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Le
Moyen Âge
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La cinquième
croisade, entreprise sous le pontificat d'Honorius
III (1217-1221),
eut pour chefs Jean de Brienne, roi titulaire
de Jérusalem,
et André, roi de Hongrie. André
fut rappelé dans ses États par la révolte de ses magnais;
Jean de Brienne prit Damiette, qu'il fut bientôt forcé de
rendre
La sixième croisade, de 1228 à 1229, fut accomplie sous le pontificat de Grégoire IX, par l'empereur Frédéric II. Le sultan Mélédin lui céda Jérusalem sans combat. Les deux dernières croisades furent entreprises par Saint Louis (Louis IX), roi de France : l'une, de 1248 à 1254, sous le pontificat d'Innocent IV; l'autre, de 1268 à 1270, sous le pontificat de Clément IV : La septième croisade fut dirigée contre l'Égypte : le roi de France prit Damiette, et remporta même un avantage à la Massoure (1250); mais, la peste s'étant mise dans son armée (Les pestes au Moyen âge), il fut contraint de reculer devant l'ennemi, et fut lui-même fait prisonnier. Il racheta chèrement sa liberté, passa 4 ans en Palestine, occupé à fortifier quelques places, et revint en France en 1254, après la mort de la reine Blanche, sa mère, qu'il avait instituée régente Dans la huitième croisade (1270), Saint Louis était accompagné de ses 3 fils et du prince Édouard d'Angleterre; il se dirigea sur Tunis, espérant, disent quelques historiens, convertir le maître de cette ville, Mohammed Mostanser; mais, à peine arrivé sous les murs de Tunis, il fut enlevé par une maladie contagieuse. Charles d'Anjou, son frère, qui était venu le rejoindre, se mit à la tête des troupes, remporta quelques avantages et revint en France après avoir forcé Mohammed à payer les frais de la guerre. |
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La
Quatrième croisade
Richard Coeur de Lion, Philippe-Auguste ne pouvaient plus servir de chefs à la future expédition, à laquelle les papes comptaient bien décider encore l'Europe. Le jeune empereur Henri VI semblait désigné pour ce rôle. Dès 1194, ce prince commence à s'occuper d'une nouvelle croisade; maître de l'Italie méridionale et de la Sicile, premier souverain de l'Europe, il rêve de délivrer Jérusalem et de soumettre à son influence l'empire d'Orient en pleine décadence et déchiré par des révolutions intérieures. Le moment semble propice; Salah-eddin est mort à Damas le 3 mars 1193, et son empire a été partagé entre ses fils. Leur oncle, El Almelik-Aladil, va, il est vrai, reconstituer à son profit l'empire des Eyoubites, mais il est tout occupé à déposséder ses neveux et par suite impuissant. D'autre part, Henri de Champagne défend avec succès les restes du royaume de Jérusalem contre les Musulmans; les principautés de Tripoli et d'Antioche sont désormais unies, et le royaume d'Arménie s'accroît tous les jours. Le 31 mai 1195, Henri VI prend la croix à Bari, envoie en Terre sainte des premiers secours, entre en relation avec les princes d'Orient, tout prêts à reconnaître sa suzeraineté et va demander leur concours à ses fidèles de Germanie. Mal secondé par le pape, qui voit d'un oeil jaloux grandir chaque jour la puissance de la maison des Hohenstaufen, il réussit pourtant à soulever encore une fois l'Allemagne. De nombreux croisés quittent chaque jour les côtes de Pouille, et le 22 septembre 1197 une grande flotte met à la voile de Messine. L'hostilité des Francs de Syrie rend d'ailleurs l'expédition inutile; elle n'a pu prévenir la prise de Joppé par Almelik (août 1197), et la seule conquête importante des Allemands est celle de Beyrouth. Vainqueurs des troupes égyptiennes, ils vont pourtant marcher sur Jérusalem, quand ils apprennent la mort de l'empereur (28 septembre 1197). Le découragement se met parmi eux et la plupart retournent en Europe. Une trêve avec Almelik assure la paix pour un an. La mort de Henri VI changeait complètement la situation; son frère le remplace en Allemagne, son fils, le jeune Frédéric, à Palerme, et la direction de la guerre sainte revient tout naturellement à la papauté. Vers le même temps, Innocent III succède à Célestin III (1198). Le nouveau pontife allait se vouer à la restauration de la domination chrétienne en Orient et au rétablissement de l'unité catholique en Europe. A la requête du roi d'Arménie, Léon, qui travaille à l'union de son Église avec celle de Rome, il se décide à faire prêcher une nouvelle croisade. En Allemagne, Martin, abbé de Pairis; en France, le célèbre Foulques de Neuilly, se mettent à gourmander les fidèles. Ce dernier parait au tournoi d'Ecry (automne 1199) et décide par sa parole ardente Thibaud de Champagne, Louis de Blois, et nombre de chevaliers français à prendre la croix. Parmi les nouveaux pèlerins, on compte bientôt Simon de Montfort, le futur comte de Toulouse; Baudouin, comte de Flandre, et ses frères Eustache et Henri. Les uns ont pris la croix par zèle; les autres pour se mettre à couvert du ressentiment de leur souverain, Philippe-Auguste, contre lequel ils se sont alliés avec feu Richard Coeur de Lion. L'année suivante, on élit pour chef le comte de Champagne, qui s'est dévoué corps et âme à la future croisade, et on projette d'envoyer aux Vénitiens une ambassade pour leur demander leur concours. Quel allait être l'objectif de la nouvelle croisade? Les renseignements fournis au saint-siège par les chrétiens d'Orient désignaient l'Égypte comme le centre de la puissance des Eyoubites; c'était donc là qu'il fallait frapper pour délivrer Jérusalem et la Syrie. On a attribué à Innocent III ce plan de campagne; le fait a été contesté, peut-être à tort. Quoi qu'il en soit, pour aller en Égypte, il fallait des vaisseaux, et, de toutes les républiques italiennes, Venise était la seule capable d'en fournir une quantité suffisante. Le choix de cette république, il est vrai, ne plaisait guère au pape. Les Vénitiens, grands commerçants, préféraient à tout leurs intérêts de commerce; ils avaient protesté quand, en 1198, le pape avait de nouveau interdit aux chrétiens toutes relations avec les infidèles, et le pape avait dû se rendre à leurs remontrances et n'interdire que le trafic des armes et des munitions de guerre. Leur demander de conduire les croisés