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L'histoire de la Sibérie Conquête et exploration |
On a traditionnellement compris sous le nom de Sibérie (ou Sibir) les possessions russes en Asie, situées tant à l'Ouest qu'à I'Est du continent, au Nord de l'empire chinois et du Turkestan. Dépourvue de traits physiques nettement tranchés, l'immensité sibérienne a été partagée quelque peu arbitrairement en deux grandes divisions, la Sibérie occidentale et la Sibérie orientale. Le fleuve Ienisseï sert de limite idéale entre ces deux sections. Une façon plus naturelle de diviser cette région aurait pu consister à distinguer, selon la latitude et dans cet ordre, trois zones sensiblement différentes, portant chacune un nom caractéristique : au Sud les steppes; au centre, la taïga ou région forestière, de beaucoup la plus étendue; enfin, au Nord, les toundras ou déserts marécageux et glacés. L'origine du nom russe Sibir, duquel on a fait dériver Sibérie (ou celui de Sibirie que lui préféraient Gmelin et Muller), a été l'objet de nombreuses discussions. Sibir est le nom de rivière qui se jette dans l'Irtych, au-dessous de la Ville de Tobolsk, et était aussi premier nom de cette ville. Mais le constater n'avance pas à grand chose. Le vocable était inconnu des peuples aborigènes de la Sibérie. D'aucuns le font dériver du superlatif du mot tatar bir ( = un, unique); d'autres supposent que le nom sibir n'est qu'une altération du mot siever (en russe nord). Sibérie signifierait alors simplement Pays septentrional. D'après d'autres, enfin, le mot sibir serait une corruption d'Isker, résidence d'un sultan de la région de l'Irtych. C'était, aux débuts de l'occupation russe, la seule région connue et désignée sous ce nom. A la suite de l'extension de la domination russe, le nom de Sibérie fut successivement appliqué aux différents pays asiatiques conquis par les tsars. La Sibérie et la Tartarie (Le monde turco-mongol) étaient connues des auteurs de l'Antiquité sous le nom vague et général d'Asia extra Taurum (Asie au-delà du Taurus). C'était la patrie de ces Scythes qui, selon Justin (L, 2, I), disputaient depuis la nuit des temps avec les Égyptiens, et l'on a parfois dit aussi que le Kamtchatka était peut-être ce qu'on appelait la Scythie inconnue. Au XVIIIe siècle, les Scythes sont très à la mode en Russie, à la suite de diverses découvertes archéologiques. Vers la source, du Ienisseï, en particulier, on trouva à cette époque, dans des tombeaux reconnus comme très anciens toutes sortes d'outils tranchants de cuivre. Les découvertes de telles tombes à tumulus, appelés kourganes, qui ne vont cesser de se succéder par la suite marquent le début de la découverte de ce que l'on appellera plus tard la civilisation des Steppes. En attendant, la Sibérie reste un « continent noir-». Pour les Européens, pour les Russes qui, progressivement, vont investir ce très vaste espace, la Sibérie est encore cet abîme duquel ont surgi les Huns, et la plus grande partie des peuples barbares, quand la digue que formait l'empire romain s'est brisée et n'a plus empêché leur déferlement. Continent tout entier à découvrir, et à investir. Les deux plus anciennes cartes connues furent publiées, l'une, en 1525, par le géographe vénitien B. Agnese. La seconde, de 1555, est due à un sénateur de Dantzig, A. Wid. Ce fut l'Académie des sciences qui débuta dans la cartographie scientifique en publiant le tableau de soixante-sept positions astronomiques établies par Roumovski (1786). Les expéditions scientifiques dans l'intérieur de l'empire commencent réellement avec Pallas qui exécuta, vers la fin du XVIIIe siècle, divers ouvrages remarquables dans la Russie d'Europe, en Sibérie et dans le Caucase. Après avoir été l'apanage d'étrangers, la géographie de la Sibérie et des régions périphériques a été prise en charge par les Russes eux-mêmes (Fedchenko, Potanine, Prjevalski, Sievertzov, etc.), à qui sont dues par ailleurs les premières cartes fiables, à diverses échelles, des possessions russes, mais aussi des pays limitrophes Iran, Afghanistan, Chine, Tibet). | ||||||
