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La Chanson de
Roland ou Chanson de Roncevaux, est une chanson
de geste, appartenant au cycle carolingien.
Le héros en est Roland,
comte des Marches de Bretagne, et neveu de Charlemagne.
Elément parmi d'autres, ou même accomplissement le plus achevé
d'une entreprise de propagande politique et religieuse plus vaste, qui
fait fi de la réalité historique (mais on pourrait dire la
même chose de toutes les autres chansons de geste), la Chanson
de Roland n'en reste pas moins, du point de vue littéraire,
la plus réussie des chansons de geste.
Cette oeuvre est aussi la plus ancienne chanson de geste que nous possédions. D'autres l'ont précédée, car elle nous introduit d'emblée dans un monde de héros que l'auteur suppose familier à ses lecteurs ou à ses auditeurs : déjà, quand il écrivait, la poésie s'était emparée du personnage de Charlemagne et l'avait transformé à son gré; déjà les douze pairs possédaient leur histoire, celle que leur avaient forgée, à eux aussi, de bons poètes : et l'auteur traitait après d'autres une légende illustre. Sous la forme que nous connaissons la Chanson de Roland, remonte aux premières années du XIIe siècle (manuscrit d'Oxford), et on y trouve le nom de son auteur supposé (à moins qu'il ne s'agisse d'un simple copiste), Turold ou Théroulde, sur lequel il n'existe aucun renseignement. L'attribution à Turold repose seulement sur le dernier vers du poème : « Ci falt la geste que Turoldus declinet ». Toute la question est alors de bien interpréter le sens du mot declinet. Si l'on admet que cela signifie achever, il reste encore à savoir, comme le notait Léon Gautier, si ce Turold est un trouvère (c'est-à-dire un trouveur) qui achève de trouver, un copiste qui achève d'écrire, ou un jongleur qui achève de chanter?Quoi qu'il en soit, d'après le témoignage même de Turold, il a puisé dans des oeuvres antérieures, dans les Gesta Francorum, dans le livre d'un certain Gilie, qui est demeuré complètement inconnu pour nous. Le fonds de son oeuvre est en tout cas plus ancien que celui de la Chronique de Turpin, qui raconte, en latin d'église, la même légende. La nuit qui précéda la bataille d'Hastings (1066) fut consacrée par l'armée normande à la prière. A l'aube, les troupes, ayant entendu la messe, furent bénies par Robert, évêque de Bayeux, qui avait revêtu un haubert sous son rochet. Puis, au dire du chroniqueur Guillaume de Malmesbury, tandis que le duc s'armait, on chanta devant lui, pour proposer à ses barons l'exemple d'un vaillant (martium viri exemplum), la Chanson de Roland. Ce n'est, il est vrai, qu'une légende, dont Wace s'est inspiré pour en imaginer une autre : celle de ce jongleur, Taillefer, qui, en avant des troupes, à l'instant même où elles se jetaient sur l'ennemi, aurait chanté : De Karlemainne et de Rollant,La Chanson de Roland n'avait pas été composée à cette époque. Mais on pense ici à cette phrase du film L'Homme qui tua Liberty Valence (John Ford, 1962) : « Lorsque la légende est plus belle que la réalité, on imprime la légende ». De fait, quel poème, pouvait mieux répondre à l'enthousiasme de ces gens de guerre, animés d'une confiance égale en leur prince et en Dieu? D'où pouvait leur venir une exaltation plus noble que de ce sublime paradoxe qui proclame la primauté de la folle prouesse? - Page de la Chanson de Roland. (Manuscrit d'Oxford). L'histoire et la légendeL'Histoire.Dans sa Vita Caroli, composée très peu de temps après la mort de l'empereur, Éginhard ou Einhard nous a laissé le récit très succinct des événements historiques transformés en légende dans la Chanson de Roland. Et ces éléments historiques se réduisent à fort peu de chose : un nom, celui de Roland ou Hroland, comte de la marche de Bretagne (Bretagne française), qui fut un authentique compagnon d'armes de Charlemagne; un fait, la donnée d'une expédition en Espagne, heureusement menée par Charlemagne, mais qui s'acheva par un revers de ses troupes, tandis que revenant de Saragosse il franchissait les Pyrénées pour rentrer en France. L'arrière-garde de l'armée de l'empereur fut surprise dans la vallée de Roncevaux par les montagnards basques. Les Francs furent cernés, écrasés sous des blocs de rocher. « Là, dit le chroniqueur, périt Roland, préfet de la Marche de Bretagne. »Les attaquants s'esquivèrent promptement pour se mettre à l'abri et Charlemagne ne put tirer aucune vengeance de cet affront (15 août 778). La Légende.
