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L'Église romaine

Généralités Histoire de l'Église romaine Les Etats de l'Église*
Le premier document qui mentionne d'une manière précise l'Eglise de Rome est l'épître adressée, vers l'an 58, par saint Paul, aux chrétiens de cette ville. Il leur dit qu'il il souhaite fort de trouver une occasion de les aller voir, pour leur faire part de quelque don spirituel, afin qu'ils soient affermis Il est vraisemblable que ces chrétiens étaient judaïsants et qu'ils furent médiocrement reconnaissants des éloges de Paul et du dessein qu'il avait « d'aller cueillir quelque finit parmi eux, comme parmi les autres nations (13) ». Lorsque l'apôtre fut amené prisonnier à Rome, ils le laissèrent sans assistance et sans consolation (1, Colossiens, IV, 11 ; Il, Timothée, IV, 16). Il y serait resté dans l'indigence, si les Philippiens ne lui avaient envoyé des secours (Philippiens, II, 25; IV, 18). 

On ne possède aucun renseignement certain sur la fondation de cette Eglise. La légende catholique l'attribue à l'apôtre Pierre, qui serait allé une première fois à Rome, vers 42 au 43, puis y serait retourné et enfin y aurait été martyrisé, vers 65 ou 66. Il est impossible de trouver dans le Nouveau Testament le moindre texte indiquant ces faits, qu'il serait d'ailleurs fort difficile de concilier avec l'attitude de Paul en son épître aux Romains et le projet qu'elle annonce, et avec les renseignements qu'il donne en d'autres épîtres sur sa propre captivité. Le silence de ces dernières épîtres à l'égard de Pierre serait inexplicableou injurieux, si Pierre avait gouverné l'Eglise de Rome au temps où elles ont été écrites. De même, le silence des Actes des Apôtres (XXVIII, 15, 31) racontant l'arrivée à Rome de Paul, prisonnier, et sa prédication en cette ville. Il n'est pas absolument improbable que Pierre soit mort à Rome; mais les motifs que nous venons d'indiquer et plusieurs autres nous semblent écarter l'hypothèse de la fondation de l'Eglise de Rome par cet apôtre, et celle d'un pontificat ayant duré vingt-deux ou vingt-cinq années. Du reste, l'histoire de ces commencements est fort obscure; à ce point qu'il est impossible de constater avec certitude les noms et d'établir la succession des premiers évêques. Non seulement elle est obscure, mais elle est à peu près nulle; pendant la plus grande partie des deux premiers siècles, elle ne présente guere que des listes de noms. Beaucoup de ces noms sont d'origine grecque ou orientale et concourent avec d'autres indices à démontrer que, pendant plusieurs siècles, cette Eglise contint une, forte proportion d'éléments étrangers, les Romains étant restés longtemps attachés au culte de leurs dieux et de leurs empereurs, qu'ils identifiaient avec la gloire et la prospérité de l'Empire. La première évangélisation de l'Occident, notamment de la Gaule, fut, pour la plus grande part, entreprise par des chrétiens venus d'Orient et opérée sur des immigrés originaires des mêmes contrées. La populaton indigène des villes ne se convertit que lentement; plus lentement encore celle de la campagne. De là, le mot paganisme.

Pendant les premiers siècles, non seulement le nombre des chrétiens de langue latine était faible, en comparaison de I'Eglise grecque, mais l'Eglise latine ne formait guère, quant à l'activité intellectuelle, qu'une dépendance de l'Eglise grecque. Ne possédant pas encore de littérature à elle, elle se rattachait à celle du christianisme oriental. C'est en grec qu'ont écrit les plus anciens auteurs de l'Occident, tels que Clément de Rome et Irénée. Tertullien lui-même avait rédigé plusieurs ouvrages en grec; en sorte que cette langue, dans laquelle les apôtres avaient déjà exprimé les idées chrétiennes, fut longtemps considérée, même dans l'Eglise occidentale, comme le seul organe qui put les rendre d'une manière satisfaisante. Plus tard, tous les conciles oecuméniques jusqu'en 869 furent assemblés dans la partie orientale de l'Empire et rédigèrent leurs canons en grec. De là, le grand nombre de mots provenant de cette langue, introduits et conservés dans le vocabulaire ecclésiastique. Ce n'était pas seulement la définition des dogmes qui se faisait en Orient, c'était aussi leur élaboration. A cet égard, il convient de noter ici une différence essentielle entra le caractère de la théologie ou le tempérament des théologiens dans les deux Eglises. Tandis que les théologiens grecs, notamment les alexandrins, pénétrés consciemment ou inconsciemment de philosophie, se livrent aux spéculations les plus téméraires sur les objets de la métaphysique religieuse, les théologiens latins réprouvent la philosophie, comme la mère des hérésies, et se gardent contre les hardiesses de la pensée; ils acceptent comme inviolables toutes les doctrines transmises par la tradition ou énoncées par les conciles, et ils se contentent de les expliquer et de les défendre. Quand ils se permettent un effort original, ils le font porter sur des sujets pratiques et positifs : apologétique, culte, sacrements, moyens de salut, morale, discipline, gouvernement ecclésiastique. C'est en Afrique, par Tertullien, Cyprien et Augustin, que le latin a été adapté à la théologie. L'oeuvre de ces écrivains, même celle d'Augustin, le plus aventureux, présente le caractère que nous venons d'indiquer; pareillement, celles de Jérôme et de Grégoire le Grand. Cette tendance persista lorsque l'Eglise latine, séparée de l'Eglise grecque, se mit à confectionner des dogmes, à son tour.