- Jalons | L'expansion des Européens. L'histoire de la Sibérie se confond presque entièrement avec celle de la conquête de ce pays par les Russes. Les quelques vestiges archéologiques, découvertes depuis la fin du XIXe siècle, ne peuvent fournir que des indications très sommaires sur ce qui était autrefois la moitié septentrionale du continent asiatique. Quelques manuscrits, conservés dans les archives russes, se rapportent, d'ailleurs, tous plutôt aux humains, Samoyèdes, Tatars (Les Turks), qu'à la région habitée par ces peuples. L'une des plus anciennes cartes, sinon la plus ancienne, semble être la carte de la Tartarie, par H. Sydneu. Il est incontestable que, bien avant la conquête de Sibir par les Cosaques, la terre de l'obscurité était connue des Novogorodiens. Ces derniers, prétend-on, étaient déjà en relations commerciales avec les habitants d'au « delà de l'Oural », avec les « gens de l'Est », dans le courant du XIIe siècle. Vu l'ignorance des Européens, proches voisins des peuples sibériens, il n'y a pas lieu de s'étonner de la pénurie de documents écrits sur la région. Barents, le navigateur de la fin du XVIe siècle, visita bien le rivage Nord de la Sibérie. Il n'eut pas à entrer en relation avec ceux que l'on considère actuellement comme les aborigènes. La « Conquête de l'Est » L'occupation des steppes kirghiz, dans le Sud-Ouest. de la Sibérie, ne put être faite, toutefois, que dans le courant du XVIIIe siècle. Ce fut le prélude de la pénétration russe dans l'Asie centrale. L'occupation s'est opérée sans coup férir, graduellement. Dans le bassin de l'Amour, aussi, les Russes se heurtèrent contre les Mandchous (Les Toungouses) qui venaient de conquérir la Chine. Ceux-ci ayant été à leur tour absorbés par les Célestes, les Russes n'eurent pas beaucoup de peine à obtenir, d'abord, de ces derniers la rétrocession des provinces du Nord (provinces de l'Amour) et du littoral situé au Sud du fleuve, occupées en 1852 et abandonnées par la Chine lors des traités du 28 mai 1858 et du 14 novembre 1860, puis, des Japonais, en échange des îles Kouriles, les parties méridionales de l'île Sakhaline (28 août 1875).
La colonisation. Colonisation libre. - Les premières colonisations du pays furent celles des conquérants. Les détachements de Cosaques, partis pour opérer des razzias, étaient suivis d'ecclésiastiques, de paysans, de citadins. Les Cosaques, de leur côté, les opérations de guerre terminées, redevenaient forcément agriculteurs, puisque le pays ne renfermait aucune provision abondante, et la culture était une nécessité de subsistance. Le gouvernement russe, de son côté, dès le début du XVIIe siècle, encourageait l'immigration des agriculteurs en leur fournissant le transport gratuit. Les nouveaux arrivés bénéficiaient aussi d'une exemption d'impôts durant les trois premières années de leur établissement. Une autre catégorie de paysans venaient peupler les solitudes de la Sibérie. C'étaient surtout des serfs qui fuyaient le régime du servage, des jeunes hommes désireux de se soustraire à la conscription. Des mesures administratives, aussi nombreuses que divergentes, n'eurent pourtant aucune influence réelle sur la colonisation libre, et, vers le milieu du XIXe siècle (1851), le nombre des habitants de la Sibérie était à peine de 2 400 000 individus. L'émigration vers la Sibérie prit un essor particulier dans la seconde moitié du XIXe siècle; d'abord, à la suite de l'abolition de l'esclavage; en second lieu, par la nécessité réelle de trouver de l'espace, des terrains propres à nourrir une population surchargée. Réduits souvent à la plus profonde misère, à la disette même, tant à la suite de plusieurs mauvaises récoltes que par une surabondance de population, les paysans de tous les coins de la Russie d'Europe