en Égypte, c'était leur demander de ruiner leur propre commerce dans la Méditerranée orientale, d'exposer au pillage leurs comptoirs, à la mort leurs correspondants et leurs amis. Mais les Vénitiens étaient trop prudents pour répondre par un refus précis et motivé aux sollicitations des ambassadeurs de l'armée de la croix; le doge, Enrico Dandolo, politique fin et sagace, reçut magnifiquement ces envoyés, parmi lesquels figurait Villehardouin, et leur promit le concours de la République. Moyennant une somme assez considérable, 85 000 marcs d'argent, elle s'engage à transporter en Orient 4500 chevaliers, 9000 écuyers et 20 000 fantassins, avec vivres, chevaux et bagages. Le payement devait se faire en quatre termes, échelonnés jusqu'à la fin d'avril 1202. Venise devait en outre ajouter elle-même à l'expédition 50 vaisseaux de guerre (février 1201). Il était convenu, dit Villehardouin, que l'expédition aurait le Caire pour objectif, mais que seuls les chefs seraient dans le secret; au vulgaire, on parlerait de l'Orient en termes vagues. Le traité fut approuvé par les croisés à l'assemblée de Corbie (mai 1201), et le départ fixé à l'année suivante. Le 24 du même mois, Thibaut de Champagne meurt et l'expédition se trouve sans chef. Beaucoup de gens ont cru et écrit
dès le XIIIe
siècle (Ernoul par exemple), quelques érudits
ont soutenu plus tard, que les Vénitiens n'avaient jamais eu l'intention
d'exécuter le pacte de mai 1201
et de conduire les croisés en Égypte. Ernoul affirme même
qu'Almelik aurait signé à cet effet un traité avec
la puissante république, et plusieurs historiens ont cru retrouver
ce traité. Mais sur ce dernier point on s'est trompé; le
traité allégué est postérieur à la croisade
et pourrait tout au plus passer pour le prix des services rendus. Toutefois,
il faut bien l'avouer, il paraît difficile d'adopter la version de
Villehardouin sur les causes du changement
de direction de la croisade, et il semble qu'en cette affaire le maréchal
de Champagne fut ou dupe ou complice; la
première alternative est loin d'être la plus vraisemblable.
Philippe de Souabe commença, de concert avec son allié Philippe-Auguste, par imposer à la croisade un chef étranger, Boniface de Montferrat, frère du feu roi de Jérusalem, Conrad. C'était s'assurer une certaine influence dans les conseils de la croisade. Peu après arrive en Europe un prince byzantin, Alexis Angelos, qui vient demander l'appui de l'Europe contre son oncle Alexis III, qui a usurpé le trône impérial et jeté en prison son propre frère Isaac. Accueilli avec empressement par Philippe de Souabe, il va fournir le prétexte d'une attaque contre Constantinople, et Philippe entre dès lors en relations avec Dandolo. Cependant les pèlerins affluaient à Venise, et la République les cantonnait dans les îles des lagunes, où ils manquaient de tout; mais, par contre, l'argent n'arrivait pas. Les termes fixés pour le payement étaient passés, les princes croisés ne trouvaient pas à emprunter un denier dans les banques vénitiennes, que peut-être la Seigneurie leur avait fermées. C'est alors qu'apparaissent les effets des intrigues de Philippe de Souabe. Dandolo propose aux princes croisés de leur accorder un nouveau délai à condition d'aller faire, au compte de Venise, une expédition contre Zara, nid de corsaires qui gênait fort le commerce de la République. Ils acceptent et la plupart des pèlerins suivent leurs chefs, heureux de quitter les îles du Lido et de Murano. Innocent Ill excommunie l'armée et la République; on ne tient pas compte de sa sentence, et le 10 novembre 1202 l'armée et la flotte sont devant Zara, qui capitule quatorze jours après. Alexis Angelos arrive alors dans le camp et propose aux chefs de les conduire à Constantinople; il leur fait les promesses les plus brillantes. Pour prévenir toute résistance de la part du pape, Boniface et le jeune prince ont été trouver Innocent III à Rome, lui ont fait espérer l'union des deux Églises grecque et latine, l'ont en somme compromis. Il n'a pas autorisé l'expédition contre Constantinople, il l'a même interdite, mais en réservant sa décision définitive. Boniface, qui cependant a obtenu l'adhésion de Dandolo, entraîne celle des évêques et des chefs militaires de l'expédition. Le pacte de Zara est conclu (avril 1203); un certain nombre de croisés de distinction, dont Simon de Montfort et l'abbé Gui des Vaux de Cernay, quittent, il est vrai, l'armée, écoeurés de toutes ces intrigues; la masse, plus désireuse de courir les aventures que d'accomplir son voeu, suit l'impulsion donnée. Pour sauver les apparences, on envoie demander à Rome la levée de l'excommunication et une approbation qui, on le sait d'avance, sera refusée. La suite des événements est connue et ne rentre pas dans le cadre de cet article. En mai 1203, Dandolo conduit la flotte à Dyrrachium, puis de là devant Constantinople. Alexis III, qui a prévu le péril, mais qui n'a rien fait pour le prévenir, s'enfuit honteusement (17-18 juillet); les croisés entrent dans la ville, rétablissent le misérable Isaac, lui donnent pour collègue son fils Alexis et réclament à celui-ci les sommes promises. L'armée pouvait encore repartir pour la Terre sainte. Alexis IV tergiverse, il perd le temps en négociations, ne sachant comment se délivrer de ses redoutables auxiliaires; il ne peut ni tenir ses promesses, ni se passer d'eux. En janvier 1204, il est renversé par Alexis Ducas Murzuphle. Les Latins reprennent alors la guerre pour leur propre compte; Constantinople est prise et pillée le 25 avril, et l'empire grec partagé entre les confédérés. Cette fois, les intrigues politiques avaient été assez fortes pour faire échouer la croisade; Innocent III dut accepter les faits accomplis; il ne pouvait refuser son approbation à l'union des deux Églises, qui comblait l'un de ses voeux les plus chers. Il eut le tort, et ce tort fut partagé par ses successeurs, de ne pas comprendre que le temps des grandes expéditions religieuses était passé. La papauté pourra encore décider un prince, tel que saint Louis, à passer en Orient ; les chevaliers et le peuple ne suivront qu'avec répugnance l'impulsion donnée. La société civile, qui cependant s'est organisée, est trop préoccupée de ses intérêts temporels pour songer à la délivrance de la Terre sainte. |