Dès la fin du IIe siècle, on trouve en Occident la reconnaissance d'une certaine supériorité de l'Eglise de Rome. Irénée préconise 

« la tradition et la foi prêchée à tous dans l'Église romaine, cette Eglise si grande, si ancienne, si connue de tous, que les glorieux apôtres saint Pierre et saint Paul ont fondée et établie; tradition qui est venue jusqu'à nous par la succession des évêques Il faut qu'à cette Eglise, à cause de son éminente supériorité, se conforme toute autre Eglise, c.-à-d. les fidèles qui sont de toutes parts; parce que la tradition des apôtres y a toujours été observée par ceux qui y viennent de tous côtés. » 
Dans la controverse avec les protestants, les théologiens catholiques nous semblent avoir tiré de ce témoignage des conséquences excessives. Il ne faut ni en amoindrir ni en exagérer la valeur, mais en bien lire le texte. La supériorité reconnue par Irénée à l'Eglise de Rome ne résulte ni de la primauté de Pierre, ni d'un droit de lier et de délier attribué aux évêques de Rome, en qualité de successeurs de cet apôtre, mais du fait que cette Eglise, ayant été, suivant lui, fondée par Pierre et par Paul, a reçu l'enseignement de ces deux apôtres, qu'elle en a été constituée dépositaire et qu'elle en est restée fidèle gardienne. II s'agit ici de transmission, de tradition, nullement de décision ou de juridiction. Cette interprétation est confirmée par la conduite d'lrénée lui-même à l'occasion de faits se rapportant aux diversités qui persistaient encore dans les Eglises. Victor, évêque de Rome, voulait rompre la communion avec les Eglises d'Orient qui, suivant la coutume ancienne, célébraient la fête de Pâques un autre jour que l'Eglise de Rome. Irénée intervint et amena Victor à renoncer à son dessein.

Suivant les copies les plus récentes (suspectes d'interpolation) de ses lettres, saint Cyprien aurait écrit que l'unité sacerdotale provient de la chaire de Pierre et de I'Eglise principale (Epist. LX, ad Cornelium). Mais dans le texte incontesté de son traité Sur l'Unité de l'Eglise, il affirme la complète égalité de tous les apôtres, pari consortio praediti et honoris et potestatis; il professe que l'épiscopat est un et indivisible, et que chaque évêque en possède solidairement une portion. Il sut défendre, avec énergie et avec succès, l'égalité épiscopale. II considérait comme nul le baptême administré par des hérétiques. Au contraire, Etienne, évêque de Rome, le déclarait valable, prétendant énoncer la tradition (nil innovetur). Dans ce conflit, les Eglises de l'Asie Mineure, dont l'opinion fut exprimée par saint Firmillien, évêque de Césarée en Cappadoce, attestèrent que la doctrine de Cyprien était conforme à la vérité et à la coutume. Elle fut solennellement adoptée par un concile de Carthage (256). Dans une allocution adressée à ce concile, Cyprien, réprouvant les prétentions et les procédés de l'évêque de Rome, disait : Il n'y a parmi nous aucun évêque s'établissant l'évêque des autres évêques, et réduisant par une terreur tyrannique ses collègues à la nécessité de lui obéir. Chaque évêque jouit de son propre arbitre, pro licentia libertatis et potestatis, tanquam judieari ab alis non possit, cura nec i se possit alterum judicare (V. Conciles de Carthage). 

Dans la querelle des deux Denys (V. Denys, pape, et Denys, évêque d'Alexandrie) ces évêques discutent, sur le pied d'une parfaite égalité. Au IVe siècle et au commencement du Ve, les évêques de Rome, écrivant à d'autres évoques, prenaient encore et tout simplement le titre d'évêque de la ville ou d'évêque de l'Église de Rome.
Parmi les causes qui ont concouru à l'extension de l'autorité des évêques de Rome, la première, suivant nous, est ce fait, attesté par l'histoire des premiers siècles, que l'importance des évêques était généralement proportionnée à l'importance de la ville où leur siège était placé. La seconde appartient au même ordre de faits, et résulte de l'établissement et du développement, avec ou sans ce nom, du régime métropolitain. Le VIe canon du concile de Nicée (325) constate que le pouvoir de l'évêque de Rome s'exerçait déjà sur les régions suburbicaires, et il reconnaît à l'évêque d'Alexandrie un pouvoir analogue sur l'Egypte, la Lybie et la Pentapole. Il ajoute que les droits et les privilèges de l'Église d'Antioche et des autres Eglises seront pareillement conservés. Les régions suburbicaires comprenaient la Campanie, la Toscane avec l'Ombrie, le Picenum, la Sicile, la Calabre avec l'Apulie, la Lucanie avec le Brutium, le Samnium, la Sardaigne, la Corse, la Valérie; elles ne s'étendaient pas au delà du golfe de Spezia, au Nord, et de l'embouchure du Rubicon, à l'Est, laissant eu dehors Aquilée, Ravenne et Milan. Telle était aussi la circonscription de ce qui fut appelé le Synode romain. Le texte grec du VIe canon de Nicée ne mentionne nullement la primauté du siège de Rome; mais une copie latine portait cette addition : l'Eglise romaine a toujours eu la primauté. L'interpolation fut signalée au concile de Chalcédoine, lors de la lecture du texte, à la confusion des légats romains (Mansi, Sacrosancta concilia, t. XX, p. 168).

Aux causes précédemment indiquées il convient d'ajouter, d'une part, la propagation, la consolidation de la légende de Pierre et l'emploi hardi qu'en firent les évêques de Rome; d'autre part, le besoin instinctif, dès que le christianisme fut devenu la religion de I'Etat, de faire refléter dans l'Église l'image de l'Empire. Dans ces conditions, le siège de Rome se trouvait naturellement désigné pour l'honneur suprême. Le principe de l'appel à Reine, en faveur des évêques, même contre les synodes provinciaux, fut admis par le concile de Sardique (347); mais les orientaux ont toujours protesté contre ce concile, auquel ils avaient refusé d'assister (V. Arianisme). L'Eglise d'Afrique réprouva longtemps et énergiquement ce qu'elle nommait les appellations d'outremer. Persistant dans la doctrine de Cyprien, elle décida qu'aucun primat quelconque ne pourrait être appelé prince des prêtres, ni souverain pontife. 

