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Histoire de l'Europe > La France > Le XVIIIe siècle |
1774-1793 |
Louis
XVI apportait sur le trône des vertus privées et l'envie
de bien faire, mais aussi une désastreuse faiblesse. Il commença
par rappeler les parlements,
que le chancelier Maupeou avait détruits;
il supprima la servitude dans ses domaines, abolit les tortures, réduisit
l'impôt, et refusa le don de joyeux avènement. La grande question
était la réorganisation des finances. Le roi appela au ministère
le vertueux Turgot, qui voulait sauver la monarchie
par de sévères réformes.
Le ministère de TurgotLouis XVI, à l'instant où il sut qu'il était roi, s'écria :« Quel fardeau! Et l'on ne m'a rien appris ! »Il commença par exiler Mme du Barry, rappela Choiseul, congédia l'un après l'autre les triumvirs, Maupeou, Terray, d'Aiguillon, et réinstalla les anciens Parlements. Retour des Parlements.
Condorcet et d'Alembert prévirent que les Parlements pardonnés, mais qui se disaient vainqueurs, seraient aussi opposés au progrès et aussi désobéissants au roi que par le passé. Maurepas.
Le ministère de Turgot dura dix-huit mois (août 1774-mai 1776). Les obstacles qu'il rencontra et sa disgrâce furent une leçon pour les réformateurs. « Si le bien ne se fait pas, avait dit d'AIembert, c'est que le bien est impossible. Entendez : « impossible par le despotisme éclairé ». C'est la révolution forcée. Turgot.
Malgré une timidité dont il ne put jamais se défaire et qui se traduisait par une élocution pénible, il eut vite fait de gagner ce monde difficile par la force de sa pensée, la clarté de sa science, «ce quelque chose de la dignité antique », comme dit Montyon, qui se dégageait de lui. Malesherbes dira de lui : « Il a la tête de Bacon et le coeur de l'Hôpital. » Les idées
de Turgot.
Lié avec Quesnay, pour qui l'agriculture devait être le souci dominant des hommes d'Etat, et avec Gournay, qui, s'attachant surtout aux questions nées du commerce et de l'industrie, avait reconnu dans la concurrence le principal aiguillon du travail et formulé l'adage : « Laisser faire, laisser passer », Turgot adopta leurs principales idées. Développées d'abord dans son fameux opuscule, écrit pour l'instruction de deux jeunes Chinois : Essai sur la formation et la distribution des richesses, elles sont devenues l'économie politique moderne d'Adam Smith et de J.-B. Say. Pour Turgot, le commencement et la fin de toutes les lois économiques, c'est la liberté du travail. Généralité
de Limoges.
Il réussit à appliquer quelques-unes de ses idées, malgré l'hostilité de la petite noblesse et grâce à une énergie extrême et, selon le mot de Malesherbes, à « sa rage du bien public. » Réformes
de Turgot.
« Ce n'est pas au roi, conclut-il, que je me donne, c'est à l'honnête homme.»Le roi lui prit les deux mains : « Vous ne serez pas trompé. »La sincérité de Louis XVI ne fait pas de doute; ce qui n'en fait pas davantage, c'est sa faiblesse. Turgot, tout de suite, s'en inquiéta. Loyalement, il avertit. Pour exécuter son programme : « Point de banqueroute, point d'augmentation d'impôts, point d'emprunt »,un moyen suffit : réduire la dépense au-dessous de la recette. Seulement on ne peut suivre une politique d'économie et soulager le peuple que par la réforme des abus, et cela est difficile, « car il n'est point d'abus dont quelqu'un ne vive ».En effet, à chaque réforme de Turgot le monde de ses ennemis augmente. Réformes
dans les finances.
Rien que pour la maison civile du roi et de sa famille, le compte général de 1789 trouvera 15 000 personnes, dont 500 pour la seule division « de la bouche » ou Cuisine-Communs, avec une dépense annuelle de 40 à 45 millions. Abolition de la
corvée.
Mais les privilégiés s'insurgent, car « toutes les charges publiques, dit le président à mortier Joly de Fleury, doivent tomber sur les roturiers qui, vu leur état, naissent taillables et corvéables à merci, tandis que les nobles, au contraire, naissent exempt, de toute imposition ».Le Parlement après avoir supprimé la brochure de Condorcet, refuse de recevoir l'édit. Il fait des remontrances où sont invoqués « les droits des Francs sur leurs hommes »; l'édit est attentatoire à la propriété et ébranle l'état social. Il fallut un lit de justice pour l'enregistrer. Suppression des
Jurandes.