Le fait daterait de l'an 1212; il est rapporté avec grands détails par Albéric de Trois-Fontaines (ainsi que par Mathieu Pâris et par une Histoire de l'abbaye de Sens, notamment), mais il paraît tellement singulier que quelques historiens l'ont révoqué en doute. L'opinion actuelle est plutôt qu'il y a eu méprise sur le sens donné au mot "enfant", liée à une erreur de traduction du mot puer, qui sans doute signifie enfant en latin, mais que les auteurs médiévaux - selon des historiens contemporains tels que Georges Duby ou Philippe Ariès - appliquaient aussi à une frange de la société, à une classe sociale "sous tutelle" : serfs ou domestiques, par exemple. Ceci précisé, voici comment l'histoire est racontée : au mois de juin de l'année 1212, un jeune berger du village de Cloyes, près Vendôme, nommé Étienne, se mit à parcourir le pays, en appelant à lui les enfants. Il se disait envoyé de Dieu pour la délivrance de la Terre sainte; nouveau Moïse, il n'aurait qu'à paraître avec sa troupe enfantine, les flots s'ouvriraient pour leur livrer passage et les Sarrasins s'enfuiraient devant eux. Les missionnaires qui depuis bien des années parcouraient la France avaient tellement échauffé les esprits, tellement surexcité le sentiment religieux qu'une foule d'enfants des deux sexes quittent alors leurs parents pour s'attacher aux pas de ce pauvre illuminé, et le suivent en désordre, vivant d'aumônes sur la route. Loin de les arrêter, chacun les laisse passer et les encourage. Innocent III lui-même loue leur résolution, signe de l'état des esprits au début du XIIIe siècle. La troupe, grossie de prêtres vagabonds, de simples ouvriers et surtout de mauvais sujets et d'aventuriers, traverse ainsi toute la France et atteint Marseille; elle était, dit-on, forte de plus de trente mille têtes. Mais la mer ne s'ouvrant pas et le miracle se faisant attendre, il fallut recourir à des moyens plus humains. Les jeunes pèlerins s'adressent à deux armateurs de Marseille, Hugues Ferri et Guillem Porc, notables commerçants du grand port, que nomment d'autres textes du temps. Ces honnêtes armateurs s'engagent à les transporter gratuitement en Orient; on remplit sept vaisseaux de ces malheureux enfants; deux coulent sur un îlot des côtes de Sardaigne, où plus tard le pape Grégoire IX élèvera une église aux Saints Innocents; les cinq autres arrivent heureusement à destination, c.-à-d. à Bougie et à Alexandrie, où nos bons Marseillais vendent leur cargaison humaine aux marchands d'esclaves, fabricants d'eunuques et pourvoyeurs de harems. Combien durent périr dans la traversée et dans l'esclavage, on se le figure aisément. Un petit nombre recouvra la liberté dix-sept ans plus tard après la paix entre Frédéric II et le sultan Alkamil. Le gouverneur d'Alexandrie en mit du coup en liberté environ sept cents. On voit quelle foule avait dû en 1212 suivre le berger Étienne. La même folie s'était, dit-on encore, manifestée en Allemagne vers le même temps. Un enfant, nommé Nicolas ou Klaus, réunit près de vingt mille autres enfants, filles et garçons, franchit les Alpes, malgré les brigands et les frimas; beaucoup périssent en route; le reste arrive à Gênes le 25 août 1212, comptant s'y embarquer. Le podestat veut les forcer à gagner Brindisi; l'archevêque, plus humain, s'emploie à les rapatrier. Mais la plupart meurent de fatigue et de besoin, d'autres entrent en condition pour gagner leur vie. Le pape, auquel ils ont envoyé une ambassade, leur conseille de renoncer à leur projet et d'attendre pour partir en croisade d'avoir atteint un âge plus avancé. Le chef, Nicolas, suivit plus tard ce conseil et prit part en 1219 au siège de Damiette, d'où il revint sain et sauf à Cologne. Cette singulière expédition, fruit des idées mystiques du XIIIe siècle, ne laissa pas de surprendre quelques contemporains, et plusieurs essayèrent de lui trouver une cause naturelle. Au rapport de Vincent de Beauvais, le Vieux de la Montagne aurait par ses émissaires déterminé ce mouvement dans l'espoir de diminuer le contingent de la future croisade. Roger Bacon lui donne pour instigateur le khan des Tatares; enfin d'autres, encore moins raisonnables, l'attribuent au diable lui-même, dont tout bon chrétien au XIIIe siècle, surtout en Allemagne, voyait l'influence partout. |
La
cinquième croisade
En dépit de l'hostilité latente qui existait entre les chrétiens de Syrie et leurs coreligionnaires Europe, la déception avait été grande en Palestine. L'obligation de ménager les ennemis s'imposait de plus en plus, et plutôt que de rompre le traité avec Almelik, le roi Amaury de Lusignan refusa aux croisés, fugitifs du camp de Zara, l'autorisation de combattre. Les guerres entre les princes d'Europe, la nécessité de fortifier le nouvel empire latin, obligent le pape Innocent III à renoncer pour quelques années à tout nouveau projet de croisade. Les chrétiens d'Orient s'attachent à observer la trêve qu'ils ont conclue avec les Musulmans, et c'est probablement vers ce temps que Venise entre définitivement en relations amicales avec l'Égypte. En 1213, Innocent III, qui a définitivement triomphé en Allemagne et en France, se décide à faire de nouveau prêcher la croisade. En France, Robert de Courçon, en Allemagne, Olivier de Xanten, dit le Scolastique, dirigent ces prédications; leur parole trouve encore une fois un certain écho; un grand nombre de Français, d'Allemands, d'Anglais, d'Italiens prennent la croix. Frédéric II luimême fait voeu de pèlerinage à Aix-la-Chapelle, le 5 juillet 1215, et le pape Innocent III croit pouvoir, lors du concile de Latran (novembre 1215), fixer au 1er juin 1217 le départ de la prochaine expédition et désigner les lieux d'embarquement : Messine et Brindisi. Les tournois et les guerres entre chrétiens sent interdites pour trois ans, le clergé est frappé d'une contribution d'un vingtième et on exhorte à contribuer pécuniairement les chrétiens que leur âge, leurs infirmités ou leurs fonctions retiennent en Europe. Innocent III croit pouvoir dès lors réclamer d'Almelik la délivrance des captifs chrétiens et la restitution de Jérusalem la mort le prend le 16 juillet 1216, au moment même où il espère réaliser l'un