| Les mots Khân et Khaqân servent à désigner les souverains d'origine altaïque (turco-mongols) chez les Orientaux. Le mot de khaqân (khakan, chagan, qagan, etc,) est le plus ancien. On a vu à la page consancrée aux Toungouses, à propos des Jou-Jouen, que ce fut Touloun, chef de ce peuple, qui, le premier, vers 402 de J.-C., échangea le titre de shen-yu porté jusqu'à lors par ses prédécesseurs, contre celui de khaqân (en Chine kho-han, «-premier han »?) qui avait le sens d'« empereur ». Le titre de khaqân fut successivement adopté par tous les souverains et dominateurs de l'Asie centrale et déjà très probablement par les Ephthalites (Huns Blancs), de 425 à 555. La plus ancienne mention qu'on en trouve chez les historiens occidentaux date du VIe siècle. Elle se trouve dans Grégoire de Tours, sous la forme Chaganus appliquée au chef des Huns, lors de ses rapports avec Sigebert, roi d'Austrasie, en 560. Ce Chaganus était Baïan, chef des Avars, On sait en effet que les Avares étaient des débris des Jou-Jouen ou des Ephthalites et qu'ils apparaissent en Europe, et d'abord à Constantinople, en 557. Les historiens byzantins en parlant du roi des Avars le désignent toujours par l'expression Chaganos et Chagan (ce qui nous donne, comme le latin Chaganus, la vraie prononciation du VIe siècle, Khagan et non Khakan). Lorsque les Turks entrent à leur tour en scène après la destruction des Ephthalites, ils envoient des ambassades à la cour de Byzance. Dans une lettre adressée à Maurice Tibère, en 598, le souverain turc prend le titre de khagan, « grand chef des sept nations, seigneur des sept climats du monde » (Theophylacte Simocatta, éd, de Bonn, p. 282). Le même souverain (Moho Chapolo d'après les Chinois), en 585, avait envoyé à l'empereur de la Chine un message dans lequel il prenait la titre de « khohan de l'empire des grands Tou-kioué, institué par le ciel ». L'historien arménien Moïse de Khorène emploie l'expression grand khakân (vezourk Khakân), à propos, d'un prince des barbares de l'Orient (Yue-tchi), contemporain d'Ardéchir Babekan, vers 230 de ce qui a pu faire croire à saint Martin que le titre de khaqân était usité en Tatarie bien avant l'an 402. Mais l'expression dont s'est servi Moïse est un anachronisme, en admettant même que, en 470, à l'époque où vivait cet historien, le titre de khaqân, fut déjà connu, car il ne pouvait pas s'appliquer aux Yuetchi, Les historiens et poètes musulmans se servent toujours du mot khaqân (jamais khan) pour désigner les souverains des peuples altaïques (Ephthalites et Turks) qui ont été en rapport avec les Sassanides. Firdousi l'applique même à l'empereur de la Chine qu'il appelle tantôt le khagân de la Chine, le khaqân du Tibet, tantôt le Fagfour. Lorsque les Khazares entrent en rapport avec Constantinople et les Russes, leurs chefs ont aussi le titre de khagân (Constantin Porphyrogénète qui écrivait vers 945). En Asie, en dehors de l'historien chinois du VIe siècle, qui a relaté le fait de Touloun, nous n'avons pas de mention certaine de l'existence du titre de khaqân, avant la découverte en 1889 des stèles des années 733, 735 et 784 mentionnant le kho-han des Turks Tou-kioue. La stèle bilingue (runique et Chinoise) de 733 a été érigée en l'honneur du prince turc Gheuk-teghin, fils du kho-han (khaqân) Koutlouk et frère du kho-ban Pit-kia Me-ki-lien. La stèle de 735 (runique et chinoise) a été dédiée à la mémoire de Me-ki-lien lui-même, et la stèle de 784 en l'honneur du kho-kan des Ouïgours, Toun Moko Tarkan Pek. Après la destruction de l'empire des Tou-kioue par les Ouïgours en 744, les souverains ouïgours prennent le titre de tengri khaqân, « khaqân céleste », que l'on trouve également chez les empereurs de la Chine d'origine turque (tien kho-han). Nous possédons la liste des khaqân des Jou-Jouen depuis 402, et celle des Turks depuis Tou-men, le premier de leurs rois, en 545. C'est à tort que Stanislas Julien, dans des documents sur les Tou-Kioue (1864), a traduit le mot chinois kho-han par khân au lieu de khaqân; ce dernier titre convient mieux au chef suprême de toute la nation turque qui s'étendait de la Sibérie au Turkestan. Le mot de khan était le titre des chefs subalternes soumis au khaqân; mais, en fait, plus d'un prince vassal, pour peu qu'il commandât lui-même à plusieurs tribus, dut se parer du titre de khaqân. En tout cas, c'est cette dernière expression seule que l'on trouve toujours employée avant le XIIe siècle, pour désigner dans toute l'Asie tatare le souverain suprême des Turks Tou-kioue, des Ouïgours, des Mongols, des Chinois eux-mêmes et des