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Histoire de l'Europe > La France > La France Capétienne |
La France féodale jusqu'à la conquête de la Normandie par Philippe-Auguste (Xe - XIIe s.) |
Il est impossible d'assigner des termes précis, même à un siècle près, à la période dite féodale. Du moment où des hommes puissants autres que le roi ont commencé à se faire des vassaux et à leur accorder des bénéfices, du moment où le roi, en octroyant l'immunité, a légalisé lui-même l'usurpation des droits régaliens, le régime féodal a commencé à se développer; donc, comme l'a montré Waitz, il plonge par ses racines jusque dans les temps mérovingiens; d'autre part, ce régime n'a pas été tué tout d'un coup par la royauté; il y avait encore des fiefs à le veille de la Révolution. On a le droit cependant de réserver plus spécialement le nom de période féodale à celle qui s'étend du début du Xe siècle jusqu'à la fin du XIIe siècle; la conquête des domaines septentrionaux des Plantagenet par Philippe-Auguste marque plus précisément et plus définitivement que tout autre événement la fin de l'ère qui a commencé avec la dissolution de l'Empire carolingien. Le caractère de cette ère de l'histoire de France est le démembrement de l'autorité monarchique; le pouvoir unique et public fait place à des pouvoirs multiples et privés, ou, pour employer la formule de Guizot, la souveraineté se confond avec la propriété. A vrai dire, la souveraineté complète n'appartint guère qu'aux grands vassaux, c.-à-d. aux anciens fonctionnaires comme les comtes, qui se trouvaient maintenant directement au-dessous du roi dans l'échelle féodale; mais les seigneurs les moins considérables eurent une part de souveraineté, car, à la suite d'une évolution lente et obscure, ils exercèrent chez eux, en leur propre nom, le droit de justice. Cette période de morcellement à l'infini prépara cependant à un certain point de vue l'unité française; au IXe siècle, il y avait encore des Gallo-Romains, des Francs, des Burgondes, etc., ayant des lois distinctes; ces éléments se mêlèrent dans chaque fief sous la domination du seigneur et, au XIIe siècle, la fusion des peuples était accomplie. La France se couvrit donc à la fin du IXe et au Xe siècle d'une foule de seigneuries relevant les unes des autres. Les relations féodales varièrent tellement qu'il est impossible de dresser pour une année quelconque une carte absolument exacte de la France féodale. Cependant, il y a certaines époques où l'état des documents permet une reconstitution géographique à peu près satisfaisante; tel est, par exemple, le début du règne de Henri Ier, qui monta sur le trône en 1031. La limite du royaume de France passait alors par Gand et Tournai, laissait au duché de Lorraine, Avesnes, Grandpré, Sainte-Menehould, Bar-le-Duc; elle n'atteignait pas encore la Saône; le Lyonnais, le Forez et le Vivarais dépendaient du royaume d'Arles; ensuite le Rhône servait de frontière jusqu'à la mer. Au Sud, le comte de Barcelone était vassal du roi de France; en revanche, le royaume de Navarre empiétait sur le territoire cispyrénéen. A l'intérieur de ces frontières, outre le domaine royal dont nous ferons plus tard l'histoire et qui, alors, ne dépassait guère Senlis au Nord et Orléans au Sud, on trouvait d'abord les domaines du comte de Flandre, des ducs de Bourgogne, de Guyenne, de Gascogne, des comtes de Toulouse et de Rouergue, héritiers des puissants seigneurs qui commandaient les provinces frontières au IXe siècle pour le compte des Carolingiens. Le comté de Flandre comprenait tout le Nord de la France entre les bouches de l'Escaut et la Canche. Le duché de Bourgogne était aux mains de Robert, frère cadet du roi Henri. Les duchés de Guyenne et de Gascogne furent réunis en 1052 en un seul fief, qui couvrit le