Le canon Ill du concile oecuménique de Constantinople (381) statua que l'église de cette ville aurait la préséance d'honneur, après l'Eglise de Rome. En résumé, les quatre premiers siècles s'écoulèrent sans que la suprématie effective de Rome fût positivement reconnue. Saint Jérôme lui-même, exposant la nécessité d'une autorité centrale et unique, la montre dans le chef de chaque subdivision de l'organisme ecclésiastique, évêque, archidiacre, archiprêtre; mais il ne parle pas de l'évêque de Rome et n'ose pas l'indiquer comme le chef de l'Eglise entière (Ad Rusticum). Tertullien, Cyprien, Lactance, avaient ignoré les droits particuliers de l'évêque de Rome; ils ne parlent jamais d'un droit supérieur qui lui aurait appartenu en matière de doctrine. Chez les principaux écrivains de l'Eglise grecque, Eusèbe, Athanase, Basile le Grand, les deux Grégoire, les deux Cyrille, on ne peut trouver un seul mot sur ces privilèges; non plus chez les Latins Hilaire, Pacien, Zénon, Lucifer, Sulpice, Ambroise. Dans sa controverse avec les donatistes, Augustin se tait sur la nécessité de la communion avec Rome comme  centre de l'unité, argument qui aurait été d'une valeur décisive. Aucun des Pères du IVe et du Ve siècle, traitant exégétiquement les passages de l'Evangile relatifs à Pierre (S. Matthieu, XVI, 18 ; S. Jean, XXI, 18), n'en fait l'application aux évêques de Rome, comme successeurs de Pierre.

Dès le commencement du Ve siècle, Innocent Ier, s'appliqua à revendiquer et à exercer l'autorité qu'il prétendait lui appartenir, à titre de successeur de saint Pierre. II fut imité par ses successeurs et dépassé par Léon le Grand (440-461): Le concile oecuménique de Chalcédoine (451) rappela aux évêques de Rome que leur siège devait la préséance qui lui avait été précédemment reconnue à la situation politique de la ville. En son XXVIIIe canon, il déclara que 

« le Très-Saint Siège de la nouvelle Rome (Constantinople) devait jouir des mêmes privilèges que celui de l'ancienne Rome... La ville honorée de la couronne et du Sénat, qui jouit des mêmes honneurs que l'ancienne Rome, doit être glorifiée dans les affaires de l'Eglise autant qu'elle, étant la première après elle. ».
Suivant les instructions qu'ils avaient reçues, les légats protestèrent à Chalcédoine. Léon déclara ce canon nul et le cassa. Ses successeurs persistèrent dans cette opposition. Néanmoins, la décision du concile, qui conformait la condition de l'Eglise à celle de l'Empire et qui appliquait aux mêmes situations la même règle, reçut son entier effet. Elle a déterminé depuis lors le régime de l'Eglise d'Orient, en même temps que sa conduite et sa doctrine à l'égard des prérogatives de Rome. L'obstination des papes à n'en point tenir compte fut la cause originelle, la cause profonde du schisme d'Orient.

En 455, Léon le Grand obtint de Valentinien III, empereur d'Occident, un édit qui soumettait absolument à l'évêque de Rome tous les évêques de son Empire. Cet édit est motivé sur le canon du concile de Sardique précédemment mentionné; sur l'importance politique, de Rome et surtout sur les prérogatives de saint Pierre, argument favori de Léon; il ordonne aux officiers impériaux de contraindre les évêques à l'obéissance. Mais ces officiers auraient été fort empêchés, s'ils avaient voulu prêter main-forte aux prétentions du siège romain. L'empire d'Occident était disloqué; les Vandales occupaient l'Afrique, les Baléares, la Sicile, la Corse, la Sardaigne et saccageaient Rome; les Wisigoths tenaient l'Espagne et le midi de la Gaule; auprès d'eux, les Burgondes. Tous ces conquérants étaient ariens. Les Francs, qui se trouvaient dans les provinces du Nord, étaient encore païens. La Bretagne était abandonnée depuis près de cinquante ans. D'ailleurs, les chrétiens bretons se considéraient comme absolument indépendants de Rome. Ils montrèrent cette indépendance lorsque Grégoire ler envoya chez eux des missionnaires pour convertir les Anglo-Saxons. 

L'organisation normale des Eglises de ces contrées était ce que nous appellerons l'organisation métropolitaine-synodale, commune, en ses traits princi paux, à toutes les Eglises de la chrétienté; diversifiée, en des particularités accessoires, par des coutumes locales. Ses divisions avaient été adaptées à celles de l'Empire. Au chef-lieu de chaque province, un évêque, qui était le président des autres; lorsque l'un d'eux mourait, il convoquait les évêques du voisinage pour la consécration de son successeur; il certifiait aux autres Eglises de la catholicité la validité de l'élection et de la consécration, et, au besoin, les défendait contre les contestants, ce qui aboutit au droit de confirmation. Le canon IX du concile d'Antioche, tout en réservant les droits de chaque évêque pour les matières concernant exclusivement son diocèse, exige dans toutes les assemblées délibérant sur des questions d'intérêt général la présence du métropolitain. Celui-ci présidait les conciles qui devaient se tenir deux fois par an pour statuer sur les accusations portées contre les évêques, et sur les appels de leurs décisions; il veillait à l'exécution des résolutions. Lorsque la nécessité en apparaissait, les évêques de plusieurs provinces et même tous ceux d'une même contrée se réunissaient en des conciles que dirigeait l'un de leurs métropolitains. Chaque région avait certaines ordonnances et certains usages particuliers, non seulement pour l'administration et la discipline, mais aussi pour le culte et la liturgie. Toutes, d'ailleurs, professaient un religieux attachement à la tradition catholique et acceptaient les définitions doctrinales des conciles oecuméniques.

Ce régime, qui suffisait au gouvernement des Eglises, ne faisait aucune part à la juridiction des évêques de Rome. Cependant Hilaire, successeur de Léon (461-467), adressa aux évêques de la Gaule une lettre dans laquelle il exprimait des prétentions impliquant une autorité, non seulement universelle, mais immédiate (Thiel, Rom. pont. Epist., I, 141-146). Les évêques de Rome avaient déjà pour eux le prestige qui entourait le nom de leur ville, encore plus grand, peut-être, aux yeux des barbares qu'aux yeux des populations latinisées; la recrudescence du sentiment romain et catholique, stimulé par le ressentiment contre les conquérants ariens; la succession de saint Pierre, alors généralement admise; par conséquent, le caractère apostolique, que leur siège possédait seul en Occident. Ce titre incontesté leur valait d'être consultés sur les questions qui ne pouvaient être bien résolues qu'en connaissance exacte de la doctrine et de la coutume apostoliques. Leurs réponses ont reçu le nom de décrétales. La plus ancienne ne remonte pas au delà de la dernière partie du IVe siècle. A ce propos, on a remarqué que les évêques romains des quatre premiers siècles, dont les successeurs se prétendent les organes suprêmes et infaillibles du dogme, ont laissé passer les nombreuses occasions que leur offraient les hérésies de leur temps, sans promulguer aucune décision définissant la foi de l'Eglise.