La question du
blé.
Liberté
de conscience.
Turgot aurait voulu substituer au ser ment d'exterminer les hérétiques, serment que le roi prononçait à la cérémonie du sacre, cette formule nouvelle : « Toutes les églises de mon royaume peuvent compter sur ma protection et sur ma justice. »Il remit à Louis XVI un mémoire sur la tolérance, prépara un édit destiné à « valider » les mariages protestants, ouvrit à l'étranger une enquête sur les conséquences de la révocation et proposa à l'assemblée du clergé de laïciser l'enseignement et de réduire les privilèges financiers des ecclésiastiques. Malesherbes, de son côté, avait interdit aux évêques d'enlever les enfants des réformés pour les instruire dans la religion catholique et projetait d'abolir la censure, les lettres de cachet et la torture. L'Assemblée du clergé demanda à Louis XVI « de ne pas s'en laisser imposer sous de spécieux prétextes de liberté de conscience » et, bien au contraire, « de porter le dernier coup au calvinisme». Evêques et parlementaires se réconcilièrent « pour écarter les atteintes que des mains impies voulaient porter à l'autel et au trône ». Renvoi de Turgot.
« Il faudrait au jeune roi de France de la force et du génie ».Il ne suffisait pas que Louis XVI eût dit un jour que « Turgot et lui étaient seuls à aimer le peuple ». Se sentant menacé par tant d'ennemis qui s'appuyaient de la reine, depuis ses tentatives pour réduire le luxe de Versailles, Turgot écrivit au roi : « J'ai bravé la haine de tous ceux qui gagnent à quelque abus. Votre Majesté voit l'impossibilité où je suis de résister à ceux qui me nuisent par le mal qu'ils me font et par le bien qu'ils m'empêchent de faire [...]. Je vous ai peint tous les maux qu'avait causés la faiblesse du feu roi. J'ose vous demander si vous voulez courir le risque des mêmes dangers, je dirai même de dangers plus grands [...]. N'oubliez jamais, sire, que c'est la faiblesse qui a mis la tête de Charles Ier sur un billot. » (30 avril 1776).Le roi laissa cette lettre prophétique sans réponse, refusa par six fois sa porte à l'intrépide et loyal ministre, finalement lui ordonna de résigner ses fonctions (12 mai). La cour et le Parlement exultèrent et des évêques firent réciter des actions de grâces. Fin de Turgot.
« Laissez-moi baiser cette main qui a signé le salut du peuple. »
La Guerre d'AmériqueDésormais les événements, ceux de la politique extérieure, qui rajeunira au Nouveau-Monde la vieille formule des Croisades : Gesta Dei per Francos, ceux de la politique intérieure, qui ne sera qu'un tissu de velléités contradictoires, vont précipiter la Révolution.Diplomatie de
Vergennes.
Avec l'opinion publique, Vergennes voulait la revanche contre l'Angleterre, principale bénéficiaire de la guerre de Sept ans. Après avoir tant contribué à établir et à maintenir l'équilibre continental, l'Angleterre faisait peser sur les mers et sur les nations maritimes une insolente et lourde suprématie. Vergennes sut attendre l'heure et s'y préparer. Restauration des
armées.
Paix continentale.
Louis XVI et Vergennes ne refirent pas sans difficulté du « système autrichien» « un système français ». Marie-Thérèse écrivait à Marie-Antoinette : « Soyez bonne Allemande» , expliquant d'ailleurs que c'était le leur moyen « d'être bonne Française ». Son ambassadeur, Mercy-Argenteau, organisa un vaste système d'espionnage. Joseph II vint Paris, se répandit en cajoleries et promesses. Il arriva a la reine de dire à Vergennes : « Souvenez-vous toujours que l'empereur est mon frère »,et de s'attirer cette réponse : « Je penserai surtout que le dauphin est votre fils. »Le ministre avait décidé de n'avoir pas de guerre hors la guerre anglaise ; il se refusa à entrer, même pour y jouer à coup sûr, dans cette corruption du système d'équilibre qu'on a appelée le système co-partageant. Quand Joseph II prétendit s'emparer de la succession bavaroise et, plus tard, abolir les traités qui fermaient la navigation de l'Escaut, ce fut la France, d'abord; qui l'en empêcha, comme encore de donner suite au projet de partager l'Empire ottoman. Les traités de Teschen et de Fontainebleau
ramenèrent à la France la clientèle des petits Etats
et la replacèrent en Europe au rang d'où Louis XV l'avait
Révolution
d'Amérique.