de ses projets les plus chers. Son successeur, Honorius III, n'abandonne pas la partie et Jacques de Vitry commence vers le même temps ses prédications; toutefois les circonstances ont un peu changé. Frédéric II remet de jour en jour son départ; le roi d'Angleterre est mineur; enfin la noblesse française montre de moins en moins d'enthousiasme. Les Allemands ont pourtant continué leurs préparatifs, et, au printemps de 1217, deux armées sont prêtes à partir; la première prend par l'Adriatique avec André, roi de Hongrie; la seconde, composée d'habitants de la vallée du Rhin, s'embarque à Dartmouth (29 mai). André, qu'accompagnent les ducs d'Autriche et de Méranie, met à la voile à SpaIato et cingle vers Acre, où le joignent les troupes de Chypre et de Jérusalem (octobre 1247). On comptait d'abord se diriger vers l'Égypte et reprendre le plan qui avait si piteusement échoué en 1202. Mais la saison n'était guère favorable et malgré le manque de vivres, malgré l'hostilité entre les croisés et les barons syriens, on se décide à tenter quelque chose en Palestine. Trois fois l'armée se met en route; trois fois le manque de provisions, la difficulté des routes l'obligent à regagner la côte. Le roi de Hongrie découragé reprend la mer (janvier 1248), sans se soucier des défenses du patriarche de Jérusalem. Le duc d'Autriche reste avec ses Allemands. Au printemps de 1218, les Frisons arrivent. Ils ont dans l'intervalle fait campagne en Portugal contre les infidèles et attaqué Cadix; les vents contraires les ont retenus longtemps dans les ports d'Italie; ils n'atteignent la côte syrienne qu'en avril et mai 1218. Ranimés par l'arrivée de ces renforts, les chrétiens reprennent leurs anciens projets. Dès le 27 mai, une partie de la flotte mouille sous Damiette, clef de la vallée du Nil. Tous les chefs sont là; les maîtres des ordres militaires, le duc d'Autriche, les comtes de Hollande et de Wied, Jean de Brienne, roi de Jérusalem depuis 1210, enfin le patriarche. La ville était entourée de fortes murailles et la position presque inexpugnable; des travaux avancés défendaient le Nil que fermaient encore de fortes chaînes. Aussi les premières attaques des chrétiens restent-elles infructueuses (juillet), et ce n'est que le 14 août que ces défenses avancées tombent en leur pouvoir. Sur ces entrefaites, Almelik meurt (31 août); ses enfants se partagent ses États, et Alkamil lui succède en Égypte. Le nouveau sultan cherche avant tout à expulser d'Égypte les envahisseurs; mais ses premiers efforts sont peu heureux. Les croisés ne pressent guère le siège de la place; beaucoup quittent le pays, et les autres sont durement éprouvés, durant l'hiver suivant, par une inondation du Nil et par le manque de vivres. Ils n'en battent pas moins les Musulmans en plusieurs rencontres, et une révolution militaire, qui oblige Alkamil à se réfugier dans là haute Égypte, leur laisse le loisir d'investir complètement Damiette. Le sultan à peine rétabli sur son trône fait tout le possible pour se mettre en relations avec les assiégés et pour ravitailler la place; après quelques mois d'attente, voyant que les chrétiens ne se découragent pas et reçoivent chaque jour de nouveaux renforts, il leur offre la paix. Les conditions étaient honorables; moyennant la levée du siège de Damiette, il promettait de rétablir le royaume de Jérusalem dans ses limites de 1187, de restituer la sainte croix et de payer une forte somme d'argent. Le légat Pélage et quelques-uns des chefs rejettent ces propositions, et la guerre continue. Damiette succombe définitivement le 5 novembre 1219; les chrétiens s'y fortifient et s'emparent encore de la forte place de Tanis, sur le lac Menzaleh. L'échec était grave pour les musulmans, qui se hâtent de démanteler les places fortes de Syrie, s'attendant à une attaque prochaine et irrésistible. Les chrétiens se voient déjà maîtres de l'Égypte. Terreur et joie également prématurées. Les chefs croisés se disputent la ville; beaucoup de chevaliers quittent le camp, et l'armée devient à peu près incapable d'un grand effort. Pendant toute l'année 1220, elle reste inactive. Enfin au printemps de 1221, le légat Pélage décide les croisés à se mettre en marche et à profiter de l'arrivée d'une forte troupe d'Allemands envoyée par Frédéric II. Après de longs préparatifs, on se dirige vers Mansourah (juillet 1221); mais on n'avait pas prévu l'inondation du Nil, dont les eaux bloquent les envahisseurs dès la première étape. La situation était périlleuse; le légat n'en rejette pas moins de nouvelles propositions de paix d'Alkamil, qui offre encore une fois la restitution du royaume de Jérusalem contre celle de Damiette. Réduit à combattre, le sultan bloque l'armée chrétienne et lui coupe la retraite. Ne pouvant ni avancer, ni reculer, les croisés se décident enfin le 26 août à revenir à Damiette, mais une nuit et un jour passés au milieu des canaux du Nil, que couvrent les barques ennemies, abattent leur courage, et ce sont eux alors qui demandent la paix. Les chefs égyptiens voulaient détruire l'armée chrétienne; plus politique, le sultan consent à lui livrer passage, moyennant la reddition de Damiette (30 août). Le 7 septembre, la place est évacuée, les croisés regagnent les ports de Syrie et d'Europe. La croisade avait échoué une fois de plus, grâce surtout à l'obstination du légat pontifical, et le projet de diversion en Égypte semblait définitivement condamné. La Croisade de Frédéric II Tout l'espoir de la future croisade, car ce serait mal connaître la papauté que de la supposer découragée par le désastre de Damiette, reposait sur le jeune empereur Frédéric II. Peut-être si les deux pouvoirs, l'empire et la papauté, avaient su s'entendre et combiner leurs efforts, eût-on pu obtenir le succès tant cherché. Cet accord par malheur était chose impossible, l'une des deux parties eût dû se soumettre à l'autre, et il était impossible d'exiger pareille humiliation du successeur de Grégoire VII ou du petit-fils de Frédéric Barberousse. Frédéric II avait pris la
croix en 1215, mais avait remis son
départ d'année en année. Très ambitieux, la
ferveur lui manquait, et il ne voyait dans cette expédition qu'un
moyen d'asseoir sa domination dans la Méditerranée orientale.
