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La Crimée

République autonome de l'Ukraine, jusqu'à son annexion illégale par la Russie en 2014, la Crimée (en russe Krym) appartenait jusqu'en 1991, à l'URSS. Elle forme entre la mer Noire et la mer d'Azov une péninsule de 25 700 km². Elle est rattachée au continent par l'isthme de Perekop qui n'a pas plus de 5 à 7 km de largeur. Ses côtes sont très découpées. Elles forment au Nord-Est la baie Karkinis ou mer Morte, au Sud-Ouest la baie Kalamita, à l'Ouest, entre la flèche d'Arabat et le littoral, s'étend un long golfe dit mer Paresseuse. 

La Crimée est constituée pour les trois quarts environ de sa superficie par une steppe qui continue ceux de la Russie méridionale, pour un quart environ par des montagnes de la Tauride, qu'on peut considérer comme une continuation du Caucase. Cette chaîne, située au Sud de la péninsule et qui a environ 170 km de longueur, a pour principales cimes l'Ai Petri (1266 m) et le Tchatir Dagh (1560), le Babougan Iaila (1655 m.) et l'Ai Vassilem (1627 m). On y rencontre des grottes à stalactites et à stalagmites. Certaines de ces montagnes sont percées de cavernes artificielles qui constituent de véritables cités souterraines. La chaîne est couverte de bois et de verdure. Entre elle et la mer s'étend une bande de terrain d'environ 5 km de largeur. Son climat délicieux, sa riche végétation rappellent le littoral de la Provence ou du golfe de Gênes. Les vignes, les bois d'olivier, les plantations de lauriers et de figuiers y abondent. Au temps des tsars, l'empereur y possèdait le château de Livadia. La noblesse russe y a construisit un grand nombre de villas. A l'époque de l'URSS, la nomenklatura soviétique prit le relais.

Les principaux cours d'eau sont : sur la côte de la mer d'Azov, le Sivach grossi du Solgir et le Kara-Sou; sur la côte Ouest, la Tchernaïa (Rivière Noire) et l'Alma, célèbres par les combats auxquels elles ont donné leur nom. Les principaux produits de la Crimée sont les céréales, le tabac, le vin, dont la culture a fait de grands progrès au XIXe siècle, et les fruits du Midi. Le pays nourrit des chevaux, des chameaux, du bétail, des vers à soie. Les laines des moutons (baranki) sont particulièrement renommées. On compte environ 400 lacs qui fournissent du sel excellent. On exploite des carrières de porphyre, de marbre et de pierre à chaux. Les beautés naturelles de la Crimée ont été chantées par les poètes slaves, notamment par Pouchkine et Mickiewicz. Les principales villes sont Simferopol, Sébastopol, Kertch, Yalta, Feodosia.

La Crimée s'appelait dans l'Antiquité Chersonèse Taurique. Elle paraît avoir été habitée d'abord par les Cimmériens. A dater du VIIe siècle avant l'ère chrétienne, les Grecs y établirent de nombreuses colonies. Au Ve siècle av. J.-C., on forma un royaume du Bosphore dont l'histoire est mal connue. Il fit partie des possessions de Mithridate. Les villes principales étaient Cherson, Theodosia (auj. Kaffa), Panticapée (auj. Kertch), Zembaro (mod. Balaklava), Eupatoria (fondée par Mithridate VII Eupator, roi du Pont). Elle fut soumise par les Romains en l'an 47 av. l'ère chrétienne. Successivement ravagée par les Huns, les Alains, les Goths, elle fut ensuite occupée par les Khazars (Les Turkmènes). En 640, l'empereur Héraclius la réunit à l'empire grec. En 988, les Russes s'emparèrent de la ville de Cherson que leurs annales appellent Khorsoun. Leur prince Vladimir y reçut le baptême. Elle fut détruite en 1363 par Olgerd, grand prince de Lituanie. En 1427, les Tatares, qui avaient déjà visité la Péninsule à diverses reprises, s'y établirent définitivement et lui donnèrent le nom de Krym qui lui est resté. Leur capitale était Bakhtchisaraï ou Bagtché-Séraï. 

