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Histoire politique et sociale > Le Moyen âge > [L'Europe latine / L'Empire byzantin]
Le Moyen Âge
L'Europe au XIe siècle
La barbarie qui ne consiste que dans l'imperfection des institutions sociales est moins ignoble que celle qui résulte de leur corruption extrême. C'est ce dernier spectacle que présentent les annales de Byzance et celles de l'empire des Abbassides. A Constantinople, la maison macédonienne se continue encore un demi-siècle sous le nom de deux femmes, qui portent au trône un faux monnayeur, et un calfateur de vaisseaux. Les exploits de Romain Diogène suspendent pour bien peu de temps les invasions des barbares de l'Orient. La maison des Comnène sera célèbre seulement par sa longue possession du pouvoir : on ne lui doit pas la restauration de l'honneur militaire et de l'administration intérieure de l'Empire. Les califes abbassides ne sont plus chez les musulmans que de vains fantômes, insultés par tous les mécontents, menacés par tous les ambitieux. Les troubles intérieurs se perpétuent. La dynastie des Ghaznévides, sortie des régions orientales de la Perse, avait porté la terreur jusqu'à Bagdad. Les Turcs seldjoukides, originaires de la grande Tartarie, se font place en Orient, aux dépens des Ghaznévides refoulés jusqu'aux Indes, des califes de Bagdad tenus dans une tutelle qui ressemble à la servitude, des califes fatimides d'Égypte dépouillés des principautés syriennes, enfin des empereurs grecs qui ne peuvent empêcher en Asie Mineure l'établissement de la sultanie turque d'Iconium. Antioche, Laodicée, Nicée même en Bithynie, leur appartiennent. C'est contre ces eux, affaiblis par leurs propres divisions, que fut prêchée dans l'Europe latine la première croisade.

De nouvelles révolutions agitent tout le nord de l'Europe : les Scandinaves s'abattent encore du Danemark et de la Norvège, sur la Grande-Bretagne qui n'échappe à la dynastie du Danois Knut II le Grand, récemment converti, que pour subir le joug despotique de la royauté et de la féodalité normandes qu'apporte en 1066 Guillaume le Conquérant. Ce triomphe durable d'un vassal des Capétiens est le signal des longues rivalités de la France et de l'Angleterre.

A l'est, les Scandinaves Varègues, qui s'étaient fixés au milieu des Slaves sous le nom de Russes, ont déjà reçu le christianisme avec leur chef, saint Vladimir, qui est de la dynastie de Rurik. Mais le christianisme est venu aux Russes par Constantinople. Le schisme de l'Église grecque consommé au temps du patriarche Michel Cérulaire, qui réprouve le pain azyme, ou sans levain, employé dans l'Eucharistie, et les syllabes filioque introduites clans le symbole du concile de Nicée, entraîne la Russie hors de l'emprise de l'Église catholique romaine : elle devient schismatique presque aussitôt que chrétienne, et s'est opiniâtrée à refuser l'autorité du pape. Le partage que saint Vladimir a fait de son héritage entre ses deux fils est pour ce pays une cause de morcellement, d'anarchie et de faiblesse qui la tiendront pendant des siècles isolée de l'Europe. Le fils de Vladimir Iaroslaw est un législateur.

Les Grecs, ennemis du Saint-siège, perdent l'Italie méridionale, dont les nouveaux conquérants, venus de la Normandie française, font hommage au pape qu'ils ont vaincu-: les coutumes féodales et la langue de la France prennent possession de l'Italie comme de l'Angleterre. La Sicile, disputée aux Sarrasins par les Normands, est maintenant le poste avancé de la chrétienté contre l'islam. L'amour du butin et un chimérique espoir de conquête poussent les maîtres de la Pouille au delà de l'Adriatique contre les sujets schismatiques de l'Empire byzantin. Pendant des siècles, les Normands, les Allemands, les Français, qui se succéderont dans la possession de l'Italie du sud, se laisseront aller, avec le même entraînement, à d'ambitieux projets d'agrandissement qui ne se réaliseront pas.

La France, illustrée par les conquérants normands de l'Angleterre, de la Pouille et de la Sicile, par les fondateurs du comté du Portugal, qui sera ravi aux Maures, ne marque pas alors par la vie de ses rois. La maison capétienne est une des moins puissantes entre les grandes maisons féodales : la royauté reste comme un droit sans exercice.
La suprématie politique appartient à l'Allemagne, tant que le Saint-siège est occupé par des princes faibles ou indignes. Les désordres et les troubles se renouvellent à Rome comme pendant le Xe siècle, et cependant les empereurs, toujours menacés par une noblesse turbulente en Germanie, ont de la peine à contenir l'Italie du nord, où les seigneurs féodaux, les évêques, les cités qui ressuscitent les anciennes institutions municipales, arment séparément, et quelquefois s'unissent pour l'indépendance. L'excès de l'anarchie ramène la paix, qu'affermit pour un peu de temps une constitution publiée par Conrad, le premier empereur de la maison franconienne qui donnera quatre princes en cent ans. Le règne de son fils Henri III le Noir est l'une des époques où les Romains et les papes ont été le plus directement assujettis à la puissance impériale.