On comptait sur son arrivée au camp de Damiette ; on l'attendit
inutilement. Aussi, dès 1221,
le pape Honorius le menace déjà d'excommunication, s'il tarde
plus longtemps à partir. L'empereur ne s'en hâte pas davantage;
remettant son expédition de mois en mois, d'année en année,
il atteint l'année 1227. Mais
alors il montre plus d'activité ; devenu gendre du roi de Jérusalem,
Jean de Brienne, héritier des droits de
ce prince, il est tout disposé à défendre ses nouveaux
domaines. Il envoie une petite armée en Terre sainte, fournit de
l'argent à son beau-père et s'engage à partir lui-même
dans les deux ans. Sur ces entrefaites Honorius III meurt (1227);
il est remplacé par Grégoire IX,
vieillard colérique et autoritaire, qui va tout brouiller par ses
exigences impolitiques. De nombreux pèlerins, sont réunis
à Brindisi, mais ils manquent de vivres; la peste se met parmi eux
et décime la future armée de la croisade, qui finit par se
disperser, Frédéric II, qui dès septembre 1227
a envoyé une grande flotte en Syrie sous Henri de Limbourg, va lui-même
mettre à la voile, quand il tombe malade. C'est le moment que choisit
le pape pour l'excommunier (septembre 1227).
A peine rétabli, Frédéric II n'en continue pas moins
ses préparatifs; en avril 1228,
il tient l'assemblée de Barletta
et part au mois de juin suivant.
La croisade de 1239 et 1240 Dès l'année suivante, Grégoire était obligé de signer la paix à San Germano, d'absoudre l'empereur et d'approuver le traité passé avec Alkamil (1230), mais les légats pontificaux en Syrie ne s'en montrent pas moins hostiles à l'autorité impériale et prennent toujours, dans les guerres qui désolent le royaume latin et l'île de Chypre durant les années suivantes, le parti des Templiers et des barons, ennemis de Frédéric II. Le traité de 1229, mal respecté par les musulmans, qui ne se gênent point pour massacrer les pèlerins et pour dévaster les environs de Jérusalem, reste donc sans effet et la situation du royaume latin n'en est pas sensiblement améliorée. Le pape avait reconnu pour valable la trêve de 1229, laquelle expirait en 1240; dès 1231, il pense à une nouvelle croisade, envoie dans toute l'Europe des prédicateurs et des légats, chargés de recueillir de l'argent et de lever des troupes. Chaque printemps voit dès lors partir de petites troupes de pèlerins armes, qui vont gagner les lieux saints. En 1239, une armée plus forte se rassemble à Lyon; elle compte les plus grands seigneurs de France; Thibaut, roi de Navarre; Hugues, duc de Bourgogne; Pierre, comte de Bretagne; Amaury de Montfort; Jean, comte de Bar, etc. Des croisés, les uns vont s'embarquer à Marseille, les autres à Brindisi; ils arrivent à Acre au cours de l'automne. Ces renforts auraient sans doute permis aux chrétiens de Syrie de reprendre l'offensive et de profiter des discordes entre les fils d'Alkamil. Mais la direction suprême manquait; après une course heureuse vers Damas, on se dirige sur l'Égypte ; une partie de l'armée est battue près de Gaza par les troupes égyptiennes (novembre 1239); le reste se replie sur Acre, et la plupart des croisés se décident à repartir. En 1240, arrive un nouveau continent, anglais cette fois, et commandé par Richard de Cornouailles, frère de Henri III, roi d'Angleterre (octobre1240). Plus politique que les chefs qui l'ont précédé, il se décide à conclure la paix avec l'Égypte (février 1241)) ; les captifs sont rendus moyennant rançon, et après avoir muni Ascalon de fortes défenses, Richard revient en Europe (mai 1241). La Syrie était alors en pleine guerre civile; tandis que les chrétiens se liguent pour effacer les dernières traces de l'autorité royale et résister aux officiers de Frédéric Il, les princes musulmans se font une guerre acharnée. Le sultan d'Égypte, Eyoub, pour rétablir son autorité, appelle à son secours une armée de Turks, les Kharismiens. Chassée de ses campements par les Mongols, cette tribu était venue se mettre au service des Turcs Seldjoukides et s'était fait redouter de tous par sa valeur indomptée et sa rudesse. A l'appel du sultan d'Égypte, elle inonde la Syrie et se dirige sur Jérusalem (septembre 1244). Le patriarche et la majeure partie des habitants ont abandonné la ville; les ennemis tuent tous ceux qu'ils trouvent, pillent et souillent les églises, vont faire la même besogne à Bethléem, puis joignent l'armée égyptienne à Gaza. Le sultan Eyoub rompt alors le traité et marche sur Acre; le 18 octobre 1244, il détruit l'armée chrétienne près de Gaza même; la majeure partie des chevaliers de Syrie sont tués ou faits prisonniers. Puis il se retourne contre les sultans de Syrie, alliés déclarés ou secrets des Latins, prend Damas (1245) et reconstitue ainsi l'empire de Salah-eddin à son profit; enfin, après s'être débarrassé des Kharismiens, trop puissants auxiliaires, il prend Ascalon en 1247. La chute de Saint-Jean-d'Acre paraît, dès lors, imminente, la principauté d'Antioche est sérieusement menacée par les Turcs et les Mongols. C'est à ce moment que se place la première croisade de saint Louis. La septième croisade Le véritable successeur de Grégoire IX (mort en 1241) fut non pas Célestin IV, mais Innocent IV (élu en 1243). Ce pontife, ardent et actif, tout en continuant la lutte contre Frédéric II, n'oublie pas la Terre sainte; au concile de Lyon, en 1243, il impose aux princes de l'Europe une trêve de quatre ans, frappe le clergé d'une taxe d'un vingtième de ses revenus, contribue lui-même pour une forte somme; enfin, il noue des négociations avec les musulmans d'Égypte, dans le but de rendre moins précaire la situation des chrétiens d'Orient, et entre en relations avec les Mongols, qui, ennemis mortels du califat de Bagdad, jouent, en Asie, le rôle d'auxiliaires des princes latins. Mais l'Europe se montre indifférente; les princes continuent à guerroyer les uns contre les autres; enfin le pape lui-même, entraîné par sa lutte contre l'empereur, en arrive à détourner au profit de cette croisade d'une nouvelle espèce les ressources qu'il a su réunir pour l'expédition d'outremer. Une nouvelle croisade semblait donc chose bien douteuse; pour tenter pareille aventure dans cet âge déjà tiède, il fallait un prince encore imbu de l'esprit du XIe siècle. Louis IX se trouva à point nommé; si la France y gagna indirectement en renom et en éclat, on doit regretter le zèle intempestif qui, après avoir conduit le roi sur les bords du Nil, le fera mourir plus tard sur les côtes d'Afrique, qui, enfin, fit périr la fleur de la noblesse et décima les forces militaires du pays. On était à la fin de 1244, et on venait d'apprendre avec consternation la destruction de Jérusalem par les Kharismiens; saint Louis, sur ces entrefaites, tombe malade et, pendant plusieurs jours, on le croit condamné. Déjà on a perdu tout espoir, quand il revient subitement à lui, se dit guéri et demande la croix. On traite cette demande de fantaisie de malade; on finit, après quelque résistance, par lui imposer le signe fatal pour ne point le contrarier. Mais sa résolution était immuable, rien ne peut l'en détourner et, à peine guéri, il prend toutes ses mesures pour exécuter ce désastreux projet. Au surplus, il doit bientôt reconnaître