Les Vénitiens s'efforçèrent d'y établir des comptoirs. Ils furent supplantés par les Gênois qui s'établirent à Caffa, à Soudak et à Balaklava. Ils furent chassés au XVe siècle par les Turcs. En 1478, Méhémet II nomma Mengli Gheraï khan de la Crimée et de la Petite-Tatarie. Les Tatares, vassaux de la Porte, restèrent jusqu'au XVIIIe siècle paisibles possesseurs de la péninsule; en 1726, les Russes y pénétrèrent pour la première fois. En 1777, Souvorov chassa le khan Devlet Gheraï. En 1779, Châhin Gheraï devint tributaire de Catherine II. En 1783, la Crimée fut annexée par la Russie; la Porte reconnut cette annexion en 1784. En 1854 et 1855, elle a été le théâtre d'une lutte sanglante entre les Russes d'un côté, les Turcs, les Français, les Anglais et les Piémontais de l'autre (La Guerre de Crimée). Les dominateurs grecs, génois et tatares ont laissé des monuments fort remarquables dans la péninsule. C'est un pays aussi intéressant pour le touriste que pour l'archéologue. (L. Léger).

Ancienne monnaie de Crimée.
Piastre d'argent 
du khan Châhin Gheraï.

Après la guerre de Crimée (1853-1856), qui avait mis en évidence la faiblesse de l'Empire russe, la péninsule de Crimée entra dans une période de transformation complexe. Le traité de Paris de 1856 avait certes limité la présence navale russe en mer Noire, mais il n'avait pas fondamentalement altéré la domination russe sur la région. Les années 1860 furent marquées par des réformes à l'échelle de l'Empire russe, notamment les réformes d'Alexandre II, qui eurent un impact significatif sur la Crimée. L'abolition du servage en 1861, bien qu'ayant pour objectif de moderniser la société russe, eut des conséquences mitigées en Crimée. L'économie, encore largement agricole, fut touchée par les bouleversements sociaux et par la difficulté de la transition vers une main-d'oeuvre salariée.

Une caractéristique majeure de cette période fut l'émigration massive des Tatars de Crimée. Déjà affaiblis par les guerres et les politiques de l'Empire russe, les Tatars furent confrontés à une pression accrue, notamment foncière, et à un sentiment croissant de marginalisation culturelle et religieuse. Les années 1860 et 1870 virent des vagues d'émigration vers l'Empire ottoman, modifiant profondément la composition démographique de la péninsule. Les terres laissées vacantes furent progressivement colonisées par des populations russes et ukrainiennes, mais aussi par des minorités comme les Allemands et les Bulgares, encouragées par le gouvernement impérial. Cette politique de colonisation visait à renforcer la présence russe et à intégrer davantage la Crimée dans le reste de l'Empire.

Sur le plan économique, la fin du XIXe siècle vit un certain développement en Crimée, bien qu'il restât limité par rapport à d'autres régions de l'Empire. L'agriculture demeurait l'activité principale, avec la culture des céréales, du tabac et de la vigne. Le tourisme commença à se développer, notamment dans les villes côtières du sud comme Yalta, Alouchta et Sébastopol, attirant l'aristocratie et la bourgeoisie russes en quête de climat doux et de paysages pittoresques. La construction de chemins de fer à partir des années 1870 facilita l'accès à la Crimée et stimula ce tourisme naissant. Sébastopol, en tant que base navale importante, continua de jouer un rôle stratégique majeur pour la Russie.

Le début du XXe siècle fut marqué par les troubles sociaux et politiques qui agitaient l'ensemble de l'Empire russe. La révolution de 1905 eut des échos en Crimée, avec des grèves ouvrières et des troubles paysans. La Première Guerre mondiale et la révolution de 1917 plongèrent la Crimée dans une période de chaos et de conflits. Après la chute du régime tsariste, différentes forces politiques se disputèrent le contrôle de la péninsule, notamment les nationalistes ukrainiens, les bolcheviks, les armées blanches et les puissances étrangères intervenantes. La Crimée devint un champ de bataille de la guerre civile russe.