Mais pendant les dix-sept années qui suivent sa mort, les scandales de simonie, de cupidité, et de violence, qui signalent le gouvernement des ministres de son jeune fils Henri IV, font un étrange contraste avec la grande oeuvre de réforme universelle qu'accomplit le moine toscan Hildebrand, pour rendre à l'Église sa moralité et son indépendance, lesquelles serviront à fonder l'autorité temporelle de Rome. Hildebrand, devenu Grégoire VII, suit sans fléchir sa pensée dominante, pour soutenir et étendre les droits du sacerdoce engagés surtout dans la triple question du célibat des prêtres, de la simonie, et de l'investiture laïque; il menace et la France et l'Angleterre, et les États du Nord, mais surtout l'Allemagne. Pour la première fois un empereur est excommunié et déposé, comme si le pape pouvait ôter des couronnes qu'il ne peut pas donner. Telle est la force de ces anathèmes que, même après la mort d'Hildebrand, que l'amitié et les secours de la comtesse Mathilde et du Normand Robert Guiscard n'ont pu maintenir à Rome, l'empereur est incapable de réprimer ni les révoltes de ses sujets, ni les attentats de ses propres fils.

Alors que l'Europe et l'Orient chrétien étaient en proie au schisme ou à l'anarchie féodale; au milieu des passions religieuses et politiques que réveillait la querelle du sacerdoce et du pouvoir temporel; quand des peuples, nouvellement établis sur des terres qu'ils veulent garder, bornent leur horizon au pays conquis, Pierre l'Ermite, un pèlerin qui a vu le triste état des chrétiens de la Palestine, et le pape Urbain II, Français comme lui, appliquent encore une des pensées de Gerbert (Sylvestre II) et de Grégoire VII, en prêchant la croisade. Pierre entraîne vers les lieux saints, contre les Turcs seldjoukides et contre les fatimides, six cent mille hommes, multitude indisciplinée qui essuie de sanglants revers, surtout avant l'arrivée de l'armée des chevaliers venus de la France ou de l'Italie normande. Pour la masse du peuple, il s'agit d'acquérir le ciel en délivrant le tombeau du Christ profané par les infidèles. S'il en est qui pensent à l'avenir de l'Europe, pour ceux-là, il s'agit de repousser des peuples qui menacent d'envahir toute la chrétienté. Quelques-uns enfin songent seulement à chercher fortune en Orient. Jérusalem prise, Godefroy de Bouillon, le plus pieux et le plus brave des chevaliers, reçoit malgré lui, par l'élection des seigneurs, une royauté féodale qui repose sur les institutions de la France, comme la royauté normande d'Angleterre, comme les principautés normandes de Pouille et de Sicile. Un ordre de moines guerriers, les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, va être fondé, pour veiller assidûment à la défense des terres conquises, pendant que la plupart des chevaliers de la croisade reviennent émerveiller l'Europe de leurs récits de l'Orient. Les principautés nouvelles d'Édesse et d'Antioche sont les remparts de Jérusalem. Les Grecs n'ont rien gagné à la croisade qu'ils ont désirée; les Latins s'habituent à visiter au passage et à convoiter Constantinople. Ces expéditions révèlent l'unité chrétienne de l'Europe sous la suprématie du pape.

La nation la plus fervente de l'Occident ne va pas chercher de croisade en Asie; elle a les musulmans à combattre dans ses propres foyers. Dans les premières années du siècle, la dynastie des Omeyyades s'éteint à Cordoue : des émirs arabes s'érigent en souverains, on compte presque autant de royaumes que de villes; mais en même temps les États de Castille, de Léon, de Navarre et d'Aragon forment tantôt deux, tantôt trois ou quatre royaumes distincts, presque toujours en guerre les uns contre les autres. Le roi de Léon et de Castille, Alphonse VI, aidé de la valeur du Cid qui sera immortalisé par toute une geste littéraire (le Cid dans la littérature) que couronnera la pièce de Corneille, et des chevaliers français des deux Bourgognes, reporte la puissance chrétienne jusqu'à Tolède et jusqu'à Valence; mais l'Afrique, foyer d'invasions musulmanes, comme le haut Orient pour l'Asie occidentale, verse sur l'Espagne les Almoravides : le XIe siècle se ferme avec la mort du Cid. La lutte recommence pour longtemps, et plus vive, entre deux principes différents de religion, de civilisation et d'institutions sociales.