Mandchous (Toungouses). Sur leurs monnaies les Mongols se servent de la forme kâân (dont l'étymologie est inconnue) et qui a aussi le sens de khaqân, par opposition à khân, également employé dans leurs légendes. Le « grand khân » de Marco-Polo est le «-grand khaqân et non le « grand khân ». Cela prouve que l'expression (ou la prononciation) kâân était usitée chez les Mongols du temps d'Oktaï, de Mangou, de Koubilaï et des autres successeurs de Gengis Khan. Cependant l'ancienne forme khaqân est encore employée sur les monnaies dans les légendes en mongol, et par Arghoun dans sa lettre à Philippe le Bel. Dans l'inscription pa-sse-pa de 1314, le mot est transcrit kha-han; il est d'ailleurs resté dans la langue mongole, comme en turk (Les langues altaïques), sous la forme khaqân. L'expression de khân (en chinois han), qui signifie simplement « seigneur » ne se rencontre dans l'histoire qu'à partir du XIe siècle, mais ce titre, d'origine tatare comme celui de khaqân, est mentionné par les historiens chinois qui nous apprennent que c'était le titre royal que prenaient les Tobat depuis une très haute antiquité. Lin-Han, un de ces souverains qui régnait dans le Nord de la Mongolie au IIIe siècle, était le 67e roi avec l'épithète de han. Un autre chef de la même nation, Ili-Han régnait en 312. Quelques chefs des Jou-Jouen, par exemple Hoto-Han, tué en 385, portaient également ce titre. On en trouve encore la trace dans l'expression chinoise ma-ha-han, « le grand han », et par abréviation ma-ha, mo-ho, « le grand », devenu chez les Turks et Ouïgours Mo-ho (d'après Visdelou). Ainsi le mot de khân a dû exister dans les protocoles turcs et ouïgours en même temps que khaqân, dont il n'est ni l'équivalent ni le dérivé comme on l'a cru. Si l'on excepte les noms propres Zamergan, Bou Khan transmis par les Byzantins et qui contiennent peut-être le mot khân, on peut dire que ce mot n'est connu des historiens européens que par l'arrivée des Turks Seldjoukides en 1037, et il est surtout employé par les Mongols sur leurs monnaies : Ileks, Djoudjides, khâns de la Horde d'or, khâns du Kaptchak, khâns de Crimée, khâns du Djagataï, etc. Chez un certain nombre des princes mongols dont le plus célèbre est Gengis Khan, ce titre faisait partie du nom propre. Les sultans de Constantinople ont adopté les deux titres impériaux khân et khaqân, dès leurs premières monnaies. Bayezid Ier, Mohammed ler ont déjà le titre de khân, outre celui de sultan (ce dernier a aussi le titre de khaqân, d'après la prononciation ancienne); la formule « khaqân des deux mers», encore en usage à la fin de l'empire Ottoman, date de Mourad III (1575). Les rois Pathans de l'Inde et les grands Mongols ont sur leurs monnaies « khân illustre, khaqân sublime ». Djehan Gir avait pris le titre de khân khanân, « khân des khâns ». Les dérivés de khân sont : ilkhân (seigneur des pays ou des peuples), titre adopté par les Mongols de la Perse (Les Houlagides); tarkhân dont le sens est inconnu, mais qui désignait un prince subalterne (on trouve déjà le mot mentionné dans l'écrivain byzantin Menander (VIe siècle), et sur quelques monnaies indo-sassanides); gourkan (en chinois go-han), dont le sens d'après Rashid eddin serait « seigneur universel », titre pris par Tamerlan et quelques-uns de ses successeurs, comme Ouloug Beg on rencontre aussi irkhân chez les géographes arabes, comme nom du chef de certaines tribus turques; ilekhan pour ilek-khân, «-seigneur souverain », titre de certains princes turcs et ouïgours qui a donné son nom à une dynastie. Les Chroniqueurs du Moyen âge emploient aussi le mot carchan qui pourrait signifier le « khân noir »; dans les chroniques slaves on trouve aussi l'expression oulou-chan, «-le noble khân », appliquée aux chefs mongols. Les épouses des khans portaient le titre de khatoun que l'on trouve souvent dans l'histoire. Les femmes tatares régnaient quelquefois après la mort de leurs maris; « elles jouissent chez les Turks et les Tatars, dit Ibn Batoutah, d'un sort très heureux; lorsqu'ils écrivent un ordre, ils y insèrent ces mots : par ordre du sultan et de la khatoun-». L'antiquité nous a conservé les noms de quelques reines scythes, comme Tomyris, Sparethra, Zarina, Amagé; nous avons au Moyen âge la reine Boarex, la khatoun Tourakina (1241-46), la reine houlagide Satibeg en 1331, la Baghdad Khatoun, femme d'Abou-Saïd, des Houlagides (1335). On rencontre quelquefois, mais rarement, la forme hakatoun qui est plus proche de khaqân. En turc osmanli, khatoun a le sens de « princesse, femme distinguée » ou simplement « dame ». (E. Drouin). | |