tiers de la France, de la Loire aux Pyrénées. Le comté de Toulouse englobait dès le IXe siècle le Quercy et l'Albigeois. Les comtes de Rouergue avaient en même temps le marquisat de Gothie (Septimanie). A ces grands fiefs vint s'ajouter le duché de Normandie, concédé par Charles le Simple au chef viking Rollon en 911, et dont la constitution légalisa en quelque sorte l'existence des autres fiefs et précipita la décadence de l'idée monarchique. De 911 à 933, ce duché finit par comprendre l'ancienne Seconde Lyonnaise presque entière. Il faut mentionner aussi les comtés de Blois et d'Anjou, le comté de Bretagne; une foule de vassaux plus ou moins directs du roi dans la France proprement dite (comtes de Valenciennes, de Vermandois, de Valois, etc.) ou hors de cette région (comtes de Sens, de Nevers, de Gévaudan, etc.); enfin, les seigneuries ecclésiastiques de Tournai, de Beauvais, de Noyon, de Laon, de Reims, de Châlons, de Langres, etc. Au milieu des bouleversements qui donnèrent ce nouvel aspect à la France, l'autorité monarchique disparut, mais la monarchie subsista. Seulement la dynastie changea et les Carolingiens firent place aux Capétiens. Cet événement eut des causes très simples. Une des maisons les plus riches et les plus puissantes de l'Empire au IXe siècle était celle de Robert le Fort. Robert vit les titres s'accumuler sur sa tête : abbé laïque de Marmoutiers et de Saint-Martin de Tours, il fut aussi duc de Touraine, puis missus dans le Maine, l'Anjou et la Touraine, enfin comte d'Autun, de Nevers et d'Auxerre; comme marquis d'Anjou, il défendit cette province contre les Vikings et périt à Brissarthe en 866. Son fils Eudes eut le titre de comte de Paris. Après la déposition de Charles le Gros, il fut couronné roi à Compiègne, grâce aux efforts des évêques neustriens. Le principe de la légitimité carolingienne gardait ses défenseurs, et, en 898, Charles le Simple recueillit la couronne à la mort de son rival; mais, en 922, il vit Robert de France, soutenu par l'archevêque de Reims lui-même, se faire nommer roi. Puis le trône fut occupé de 913 à 936 par Raoul, gendre de Robert. Depuis 936 jusqu'en 987, les Robertiens se contentèrent d'être les protecteurs hautains des Carolingiens. Hugues le Grand fit élire Louis IV d'Outremer, qui lui conféra le titre de duc de France, c.-à-d. l'autorité militaire sur une grande partie des pays compris dans les provinces ecclésiastiques de Reims, Sens et Tours. En revanche, Hugues humilia Louis d'Outremer et le garda prisonnier pendant un an. Ce fut lui aussi qui fit élire Lothaire en 954. Quand son fils Hugues Capet hérita du duché de France, la maison robertienne était assez puissante pour que le duché de Bourgogne restât dans la famille malgré la volonté formelle de Lothaire. Il y avait donc à ce moment-là deux partis à peu près également puissants. La royauté carolingienne, sans être riche, n'était pas aussi dépourvue de ressources qu'on l'a prétendu; de plus, elle avait pour elle la tradition et de grands souvenirs; enfin, les derniers représentants de cette dynastie étaient actifs et vaillants. La maison de France possédait Paris, Orléans, Etampes, Dourdan, Senlis, Dreux, Montreuil-sur-Mer et quelques villages épars; Hugues Capet était en outre suzerain direct du duc de Normandie, des comtes de Vermandois, de Champagne, de Blois, de Chartres, d'Anjou, de Sens, etc. Il fallait que l'un des deux partis disparut : ce fut le parti carolingien. La principale cause de cette déchéance fut l'hostilité entre les empereurs et les Carolingiens, qui commirent la faute de s'emparer de la Lorraine et s'aliénèrent ainsi de puissants voisins. A la mort de Louis V, en 987, son oncle Charles de Lorraine fut évincé grâce aux intrigues de l'archevêque de Reims, Adalbéron, qui, tout dévoué à la maison