Les études profanes n'ont d'activité que chez les Arabes, malgré le poids de l'islam qui cherche à les anéantir : ils cultivaient la géographie, l'histoire, la philosophie, les sciences physiques et la poésie. Avicenne, qui meurt en 1037, s'appliqua d'abord à la dialectique, puisa dans Aristote la théorie du syllogisme, et versifia même des préceptes de philosophie; la physique d'Aristote lui inspira le goût de la médecine. Dans cette science, à laquelle il n'a cependant pas fait faire de grands progrès, ses livres furent, jusqu'au XVe siècle, l'oracle des écoles d'Italie et de France. Albucassis, qui meurt en 1106 ou 1107, enseigna la médecine théorique et pratique, la pharmacie, la chirurgie ; il a décrit les instruments chirurgicaux. Le Persan Firdoûsi a composé pour Mahmoud, guerrier ghaznévide, un grand poème historique sur la Perse; mal récompensé par le sultan, il se vengea par des invectives, comme tous les poètes qui trouvent des ingrats.

Quelques auteurs grecs s'occupent de médecine par imitation. Constantin l'Africain a le premier fait connaître en Europe la médecine des Arabes; il l'enseigna peut-être à Salerne, chez les Normands. La littérature ne peut s'enorgueillir des histoires byzantines auxquelles chaque siècle ajoute quelques volumes. L'abrégé de Dion Cassius, composé par Xiphilin, est devenu précieux par la perte de ce grand ouvrage historique.

La langue latine sert aux chroniqueurs et aux théologiens. Les questions de dogmes laissent un peu la place aux questions de philosophie : à part l'hérésie du moine Bérenger de Tours, qui nie la présence réelle au temps de Grégoire VII. Le débat des réalistes et des nominalistes commence à passionner l'école. Roscelin de Compiègne est le premier chef célèbre des nominalistes; d'après eux, les idées générales, c'est-à-dire les essences de Platon, les formes substantielles d'Aristote, et généralement les abstractions, n'existant que dans le langage, il faut n'attribuer d'existence réelle qu'aux individus, et reconnaître que les idées particulières, éléments de toutes les autres, naissent immédiatement des sensations. Lanfranc et Anselme de Canterbury, tous deux Italiens, qui occupèrent tour à tour l'archevêché primatial de Canterbury, réalistes déterminés, soutiennent l'existence des idées générales ou universelles. Cette dispute s'est prolongée dans les siècles suivants, au sein des chapitres et des monastères, où les études de l'Europe étaient concentrées et dégradées souvent par une scolastique vaine.

Entre les langues vernaculaires, la langue tudesque donne en prose des traductions du Psautier et du Cantique des cantiques; en vers, une ode en l'honneur d'un archevêque de Cologne mort en 1075. En France la langue romane est assouplie par les troubadours et par les trouvères. Guillaume, comte de Poitiers, duc d'Aquitaine, rouvre la liste des troubadours; la galanterie et la bravoure inspirent les postes grands seigneurs, l'art n'est pas alors une profession. Bien qu'on ne connaisse ni Homère ni Virgile, quelque souvenir des sujets antiques perce dans les épopées; une légende languedocienne a pour héros un seigneur des environs de Toulouse auquel le poète attribue les aventures d'Ulysse. La chanson de Roland ou de Roncevaux prend sous la plume du trouvère normand Turold la forme que nous lui connaissons. Dans ce siècle brillant de la chevalerie, un moine compose la fameuse chronique latine attribuée faussement à l'archevêque de Reims, Turpin, contemporain de Charlemagne-: c'est un véritable poème.

Les éléments matériels manquaient aux travaux de l'intelligence le papier de chiffon n'était pas inventé, la fabrication du papyrus d'Egypte avait presque cessé par les ravages des Sarrasins, et le prix du parchemin était devenu excessif. On s'avisa d'une ressource singulière : on eut recours à un art jadis professé à Rome, comme un passage de Cicéron l'atteste : « Nam quod id palimpsesto scribis », à l'art de gratter d'anciens manuscrits pour les rendre propres à recevoir une nouvelle écriture (Palimpseste); des livres classiques se transformèrent en psautiers, en missels, en traités de liturgie et de théologie. Que de richesses de l'Antiquité ont dû être ainsi perdues pour alimenter le travail quotidien des monastères et des écoles! (Ch. Dreyss).

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