De Roland, on fit le neveu de Charlemagne, fils de sa soeur Berthe et du sénéchal Milon, et l'un des douze pairs de France. A ses côtés, dans l'arrière-garde, on plaça Olivier (dont la soeur, Aude, est fiancée à Roland), l'archevêque Turpin, et les autres pairs de France. Cette arrière-garde renferma donc l'élite des barons chrétiens, au nombre de vingt mille. Il fallait leur donner des adversaires dignes d'eux, un ennemi plus fantasmatique. Les Francs revenant d'Espagne seront donc attaqués à Roncevaux non plus par des montagnards basques, mais par cent mille Sarrasins, bien armés et très braves. Une modification en amène une autre. Dans toutes les littératures la mort des héros est attribuée à l'intervention d'un traître. Charlemagne, qui vient de faire la paix avec le roi sarrasin Marsile, quitte le pays en toute sécurité; mais Ganelon a préparé, comme une vengeance personnelle, la mort de Roland. Il n'est pas possible enfin que pareil affront soit resté sans représailles. Et tandis que, dans la réalité, Charlemagne n'avait jamais pu châtier les Basques, on le verra, dans la légende, revenir en Espagne, pour exterminer les Sarrasins et, d'autre part, punir le traître Ganelon. Pour expliquer la
survivance et l'enracinement de ces souvenirs, relatifs à des événements
de l'an 778, pas n'est besoin de recourir à l'hypothèse d'antiques
poèmes de l'époque carolingienne
qui se seraient transmis de génération en génération;
il suffit de faire remarquer que la Vita Caroli, oeuvre très
répandue pendant tout le Moyen âge,
en une seule page les fournissait à n'importe lequel des clercs
du XIe siècle. Or, il y avait alors
un groupe d'hommes pour lesquels, entre tous, cette page offrait un intérêt
particulier : c'étaient les religieux dont les monastères
et les églises jalonnaient la grande route qui du nord et de l'ouest
de la France conduisait en Espagne, et qui passait par Bordeaux,
Dax, Saint-Jean-Pied-de-Port, Roncevaux et Pampelune.
L'Abbaye de Roncevaux. - Elle a été fondée vers l'an 1140. A peu de distance s'élevait une autre église plus ancienne, Saint-Sauveur de Leyre. Charlemagne, Roland et leurs compagnons légendaires ont été pendant des siècles vénérés dans ces sanctuaires. Pendant tout le XIe siècle, cette route a été battue par des gens de guerre, ceux qui, venant d'Aquitaine, de Normandie, de Champagne, de Bourgogne, se rendaient par grandes troupes en Espagne pour y combattre les Sarrasins. Charlemagne les y avait précédés, et, sous leurs pas, ils voyaient se dresser le souvenir de l'empereur et de ses compagnons, leurs grands devanciers, dont la gloire rejaillissait sur leurs propres entreprises. Peut-être est-ce d'abord pour ces guerriers, dont ils voulaient stimuler l'enthousiasme, que des clercs évoquèrent les exploits du meilleur serviteur que l'Église eût jamais connu, exaltant son rôle et celui de ses barons, et composant avec des débris d'histoire une légende enivrante, où brillait moins une image fidèle du passé que la flamme d'un idéal nouveau. C'était pour ces guerriers, et ce fut aussi, un peu plus tard, pour des voyageurs d'une autre sorte, pacifiques ceux-là, mais animés de la même foi et du même zèle sacré; ce fut pour les pèlerins qui, en foule, s'acheminaient par la même voie et, au delà de Pampelune, par Burgos et Léon, allaient vénérer à Compostelle le tombeau prétendu de l'apôtre Jacques. Dès avant la fin du XIe siècle, on montrait en un point culminant des Pyrénées, au col de Cize, qui domine Roncevaux, une croix de pierre, dite Croix de Charlemagne; à Saint-Seurin de Bordeaux, une relique de Roland; à Saint-Romain de Blaye, le tombeau du même Roland. Étaient-ce