royale de Germanie, fit élire Hugues Capet sous la condition de l'abandon de la Lorraine. Ce fait eut une importance particulière parce qu'il se trouva que Charles de Lorraine était le dernier des Carolingiens et que, grâce à des hasards heureux et à l'habileté des Capétiens, la transmission du pouvoir se fit sans interruption dans cette famille nouvelle à travers une longue suite d'années. L'importance de l'avènement de Hugues Capet, qui ne fut pas le premier roi de sa maison, fut donc pour ainsi dire accidentelle. On a eu tort de voir là un triomphe d'une prétendue nationalité française, qui de toute façon était encore loin d'être constituée, car Hugues Capet, déjà, descendait probablement d'ancêtres saxons et était favorisé par Otton Ill; on a eu tort aussi de croire à une espèce de pacte entre les Capétiens et la féodalité, car la royauté ne changea pas de caractère et continua à se proclamer absolue en principe et d'essence divine. Mais on a eu raison de constater la coïncidence de l'avènement des Capétiens avec le développement extraordinaire de la féodalité. L'histoire devient alors essentiellement locale, et il convient de chercher dans les pages relatives à chaque province les détails qui ne sauraient être rapportés ici. Contentons-nous d'esquisser à grands traits l'aspect de la France au XIe et au XIIe siècle. Hors du domaine royal, les terres et la souveraineté sont aux mains des nobles et de l'Eglise. La noblesse, disparue avec les invasions, a reparu avec la féodalité et l'hérédité des offices; du reste, il y a une foule de degrés parmi les nobles, depuis le baron, qui est souverain chez lui, jusqu'à l'humble écuyer. A côté de cette féodalité laïque avait grandi la féodalité ecclésiastique, enrichie par le casuel, la dîme devenue obligatoire et les donations de terres, dont les preuves écrites constituent la majorité des chartes de ce temps. A l'époque franque s'étaient constitués les biens épiscopaux, massés généralement autour de la capitale diocésaine. C'était maintenant le beau temps des abbayes qui acceptaient les donations de toutes mains et avaient de nombreux domaines disséminés. L'Eglise avait adopté les institutions et les coutumes féodales; à l'exemple de la noblesse, elle avait pris sa part dans le démembrement de la souveraineté, et l'on voyait même des évêques qui avaient les titres laïques de ducs et de comtes. Les seigneurs ecclésiastiques étaient vassaux et suzerains, avaient des avoués et des vidames qui se battaient pour eux, à moins qu'au mépris des lois religieuses ils ne revêtissent eux-mêmes le haubert. Mais, par ses principes, l'Eglise se distinguait absolument de la société laïque; tels étaient d'abord les principes de l'élection et de l'obéissance hiérarchique. En outre, l'Eglise n'a jamais oublié qu'elle ne pouvait justifier de son existence et de son pouvoir qu'en tant qu'elle poursuivait sa mission de moralisation et de pacification, qu'elle a accomplie par le moyen des sentences de ses tribunaux, de l'interdit et de l'excommunication, et de la trêve de Dieu. C'est elle aussi qui a produit Gerbert, Abélard, saint Bernard, les chroniqueurs qui ont écrit tant bien que mal notre histoire et les scribes patients, copieurs de manuscrits; c'est elle qui a élevé les cathédrales romanes et gothiques et qui, en musique, a inventé l'harmonie. Nous verrons enfin combien son alliance a été profitable à la royauté. Le Xe et le XIe siècle ont été pour les classes populaires en France une époque d'insécurité perpétuelle, de misère et de désespoir. En l'espace de soixante-dix années, de 970 à 1040, il y eut quarante-huit famines ou épidémies qui décimèrent la population et réveillèrent en elle les instincts bestiaux du sauvage. Le travail était entravé par l'arbitraire des possesseurs du sol. Les vilains