En Orient, les métropolitains étaient confirmés et consacrés par les exarques ou les patriarches; en Occident, ils étaient consacrés par les autres évêques de leur province. Lorsque Rome voulut exercer le pouvoir patriarcal sur tout l'Occident, elle émit la prétention de sanctionner la nomination des métropolitains par la remise du pallium. Dès le VIe siècle, un pape (nous donnerons désormais ce titre aux évêques de Rome, quoiqu'il semble que ce fût seulement à la fin du VIe siècle qu'il leur fut attribué exclusivement en Occident avec la signification de pater patrum), un pape avait envoyé le pallium à l'évêque d'Arles comme insigne de la qualité qu'il lui attribuait de vicaire perpétuel du saint-siège dans la Gaule. Grégoire le Grand fit de même à l'égard de certains autres métropolitains. Néanmoins ceux-ci n'étaient pas obligés d'attendre le pallium pour exercer leurs fonctions. Ce fut seulement au concile de Francfort (742) que Boniface, légat de Zacharie, obtint une décision obligeant les métropolitains à solliciter le pallium et à obéir aux ordres légitimes du pape. Cette exigence fournit plus tard l'occasion d'imposer aux métropolitains une promesse d'obéissance, que Grégoire VII transforma en un serment formel de vassalité dont les termes furent empruntés au droit féodal séculier. Elle devint aussi une source féconde de revenus : au XVe siècle, les métropolitains allemands payaient vingt mille florins pour la réception du pallium.

Au nom de Boniface , apôtre de la Germanie, que nous venes de mentionner, doit se rattacher l'indication de deux causes qui ont puissamment contribué à développer la domination des papes : la conversion des peuples restés païens, par des missionnaires envoyés de Rome ou s'y rattachant, et l'alliance de la papauté avec les Carolingiens. Les Eglises formées en Germanie par Boniface et ses compagnons avaient été organisées en vue de la soumission au siège de Rome. Il en avait été de même de celles qui avaient été précédemment fondées chez les Anglo-Saxons par Augustin. En conquérant une partie de la Germanie au christianisme, Boniface, comme on l'a dit, avait travaillé à la fois pour les princes austrasiens et pour l'Eglise romaine. D'autre part, ce fut Boniface que Zacharie chargea de sacrer Pépin roi de France. La réciprocité, la communauté d'intérêts qui devaient unir les papes et les Carolingiens, et les résultats de leur alliance relativement à l'Eglise et à l'Empire sont des faits trop connus pour qu'il soit nécessaire de les exposer ici. Pour deux épisodes fort instructifs de cette histoire et qui consistent en deux faux célèbres : la Lettre de saint Pierre aux Francs et la Donation de Constantin.

 Ce n'est pas sans raison que les théologiens et les canonistes gallicans ont attribué aux Fausses Décrétales l'origine d'un changement profond, quelques-uns même disent d'une révolution, dans la discipline et le gouvernement des Eglises d'Occident. Non seulement elles ajoutaient à la primauté des papes la juridiction universelle et soumettaient à leur arbitre les métropolitains et les conciles particuliers, mais elles montraient le siège de Rome possédant et exerçant, dès le commencement de l'Eglise, les prérogatives qu'elles lui adjugeaient frauduleusement. Les papes étaient restés étrangers à la fabrication des Fausses Décrétales, mais ils s'empressèrent d'en profiter. Dès 864, Nicolas Ier s'en servit, à l'occasion de l'appel de Rothade, évêque de Soissons, contre Hincmar, archevêque de Reims, pour établir qu'aucun concile ne pouvait se réunir sans l'assentiment du pape : innovation manifeste, car les nombreux conciles tenus en Gaule et en France depuis le IVe siècle avaient été convoqués sans qu'on se fût adressé à Rome. On dit même que Nicolas prétendit que les originaux des Fausses Décrétales se trouvaient dans les archives romaines. 

Jean VIII obtint de Charles le Chauve l'acceptation des canons d'un concile tenu à Ravenne (877), décidant que désormais l'investiture des métropolitains serait soumise à l'approbation pontificale. 

Après avoir amoindri l'autorité et la juridiction des métropolitains, les papes s'emparèrent d'une partie de la juridiction de tous les évêques indistinctement, en s'appropriant certains de leurs justiciables et certaines de leurs causes. 

A part quelques cas peu importants, intéressant spécialement les églises d'Italie ou de Germanie directement soumises au siège de Rome, la première des exemptions fut établie en faveur de la congrégation de Cluny. Des privilèges analogues furent accordés successivement à toutes les congrégations on ordres quelque peu considérables, et même à des chapitres de cathédrale. Ils finirent par s'étendre sur presque tout le clergé régulier, dont ils firent une milice dévouée aux papes et qui les aida puissamment dans leurs entreprises contre la simonie et le concubinage des prêtres, contre les princes et l'Empire, contre les évêques et les Eglises nationales. 

De 1049 à 1052, Léon IX présida six conciles en France, en Allemagne et en Italie. L'un d'eux, tenu à Reims (1049) malgré l'opposition du roi Henri Ier, déclara que l'évêque de Rome est le primat apostolique de l'Eglise universelle. Léon déposa quelques prélats coupables de simonie et excommunia ceux qui s'étaient abstenus d'assister au concile. 

Sous son successeur, Victor II, s'accomplit définitivement, par excommunication réciproque (1054), le schisme d'Orient. 