L'Angleterre, ayant épuisé son trésor à conquérir les mers, l'Inde et le Canada, voulut faire supporter une partie de ses frais de guerre à ses colonies d'Amérique. Chacune de ces colonies avait son Parlement particulier, seul qualifié pour voter l'impôt. Le Parlement de Londres n'en vota pas moins l'extension de l'impôt du timbre aux colonies américaines. Le Parlement de Boston répliqua par une première déclaration des droits de l'homme. Les colonies refusèrent de se soumettre
à l'acte illégal (1764). L'Angleterre,
Comme le trésor restait à
sec, lord North, qui avait succédé à Pitt,
ne trouva rien de plus simple que de supprimer par un bill (texte
de loi) les privilèges des colonies et, par ce moyen, de rendre
à l'avenir légales les taxes qu'édicterait la métropole.
Par la suite, les Anglais ont blâmé cette mesure. A l'époque,
sauf quelques amis de Pitt (devenu lord Chatham), ils se persuadèrent
qu'il suffirait d'agir avec vigueur pour domestiquer
États-Unis
d'Amérique.
Le Congrès, réuni à Philadelphie, protesta de soir loyalisme, mais décida la levée d'une année de volontaires. Le commandement en fut confié au général George Washington qui s'était distingué dans les guerres du Canada. Bien que les troupes anglaises et américaines se fussent déjà heurtées, le Congrès adressa, l'année d'après, un dernier appel au roi George III. Mais un vent de folie soufflait : la réponse fut l'envoi de nouvelles troupes, en partie de mercenaires allemands vendus par l'électeur de Hesse. Le Congrès proclama alors la constitution et l'indépendance des Etats-Unis d'Amérique et vota « la déclaration des droits » (12 juin 1775). C'étaient les idées de Voltaire, de Rousseau, surtout de Montesquieu, en articles de loi. La
Fayette.
Le jeune marquis de La Fayette, dans la première année de son mariage, partit tout de suite, avec son beau-frère Noailles et son ami Ségur. Il dit le mot même de toute la France : « Dès que je connus la querelle, mon coeur fut enrôlé. »Benjamin Franklin, en mission à Paris, y fut reçu avec enthousiasme. La France au secours de l'Amérique. Vergennes se souvint de la méthode de Richelieu pendant la guerre de Trente ans, où il n'était intervenu que progressivement. Il aida les volontaires, envoya par son agent secret, qui n'était rien moins que Beaumarchais, des secours aux Américains, entama des négociations avec l'Espagne pour son entrée en guerre. Louis XVI, longtemps hésitant, ne se décida qu'après la victoire de Gates, le meilleur lieutenant de Washington, à Saratoga. Il signa le traité d'alliance avec les Etats-Unis à l'hiver de 1775, et, peu après, déclara la guerre à l'Angleterre. Les Anglais prirent aussitôt l'offensive sur mer, mais pour subir un échec au large d'Ouessant. Les mauvais temps d'automne empêchèrent une expédition franco-espagnole de débarquer en Angleterre. Les années suivantes, la guerre maritime mit aux prises de grands chefs l'anglais Rodney et, du côté français, d'Estaing, Guichen, surtout le bailli de Suffren qui porta la guerre aux Indes. Il y retrouva le Bussy de Dupleix, s'allia avec le radjah de Mysore, Haider-Ali, reprit toutes les villes de la côte. Les alliés échouèrent devant Gibraltar, mais s'emparèrent de Mahon et de Minorque. Le jeu anglais, c'était de rallumer la guerre continentale. Vergennes se garda de tomber au piège. La question du droit de visite, des denrées qui étaient ou n'étaient pas contrebande de guerre, du blocus réel ou fictif, fut posée par la Russie. Habilement, Vergennes reconnut aux neutres la liberté de navigation. L'Angleterre n'eut plus un allié sur le continent. Prise
de Yorktown.
Washington, au moment de faire ses adieux à La Fayette, lui dit : « Avec vous, il me semble voir s'éloigner de moi l'image de cette généreuse France qui nous a tant aimés et que j'ai aimée en vous aimant. »Paix de Versailles. La Fayette courut à Paris annoncer que « la pièce était jouée, le cinquième acte fini, la cause de l'humanité gagnée ». Lord North ne sut que dire : « Tout est perdu. » Les négociations qui s'ouvrirent
l'année d'après auraient vite abouti sans les prétentions
des Espagnols sur Gibraltar ; ils finirent par accepter la Floride en compensation.