qu'il est seul animé de pareils sentiments; si les chevaliers de
France imitent son exemple, c'est plutôt par point d'honneur, par
affection pour leur roi. Les souverains étrangers restent insensibles
à son appel; Haquin (Aakon), roi de Norvège, promet de partir,
puis renonce à accompagner le souverain français; le roi
d'Angleterre ne voit dans la croisade qu'un moyen de remplir ses coffres;
le roi de Castille mourra avant d'avoir
pu accomplir son voeu. Frédéric II, enfin, fait, il est vrai,
des promesses magnifiques, mais, avant tout, il veut que Louis
IX l'aide à fléchir le courroux du pape, et le roi de
France échoue dans cette oeuvre impossible; tout ce que l'empereur
peut faire pour lui, c'est lui faciliter la traversée. Aussi l'armée
qui, après de longs retards, s'embarque à Aigues-Mortes et
à Marseille (août 1248),
était-elle assez faible et composée presque uniquement de
Français ou de mercenaires à la solde de la France. Elle
eût été suffisante, toutefois, si saint Louis avait
été un grand général; mais, chevalier éprouvé,
esprit éminent, il n'avait point les qualités d'un chef d'armée.
Les croisades précédentes avaient échoué faute
de discipline; celle de 1248 allait
échouer faute d'un général.
L'objectif de l'expédition était l'Égypte. La flotte atteint d'abord Chypre, où l'on avait, depuis deux ans, accumulé des provisions. Saint Louis comptait n'y séjourner que quelques jours; la nécessité de rallier ses vaisseaux, dispersés par une tempête, d'y attendre les retardataires, l'oblige à hiverner; puis, au printemps, il lui faut noliser de nouveaux vaisseaux : il ne peut mettre à la voile pour l'Égypte que le 30 mai 1249. Il avait cent vingt gros vaisseaux, seize à dix-sept cents voiles, deux mille huit cents chevaliers, cinq mille arbalétriers, et une nombreuse infanterie, en tout cinquante mille combattants au plus. Le vieux sultan d'Égypte, Eyoub, malade et affaibli, avait pris ses précautions et garni Damiette, la plus exposée des villes du pays, mais il avait compté sans la furie française; la flotte force le passage, les chevaliers se jettent à terre, l'armée ennemie est dispersée et le roi entre à Damiette (6 juin). S'il avait marché immédiatement sur le Caire, peut-être la campagne eût-elle eu une issue toute différente; mais l'esprit de décision lui manquait : il commence par attendre son frère Alfonse de Poitiers, qui ne le joint que le 24 octobre, puis il perd encore un mois à délibérer s'il marchera vers le sud ou sur Alexandrie; enfin, le 20 novembre 1249, l'armée se met en route vers le Caire. La marche dans ce pays coupé de canaux était forcément difficile, ralentie encore par les attaques des Sarrasins. Eyoub était mort, mais Fakhr-eddin et les émirs, ainsi que la favorite Chedjer-eddor, avaient caché sa mort et dirigeaient les opérations jusqu'à l'arrivée du fils du défunt, Touran-Châh, alors en Syrie. En décembre, les chrétiens assiègent Mansourah, mais, arrêtés par un canal qu'ils ne peuvent détourner , ils perdent deux mois à chercher un gué qu'un Bédouin leur indique enfin en février 1250. L'armée franchit alors le canal (8 février); on sait la suite : le comte d'Artois, frère de saint Louis, entraîné par son ardeur, fond sur les Turcs, les disperse et va se faire, tuer à Mansourah même avec une foule de chevaliers; Louis IX rétablit le combat, éloigne les Turcs, mais la marche en avant est devenue par le fait impossible; la disette et la maladie se mettent dans le camp et, à la fin de mars, saint Louis se décide à regagner Damiette : il repasse le canal avec grand-peine (5 avril); dès le lendemain, il était obligé de se rendre, la majeure partie de l'armée massacrée, le camp pris. Bien peu de chrétiens regagnent Damiette, gage précieux que la fermeté de la reine Marguerite de Provence sut conserver. Saint Louis, par sa fermeté, étonnait ses gardiens; le jeune sultan, après quelques atermoiements, se décide à lui accorder la liberté contre 400 000 besants et Damiette; le roi et les principaux seigneurs reprennent le chemin de la côte (28 avril 1250). Mais alors nouvelle péripétie : Touran-Châh est massacré par les émirs (2 mai); le traité est, par le fait, rompu et les captifs courent un instant les plus grands dangers. Enfin, le tumulte s'apaise; Chedjer-eddor est investie de l'autorité suprême, le traité est confirmé de nouveau, et, le 6 mai, les chrétiens sont mis en liberté. Les jours suivants, on verse aux Sarrasins la première moitié de la somme promise, on leur livre Damiette, et la petite troupe de saint Louis met à la voile pour Acre, qu'elle atteint le 12 mai 1250. Saint Louis avait accompli son voeu, il
pouvait regagner l'Europe; plein de pitié pour la Terre sainte,
il va y rester encore trois longues années. Il commence par se refaire
une petite armée et veut racheter les prisonniers restés
en Égypte. Il réussit à délivrer les survivants
à peu près sans bourse délier, les musulmans d'Égypte
craignant une alliance de leurs ennemis de Syrie et des chrétiens,
et on attend les secours de l'Occident. C'est en vain; rien n'arrive, les
principaux barons abandonnent le roi les uns après les autres. Lui,
cependant, négocie avec le nouveau sultan d'Égypte, Almelik-Alachraf,
avec celui de Damas, Nacer-Yousouf, fortifie
les villes du littoral, Sidon, Césarée,
Acre, Joppé (Jaffa). Les Égyptiens se décident par
crainte à rendre les captifs survivants, donnent à saint
Louis quittance du reste de sa rançon, et ce prince reste spectateur
attentif de la lutte entre les musulmans (octobre 1250-
janvier 1251). Les princes d'Europe
ne font d'ailleurs rien pour lui; le peuple seul répond à
son appel; une masse confuse, les Pastoureaux, se met en marche, en 1251,
pour aller secourir la Terre sainte, mais cette troupe, sans chefs, sans
but bien déterminé, commet de tels excès que tout
le monde doit s'armer contre elle et elle se disperse après avoir
encore davantage découragé les derniers partisans de la croisade.