En conséquence du schisme de 1054, l'Eglise orientale resta étrangère aux grands conciles du Moyen âge, tenus depuis 1123, et que la plupart des historiens classent parmi les conciles oecuméniques. Ces assemblées ne furent en réalité que des conciles généraux de l'Eglise latine. D'ailleurs, leur caractère diffère profondément de celui des anciens conciles oecuméniques. Les papes s'en servent pour associer les Eglises à leur cause; mais ils les convoquent seuls et les réduisent au rôle d'assemblées consultatives. Les décisions sont préparées et prises par eux; le concile les écoute, et elles sont publiées, sacro approbante concilio.

D'après les idées exprimées par Grégoire VII dans ses lettres et résumées dans les propositions du Dictatus Gregorii, l'Eglise romaine n'a jamais erré dans le passé; jamais elle n'errera dans l'avenir. Le pontife romain, canoniquement consacré, devient saint par le mérite de l'apôtre Pierre, dont il est le successeur. Lui seul peut être appelé le pontife universel. Il ne peut être jugé par personne, mais il juge tous les autres, et nul ne peut appeler de sa sentence. Selon la nécessité des temps, il peut faire des lois sur l'organisation ecclésiastique. Il peut déposer et transférer tous les évêques; lui seul le peut. Ses légats ont la, préséance dans les conciles. Aucun concile n'est oecumnique s'il n'est convoqué par lui. Celui qui est investi de ces pouvoirs dans l'ordre spirituel doit, à plus forte raison, les exercer dans le domaine temporel; il peut déposer les empereurs et les rois, et délier de leur serment de fidélité les sujets des princes qu'il a condamnés.

 Cette doctrine fut juridiquement libellée et amplifiée par Anselme de Lucques, Bonizon et d'autres canonistes grégoriens de ce temps-là, reproduisant les falsifications et les erreurs de fait déjà indiquées et en ajoutant d'autres. Gratien les dépassa; il écrit que « la sacro-sainte Eglise romaine communique le droit et l'autorité aux canons, mais qu'elle n'est point liée par eux... Ita ergo auctoritatem sacris canonibus praestat, ut se ipsam non subjiciat eis. Quand les papes y obéissent, ils font comme Jésus, qui obéissait à la loi, tout en étant et en restant le maître de la loi. Nonnunquam vero, seu jubendo, seu definiendo, seu aliter agendo, se decretorum dominos et conditores ostendunt (Causa XXV, quaest. I, c. 11, 12, 16). On sait quelle autorité Gratien exerçait. Par les soins de la cour de Rome, son livre devint bientôt le code et le traité juridique de l'Occident. Toute la législation des décrétales de 1159 à 1320 est édifiée sur le Decretum. Il en est de même de la dogmatique de Thomas d'Aquin sur les sujets correspondants. Du reste, toute la dogmatique scolastique, concernant la constitution de l'Eglise, se soumettait entièrement à la jurisprudence. 

Il avait suffi à Grégoire VII et à Alexandre III d'être appelés vicaires de saint Pierre, Innocent III dédaigna d'être le vicaire d'un simple homme : il se qualifia de vicaire de Dieu ou de Jésus-Christ. De ce titre, des glossateurs déduisirent que ce que fait le pape est fait par Dieu lui-même. Il peut changer la nature des choses, en appliquant aux unes les propriétés substantielles des autres, par exemple, changer l'injustice en justice. Ce qui est condamnable de la part des autres humains ne l'est plus si l'auteur est le pape « En cour de Rome, il n'y a point de simonie. » Il a le droit de donner toute espèce de dispenses; il peut même en accorder pour des infractions futures. 

Dépassant encore Grégoire VII sur un autre point, Innocent III posa en principe que, le pape seul ayant la plénitude de la puissance, tous les évêques ne sont institués que pour expédier, en qualité d'aides ou d'assistants, la portion des affaires qu'il veut bien leur confier. Cette prétention, qui correspond au titre d'évêque universel, abaisse tous les évêques au niveau de simples serviteurs, auxquels le pape communique telle portion de son autorité qu'il juge convenable; ils ne peuvent pas même résigner leurs fonctions sans être déliés par lui des liens qui les attachent à leur église. Jean XXII en vint même à formuler la règle qua la nomination à l'évêché vacant appartient au pape. Anciennement, un évêque pouvait se démettre de son office lorsque sa conscience le lui conseillait; cette résignation avait lieu ordinairement dans les conciles provinciaux.
Après s'être emparé de tout le spirituel de l'Eglise, les papes entreprirent de s'approprier le temporel des églises; Ils avaient commencé par pousser au partage de leurs biens on favorisant la constitution distincte des bénéfices, puis ils en envahirent subrepticement la collation; enfin, ils s'en déclarèrent les maîtres, ainsi que de tous domaines ecclésiastiques. 

Le clergé des Eglises nationales se montra plus sensible à la diminution de ses avantages temporels qu'à celle de ses prérogatives spirituelles. En plusieurs pays, notamment en France, il sentit le besoin de s'associer à la résistance des princes, menacés ou frappés par les papes dans les droits de leur souveraineté temporelle ou dans ceux dont ils avaient acquis la possession sur les choses on les affaires de leurs églises. Déjà, les empereurs avaient pu réunir des conciles condamnant et déposant le pape; ils avaient trouvé; même dans les ordres monastiques, des théologiens pour réfuter les prétentions de Rome. Cette résistance prit un caractère désisif dans la lutte entre Philippe le Bel et Boniface VIII. Ce pape, qui avait entrepris d'appliquer, en leurs dernières conséquences, les maximes proclamées à Rome et de couronner l'oeuvre de Grégoire VII et d'Inno cent III, en imposant à tous les princes chrétiens sa souveraineté absolue, tant dans l'ordre temporel que dans l'ordre spirituel, fut vaincu; et l'insuccès de ses efforts, pour porter la papauté au sommet de la puissance, la précipita dans une décadence dont elle ne s'est jamais relevée complètement. Le pontificat qui succéda au sien ne dura que neuf mois. Il y eut ensuite un interrègne de plus de huit mois; puis le siège apostolique fut transféré en France, où il resta pendant ces soixante-huit années (1309-1377), qui ont été appelées la Captivité de Babilone et qui aboutirent au grand schisme d'Occident : 1378-1429.