La paix générale fut signée à Versailles (3
septembre 1783).
C'était le but de la guerre. La guerre avait coûté à la France, déjà obérée lourdement, un milliard. Personne ne le regretta. « La France, dit Michelet, garda la gloire et la ruine. »Elle avait lavé les hontes de la guerre de Sept ans, repris son ascendant en Europe, proclamé la liberté des mers, abaissé l'Angleterre, sauvé au berceau la plus grande démocratie du monde et, avec le concours du roi et de la reine, répété généralement la Révolution. Les derniers temps de l'Ancien régimeD'avoir fait dans le Nouveau Monde l'apprentissage de la liberté, la France en était devenue plus impatiente. La monarchie française, comme autrefois l'anglaise, va se trouver dans une situation où les fautes sont irréparables (Hume à Charles Ier). Louis XVI, à ses débuts, a eu l'illusion de recommencer Henri IV. Quelqu'un a écrit sur la statue du Pont-Neuf Resurrexit. Mais Henri IV avait gardé Sully contre les coteries.Ayant congédié Turgot, Louis XVI dit à Malesherbes, qui partait avec son ami : « Que vous êtes heureux! que ne puis-je aussi quitter ma place! »Ce mot éclaire le règne. Il se sent impropre à sa tâche, son métier de roi l'ennuie. Ce brave homme, Marie-Antoinette l'appelle, dans une lettre, « un pauvre homme ». Il ne sait pas vouloir. Il va tenir à Necker le même langage qu'à Turgot, le soutenir quelque temps et le laisser tomber sous les mêmes coups. Necker.
L'intendant Clugny n'ayant remplacé Turgot que le temps d'abolir ses réformes, Maurepas obtint le concours d'un banquier protestant, « citoyen de la République de Genève », Necker, mais sans lui donner le titre de ministre, à cause de sa nationalité et de sa religion. Necker, sans rien de transcendant, mais la probité même, qui avait fait honnêtement une très grosse fortune, sans doute l'homme de son temps qui connaissait le mieux les finances et la banque, était disciple de Colbert, comme Turgot l'était de Sully. Malgré qu'il eût controversé avec les économistes, il était bien vu des philosophes et des gens de lettres qu'il avait à dîner tous les vendredis, et, malgré qu'il ne fût pas catholique, il entretenait des relations d'amitié avec la noblesse et, même, le clergé. Politique
de Necker.
Cet esprit de transaction et de prudence
lui valut d'abord un succès presque général. Banquier
de la guerre d'Amérique, il la couvrit rien que par des emprunts
dont trois à lots. Ces emprunts le dispensèrent de frapper
de nouveaux impôts, sauf aux générations à venir
à supporter des charges plus lourdes du fait de l'accroissement
Cependant, comme le crédit ne peut se soutenir qu'appuyé par l'ordre dans les finances, - sinon c'est l'aventure de Law qui recommence, - Necker eut beau renoncer aux grandes réformes, il lui fallut chercher à mettre les recettes au niveau des dépenses; et, comme il avait écarté l'impôt, il ne put trouver de ressources que par la suppression d'offices. 500 dans la seule maison du roi, la diminution du nombre des fermiers, la multipliration des régies (où l'État gagna aussitôt 14 millions par an), la réduction du gaspillage de la cour et l'abolition de quelques abus. Mais, nécessairement, ces mesures mécontentèrent les privilégiés pendant que parlementaires et intendants s'inquiétaient de l'expérience d'une assemblée provinciale (dans le Berry), préface certaine de la participation du Tiers Etat à l'administration. Chute
de Necker.
Le Parlement ayant « remontré » contre la publication du « Compte bleu », ainsi appelé à cause de sa couverture, Necker mit au roi le marché en main; il lui demanda le titre de ministre d'État et l'entrée au Conseil. Le roi s'étonna. Maurepas joua la comédie de consentir, toutefois à la condition que Necker abjurerait « les erreurs de Calvin ». Necker refusa et donna sa démission (1781). Gouvernement de
la reine.
Du renvoi de Turgot à la crise finale qui va s'ouvrir au cours du gouvernement de Calonne, c'est l'époque de l'influence dominante de la reine. Elle est devenue mère et, fière d'avoir assuré l'hérédité directe, se mêle toujours davantage des affaires, mais sans diminuer sa dépense ni assourdir le bruit de ses plaisirs. Son impopularité s'en accroît. Elle n'y prend pas garde. Elle a fait construire le petit Trianon. Les « grands jours » y alternent avec les fêtes de nuit. Le théâtre est « comme le temple du lieu ». Elle joue la Colette du Devin de village de Rousseau, Rosine du Barbier de Séville de Beaumarchais, avec le comte d'Artois dans Figaro. Caron de Beaumarchais.