ou paysans étaient pour la plupart serfs. Dans les villes anciennes ou nouvelles, possédées par un ou plusieurs seigneurs, l'ancienne organisation municipale avait disparu, et les bourgeois n'étaient, non plus que les vilains, maîtres de leur corps ni de leurs biens. A partir de la fin du XIe siècle, cette situation changea. Les serfs cessèrent d'être taillables et corvéables à merci; les affranchissements se multiplièrent; le servage disparut complètement en Normandie dès le XIIe siècle. Enfin, le XIIe siècle vit la bourgeoisie s'émanciper; le mouvement communal eut des origines, des caractères et des effets d'une variété infinie, mais on peut dire d'une façon générale qu'il a eu pour objet l'introduction des groupes urbains, considérés comme des sortes de seigneurs collectifs, dans les cadres de la féodalité. Les classes populaires comptèrent désormais pour quelque chose; elles furent le tiers état. La société tout entière profita de cette révolution, car l'effort productif et le bien-être général doublèrent. L'émancipation des villes contribua à préparer l'unité française; la plupart d'entre elles, en effet, adoptaient l'organisation d'une des sept ou huit communes les plus fameuses ; c'est ainsi que les Etablissements de Rouen se retrouvaient à La Rochelle et dans les villes environnantes. Mais l'ennemie née du particularisme féodal était la monarchie. La royauté capétienne se proclamait l'héritière de la royauté carolingienne; comme celte dernière, elle était absolue et avait la mission divine de faire régner la justice dans tout le royaume. Pour réaliser rapidement les théories des clercs, il aurait fallu des hommes remarquables; les ancêtres de Philippe-Auguste furent des gens médiocres. Mais il est bon de se rappeler que la société laïque tout entière était alors très pauvre en intelligences et en capacités et que l'Eglise, mieux pourvue à cet égard, fournit aux premiers Capétiens presque tous leurs conseillers. La royauté peut donc se maintenir dans ses positions et gagner peu à peu du terrain. La transmission du pouvoir dans la famille capétienne fut assurée d'abord par un heureux hasard, à savoir la continuité de la descendance masculine directe jusqu'au XIVe siècle, et en second lieu par un habile procédé : l'association de l'héritier présomptif à la couronne. Le droit de primogéniture s'établit également, et l'indivisibilité de la couronne ne fut jamais mise en question. Il fallait aussi que les Capétiens eussent des ressources matérielles, c.-à-d. une fortune privée, puisqu'il n'y avait plus de revenus publics. Le domaine proprement royal était presque nul en 987; Hugues Capet vécut du revenu des terres robertiennes, qui avaient beaucoup diminué d'étendue pendant le Xe siècle; elles étaient maintenant éparpillées entre la Seine et la Loire; il y en avait aussi dans le Nord, en Poitou, dans le Midi. La question de la géographie du domaine royal est du reste très difficile à résoudre pour cette époque. Sous Henri Ier, le patrimoine capétien se réduisit à sa plus simple expression. Les principales villes du domaine étaient Dreux, Etampes, Orléans, Melun, Sens, Paris. Philippe Ier annexa Corbie, le Vexin, Château-Landon et le bas Gâtinais, Bourges et Dun-le-Roi. Louis VI acquit Corbeil, Montlhéry, Le Puiset et quelques autres seigneuries dont l'indépendance était une menace et une gêne perpétuelles pour la royauté. Louis VII eut un instant l'Aquitaine par son mariage avec Aliénor. Le domaine royal était administré par des prévôts; à partir du règne de Philippe-Auguste ceux-ci eurent pour supérieurs hiérarchiques les baillis. Luchaire a émis la vraisemblable hypothèse que les baillis furent d'abord des délégués temporaires du pouvoir central, qui faisaient des tournées comme plus tard les enquêteurs de saint Louis et