Le schisme de la papauté obligea l'Église à chercher un tribunal supérieur, qui pût juger les papes rivaux. On le trouva dans le concile général, juridiction déjà réclamée au XIVe siècle, par Philippe le Bel, Louis de Bavière et les franciscains rigides, dans leurs conflits avec Rome. Un concile, convoqué par les cardinaux des deux papes, se réunit à Pise en 1409. II s'y trouva vingt-deux cardinaux, plus de deux cents archevêques et évêques assistant en personne ou représenté, près de trois cents abbés et prieurs, les généraux des ordres mendiants, les supérieurs des autres congrégalions monastiques, les grands maîtres des ordres chevaleresques, les députés d'une centaine de chapitres et ceux des universités françaises, anglaises, allemandes, italiennes; plus de trois cents docteurs en théologie ou en droit canon, les ambassadeurs des rois et des princes. Grégoire XII et Benoît XIII, invités à comparaître, protestèrent et s'abstinrent. Le concile, stimulé par un mémoire amplement motivé de Gerson, De auferibilitate papae ab Ecclesia, les déposa comme hérétiques et schismatiques, coupables de crime de parjure, scandalisant l'Eglise de Dieu par leur obstination manifeste. Alexandre V fut élu pour les remplacer et reconnu par les Eglises de France, d'Angleterre, d'Allemagne, du Portugal, de Bohème, de Hongrie, de Pologne, des royaumes du Nord, de la plus grande partie de l'Italie, et même par l'Eglise de Rome, qui reçut comme légitime Jean XXIII, son successeur immédiat.

Cependant, les papes déposés conservaient des partisans, et, d'autre part, Jean XXIII scandalisait la chrétienté par ses vices et s'aliénait ses adhérents par ses exactions. L'Université de Paris, l'empereur Sigismond et la grande majorité des catholiques réclamèrent, avec une insistance menaçante, la convocation d'un second concile général, pour abolir définitivement le schisme et pour réformer l'Église dans son chef et dans ses membres: Jean XXIII se résigna à le convoquer à Constance (1414-1418). Dès sa IVe session (20 mars 1415) ce concile décréta qu'étant un 

« concile général, légitimement assemblé au nom du SaintEsprit, il représentait l'Église militante, qui a reçut immédiatement de Jésus-Christ une puissante à laquelle toute personne, de quelque état et de quelque dignité que ce fût, même papale, était obligée d'obéir en tout ce qui appartenait à la foi, à l'extirpation du schisme et à la réformation de l'Église dans son chef et dans ses membres».


Dans sa Xe session (14 mai), il déclara Jean XXIII contumax, atteint et convaincu de soixante-dix chefs d'accu sation, et le suspendit de toutes ses fonctions de pape et de toute administration, tant spirituelle que temporelle. Dans la XIIe session (29 mai), ce pape fut formellement déposé 

« comme notoirement simoniaque, dissipateur des droits et des biens de l'Église romaine et des autres Eglises, ayant mal administré le temporel et le spirituel, scandalisé le peuple chrétien par ses moeurs déréglées, et persévéré dans cette mauvaise conduite, de manière à se montrer incorrigible ».
 II fut condamné à être enfermé sous la garde de l'empereur aussi longtemps que le concile le jugerait convenable. Le 4 juillet 1415, fut reçue et approuvée la renonciation de Grégoire XII, présentée par son mandataire, Charles de Malatesta, seigneur de Rimini, en des formes qui revendiquaient la légitimité antérieure des fonctions qu'il abdiquait. Le concile mit cet ex-pape au nombre des cardinaux. Benoît XIII, s'obstinant à résister, fut condamné dans la XXXVIle session (26 juillet 1417) comme parjure, ayant scandalisé l'Eglise universelle, fauteur de schisme et de division, indigne de tout titre; en conséquence, déposé et dégradé de tous ses offices et dignités. Dans la XXXIXe session (9 octobre 1417, cinq décrets. Le premier sur la nécessité de tenir tous les dix ans des conciles pour prévenir les hérésies et les schismes. Le second regarde les schismes : il ordonne que, lorsqu'il y aura deux contendants à la papauté, le concile se tienne l'année suivante, et que les contondants soient suspens de toute administration dès que le concile sera commencé. La troisième règle la profession de foi qui devra faire le pape élu, en présence des électeurs. Dans cette profession étaient les huit premiers conciles oecuméniques : Nicée, Constantinople, Ephèse, Chalcédoine, Constantinople, Constantinople, Nicée, Constantinople; en outre, les conciles latins de Latran, Lyon et Vienne. Le quaatrième décret défend la translation des évêques sans une extrême nécessité et proscrit que le pape n'en fasse aucune que du conseil des cardinaux et à la pluralité des voix. 

Dans la XLe session (30 octobre 1417), il fut décidé que le nouveau pape ferait, d'accord avec le comité, une réforme Sur dix-huit articles, dont le treizième concerne les cas dans lesquels on peut corriger un pape et le déposer et comment. 

Les réformes ainsi projetée ne furent arrêtées que sur quelques articles exemptions, dispenses, simonie. Pour d'autres, le pape fit des concordats particuliers, mais presque identiques, avec les Français, les Anglais et les Allemands. 

Après avoir délivré l'Église de ses trois papes, le concile avait décrété la nomination d'un autre, qui serait, pour cette fois, élu dans un conclave comprenant les cardinaux avec adjonction le six prélats ou ecclésiastiques de chaque nation (française, anglaise, italienne, allemande, espagnole). Le 4 novembre, Otto Colonna fut élu et prit le nom de Martin V. Avant de le couronner, il fallut le sacrer prêtre, puis évêque. Entre la XLIIe et la XLIIIe session, il publia une bulle portant que celui qui sera suspect d'hérésie, devra jurer qu'il reçoit tous les conciles généraux et en particulier celui de Constance, représentant l'Eglise universelle, et que tout ce que le concile a approuvé et condamné doit être approuvé et condamné par tous les fidèles (Labbe, Sacrosancta Concilia, t. XII, p. 258).

