sud de ce fleuve.
A dater du Ve siècle, les Slaves s'infiltrèrent dans la péninsule et poussèrent jusque dans le Péloponnèse; à certains moments, la péninsule, suivant l'expression d'un écrivain byzantin, parut devoir être tout entière slavisée; au début du VIIe siècle, les Serbo-Croates s'établirent dans le bassin de la Save; un peu auparavant, les Bulgares touraniens de la Volga avaient franchi la Danube, organisé les Slaves fixés entre ce fleuve et la chaîne des Balkans, puis s'étaient laissé assimiler à eux. De cette fusion était née la nationalité bulgare. Du VIIe au XIIIe siècle, la péninsule se trouva partagée entre les Grecs, les Serbes, les Bulgares et les Albanais. Sur le littoral dalmate avaient fleuri des colonies roumaines qui s'italianisèrent au Moyen âge. Dans la seconde moitié du XIVe siècle arrivèrent les Turcs, qui soumirent successivement les Serbes, les Bulgares et les Grecs et devinrent, à dater de la chute de Constantinople (1453), les seuls maîtres de la péninsule (sauf de la Dalmatie qui appartenait à Venise). Par la suite, la puissance turque a décliné
dans les Balkans. L'Empire ottoman a
commencé à être refoulé de la péninsule
dès la fin du XVIIe siècle
par l'Autriche, au XVIIIe
siècle par la Russie, a été
au XIXe siècle démembré
du dedans, par suite du réveil des nations chrétiennes, vaincues
mais non détruites au XVe siècle.
De fait, au point de vue ethnographique, la péninsule se divise
à la fin du XIXe siècle en
groupes bien distincts qui s'enchevêtrent sur certains points, mais
dont chacun a cependant son centre particulier-:
au Nord-Ouest, les Serbes ou Serbo-Croates entre l'Adriatique
et le Timok, les Bulgares au Sud du Danube et dans le bassin de la Maritsa,
jusqu'à Edirne, les Albanais sur
l'Adriatique, dans le bassin ou Drin, les Turcs sur le littoral de la mer
Egée,
du Bosphore et de la mer Noire,
les Grecs sur le même littoral de Varna à Salonique et dans
tout le pays situé au Sud de la Thessalie
(cette province comprise). Les Turcs sont déjà en minorité,
même dans le domaine que le traité
de Berlin leur a laissé; sur les quelque 13 millions d'habitants,
au moins, que compte alors la Péninsule, le nombre des Turcs n'atteint
pas 1,500,000
et, dans ce dernier lambeau de l'ancienne Turquie, ils sont tenus en échec
par les Bulgares, les Serbes, les Grecs et les Albanais.
Sur un marché des Balkans au XIXe siècle. Nous ne mentionnerons que pour mémoire les colonies roumaines dans la Dobroudja, en Bulgarie, en Macédoine, arméniennes, juives, etc. Il en sera question dans les articles consacrés aux différents groupes ou pays. Au point de vue religieux, la grande masse des chrétiens (Grecs, Serbes, Bulgares) appartient à la religion orthodoxe. Il y a cependant quelques groupes catholiques chez les Arméniens, les Albanais, les Bosniaques et les Bulgares. Les Turcs et beaucoup d'Albanais et de Valaques sont musulmans. Il y a aussi des Serbes musulmans en Bosnie et des Bulgares musulmans dans le Rhodope. Les conflits balkaniques
et les préludes de la Grande-Guerre.