Garçon horloger, puis harpiste des filles de Louis XV, il a commencé sa fortune avec Duvernay qui l'a employé dans toutes sortes de tripotages financiers et politiques, surtout en Espagne. A son retour, il a débuté au théâtre par des drames larmoyants qui tombérent à plat, et, aussitôt après, a conquis de haute lutte une tapageuse renommée par ses Mémoires sur l'affaire Goezman, charge brillante contre le Parlement Maupeou. Il donne ensuite le Barbier de Séville, chef-d'oeuvre de précision et de clarté, qui réintègre dans la comédie l'intrigue et la gaîté; puis il revient aux affaires, et à la diplomatie secrète, joue son rôle au service de Vergennes, dans les premiers temps de la Révolution d'Amérique, entreprend (à Kehl) la première édition complète des oeuvres de Voltaire. «
Le Mariage de Figaro ».
« Cela est détestable, cela ne sera jamais joué ».Riposte de Beaumarchais : « Le roi veut pas qu'on le joue, donc on le jouera. »Le roi céda, à la demande de la reine. Le Mariage fut joué (le 27 avril 1784), sur la scène de l'Odéon actuel. « Les cordons bleus, dans la foule pressée aux guichets, s'étaient coudoyés avec les Savoyards » (Mémoires de Bachaumont), des duchesses étaient placées au balcon entre des danseuses, le comte de Provence et le comte d'Artois dans les loges. Ce fut « un délire général ». Tous les mots portèrent : « Noblesse, fortune, qu'avez-vous fait pour tant de biens? Vous vous êtes donné la peine de naître.»Le peuple, dit Grimm, vit en Beaumarchais « le vengeur de sa misère ». Cette première représentation, suivie de cent autres, c'est la première journée de la Révolution. L'affaire du collier.
C'est une autre folle journée, transportée du théâtre dans la vie. Mêmes déguisements, quiproquos, rendez-vous nocturnes « sous les grands marronniers ». Les principaux acteurs sont un cardinal, habillé en mousquetaire, qui prend une fille du Palais-Royal pour la reine; un scapin de bas étage, Cagliostro, escroc et voleur, qui se dit « le grand Cophte », fait des tours de charlatan forain et trafique de sa femme, la comtesse de La Motte, une Suzanne com plaisante; une aventurière qui prétend descendre des Valois par bâtardise. On se défend mal de croire qu'ici
encore les personnages réels s'inspirèrent des
Il n'est pas surprenant que, dans cette fin trépidante du siècle, il se soit rencontré un grand seigneur ecclésiastique, prince du Saint-Empire, ancien ambassadeur, grand aumônier de France, cardinal, pour avoir l'ambition du pouvoir et la fatuité d'y parvenir par les mêmes chemins que Richelieu et Mazarin. La surprise commence à la sottise d'un Rohan, qui n'est pas un « Monsieur Jourdain », qui a passé sa vie dans les cours et à qui une aventurière persuade que la reine, son ennemie notoire, dont il n'a jamais eu une parole, l'attendra de nuit dans le parc de Versailles et qu'il pourra lui plaire en achetant un collier de diamants de douze cent mille francs dont elle a envie. La « carafe magique » dit « grand Cophte » avait attesté au cardinal les tendres sentiments de la reine. Le
procès.
Nul doute que le cardinal n'eût été
dupé par des escrocs. C'est certainement Mme de la Motte qui avait
monté la comédie, forgé les lettres de la reine à
Rohan, reçu le collier, vendu les diamants pierre par pierre. Son
mari était en fuite.
Ministère
de Calonne.
A l'arrivée de Calonne
aux affaires, les régies de Necker (qui deviendront plus tard lesdirections
des contributions indirectes et du timbre) doivent plus de 100 millions,
Calonne, en attendant, a pu contenter tout le monde, le roi par la multiplication des acquits au comptant punir ses largesses particulières, la reine par l'achat de Saint-Cloud, les frères du roi par le paiement de leurs dettes, les seigneurs obérés par le rachat à prix fort de leurs domaines, la cour par l'augmentation des pensions et des donations, les fermiers par le rétablissement des croupes, les banquiers par la fréquence des emprunts, et, aussi, de nombreux corps d'ouvriers et leurs employeurs par une vaste et fastueuse entreprise de travaux publics : la création du port de Cherbourg, les canaux du Languedoc, de Bourgogne, du Rhône et du Rhin. Necker, le marquis de Mirabeau
(le vieux physiocrate qui s'appelle
lui-même
Le
déficit.