Dans la XLIVe session de Constance, Martin V avait fait lire une bulle dans laquelle, pour satisfaire à un des décrets précités, il désignait, avec le consentement des pères, la ville de Pavie pour la tenue du prochain concile; cinq ans après. Ce concile, ouvert à Pavie, fut transféré à Sienne, à cause d'une peste. Il eut peu d'assistants. Les dangers dont l'Eglise était menacée par les hussites décidèrent Martin V à convoquer un concile général pour le mois de mars 1431, dans la ville de Bâle. Ce pape mourut avant l'ouverture. Son successeur, Eugène IV, élu le 8 mars, jura d'entreprendre avec le concile la réforme « de la cour de Rome dans son chef et dans ses membres », ainsi que celle « de l'Eglise, quant à la foi, la vie et les moeurs ». La première session générale eut lieu le 14 décembre 1431. Dans la seconde (15 février 1432), le concile confirma et renouvela les décrets de Constance sur la convocation et la suprématie des conciles généraux. Il les dépassa bientôt et considérablement, entreprenant d'exercer la souverai neté ecclésiastique dans toute son étendue et s'immisçant même dans le gouvernement des possessions du pape. Finalement (25 juin 1439), il déposa Eugène IV et élut un antipape (Félix V), qui reçut l'adhésion empressée de la plupart des universités, mais qui ne fut reconnu que par la Savoie, les rois d'Aragon et de Hongrie, les ducs de Bavière et d'Autriche et la Confédération suisse. L'histoire de ce long concile (1434-1449) est celle d'un conflit presque incessant avec la papauté, tantôt sourd, tantôt éclatant.

Avant la déposition d'Eugène IV, l'Eglise et le royaume de France avaient accueilli aveu grande faveur les décrets du concile. Les vingt-trois articles de la pragmatique sanction de Bourges, édictée le 7 juillet 1438, enregistrée le 13 juillet 1439 n'en sont guère que la reproduction, intégrale pour la plupart, accommodée pour quelques autres, aux temps, moeurs et personnes du royaume, mais avec déclaration expresse que ces modifications n'avaient pas pour objet de mettre en doute la puissance du concile. 

Principales dispositions :

I. Les conciles généraux seront célébrés tous les dix ans. Le pape, de l'avis du concile finissant, désignera le lieu de l'autre concile, lequel ne pourra être changé que pour de graves raisons, et par le conseil des cardinaux... Cette sainte assemblée tient sa puissance immédiatement de Jésus-Christ. Toute personne, même de dignité papale, y est soumise... Tous doivent y obéir, même le pape, qui est punissable, s'il y contrevient... Le concile ne peut être dissous, ni transféré, ni prorogé, par personne, pas même par le pape, sans le consentement des pères.
 Il. Il sera pourvu aux dignités des églises cathédrales, collégiales et monastiques, par voie d'élection; le pape, au jour de son exaltation, jurera d'observer ce décret...

III. Toutes réserves de bénéfices, tant générales que particulières, sont abolies (sauf quelques exceptions spécifiées dans la Pragmatique).

 IV. Les expectatives faisant souhaiter la mort d'autrui et donnant lieu à une infinité de procès, les papes n'en accorderont plus dans la suite (sauf certaines exceptions spécifiées).

V . Toutes les causes ecclésiastiques des provinces à quatre journées de Rome seront terminées dans le lieu même, hors les causes majeures et des églises qui dépendent immédiatement du Saint-Siège. Dans les appels, on gardera l'ordre des tribunaux; jamais on n'appellera au pape, sans passer auparavant par le tribunal intermédiaire. IX. On n'exigera plus rien, soit en cour de Rome, soit ailleurs, pour la confirmation des élections, ni pour toute autre disposition en matière de bénéfices, d'ordres, de bénédictions, de droits de pallium; et cela sous quelque prétexte que ce soit, de bulles, de sceau, d'annates, de menus services, de premiers fruits et de déports. On se contentera de donner un salaire convenable aux scribes, secrétaires et copistes des expéditions. Si quelqu'un contrevient à ce décret, il sera soumis aux peines portées contre les simoniaques. Si le pape venait à scandaliser l'Eglise en se permettant quelque chose contraire à cette ordonnance, il faudra le déférer au concile général. 

XXIII. Conclusion de l'Église gallicane pour la réception des décrets de Bâle, avec les modifications apportées. Les évêques prient le roi d'accepter tout ce corps de discipline, de le faire publier dans son royaume et d'obliger les officiers de son parlement et des autres tribunaux à s'y conformer ponctuellement.

Les décrets reproduits par la Pragmatique, à l'exception de deux, les plus modérés (De collationibus et De causis), édictés après la rupture définitive, avaient été implicitement approuvés par Eugène IV, en conséquence d'un accord qu'il avait fait avec le concile. Mais en réalité, ils renversaient l'édifice élevé par la papauté avec tant de hardiesse, d'habileté et de persévérance. Ruinant tout leur système gouvernemental et financier, ils ne laissaient guère aux papes qu'une primauté subordonnée et une juridiction lointaine et gratuite. Es laissaient aussi fort peu de chose aux princes. Les papes et les princes s'entendirent pour reprendre et partager ensemble ce que l'oeuvre de Bâle avait rendu à l'Eglise et aux Eglises. Néanmoins, plusieurs Eglises, notamment celle de France, restèrent longtemps attachées fermement aux maximes fondamentales énoncées à Constance, dans le décret relatif à la suprématie des conciles généraux. 

D'autre part, les exactions des papes, la réclamation faite par eux aux Anglais de trente-trois années arriérées du tribut auquel ils prétendaient sur leur pays, l'ébranlement occasionné par le schisme, et vraisemblablement aussi, les moeurs du clergé, les abus entachant certaines institutions, certaines doctrines et certaines pratiques, avaient provoqué des soulèvements de pensée et de conscience, des prédications et des écrits attaquant non seulement la papauté, mais toute la conduite et toute la hiérarchie de l'Eglise, et réclamant le retour au christianisme primitif, dans la doctrine, la constitution et le culte. Ces premiers mouvements furent violemment réprimés. Le concile de Constance ordonna de brûler les écrits et les ossements déterrés de Wiclef, et lui-même fit brûler Jean Huss et Jérôme de Prague; les lollards furent exterminés en Angleterre et les hussites comprimés en Bohème. Mais les aventures politiques des papes, et des pontificats tels que celui d'Alexandre VI, ne pouvaient relever le prestige de l'Eglise, dont la plus haute représentation était la papauté. Précisément au moment où Léon X venait de conclure avec François Ier le concordat qui les débarrassait de la Pragmatique sanction, la protestation de Luther contre le trafic des indulgences émises par le pape commença une révolution qui devait enlever à l'Eglise catholique romaine plusieurs contrées de l'Europe et peupler d'adversaires les meilleures parties du monde nouvellement découvertes (V. Protestantisme).