cherchent à se donner de l'air. La perspective d'une longue distance à franchir ne les rebute nullement, convaincus qu'un « ailleurs » quel qu'il soit sera toujours préférable à un « ici », invivable. Des comités philanthropiques s'étaient formés, en outre, tant dans la Russie d'Europe qu'en Sibérie, pour faciliter aux émigrants le long passage. Les débuts de ces exodes en masses ont été désastreux. La moitié des émigrants périssaient en route. Ceux qui parvenaient à destination étaient épuisés de fatigues et de privations avant de pouvoir choisir le lieu de résidence. Il convient d'ajouter que la plupart des émigrants se faisaient suivre par leurs familles. Femmes et enfants étaient entassés dans de misérables charrettes, exposés à toutes les rigueurs d'un climat inclément. Des mesures préventives durent être prises. Par la suite, lorsque plusieurs familles d'un canton ou volost exprimeront le désir d'émigrer en Sibérie, on les invitera d'abord à se concerter sur le district qu'ils veulent choisir pour résidence, et si l'on juge que l'autorisation pourra être accordée, on fera désigner aux émigrants un ou deux délégués qui seront chargés de visiter le pays et reviendront rendre compte à leurs mandataires de la valeur du terrain choisi. Ils pourront ainsi prendre une décision en connaissance de cause. Les statistiques établissent que, durant les années 1887-95, la Sibérie a reçu 94 000 familles russes, comprenant 467 000 personnes. Les travaux du chemin de fer entrepris en Sibérie ont fourni un nouvel essor à l'émigration; on admet qu'à partir de 1897, le nombre d'immigrants dépassait annuellement le chiffre de 200 000 (206 000 en 1898, 225 000 en 1899). Un effort fut également consenti à cette époque par le gouvernement russe pour transformer la Sibérie d'autrefois - pays de bagne et d'exil - en territoire productif, capable d'un développement économique. Dans le but d'encourager la coIonisation, un décret impérial accorda, au mois de juillet 1898, pour la durée de dix années, le droit de franchise pour toutes machines et outils de provenance étrangère à destination de la Sibérie. Le délai de dix ans a été jugé suffisant pour encourager l'importation de l'outillage nécessaire à l'agriculture et son installation. Colonisation pénale. - Un autre contingent considérable à la population de la Sibérie fut fourni par les colons forcés ou déportés. La déportation de criminels en Dès cette époque, le nom de Sibérie devint synonyme de bagne ou de terre infernale. D'abord simple lieu d'internement pour les individus coupables d'une faute légère, la Sibérie fut désignée, sous Pierre le Grand (L'Empire de Pierre), pour recevoir les condamnés aux travaux forcés. L'abolition de la peine de mort, en 1753, par l'impératrice Élisabeth (Le Printemps des tsarines), et son remplacement par la déportation en Sibérie, fut le point de départ d'une recrudescence dans le peuplement de ce pays. Un autre élément à la déportation fut fourni par les diverses insurrections. Les prisonniers de guerre (Suédois, Polonais) furent également expédiés en masse sur les divers points de la Sibérie. La moyenne annuelle du chiffre des déportés, de 1850 à 1890, fut de 19 000, y compris des milliers d'enfants qui suivaient leurs parents. Le lieu de l'internement variait avec la gravité de la faute commise. Les degrés de la pénalité consistaient : 1° en exil simple, avec facilité de circuler dans tout le territoire;La poésie et les légendes populaires n'ont pas peu contribué à rendre redoutable aux Russes cette terre d'exil. Mais ce qui frappait particulièrement les esprits, c'étaient les récits des longues marches des condamnés, obligés de traverser à pied, chargés de chaînes, les longues distances qui séparaient le lieu d'internement de l'intérieur de la Russie d'Europe. Un tableau peint par un étranger et représentant la lamentable procession de ces infortunés fit - à en croire du moins la propagande tsariste - une impression douloureuse sur l'esprit de Nicolas ler , qui ordonna, vers 1850, de faire faire désormais aux prisonniers le chemin par voies ferrées et par eau. On évaluait cependant en 1900 le nombre des déportés à 200 000 en Sibérie, non compris leurs familles. -