les maîtres des requêtes du XVIe siècle. Le produit de ces domaines et les redevances d'ordre féodal dues au roi comme suzerain constituaient les ressources des premiers Capétiens. Il n'y a qu'une différence entre leurs revenus et ceux de leurs grands vassaux, c'est qu'ils perçoivent la régale sur certains évêchés hors des limites de leurs domaines. Les revenus étaient perçus par les prévôts, et les baillis venaient rendre des comptes à Paris; il n'y avait pas encore de chambre des comptes. Quant au montant de ces revenus, il nous est inconnu, même si des estimations ont été tentées. Le roi était nomade; cependant, dès le XIIe siècle, il habita de préférence à Paris. Il avait auprès de lui sa famille, qui n'était pas toujours soumise, ses grands officiers, qu'il dut surveiller de près pour empêcher la constitution d'une nouvelle hérédité des offices (chancelier, connétable, bouteiller, chambrier, sénéchal, etc.), enfin une foule de seigneurs et de gens d'Eglise qui constituaient sa cour, cohue flottante et irrégulière au début. Cette cour devenait nombreuse quand le roi convoquait des assemblées de fidèles. Les assemblées capétiennes n'avaient rien de fixe, présentaient des degrés infinis de solennité et traitaient toutes les questions sans exception. Leur composition et leur rôle se modifièrent profondément au XIIe siècle, pour le plus grand profit de l'autorité monarchique. Les grands vassaux ne se dérangèrent plus pour venir conseiller le roi et juger ses affaires; en revanche, on vit apparaître à la cour des chevaliers et des gens d'Eglise, plus habiles et plus dévoués. De plus il se forma dans la curia regis un élément stable et permanent, une sorte de conseil privé de palatins qui expédiaient les besognes courantes, préparaient les questions et s'occupaient spécialement des procès. La justice, voilà alors la grande affaire pour le roi. Louis VI eut maintes guerres à soutenir contre les barons qui refusaient de reconnaître sa juridiction, et lutta énergiquement contre les prétentions de l'Eglise qui niait la compétence des tribunaux laïques. A la fin du XIIe siècle, les procès commencèrent à affluer à la cour de Philippe-Auguste. Quand le roi sera à peu près le seul juge en France, la féodalité sera bien malade. Nous avons dit que la monarchie n'est pas devenue « féodale » à l'avènement de Hugues Capet et que la date de 987 n'a nulle importance au point de vue des relations de la royauté avec les seigneurs. Au XIe siècle, époque ou la féodalité n'est pas encore nettement constituée, on voit Henri Ier reprendre encore des bénéfices, comme le faisaient les Carolingiens. Plus tard même les rois ne respectent pas la hiérarchie féodale; Louis VI et Louis VII châtient le comte d'Auvergne, qui n'est pas leur vassal, mais celui du duc d'Aquitaine. Les grands vassaux ne sont pas plus fidèles à leurs devoirs que le roi n'est respectueux de leurs droits; à l'avènement de Louis VI, ils refusent pour la plupart de lui prêter hommage; sous Louis VII, Simon de Montfort et le comte de Toulouse portent leur hommage au roi d'Angleterre. Si le caractère féodal de la monarchie au XIe et au XIIe siècle est justement contestable, son caractère ecclésiastique ne l'est pas. Au nom de Dieu, les rois de France persécutent les juifs, brûlent les hérétiques, inventent des supplices nouveaux pour les blasphémateurs et vont combattre en Palestine; enfin, ils comblent l'Eglise de bienfaits et de donations; d'ailleurs, ils font passer leurs candidats aux évêchés et règnent en maîtres dans les abbayes royales. En échange de la protection des rois, l'Eglise leur fournit de l'argent, des conseillers, des soldats, exalte leur nom et consolide leur autorité au loin. Pendant la période dont nous nous occupons, les progrès de la royauté ne furent pas continus