Vers le même temps, se formait un ordre nouveau, qui devint bientôt une puissance dans le monde et dans l'Eglise et qui contribua singulièrement à arrêter les progrès du protestantisme, la Société de Jésus, vouée à la proclamation de l'infaillibilité et au service de la souveraineté absolue du pape. Le succès définitif de cette partie de son oeuvre se fit longtemps attendre. Le concile de Trente n'arrêta aucun canon décisif sur l'autorité suprême dans l'Eglise, le pape et les prélats devant s'unir pour résister à l'ennemi commun et écarter toutes les questions qui pouvaient les diviser. En France, les rois, le clergé et les parlements persistèrent à affirmer et à défendre contre les papes les libertés de l'Eglise gallicane. Leurs maximes prévalurent dans toutes les monarchies appartenant à la maison de Bourbon; elles furent dépassées en Allemagne, en Toscane, à Venise et au Portugal. L'ordre des jésuites fut supprimé par le pape lui-même. A la fin du XVIIIe siècle, la cause de la suprématie plénière de la papauté semblait perdue. Elle fut sauvée par les changements que la Révolution amena en France et en plusieurs autres contrées dans le régime des églises. Dépouillé de la totalité ou de la plus grande partie de ses biens, exclu de la participation directe aux affaires publiques, le clergé n'avait plus à défendre les droits de l'Etat ou son propre patrimoine contre les entreprise de Rome. D'ailleurs, en perdant les assemblées où ses députés se réunissaient périodiquement, il avait perdu son centre, sa cohésion, sa représentation, en quelque sorte, une partie de sa taille. Il se trouvait composé de fonctionnaires plus ou moins isolés, salariés sur le budget et recrutés d'ordinaire dans des familles fort humbles. Dans ces conditions, il était naturellement induit à chercher le prestige du lointain, à tirer du dehors le lustre qui lui faisait défaut au dedans et à demander à l'Eglise de Rome ce qui manquait à l'Eglise de sa nation. D'autre part, entouré de sceptiques ou d'adversaires, il devenait dangereux pour lui de prolonger l'incertitude ou de continuer le débat sur la question de l'autorité suprême; et, puisqu'il fallait opter, il était expédient de se rallier à la doctrine du plus obstiné, laquelle, d'ailleurs, rehausse l'Eglise, dans son représentant le plus en vue.

Le 18 juillet 1870 fut décrétée, dans le concile du Vatican, la constitution Pastor Aeternus, qui consacre toutes les prétentions de la papauté. En voici, littéralement extraites, les principales dispositions :

« Tous les fidèles sont obligés de croire que le Saint-Siège Apostolique et le Pontife romain ont la primauté sur le monde entier; que le même Pontife romain est le successeur du bienheureux Pierre, prince des Apôtres, le vrai Vicaire de Jésus-Christ, le chef de toute l'EgIiLse, le père et le docteur de tous les chrétiens, et qu'à lui a été confié, par Notre-Seigneur Jésus-Christ, le plein pouvoir de paître, de régir et de gouverner l'Eglise universelle... 

L'Eglise romaine, par une disposition divine, a la principauté de pouvoir ordinaire sur toutes les autres Eglises. Ce pouvoir de juridiction du Pontife romain, pouvoir vraiment épiscopal, est immédiat. Les pasteurs et les fidèles, chacun et tous, quels, que soient leur rite et leur dignité, lui sont assujettis par le devoir de la subordination hiérarchique et d'une vraie obéissance, non seulement dans les choses qui concernent la foi et les moeurs, mais aussi dans celles qui appartiennent à la discipline et au gouvernement de l'Eglise répandue dans l'univers... - De ce pouvoir suprême du Pontife romain de gouverner l'Eglise universelle résulte pour lui le droit de communiquer librement, dans l'exercice de sa charge, avec les pasteurs et les troupeaux de l'Eglise... En conséquence, sont condamnées et réprouvées les maximes de ceux qui prétendent que cette communication du chef suprême avec les pasteurs et les troupeaux peut être légitimement empêchée ou qui la font dépendre du pouvoir séculier... - Le Pontife romain est le juge suprême des fidèles : on peut recourir à son jugement dans toutes les causes qui sont de. la compétence ecclésiastique. Au contraire, le jugement du siège apostolique, au-dessus duquel il n'y a point d'autorité, ne peut être réformé par personne; il n'est permis à personne de juger son jugement. Ceux-là donc dévient du droit chemin de la vérité, qui affirment qu'il est permis d'appeler des jugements des Souverains Pontifes au Concile oecuménique, comme à une autorité supérieure au Pontife romain... - Le Pontife romain, lorsqu'il parle ex cathedra, c.-à-d. lorsque remplissant la charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, en vertu de sa suprême autorité apostolique, il définit qu'une doctrine sur la foi ou les moeurs doit être crue par l'Eglise universelle, jouit pleinement, par l'assistance qui lui a été promise dans la personne du bienheureux Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que son Eglise fût pourvue en définissant la doctrine touchant la foi et les moeurs. Par conséquent, de telles définitions du Pontife romain sont irréformables d'ellesmêmes, et non en vertu du consentement de l'Eglise. Que si quelqu'un, ce qu'à Dieu ne plaise, avait la témérité de contredire cette définition, qu'il soit anathème. » 

Ces décisions transforment en hérésies posthumes les affirmations de beaucoup de docteurs longtemps vénérés, et en hérésie permanente la doctrine de toute l'Eglise orientale-orthodoxe. Elles ont élevé entre cette Eglise et I'Eglise latine une barrière demeurée encore à ce jour infranchissable. (E.-H. Vollet).
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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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