là des monuments authentiques auxquels s'est attachée la légende naissante de Roland? Peut-être. Ce qui est sûr, c'est qu'à les regarder on voit cette légende pousser ses racines, pour ainsi dire, dans des sanctuaires. Analyse de la Chanson de RolandLa Chanson de Roland emprunte une partie de sa noblesse à l'idée qui domine la geste du Roi, l'apostolat guerrier de Charlemagne, la domination de ses armes sur le monde; et, par ses armes, la domination de la foi. En un sens, il est bien vrai que « la journée de Roncevaux n'est qu'un épisode dans la longue croisade d'Espagne, qui n'est elle-même qu'un épisode dans la vie du croisé deux fois centenaire ». Et c'est d'un chapitre de la vaste histoire impériale que le poème déroule les péripéties en la noble ordonnance de ses trois parties. Aucun épisode étranger à l'action ne rompt la suite du développement..• D'abord le tableau d'une victoire récente de Charles : l'adversaire païen, le roi Marsile, réduit à s'enfermer dans Saragosse et à demander merci, le camp brillant des Français dressé devant Cordres démantelé, une nuée de chevaliers pressés autour de leur roi, et lui au milieu d'eux, assis sur un trône d'or pur, la trahison d'un chevalier delaquelle surgira tout le drame;Cependant cette chanson n'est pas la chanson de Charlemagne. Les épreuves de l'empereur prédestiné, si poignant qu'en soit le récit, ne forment que le cadre du véritable drame, et c'est sur Roland que se concentre l'intérêt : Roland dont le personnage poétique ne saurait se concevoir si n'était partout présente dans le poème l'idée de la mission dévolue à l'empereur qu'il sert, Roland sans lequel la chanson ne serait pas. C'est lui le principal personnage; c'est en lui que s'incarne cette vertu de prouesse qui est le ressort de toute l'action, mère de sacrifice et de gloire. Dès le début du poème, Roland est déjà au premier plan. Trahison de Ganelon.
Marsile, qui en est le roi, députe vers lui Blancandrin, l'un de ses preux et conseillers, dans l'espoir que des présents et une promesse de se convertir arrêteront l'invasion; en rien disposé à respecter sa parole, il s'engage donc à suivre bientôt Charles à ses eaux d'Aix, que Dieu fil jaillir pour lui, et à y recevoir le baptême. Roland, le premier, a déconseillé l'accord : « Malheur, s'est-il écrié, si vous en croyez Marsile!... », et dès ce moment, parce qu'il est allé tout droit au conseil le plus hardi, son sort est engagé, car, à son tour, Ganelon se lève et parle en faveur de la paix : « Qui ço vos lodet [= conseille] que cest plait [= accord] degetuns,Et cet avis a prévalu. Il faut donc qu'un ambassadeur aille à Saragosse porter la réponse de Charles : et comment Roland ne s'offrirait-il pas le premier pour remplir cette mission périlleuse? Dans son exhortation à continuer la guerre, il avait rappelé les félonies anciennes du païen, comment le roi Marsile avait déjà pris la tête de deux envoyés français, de Basan, de Basille : pouvait-il, taxé d'orgueil par Ganelon, accusé d'avoir en mépris la vie d'autrui, ne pas revendiquer l'honneur du danger? Pourtant, l'empereur l'a rebuté, lui et les autres pairs, et l'archevêque Turpin, qui tour à tour se sont offerts; alors, à la question : « Qui fera le message? », Roland répond : « Ce sera Ganelon, mon parâtre » : parole sage, puisque Ganelon a le premier parlé pour la paix; parole fatale, car Ganelon y voit une intention mauvaise et jure de se venger. Ganelon rejoint Blancandrin
sur la route de Saragosse. Tout en chevauchant, ils se font part de leurs
projets. Ils ont tant chevauché, qu'ils ont fini par s'engager
mutuellement leur foi pour arriver à faire périr Roland.