Le plan d'amélioration des finances qu'il porta à Louis XVI comprenait des économies sur tous les départements et sur la maison du roi; en remplacement de la corvée en nature, de la gabelle et des vingtièmes, un impôt général sur tous les biens fonciers sans aucune exception, donc sur ceux de la noblesse, du clergé et du roi lui-même; enfin, par le triple jeu d'assemblées de paroisse, de district et de province, nommées par le roi, « une forme de délibération nationale ». Louis XVI se contenta d'observer que «c'était du Necker tout pur». Comme Calonne ne doutait pas qu'un tel remaniement serait rejeté par le Parlement, il proposa de le soumettre à une assemblée de notables, « chose dont il n'y avait pas eu d'exemple » depuis Louis XIII, ce qui fut acccepté par le roi. L'Assemblée
des notables.
Mirabeau avait été employé par Calonne à travailler l'opinion aux premiers temps de son ministère. Il lui demanda d'être nommé secrétaire de l'assemblée des notables. Econduit, il se jeta aussitôt dans l'opposition : « Si je suis bon à prendre, je ne suis pas bon à laisser. »La convocation des notables ne fut pour Calonne qu'un expédient; il n'était occupé, dira Mirabeau, « que d'échapper à la difficulté du moment et de trouver les moyens d'être ministre demain, sans savoir comment il le serait dans huit jours ». Chute
de Calonne.
Choisis par le gouvernement et presque exclusivement dans les hautes classes (140 princes du sang, ducs et pairs, maréchaux, archevêques et évêques, conseillers d'Etat, magistrats, contre sept officiers municipaux), les notables, réunis à Versailles (du 22 février au 25 mai 1787), ne se refusèrent pas moins vivement que n'eussent fait les parlementaires à se dépouiller de leurs privilèges et « à faire taire », comme leur avait demandé le roi a la séance d'ouverture, « les intérêts particuliers devant l'intérêt général». Calonne eut beau faire entendre «dans un langage magnifique » (Michelet), des vérités qu'il déclarait lui-même «inébranlables » : « Que dans la proscription des abus réside le seul moyen de subvenir aux besoins de l'Etat; que le plus grand des abus serait de n'attaquer que les petits; que la contribution aux charges de I'Etat est la charge commune de tous; que toute préférences envers l'un est une injustice envers l'autre; que les ecclésiastiques doivent l'exemple, ayant été enrichis par les libéralités du roi et de la nation. »Ce langage révolutionnaire irrita l'assemblée; l'immoraljté notoire de Calonne et sa brusque palinodie lui enlevaient toute autorité pour le tenir. L'opinion ne lui pardonnait pas d'avoir été l'ennemi de Turgot et de Necker dont il reprenait trop tard les projets. Calonne avait, dans son compte rendu, rejeté sur Necker l'état du trésor. Necker ayant répondu par un Mémoire au roi qu'il fit imprimer, Calonne le fit exiler, par lettre de cachet, à 40 lieues de Paris. Il coalisa toute l'Assemlblée contre lui, de La Fayette à l'archevêque de Toulouse. Les notables repoussèrent à l'unanimité l'égalité d'impôts par la taxe territoriale et n'accueillirent les autres projets que modifiés. Colonne, payant d'audace, demanda le renvoi de ceux des ministres qu'il accusait, non à tort, de conspirer contre lui, notamment le marquis de Breteuil. La reine se fâcha et ce fut Breteuil qui signifia son congé à Calonne. La convocation des Etats générauxMinistère de Brienne.La Fayette, dans tout l'éclat de sa jeune gloire, avait proposé aux notables la convocation d'une Assemblée nationale : « Quoi! monsieur, dit le comte d'Artois, vous demandez la convocation des Etats généraux? - Oui, monseigneur, et même mieux que cela ». Il n'avait pas été réuni d'Etats généraux depuis 1614. Les prochains prendraient certainement d'autres guides que les Etats du roi Jean ou de Louis XIII. Sitôt assemblés, ils se saisiraient de tout le pouvoir législatif. Les notables s'étant séparés (25 mai 1787), il eût fallu convoquer aussitôt les Etats. Louis XVI attendit plus d'un an (jusqu'au 8 août 1788) avant d'en prendre son parti. Loménie de Brienne, qu'il donna comme successeur à Calonne, n'était guère moins léger que lui, sans avoir « ses étincelles de génie ». Archevêque de Toulouse à trente-six ans, sa principale affaire, au cours de son ministère, fut d'échanger son siège pour celui de Sens qui était d'un revenu plus considérable; il passa son temps en querelle avec le Parlement, ébauchant des coups de force, reculant aux obstacles. Necker, enfin rappelé, dira fort bien : « Que ne m'a-t-on donné les quinze mois de l'archevêque de Sens! Maintenant c'est trop tard ! »Beaucoup de fautes irréparables avaient été commises; l'autorité continua à se dissoudre, dans un commencement d'anarchie. Brienne
et les Parlements.