En 1252, saint Louis s'allie définitivement aux musulmans d'Égypte contre ceux de Syrie, et obtient d'eux la restitution éventuelle du royaume de Jérusalem, mais cette alliance reste infructueuse et, en 1253, le calife de Bagdad parvient à réconcilier les sultans de Syrie et d'Égypte et les décide à réunir toutes leurs forces contre les chrétiens. Saint Louis cependant a appris la mort de sa mère Blanche de Castille (décembre 1252); il comprend enfin que sa présence est nécessaire en Europe; il sent que les chrétiens de Syrie eux-mêmes désirent son éloignement pour éviter une rupture ouverte avec leurs ennemis. Il se décide à partir et met à la voile le 24 avril 1254. Il rentrait en France appauvri et malade, mais célèbre entre tous et déjà consacré bienheureux par tous les contemporains. La huitième croisade Tandis que saint Louis (Louis IX), sans perdre de vue la terre d'Orient, s'applique à administrer son royaume, l'état de la Syrie va chaque jour en empirant. Les guerres intestines entre les princes latins continuent comme par le passé; les colonies commerciales de Venise, de Gênes et de Pise se font une guerre ouverte, qui, commencée en 1258, se prolonge jusqu'en 1270, pour reprendre avec une nouvelle fureur en 1282. Gênes, vaincue par sa rivale, en arrive à s'allier avec l'empereur grec, Michel Paléologue, contre les Latins de Byzance (1264) et contribue ainsi pour sa part à la chute de la domination occidentale sur le Bosphore (1261). Longtemps ces discordes, tout en affaiblissant le royaume de Jérusalem, n'ont pas de conséquences trop funestes. Les musulmans d'Égypte et de Syrie se font eux-mêmes la guerre et ont à repousser les attaques des Mongols. Ceux-ci, sous Houlagou, détruisent le califat de Bagdad (1258), s'emparent Alep et de Damas (1259). Les princes chrétiens s'allient à eux, mais cette alliance allait se transformer en une guerre ouverte, quand Houlagou est rappelé dans l'Asie centrale par la mort du grand khan. C'est alors que les musulmans rentrent en scène; après une longue série de révolutions, un émir, Qothoz, s'installe en Égypte, envahit la Syrie, bat les Mongols à Emesse près de l'Oronte; il est tué par Bibars, mais celui-ci, prince astucieux et cruel, musulman fanatique, soumet toute la Syrie musulmane, et nouveau Salah-eddin, se donne pour tâche la destruction des anciens établissements chrétiens. Les progrès des musulmans n'excitaient plus en Europe aucune indignation. La papauté elle-même, tout occupée à poursuivre l'extermination de la dynastie des Hohenstaufen, se montre indifférente. Seul, Louis IX, qui n'a jamais perdu l'espoir de tenter une nouvelle croisade, s'efforce par des envois d'argent et de soldats de soutenir le courage des chrétiens d'Orient. Dès 1261, il invite sa noblesse à prendre la croix; il la prend lui-même en 1267, avec ses fils et bon nombre de grands barons; mais beaucoup de seigneurs, et parmi eux le fidèle Joinville, refusent de suivre cet exemple. Le roi et son frère Alfonse de Poitiers rassemblent tout l'argent qu'ils peuvent et négocient avec Venise et Gênes pour avoir des vaisseaux. Dès février 1268, saint Louis fixe son départ au printemps de 1270. A vrai dire la Syrie avait grand besoin de secours. Après une première campagne de reconnaissance en 1263, Bibars en 1264 avait battu les Mongols et leurs alliés les Arméniens, puis, dès 1265, il s'attaque aux villes chrétiennes de la côte : Césarée succombe, puis Arsouf défendue par les hospitaliers; en 1266 il prend Safed, forteresse des Templiers, et détruit près de Tibériade une petite armée de Chypriotes. En 1267 et 1268, il attaque Joppé, prend Beaufort, place du Temple, enfin le 27 mai 1268, Antioche succombe et la Syrie du Nord est à tout jamais perdue pour les chrétiens. Saint Louis cependant se dispose au départ. Il compte sur l'appui de Jacques d'Aragon, mais la flotte de ce prince est dispersée par une tempête (septembre 1269); lui-même revient à Barcelone et seuls quelques Espagnols peuvent atteindre la Syrie. Il compte aussi sur Édouard, prince d'Angleterre, mais celui-ci arrivera trop tard; en somme, il ne trouve de secours en dehors de la France qu'en Frise, d'où quelques milliers de braves gens viendront joindre la flotte française sous Tunis. Car c'est à Tunis que saint Louis veut aller. Il s'est laissé séduire par son frère l'artificieux Charles d'Anjou, qui veut punir l'émir de cette ville, allié de Manfred, et l'obliger à payer tribut; on fait croire à saint Louis qu'il ne rencontrera aucune résistance, que l'émir désire se faire chrétien. La flotte met à la voile le 1er juillet 1270; le 8, on atteint Cagliari en Sardaigne; le 16, on jette l'ancre devant Tunis; le port était sans défense, mais on ne sait pas l'occuper à temps, l'armée s'installe définitivement sur les ruines de Carthage. Une attaque un peu hardie eût livré Tunis; mais saint Louis voulait attendre Charles d'Anjou. Cependant l'épidémie s'est mise dans l'armée; l'une des premières victimes est un fils du roi, Jean Tristan, comte de Nevers, qui né en Afrique en 1249 revenait y mourir à l'âge de vingt ans. Quelques jours après le roi tombe malade à son tour et expire le 25 août. L'expédition était dès lors bien compromise. Charles d'Anjou, qui arrive le jour même de la mort de son frère, ne cherche qu'à la faire tourner à son profit; il défait