Bientôt tout est convenu avec Marsile, qui
Pendant ce temps, Charles, avant reçu du traître les clefs de Saragosse et se reposant sur la foi trompeuse de son ennemi, fait sonner la retraite; suivi de ses nobles barons, il s'achemine vers France la douce.
« Seigneurs barons, dit le roi, vous voyez ces passages difficiles : qui placerai-je à l'arrière? décidez. - Roland, mon fillâtre, s'écrie Ganelon; vous n'avez pas de si vaillant chevalier. »Tout le monde sait bien que cette réponse cache de mauvais desseins, et Charles, que des rêves de mauvais augure ont averti, ne voudrait pas consentir à ce choix, souffrir que son neveu restât à Roncevaux. Mais comment Roland, qui jamais ne recula, ne dirait-il pas : « je resterai? » Il soupçonne le guet-apens: mais il s'en rit et il sait ce que l'honneur lui commande : « Deus me confunde, se la geste en desment! »Roland reste donc à l'arrière-garde; avec lui, en volontaires, les douze pairs, l'archevêque Turpin, et vingt mille «-Français de France ». L'empereur s'éloigne le coeur navré. Cependant les Sarrasins s'avancent : ils sont plus de cent mille, que commandent douze pairs ennemis; tous ont juré la mort du comte Roland et des Francs. Olivier, monté sur un tertre, les découvre et ils sont tant qu'il ne peut dénombrer même les corps de bataille : « Les païens sont très forts, dit-il, et nos Francs, ce me semble, sont bien peu. Roland, mon compagnon, sonnez donc votre cor : Charles l'entendra et l'armée reviendra. »Roland ne veut, ne peut y consentir « Je fereie que fols!Et trois fois Olivier insiste, et trois fois Roland refuse : Olivier est sage, Roland est preux, dit le poète. Et qui blâmerait Roland d'être preux, mais qui ne se demanderait aussi, à ce moment de l'action, si sa prouesse n'est pas démesurée, si son coeur «-pesme et fier » ne le pousse pas jusqu'à l'orgueil, jusqu'à la folie? « Certes, dit-il à Olivier, nous pouvons plaindre douce France la belle qui va demeurer veuve de tels barons; ami, je suis certain que nous mourrons aujourd'hui. »L'archevêque bénit les Francs et les absout de leurs péchés. Et désormais le poème éveille cette âpre et angoissante curiosité : « Prouesse vaut-elle sagesse? » Roland a ceint sa Durandal : monté sur Veillantif, son fidèle coursier, il est beau à voir. L'épreuve, d'abord, est dure à Roland : trois batailles que lui livrent coup sur coup les Sarrasins sont autant d'assauts à son héroïque assurance. Il a reçu la première attaque avec l'allégresse du chef assuré de vaincre. Autour de lui, les païens tombent « par troupeaux-», et les pairs sarrasins ont presque tous succombé; nul ne peut frapper le héros. Ses braves chevaliers ne succombent qu'après avoir couché dans la poussière l'armée presque entière des Sarrasins. Marsile s'enfuit honteusement; mais son oncle le calife demeure, avec ses Éthiopiens au noir visage : la bataille reprend. Les Français aussi ont souffert; et lorsque commence la deuxième bataille, Roland, toujours aussi résolu, n'est pourtant plus aussi confiant. Roland, Olivier, l'archevêque Turpin et les autres paladins font des prodiges de valeur; mais le nombre l'emporte, et lorsque, après la mort de dix des pairs français, une troisième bataille s'engage, plus pesante encore, où périssent tous ses compagnons, sauf soixante. Cette fois, Olivier est blessé à mort. Roland voudrait bien enfin sonner de son olifant, rappeler l'empereur. Trois fois à son tour, Olivier, avec une ironie amère, lui déconseille de le rappeler; il sait, comme Roland d'ailleurs, qu'il est trop tard et il raille « la folie » où s'est obstiné son compagnon : « Quant jel vos dis, n'en feïstes nient;Il est trop tard, dit Olivier. Il est trop tard pour Olivier. « Avant que le coeur lui manque, il laisse tomber Hauteclaire, sa vaillante épée, sur le cimier du calife, et lui fend la tête jusqu'aux dents. Puis il tombe à terre : c'en est fait, le comte est mort. »A cette vue, Roland se sent défaillir; sans Olivier, quel fardeau pour lui que la vie! - Roland à Roncevaux. Roland, couvert de blessures, sonne de son cor Olifant pour appeler