En 1920, après des combats acharnés, les bolcheviks consolidèrent leur pouvoir en Crimée. La péninsule fut intégrée à la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR). Les années 1920 furent une période de consolidation du régime soviétique, de collectivisation forcée des terres et de répression politique. La politique de korenizatsiya (indigénisation) menée au début de l'ère soviétique, qui visait à promouvoir les langues et les cultures locales, eut des effets limités en Crimée, où la russification continua de progresser. L'économie fut réorganisée selon les principes de la planification soviétique, avec un développement de l'industrie, notamment l'industrie lourde et la construction navale à Sébastopol.

Les années 1930 furent marquées par la collectivisation forcée de l'agriculture, qui entraîna des famines et des répressions, et par les purges staliniennes, qui touchèrent toutes les couches de la société, y compris en Crimée. La Seconde Guerre mondiale atteignit la Crimée en 1941, avec l'invasion allemande. La péninsule fut occupée par les forces nazies pendant près de trois ans, une période de souffrances et de destructions. La résistance partisane fut active en Crimée, notamment dans les montagnes. La libération de la Crimée par l'Armée rouge en 1944 fut suivie d'un événement tragique et déterminant : la déportation de l'ensemble du peuple tatar de Crimée.

Accusés collectivement de collaboration avec l'occupant nazi, les Tatars de Crimée furent déportés en masse vers l'Asie centrale, principalement en Ouzbékistan, dans des conditions inhumaines qui entraînèrent la mort de nombreux d'entre eux. Cette déportation, reconnue par de nombreux pays comme un acte de génocide, effaça pratiquement la présence tatare de Crimée et modifia une fois de plus radicalement la démographie de la péninsule. Après la déportation, le gouvernement soviétique effaça systématiquement les traces de la culture tatare en Crimée, renommant les villes et les villages et détruisant les monuments historiques.

En 1954, par décret du Présidium du Soviet suprême, la Crimée fut transférée de la RSFSR à la République socialiste soviétique d'Ukraine (RSS d'Ukraine). Cette décision, souvent présentée comme un geste de "fraternité" envers l'Ukraine à l'occasion du 300e anniversaire du traité de Pereïaslav, avait probablement des motivations plus complexes, notamment économiques et administratives. Le transfert eut des conséquences importantes à long terme, bien qu'à l'époque, il ait été perçu comme une simple modification administrative au sein de l'Union soviétique.

La période soviétique tardive en Crimée fut caractérisée par un développement économique continu, notamment dans l'industrie, l'agriculture et le tourisme. La Crimée devint une destination de vacances populaire pour les citoyens soviétiques. Cependant, la question tatare resta en suspens. Les Tatars de Crimée furent interdits de retour dans leur patrie et continuèrent de lutter pour leur réhabilitation et leur droit au retour.

Avec la Perestroïka et la Glasnost des années 1980, le mouvement national tatar de Crimée se renforça et commença à organiser des retours progressifs en Crimée. Après l'effondrement de l'Union soviétique en 1991, la Crimée se retrouva au sein d'un État ukrainien indépendant. Un référendum organisé en Crimée en 1991 confirma le soutien à l'indépendance de l'Ukraine, bien que des tensions subsistassent, notamment en raison de la forte présence de la flotte russe de la mer Noire à Sébastopol et des aspirations séparatistes de certains groupes pro-russes.

Les années 1990 et 2000 furent une période de transition difficile pour la Crimée, marquée par des difficultés économiques, une criminalité élevée et des tensions politiques. La question du statut de Sébastopol, ville à statut spécial abritant la flotte russe, resta un point de friction entre la Russie et l'Ukraine. Le retour des Tatars de Crimée se poursuivit, mais se heurta à des difficultés administratives et foncières, et à des tensions avec les populations russophones. Les Tatars de Crimée, qui formaient une minorité significative, militèrent pour la reconnaissance de leurs droits et pour une plus grande autonomie.