les Sarrasins en plusieurs rencontres et impose à l'émir de Tunis un traité avantageux pour le royaume de Sicile (octobre-novembre 1270). Le bruit courut qu'il avait été acheté; ce n'était qu'un bruit sans consistance, mais à vrai dire seul le comte d'Anjou retirait de la croisade un avantage quelconque. Les Français regagnent enfin la Sicile; là les Frisons les quittent et se dirigent vers l'Orient. Philippe le Hardi et son oncle se mettent en route pour la France. Au début d'octobre, Édouard, prince d'Angleterre, avait rejoint l'armée française devant Tunis; il avait pris la croix dès 1266 et reçu de saint Louis (Louis IX) de fortes avances pour subvenir aux frais de l'expédition. L'honneur lui commandait de tenter quelque chose. Après avoir passé l'hiver à la cour de Naples, il met à la voile au printemps de 1271 et atteint Acre au mois de mai; mais tous ses exploits se bornent à quelques razzias sur les troupeaux des bergers turcs, et il ne peut empêcher les chrétiens de Syrie de conclure en 1272 une paix de onze ans avec Bibars, heureux de s'assurer ainsi les moyens de vaincre les Mongols. Quelques semaines plus tard Édouard repartait pour l'Europe. L'échec de la croisade avait rendu toute son activité au sultan Bibars. Au commencement de l'an 1271, il assiège et prend la fameuse citadelle des hospitaliers, le Krak, dont les ruines subsistent encore aujourd'hui; un peu après il attaque Montfort, place des Chevaliers teutoniques; mais il échoue dans une expédition navale contre Chypre et accorde à ses ennemis la trêve plus haut mentionnée. Cette trêve est du reste rompue dès l'an 1275 par Bibars luimême, qui profite de la minorité du prince Bohémond VIl pour soumettre la principauté de Tripoli à un tribut annuel de 20 000 besants. La nécessité de combattre les Mongols l'oblige à remettre à plus tard ses projets contre les derniers établissements chrétiens, et il meurt à Damas le 19 juin 1277. Depuis Salah-eddin, aucun prince musulman n'avait porté de coups plus terribles à la puissance franque en Syrie. Cependant la papauté n'a pas renoncé à ses projets. Au concile de Lyon, réuni en 1274 par Grégoire X, on s'occupe de la réunion des deux Églises et du secours de la Terre sainte; le pape fait alliance avec les princes mongols, ordonne de prêcher la croisade et décide la plupart des souverains d Europe à prendre la croix. Mais aucun ne se résout à partir; à Grégoire X succèdent des papes moins ardents, dont plusieurs ne règnent que quelques mois, et les meilleurs consacrent toute leur influence à venger les Vêpres siciliennes et à combattre la maison d'Aragon. Aussi les chrétiens d'Orient, laissés sans secours, ne peuvent-ils profiter des guerres civiles entre musulmans qui suivent la mort de Bibars, et un émir, Qelaoun, peut établir sa domination tant en Égypte qu'en Syrie, sans avoir à refouler leurs attaques (1270-1280). L'année suivante, il écrase entièrement les Mongols à Hims, et reprend la guerre sainte contre ses ennemis de l'Ouest. Ceux-ci, toujours incorrigibles, usent leurs dernières forces dans des luttes criminelles; on se dispute ardemment les malheureux débris de l'ancien royaume de Jérusalem, et ce n'est qu'après de longues années de résistance qu'Acre reconnaît enfin l'autorité du roi de Chypre, Henri II (1286). Les musulmans, cependant, ont accordé des trêves aux différents partis, mais en 1285, ils rentrent en campagne, et Qelaoun entreprend la réduction des dernières places chrétiennes. Markab et Laodicée succombent; en mars 1289, il paraît devant Tripoli ; la ville est prise après un mois de résistance et les habitants sont massacrés. La chute d'Acre semblait imminente; une trêve de deux ans, mal observée d'ailleurs des deux côtés, la retarde encore un instant. Enfin, en 1290, le sultan se décide à en finir et prépare tout pour une action décisive; mais il meurt le 10 novembre, sans avoir vu sa victoire. Son fils, Almelik-Alachraf, prend le commandement de l'armée et marche contre Acre. Les chrétiens ont réuni leurs dernières forces, au plus 20000 combattants, et ils ont résolu de défendre jusqu'à la mort ce dernier boulevard de leur puissance (mars 1291). Mais si beaucoup font leur devoir jusqu'à la fin et périssent les armes à la main, d'autres donnent le signal de la fuite; le chef du contingent français, Jean de Gresly et le roi de Chypre quittent la Palestine; on envoie à Chypre la majeure partie des bouches inutiles, mais les vaisseaux manquaient, et quand le 18 mai l'ennemi, qu'excitent les prédications des derviches, pénètre dans la place, quantité de femmes et d'enfants restent encore exposés à la fureur des hordes égyptiennes. Le sac d'Acre, à en croire les témoins oculaires, dépassa en horreur tout ce qu'on avait vu jusqu'alors, et les Turcs y donnèrent librement carrière à tous leurs instincts brutaux. La domination chrétienne était à jamais ruinée en Syrie, et ce malheureux pays perdait pour toujours la prospérité dont il avait joui pendant de longues années. Les dernières places tenues par les Occidentaux, Tortose, Beyrouth, Tyr, sont évacuées sans résistance. Encore quelques mots sur les expéditions tentées plus tard par les princes d'Occident pour recouvrer la Terre sainte, et nous en aurons fini avec l'histoire des croisades. (A. Molinier). |
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