du secours : Charlemagne, toujours trompé par Ganelon, ne tient pas compte de cet appel, et continue sa route; mais le cor se fait entendre de nouveau; l'empereur, désabusé par le duc Naymes (Naisme), fait arrêter le traître, et revient sur ses pas. Les païens s'enfuient courroucés et pleins d'ire. Roland a donc sonné : sa grande âme a-t-elle donc fléchi? Nous faut-il reconnaître que sa prouesse n'était que « folie »? Mais non : quand il a recueilli le dernier soupir de ses plus chers compagnons, quand il reste seul debout et qu'approche l'heure de son propre trépas, il est vainqueur! Du champ de carnage et d'honneur, il reste le maître, et Turpin l'a proclamé : « Cist champ est vostre, la mercit Deu, e mien! »Le comte Roland n' a pas poursuivis les vaincus, car il a perdu son cheval Veillantif et reçu de larges blessures. Seul il a survécu au carnage, seul avec l'archevêque Turpin, qui est sur le point de rendre l'âme. En belle ordonnance, Roland a rangé sur un seul rang les corps de ses pairs, et, près de mourir à son tour, il monte sur un tertre comme pour braver l'ennemi de plus haut, se couche au pied d'un pin, et, n'ayant pu briser sa chère Durandal pour la soustraire aux ennemis, il la place près de lui avec son olifant; Puis il tourne le visage du côté de l'ennemi, « afin que Charles dise, et tous les siens, qu'il est mort en vainqueur, le gentil comte ». Il fait sa prière, demande à Dieu pardon de ses péchés et remet son gant droit à saint Gabriel. L'archange le reçoit, et les anges emportent l'âme du comte au paradis. Morz est Rollant. Deus en ad l'ame es cels.-
Les représailles.
Charles revient ensuite à Roncevaux pour y faire ensevelir ses braves. Il voit Roland qui gît sur l'herbe verte; il pleure et se pâme de douleur et se lamente sur une telle perte. L'empereur fait mettre à part le corps, de son neveu, avec ceux d'Olivier et de l'archevêque Turpin, pour les transporter avec honneur chez eux. Mais voici que Baligant, l'émir de Babylonie, est arrivé au secours de Marsile; son armée couvre au loin les hauteurs et les vallées. Il envoie deux messagers à Charles pour lui annoncer la bataille. Le choc est rude; saint Gabriel descend du ciel afin d'assister l'empereur, que Baligant a provoqué en duel. L'émir succombe, et Charles victorieux entre dans Saragosse; les mosquées de la ville sont détruites; plus de cent mille habitants sont faits chrétiens; Marsile, au fond de son palais, en meurt de dépit, et les diables s'emparent de son âme. L'empereur, plein de fierté joyeuse, reprend sa route vers la Gascogne. Il dépose l'olifant de Roland dans l'église Saint-Séverin à Bordeaux, son corps à Blaye. Arrivé à Aix-la-Chapelle, où la belle Aude (Alde), fiancée de Roland, meurt de douleur, il livre Ganelon à la justice. Un conseil se réunit pour juger le traître; celui-ci est défendu en champ clos par son parent Pinabel, contre Thierry, champion de Roland. Pinabel est vaincu; et Ganelon, condamné à mort, est écartelé et meurt en félon et en lâche. Trente de ses parents qui s'étaient se portés caution pour lui sont condamnés, pendus. Dans un songe de Charlemagne, à qui apparaît un ange, ce dernier lui ordonne de se préparer à une nouvelle expédition. Le poème se termine par la conversion de la veuve de Marsile. Eléments critiquesLes personnages.On a parfois voulu établir une comparaison suivie, entre les personnages de l'Iliade et ceux de la Chanson de Roland. Cette comparaison n'est légitime que si l'on tient à constater certaines analogies curieuses. Sans doute, Roland ressemble à Achille, en ce sens que tous deux ils incarnent la vaillance excessive; et Olivier peut être rapproché du troyen Hector, parce que, comme lui, il fait contraste, par son courage raisonné et par sa prudence sans faiblesse, avec la bravoure téméraire et inconsciente. Le duc Naymes peut aussi rappeler le sage Nestor. Mais, poussé plus loin, le parallèle devient artificiel et n'a aucune pertinence. S'ils n'ont donc pas la variété des héros de l'Iliade, les caractères de ce poème sont du moins tracés avec une rare énergie. Roland.