En 2014, suite à la révolution ukrainienne de Maïdan et au changement de pouvoir à Kiev, la Russie annexa la Crimée après un simulacre de référendum, non reconnu par la communauté internationale, à l'exception d'un petit nombre de pays. Cette annexion, considérée par l'Ukraine et la majorité des pays comme une violation du droit international et de la souveraineté ukrainienne, marqua une rupture profonde dans les relations entre la Russie et l'Ukraine, et eut des conséquences géopolitiques majeures. Depuis 2014, la Crimée est de facto contrôlée par la Russie, bien que son statut international reste contesté. Les Tatars de Crimée, en grande majorité opposés à l'annexion russe, ont été confrontés à des pressions et à des répressions de la part des autorités russes. La situation en Crimée reste un sujet de tension internationale et un conflit non résolu. 
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Le pont de Kertch

L'idée d'une liaison fixe à travers le détroit de Kertch, reliant la péninsule de Taman au continent russe et la péninsule de Crimée, a germé depuis longtemps. Dès le début du XXe siècle, des ingénieurs russes ont envisagé de construire un pont ou un tunnel dans cette zone stratégique.

Durant l'ère soviétique, plusieurs projets ont été élaborés, notamment dans les années 1930 et 1940. La Seconde Guerre mondiale a vu la construction d'un pont ferroviaire temporaire par les forces allemandes en 1944, lors de leur avancée puis de leur retraite. Ce pont, cependant, était de courte durée et fut détruit peu après la libération de la région par l'Armée rouge. Après la guerre, l'Union Soviétique a également entrepris la construction d'un pont ferroviaire permanent, achevé en 1944, mais celui-ci a été rapidement endommagé par les glaces et abandonné peu de temps après. Les conditions géologiques et climatiques du détroit de Kertch, notamment les eaux peu profondes, les fonds marins instables et les fréquentes tempêtes et glaces, ont toujours représenté des défis techniques importants pour la construction d'une structure durable.

Malgré ces difficultés, l'idée d'un pont de Kertch a continué de ressurgir périodiquement. Des discussions et des études de faisabilité ont été menées à différentes époques, mais aucun projet concret n'a vu le jour pendant la période soviétique ou les premières années de l'Ukraine indépendante. Le contexte a radicalement changé après l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014. La construction d'un pont à travers le détroit de Kertch est devenue une priorité politique et stratégique pour Moscou. Le pont devait assurer une liaison terrestre directe entre la Russie continentale et la Crimée, contournant ainsi le territoire ukrainien et réduisant la dépendance vis-à-vis des traversiers, qui étaient souvent affectés par les conditions météorologiques. Il était également perçu comme un symbole de la réintégration de la Crimée dans la Russie et un projet d'infrastructure majeur pour le développement économique de la péninsule.

Les travaux de construction du pont de Kertch ont débuté en 2016. Le projet était ambitieux et complexe, impliquant la construction de deux ponts parallèles : un pont routier et un pont ferroviaire. Les défis techniques ont été considérables, nécessitant des solutions d'ingénierie innovantes pour faire face aux conditions géologiques difficiles et aux contraintes environnementales. La construction a été réalisée à un rythme rapide, avec une forte mobilisation de ressources et de main-d'oeuvre. La partie routière du pont a été inaugurée en grande pompe en mai 2018 par le président russe Vladimir Poutine, qui a personnellement conduit un camion à travers le pont. L'ouverture de la section ferroviaire a suivi en décembre 2019, complétant ainsi la liaison terrestre. Le pont de Kertch, une fois achevé, est devenu le plus long pont de Russie et l'un des plus longs d'Europe.

Depuis son ouverture, le pont a joué un rôle important dans le transport de marchandises et de personnes entre la Russie et la Crimée. Il a facilité le développement du tourisme en Crimée et a renforcé les liens économiques et sociaux entre les deux régions. Cependant, le pont est également devenu un symbole politique controversé, perçu par l'Ukraine et une partie de la communauté internationale comme une violation de la souveraineté ukrainienne et une consolidation de l'annexion de la Crimée. En octobre 2022, le pont a été partiellement endommagé par une explosion. La responsabilité de cet incident n'a pas été officiellement établie, mais il a entraîné la fermeture temporaire du pont et des travaux de réparation importants. Cet événement a souligné la vulnérabilité stratégique du pont et son importance symbolique dans le conflit russo-ukrainien. Malgré les dommages, le pont a été rapidement réparé et remis en service.

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Dictionnaire Territoires et lieux d'Histoire
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