Le temps des explorations Intiment liées à l'expansion commerciale, presque toutes les tentatives d'exploration de la Sibérie - comme d'ailleurs la conquête du pays par les Cosaques - ont été faites par voie d'eau. L'histoire conserve peu de données sur la participation des Russes à l'ouverture de la Sibérie au commerce européen. Les efforts tentés par les Novogorodiens (XVIe siècle) se concentraient, comme il a déjà été dit plus haut, sur les voies terrestres, à travers l'Oural. En l'an 1600, le prince Chakhovski, accompagné d'une centaine de Cosaques, descendit l'Ob à partir de Berezov; mais les barques furent assaillies par des Samoyèdes, et la petite expédition, à moitié détruite, dut chercher son salut dans la fuite. Une autre expédition fut organisée l'année suivante, sous les ordres du prince Mossalski, qui parvint cette fois à l'embouchure du Taz et y fonda la ville de Mangazea. Cette ville n'eut d'ailleurs qu'une très courte durée. Détruite par un incendie en 1640, ses habitants se réfugièrent à Tourkhansk et à Ienisseïsk. Les essais de pénétration faits par des commerçants de nationalité étrangère (européenne) furent plus importants. Des trois bâtiments qui faisaient partie de l'expédition (1553) de Sébastien Cabot, l'un, commandé par Chancellor, put pénétrer jusqu'à l'embouchure de la Duna septentrionale. Son retour en Angleterre fut marqué par la formation de la célèbre association commerciale connue sous le nom de «-Muscovy Company », qui reçut de nombreux privilèges de la part des deux gouvernements, mais dont les opérations n'eurent pas beaucoup de succès. La mer de Kara resta obstinément fermée aux diverses autres expéditions qui se sont succédé depuis : expéditions des Anglais Pet et Jackman (1580), expédition d'Hudson (1608). Les autres expéditions, jusqu'à la fin du XIXe siècle même (expédition de Nordenskjöld sur la Véga, 1878), ne visèrent plus qu'à l'ouverture ou à la découverte, d'un passage Nord-Est. Mais pour ce qui intéresse particulièrement la Sibérie, deux faits semblent dès cette époque destinés à opérer une transformation des plus heureuses dans les relations du Nord de la Sibérie avec le reste du monde, ainsi que dans la mise à profit de ses vastes réseaux fluviaux. Déjà, en 1862 et en 1869, à la suite d'une forte prime promise au navire qui pénétrerait dans le Ienisseï par la mer, promesse faite par un riche Sibérien, Sidorov, les Anglais tentèrent de pénétrer dans ce fleuve, mais sans succès. D'autres essais, également infructueux, furent faits en 1878 et en 1887. Mais ces insuccès n'ont pas découragé les Anglais, et une nouvelle tentative fut faite en 1896. Cette fois trois vapeurs réussirent à pénétrer jusqu'à Touroukhansk, à 200 lieues de l'estuaire de l'Ienisseï. Là, la cargaison fut déchargée sur de grandes barges que des remorqueurs ont conduites jusqu'à Krasnoïarsk. La tentative fut renouvelée, en 1897 et en 1898, avec le même succès. Le nombre de vapeurs fut d'abord doublé, puis triplé, et quelques-uns pénétrèrent aussi dans l'Ob qu'ils remontèrent jusqu'au delà d'Obdorsk. Afin d'encourager cette intéressante entreprise, le gouvernement supprima totalement les droits de douanes sur tous les articles importés en Sibérie par la voie de l'océan Arctique. Un autre fait de presque égale importance à cette même époque est l'invention par Komarov des navires brise-glace, expérimentée avec succès par l'amiral Makarov; ces navires sont d'abord destinés à la navigation dans la mer de Kara, libre de glace durant deux mois de l'année seulement. Ils doivent servir également de transports sur le Baïkal durant la saison d'hiver.
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