Et de douce France, et des gens de son lignage,Mais il est orgueilleux, et, par sa démesure, il est responsable du désastre. Ni cette bravoure, ni cet orgueil n'excluent la pitié; il aime Olivier; il sait pleurer et soupirer; il est pieux, et n'oublie pas, en mourant, de battre sa coulpe. Ce mélange de force et de délicatesse est incomparable. « Roland, a écrit Nisard, fait toutes choses dulcement et suef ( = doucement et suavement).-»A Olivier, qui le raille, il répond dulcement. C'est mult dulcement qu'il le pleure et que dans un touchant adieu il lui dit : Ensemble avons été et des ans et des jours;Ce caractère n'est donc pas tout d'une pièce; ce n'est pas de lui qu'on peut dire : « Et rien d'humain ne bat sous cette bonne armure. » Il n'est « ni tout à fait bon, ni tout à fait méchant », comme Aristote l'exige du héros tragique. Olivier.
Charlemagne.
Et de fait, « ce roi marchant à la tête d'une armée de croisés, sa barbe blanche étalée sur son haubert étincelant, le regard jeune et fier, malgré ses deux cents ans, apparaît comme un être surnaturel. » (Léon Gautier)Marsile a pour Charlemagne une sorte de terreur superstitieuse, il le croit âgé de deux cents ans. Charlemagne aime ses chevaliers autant qu'il en est aimé; voyez son angoisse quand il entend le cor de Roland, sa douleur quand il retrouve le corps de ses barons, son indignation quand on lui propose de faire, grâce au traître Ganelon. Turpin. Prêtre et soldat, son originalité consiste à ne jamais oublier qu'il est à la fois l'un et l'autre. Après avoir donné aux Francs sa bénédiction, il se bat en preux; quand il entend la dispute de Roland et d'Olivier, il les réconcilie; le dernier, il combat aux côtés du Roland. Sa mort est celle d'un prêtre il bénit les corps rassemblés par Roland. D'un mot sublime, il promet à ces braves, qui meurent pour la bonne cause, de reposer cette nuit-là même au ciel : En paradis, où sont les preux guerriers,Il essaye de secourir Roland qui se pâme, et meurt de cet effort de charité. Ganelon.
Aude.
Le merveilleux.
La langue et le
style.
La syntaxe en est raide et peu variée : là est l'insuffisance réelle de cette langue, dont le vocabulaire n'est pas aussi pauvre qu'on a voulu le dire. Les formules reviennent fréquemment dans les récits et dans les descriptions elles suppléent aux images, qui sont très rares. Évidemment, la poésie de Roland est dans les situations et dans les sentiments, et presque pas dans la forme. Une
appréciation.
« Les beautés dont il étincelle, a dit Gérusez, nous frappent encore sous la rouille d'un langage inculte, sous la négligence d'une versification qui se contente, pour tout élément musical, du repos de l'hémistiche, du nombre régulier des syllabes, et trop souvent d'une assonance imparfaite bien éloignée de la rime. Toutefois l'expression simple et forte y traduit énergiquement de belles pensées et de nobles sentiments... Le caractère exclusivement guerrier et religieux de ce poème, où la galanterie n'a point de place, où le merveilleux se laisse à peine entrevoir, le sentiment de patriotisme qui l'anime, la majesté de Charlemagne toujours respecté, toujours obéi, autorisent la critique à rattacher l'inspiration première de la Chanson de Roland au règne même de ce prince, quand l'autorité royale n'avait reçu aucune atteinte, et quand les efforts de l'héritier des Césars pour constituer l'unité d'une grande nation avaient imprimé le patriotisme au coeur des peuples unis sous sa main puissante. C'est le seul qui ait conservé profondément l'empreinte de ce sentiment de nationalité que les divisions féodales devaient altérer si promptement.-» |
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