et homogènes. Au XIe siècle, les rois se font battre dans leurs domaines par des vassaux tels que Hugues du Puiset et ont de très modiques ressources, comme les derniers Carolingiens; en revanche, comme les derniers Carolingiens, ils entretiennent des relations avec leurs vassaux les plus éloignés, exercent jusqu'à un certain point un pouvoir général et cherchent à étendre leur influence au loin. Le règne de Louis VI a un tout autre caractère; Louis VI quitte rarement son domaine, passe son temps à y batailler contre les vassaux rebelles et y fait respecter le nom royal. Après ce règne de concentration commence une période d'expansion vraiment féconde et durable. Louis VII entre en relations avec les églises, les barons et les villes du Midi, intervient dans les affaires d'Auvergne, de Bourgogne, etc. Quand Philippe-Auguste monte sur le trône, la royauté est déjà une grande puissance en France. La politique extérieure des premiers Capétiens ne laissa point de contribuer à l'affermissement de leur prestige. On ne parle pas ici des croisades, auxquelles ils prirent peu ou pas du tut part. Mais Hugues Capet et Robert surent résister aux prétentions d'hégémonie des empereurs d'Allemagne, et en 1124, Louis le Gros, menacé par Henri V, réunit une belle armée dont la levée soudaine suffit à prévenir le danger. Enfin les premiers Capétiens surent de bonne heure prévoir le péril anglais. Henri Ier n'avait pas réussi à s'emparer de la Normandie; Philippe ler ne put empêcher le duc Guillaume de devenir roi d'Angleterre en 1066, mais il lui témoigna un mauvais vouloir significatif, et Louis le Gros ne cessa d'intriguer contre Henri Ier; les Capétiens ne pouvaient se dissimuler le danger d'un pareil voisinage : les rois d'Angleterre étaient riches, puissamment armés contre une féodalité qu'ils avaient faite eux-mêmes à leur gré, et propriétaires de la plus belle des provinces françaises. Le péril doubla à l'avènement de Henri II Plantagenet en 1154; Henri II réunit en effet aux possessions de Guillaume le Conquérant l'Anjou, le Maine et la Touraine et enfin l'Aquitaine, dot de sa femme Aliénor, qui l'avait épousé après l'annulation de son mariage avec Louis VII. Le domaine continental des rois d'Angleterre était maintenant beaucoup plus grand que celui de leurs suzerains. Après la mort du médiocre Louis VII en 1180, Philippe-Auguste, très jeune encore, mais guerrier belliqueux et politique déjà habile et perspicace, entreprit de ruiner par l'intrigue et la force le redoutable empire angevin; de son avènement à la mort de Richard Coeur de Lion en 1199, il lutta sans succès. Jusqu'à la fin du XIIe siècle, la royauté capétienne, malgré l'agrandissement de ses domaines, les progrès de son autorité et l'énergique politique extérieure des Henri Ier, des Louis le Gros et des Philippe-Auguste, resta donc dans une situation précaire. Une ère nouvelle s'ouvre pour la France avec le XIIIe siècle. Avec le développement soudain de la monarchie, la nation va se former au milieu d'une civilisation brillante. Ce n'est pas à dire que la période précédente doive être tenue pour inféconde et peu glorieuse. Les classes populaires se sont émancipées; la noblesse a pris part aux quatre premières croisades (1095, 1147, 1190, 1203), constitué un royaume de Jérusalem dont les lois furent rédigées en français, et fondé l'empire latin de Constantinople; les Normands ont conquis l'Angleterre et l'Italie méridionale; un prince de la maison de Bourgogne a fondé le royaume du Portugal. le XIIe siècle surtout est le beau temps de l'architecture romane, de la poésie épique et de la littérature provençale, et, pour la France comme pour tout l'Occident, constitue une époque d'exubérance productive. (Ch. Petit-Dutaillis). |
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