Le fait important d'alors est l'établissement de l'Autriche dans les Balkans. En même temps, l'Allemagne intriguait auprès du sultan Abd-ul-Hamid, dont le despotisme ombrageux, policier et fantasque, suscita des troubles, non seulement dans la péninsule balkanique, mais aussi dans certaines parties de l'Anatolie. Pour enrayer l'agitation arménienne, Abd-ul-Hamid conçut le projet de faire disparaître, en la massacrant, une nation qui, de tout temps, avait été la victime des Circassiens et des Kurdes : ce génocide des Arméniens, qui lui valut le surnom de sultan Rouge, débuta par les massacres de Sassoun (1895) et continua par ceux de Constantinople; après la prise de la Banque impériale ottomane de Galata par des agitateurs venus de Russie, mais agissant contrairement à la politique de Saint-Pétersbourg, la ville fut livrée à une populace armée dont le gouvernement était complice. Ce fut ensuite l'insurrection de la Crète (1897) et le blocus des principaux ports de l'île par une flotte internationale où l'Allemagne n'était pas représentée. La suzeraineté du sultan fut maintenue sur l'île; mais, pour donner satisfaction aux sentiments hellénophiles des Crétois, le haut commissaire choisi par les puissances pour gouverner l'île fut le prince Georges de Grèce, dont le pouvoir (1898-1906) s'exerça sous le contrôle des puissances et avec l'appui de soldats et de gendarmes européens. Il prit pour premier ministre Venizelos, le chef du parti philhellène dans l'île. L'attitude des puissances fut inspirée par des principes analogues au cours de la guerre gréco-turque, qu'elles essayèrent vainement de prévenir. Elles s'interposèrent énergiquement lorsque la Thessalie eut été occupée par les Turcs, et obligèrent ceux-ci à limiter leurs exigences territoriales au moment de la signature de la paix. Et, après exigé de la Porte ce sacrifice, elles établirent à Athènes un contrôle financier pour assurer le payement de l'indemnité de guerre ainsi que le service de la dette internationale. Dans ce conflit, l'Allemagne avait encore nettement pris parti pour la Turquie. Éteint à la frontière grecque, le conflit des nationalités reparut dès 1899 en Macédoine, où les soulèvements chrétiens se multiplièrent, favorisés surtout par la Bulgarie et par la Russie. Dès 1902, l'intervention des puissances se manifestait en vue d'obtenir de la Turquie les réformes indispensables. Malgré les efforts du gouverneur turc, Hilmi-pacha, l'insurrection reprenait en mars 1903. A Mitrovitza (Mitrovica), 3000 Albanais étaient repoussés par la garnison turque; mais le consul de Russie, Tcherbina, était assassiné par un soldat turc, au cours des troubles Bientôt, ceux-ci se compliquèrent de tentatives révolutionnaires, qui déterminèrent la Porte à accepter un programme de réformes élaboré notamment par la Russie et l'Autriche; mais il fallut un véritable ultimatum et une démonstration navale - cette fois encore, l'Allemagne s'était abstenue - pour contraindre la Turquie à s'exécuter (décembre 1905). A l'intérieur, Abd-ul-Hamid avait concentré tous les pouvoirs en sa personne; la Sublime Porte n'avait plus aucune autorité; toutes les affaires aboutissaient au palais impérial. Les libéraux formèrent un comité secret sous le titre d'Union et progrès, et, en 1908. un chef de bataillon, Niyazi-bey, leva l'étendard de la révolte dans la province de Monastir. Le major Enver-bey souleva les troupes de Macédoine, et le rétablissement de la Constitution de 1876 fut proclamé à Salonique. Aussitôt la Bulgarie se déclara indépendante l'Autriche-Hongrie annexa la Bosnie et l'Herzégovine; la Crète fêta sa réunion à la Grèce; le prince de Monténégro prit le titre de roi. La prise de Constantinople par l'armée de Macédoine entraîna la déchéance du sultan (27 avril 1909), qui fut interné à Salonique, pendant que Mohammed Rechad, son frère, était intronisé sous le nom de Mohammed V. Ce fantôme de calife ne devait être qu'un jouet entre les mains du comité Union et progrès. La Turquie chancelait et craquait de toutes
parts : une nouvelle brèche y fut ouverte en novembre 1912. A ce
moment, l'Italie, qui avait pris pied en
Tripolitaine
(Libye), demanda que sa prépondérance
y fût reconnue; le refus de la Porte amena une occupation militaire,
puis l'ouverture des hostilités. La flotte italienne vint bombarder
les défenses des Dardanelles.
Rhodes
et les autres îles du Dodécanèse
tombèrent au pouvoir des Italiens qui, par le traité signé
à Ouchy, près de Lausanne,
se firent céder la Tripolitaine. La guerre n'était pas encore
terminée qu'une crise décisive se déclarait dans les
Balkans.
Une bergère bulgare à la fin du XIXe siècle. Depuis un siècle, la politique des
puissances dans le proche Orient avait eu un double objet : donner satisfaction
aux peuples chrétiens (agrandissements de territoire, réformes,
autonomie, puis indépendance), mais en même temps refréner
leurs ambitions, dépecer l'empire turc et en distribuer les lambeaux,
tout en le conservant pourtant, quoique de plus en plus réduit et
affaissé, afin d'opposer une barrière à la Russie
et de sauvegarder la liberté des Détroits. Les peuples balkaniques,
I'Europe les traitait un peu comme des enfants capricieux et turbulents
à qui l'on distribue,
D'où vient qu'après s'être si longtemps soumis ou résignés, ils décidèrent de passer outre, d'agir par et pour eux-mêmes Qui leur fit voir, sous ses allures de tutrice diligente et impérieuse, la faiblesse de l'Europe et la rivalité de ses intérêts? Cette « solution intérieure » a pu germer dans l'esprit avisé, astucieux et sans scrupules de Ferdinand de Bulgarie, soutenu par la bienveillance ou les encouragements de l'Autriche et de l'Allemagne. La Russie se laissa abuser ou n'attacha pas l'importance qu'il eût fallu à des symptômes cependant fort graves, et, mal éclairée par son alliée, la France, malgré sa ferme vigilance et d'inlassables efforts, ne put prévenir ou arrêter la conflagration : elle réussit du moins à la circonscrire. Au mois de mai 1912, le Monténégro,
la Serbie, la Bulgarie
et la Grèce s'étaient secrètement
alliés pour imposer à la Turquie des réformes plus
sérieuses en Macédoine;
en octobre, le Monténégro prit l'initiative des hostilités.