Bien qu'il eût usé depuis deux siècles du droit d'enregistrer les impôts, le Parlement protesta cette fois que le droit n'en appartenait qu'à « la nation représentée par les Etats généraux » et qu'au surplus, il n'avait pas « la certitude légale d'un déficit peut-être exagéré ». Il gagnait ainsi une facile popularité et continuait à tenir les classes privilégiées hors de l'impôt. Brienne le relégua à Troyes, puis accorda le retrait des impôts réformateurs (la subvention territoriale et le timbre) en échange du vote des deux vingtièmes. Nécessairement, cette laide transaction n'améliora pas la crise financière. Le cri public pour les Etats généraux se fit de plus en plus fort. Les
lits de justice.
Le duc d'Orléans, qui assistait à la séance, déclara que l'enregistrement était illégal. Le roi reprit avec violence : « C'est légal, parce que je le veux », et exila le duc à Villers-Cotterets. L'édit « de tolérance », préparé naguère par Malesherbes, qui rétablit les protestants dans leurs droits, et la promesse royale de réunir les Etats généraux avant cinq ans parurent des concessions insuffisantes. Le « rassemblement » des mécontents continua à se faire autour du Parlement et du monde de la robe, des « basochiens ». Leur rhétorique se fit lourdement révolutionnaire; le Parlement de Rennes dénonça les traitants « altérés du sang des pauvres », « les fortunes subites et scandaleuses », les anciennes valaient-elles mieux? Sur de nouvelles remontrances du Parlement de Paris, le garde des Sceaux Lamoignon concerta avec Brienne de recommencer le coup de Maupeou. Le conseiller d'Eprémesnil, averti, réunit à la hâte ses collègues et leur fit prendre un arrêté qui, sous couleur de consacrer « les lois constitutionnelles de la monarchie », y comprenait l'inamovibilité des magistrats et le droit des cours de vérifier dans chaque province la volonté du roi. Brienne fit arrêter d'Eprémesnil en plein Parlement, puis enregistrer les édits dans un nouveau lit de justice. La compétence judiciaire des principaux Parlements était transportée à des tribunaux d'appel, sous le nom de Grands Baillages, et les attributions publiques du Parlement de Paris à une cour plénière composée de princes, de grands dignitaires ecclésiastiques, militaires et civils, et de quelques magistrats. Les
États du Dauphiné.
Le Dauphiné prit la tête du mouvement. Après une journée d'émeute à Grenoble (la Journée des Tuiles), les Etats provinciaux se réunirent à Vizille, à l'ancien château des Lesdiguières qui appartenait à deux grands industriels, les frères Perier (21 juillet 1788). Ils y rédigèrent le programme qui allait devenir celui du parti « national » : plus de privilèges fiscaux; point d'impôt sinon voté par les Etats généraux : élection immédiate; vote, non par ordre, mais par tête; doublement du Tiers (c'est-à-dire que le Tiers Etat aura autant de députés que la noblesse et le clergé réunis). Convocation
des États généraux.
Brienne démissionna et Necker fut rappelé. Second ministère
de Necker.
Le
doublement du Tiers.
Les Parlements, qui étaient rentrés en triomphe, demandèrent, eux aussi, le retour pur et simple aux formes de 1614 et, du coup, perdirent une popularité imméritée. Aussi bien n'avaient-ils jamais été aimés que contre quelqu'un, Brienne ou Maupeou, Mazarin ou Concini. Necker passa outre (27 décembre 1788). Il régla ensuite le mode de votation suffrage direct pour le clergé et la noblesse (les femmes, filles, veuves et mineurs votant par procureur noble); pour le Tiers, suffrage, tantôt à deux, tantôt à trois degrés, avec prédominance des ruraux coutre les gens des villes et, à la base, tous les citoyens, âgés de vingt-cinq ans, payant une capitation de 6 livres. La
veille des Etats généraux.