La Turquie, incapable de mobiliser rapidement ses forces, désorganisées
par la politique, ne put venir à bout de ses adversaires. Ses armées,
défaites à Kumanovo et à Prilep par les Serbes, à
Kirk-Kilissé et à Lulé-Burgas par les Bulgares, en
Albanie
et en Thessalie par les Grecs, furent refoulées jusqu'aux lignes
de Tchataldja, à 30 kilomètres d'Istanbul,
que les Bulgares, après avoir repris haleine, s'apprêtaient
à emporter (mai-juin 1913). Mais l'Allemagne voulait sauver la Turquie;
l'Autriche n'admettait pas un succès de la Serbie, et, pour l'Italie,
Serbes et Grecs ne devaient pas s'établir, en face d'elle, sur l'Adriatique.
L'Autriche, qui avait mobilisé et menaçait d'agir seule,
força la conférence de Londres
à créer un dérisoire État d'Albanie, sous le
sceptre d'un prince allemand. On ne sait si elle excita secrètement
les Bulgares, ou si la duplicité naturelle de Ferdinand fut ici
suffisante; mais les Bulgares tombèrent, en pleine suspension d'armes,
traîtreusement et de nuit, sur leurs alliés de la veille.
La Serbie et la Grèce firent avorter leur félonie : ils furent
partout vaincus, tandis que les Roumains intervenaient à leur tour,
inquiets de l'ambition et du succès de leurs voisins.
Cavaliers turcs pendant la première guerre des Balkans (1912-1913). Le traité de Bucarest (10 août 1913) morcela une fois de plus la Turquie. La Grèce obtenait la plus large part : le sud de l'Épire, presque toute la Macédoine, une longue bande côtière sur l'Égée, où les Bulgares ne gardaient qu'une étroite fenêtre. La Serbie s'avançait largement dans la vallée du Vardar (Uskub, Prilep, Monastir), mais sans accès à la mer. La Bulgarie ne gardait qu'une partie du Rhodope et cédait Silistrie à la Roumanie, avec une nouvelle tranche de la Dobroudja. Le Monténégro était réduit à la portion congrue. Grâce à cette guerre fratricide, la Turquie dégageait sa capitale et récupérait Edirne, avec la basse Maritza. La question d'Orient apparaissait, non pas comme tranchée, mais comme transformée. On pouvait penser que la Turquie garderait la Roumélie orientale, les Détroits et Istanbul, seuls territoires vraiment turcs; que la jalousie et la suspicion, toujours éveillées, des États balkaniques, se feraient respectivement équilibre; que les puissances, renonçant à démembrer le territoire ottoman, se le partageraient cependant et l'exploiteraient sous forme d'avantages financiers, de concessions de houilles et de pétroles, ou de grands travaux publics, tels que le chemin de fer du « Bagdad ». D'autre part, il était à prévoir que la Grèce victorieuse ne serait pas satisfaite; que la Bulgarie préparerait sa revanche; que la Serbie forcerait les passages qui lui étaient injustement fermés et se taillerait une large façade sur l'Adriatique; que l'Autriche, irritée par cette démonstration de la force serbe, ne donnerait pas a sa petite voisine le temps de se fortifier encore; qu'en cas d'agression, la Russie soutiendrait la Serbie, revenue avec les Karageorgevitch à ses amitiés traditionnelles. Il y avait en tout cela de prochaines et inévitables sources de conflit. Par le simple jeu des alliances, ce conflit devait se généraliser et une guerre européenne allait sortir d'une guerre balkanique. Leurs derniers succès avaient rempli les Ottomans des espérances les plus folles. Aussi lorsque l'Allemagne, à qui ses agissements à Constantinople avaient assuré une influence prépondérante, fit miroiter aux yeux du sultan l'espoir de reconquérir les provinces perdues, l'Égypte, la Tripolitaine, la Tunisie, Enver, maître de la situation, n'eut pas de peine à entraîner le gouvernement à prendre le parti du kaiser, dont il escomptait la victoire. (L. Léger). |
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