La récolte avait manqué : le pain, là où il y avait du pain, était à quatre sous la livre; l'hiver de 1788-1789 fut très dur. La disette et le froid accrurent cruellement une misère qui était depuis longtemps effroyable. Les documents officiels donnent pour Paris un sixième d'indigents; à Lyon 30 000 ouvriers vivent de la charité publique, les deux tiers de la population à Rennes. Dans les campagnes, « il faut voir de près la misère pour s'en faire une idée »; « le spectacle en est déchirant »; on vit « de pain d'orge ou d'avoine, de son mouillé », ou « l'on est réduit aux aliments des bêtes »; « des familles entières passent deux jours sans manger » (rapports des Intendants). Les
émeutes.
Le gouvernement ne chercha pas à réprimer; d'ailleurs, il v eût été impuissant, avec sa police et sa gendarmerie qui se dissolvaient et l'année qui était de coeur avec le peuple. Le
Parti National.
Au contraire, une importante partie de la noblesse des salons fait confiance aux temps qui s'annoncent; et, pareillement, une partie du clergé, les « intellectuels », et presque tout le clergé de campagne, les curés « patriotes » Avant qu'il fût tombé aux Tencin et aux Rohan, de graves avertissements étaient venus de l'épiscopat. Ce n'est pas Voltaire ou Rousseau, c'est Bossuet qui a dit : « il n'est pas possible que de si grands maux qui sont capables d'abîmer l'État soient sans remède; autrement, tout serait perdu sans ressource. »Rien n'est perdu que ce qui mérite de périr : le remède, c'est la nation qui va être appelée à se gouverner elle-même. Aussi le parti « national » qui a pris la tête du mouvement pour les Etats généraux et veut avant tout l'abolition de l'arbitraire et des privilèges et une constitution, ne se recrute-t-il pas seulement dans le Tiers, parmi les philosophes, les savants, les avocats, les médecins, mais encore parmi les grands seigneurs éclairés, surtout parmi les jeunes, qui se sont battus en Amérique et sont épris de liberté « à l'anglaise ». On y voit les Luynes et les Noailles, les Lally-Tollendal et les Lameth, les La Rochefoucauld et les La Fayette voisiner avec les Condorcet et les Barnave, les Bailly et les Roederer, les Brissot et les Danton, les Volney et les Desmoulins. Le duc d'Orléans en est. Il y a trois ecclésiastiques, Talleyrand, Sieyès, Louis, dans le comité directeur des Trente. La
brochure de Sieyès.
« Qu'est-ce que le Tiers Etat ? - Tout. - Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique? - Rien. - Que demande-t-il? - A y devenir quelque chose. »Mirabeau en Provence. La « campagne électorale » qui résume, domine tout, c'est celle du comte de Mirabeau, rejeté par la noblesse de Provence, acclamé par le Tiers, à Aix, à Marseille. Son éloquence, c'est de la raison tonnante. Il sera, de beaucoup, l'orateur le plus puissant entre tant d'hommes - volontiers on dirait déjà : trop d'hommes qui vont illustrer la tribune et qui, trop aisément, quand ils auront parlé, croiront avoir agi (Barnave, Pétion, Volney, Robespierre, Merlin, Tronchet, Lameth, Maury, Cazalès). Les
Cahiers.
« Monument précieux de la raison en France », dira Chateaubriand, en pleine Chambre des Pairs, sous Charles X. En effet, les idées alors nouvelles, aujourd'hui maîtresses, y sont exprimées avec autant de modération que de fermeté. Comme il est avéré que tous les maux de la nation viennent du pouvoir arbitraire, il faut une Constitution qui sera désormais la règle invariable de toutes les parties de l'administration et de l'ordre public. Les droits du roi seront resserrés dans de justes bornes; ceux de la nation sont exactement précisés. La Constitution garantira à tous les Français la liberté individuelle, la liberté de penser et d'écrire; les Etats, régulièrement convoqués, participeront à la confection des lois; ils voteront les impôts, payés par tous, par la noblesse et le clergé comme par le Tiers; le roi ne pourra les lever sans leur consentement. Nulle pensée de révolution violente. Les Etats agiront «avec une extrême prudence, par des mouvements continus et lents, avec des formes régulières ». Les électeurs reconnaissent l'étroite union des trois ordres. Ils ne doutent pas du concours de Louis XVI, « Louis le Juste », auquel ils attribuent la convocation des Etats. « Le naufrage est passé » et la terre promise est en vue. (J. Reinach). |
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