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On suppose que le mot gabelle vient du mot saxon gabel, qui signifie tribut. Il a été longtemps employé en France pour désigner plusieurs sortes d'impôts, et même, selon quelques érudits, toutes les espèces d'impôts. Il y avait autrefois la gabelle des draps; il y avait aussi la gabelle de Tonnieu ou de Tonlieu sur la vente des bestiaux. Enfin un édit d'Henri Il, du 10 septembre 1549 , règle le mode de perception de la gabelle sur les épiceries et drogueries; mais il y avait aussi la gabelle du sel, et dans la suite l'emploi du mot s'étant restreint, il n'a plus servi qu'à désigner ce dernier impôt. Quoique le sel soit une denrée de première nécessité, et peut-être à cause de cela, on a eu depuis bien longtemps, et dans un très grand nombre de pays, l'idée d'en faire l'objet d'une imposition particulière, qui a été même quelquefois très forte. Mais il ne peut être question d'examiner ici, à propos du mot gabelle, la convenance ou l'utilité de l'impôt du sel, qui n'existe plus sous le même nom; nous voulons seulement indiquer en peu de mots ses conditions d'existence sous l'Ancien régime. On n'est pas d'accord sur l'époque où la gabelle fut établie pour la première fois en France. Il paraît constant qu'elle ne fut pas d'abord un impôt d'une application générale, mais une contribution demandée par exception et selon les circonstances à quelques provinces ou à quelques localités. Ce qui est certain, du moins, c'est qu'elle ne fut pas considérée dans le principe comme devant être permanente; c'était, comme on disait alors, une aide extraordinaire, demandée seulement dans quelques circonstances extraordinaires et pour répondre à de pressants besoins. La première ordonnance que l'on trouve sur la gabelle du sel est celle de Philippe le Long, du 25 février 1318, quoique cet impôt fût d'une date bien antérieure, comme l'ordonnance même l'atteste; or il fut dit à cette époque, au nom du roi, que cette imposition ne devait pas durer toujours, n'ayant été établie que pour fournir aux frais de la guerre contre les Flamands. Mais de temporaire qu'elle était elle ne tarda pas à devenir permanente, malgré les plaintes continuelles des peuples. Jamais cependant, sous l'Ancien régime, cette imposition ne fut établie d'une manière générale et régulière; il s'y trouva même des inégalités plus grandes que celles qui se rencontraient alors dans tous les genres d'impôts. Voici, en résumé, quel était le régime subsistant au XVIIIe siècle. La gabelle n'était pas établie partout; quelques provinces en étaient demeurées exemptes lors de leur réunion à la couronne; d'autres s'en étaient rachetées à diverses époques moyennant contribution. Quant à celles qui renfermaient des salines, elles étaient soumises à un régime particulier. Il y avait enfin les provinces de grandes et de petites gabelles, sujettes encore à des règlements différents. En somme, la France tout entière pouvait être divisée en cinq grands districts, comprenant : 1° Les pays exempts;Dans les pays de grandes gabelles, qui comprenaient les généralités de Paris, d'Orléans, de Tours, de Bourges et Moulins, de Dijon, de Châlons, de Soissons, d'Amiens, de Rouen, de Caen et d'Alençon, et qui formaient la partie la plus considérable de la France, l'impôt du sel était donné à ferme, et la vente de cette denrée était monopolisée entre les mains des fermiers; de plus, l'achat du sel était obligatoire pour les particuliers, chaque individu étant tenu d'en prendre une quantité déterminée dans les greniers publics. Cette obligation n'était pourtant pas également rigoureuse dans tout le rayon des grandes gabelles, car il y avait çà et là des localités restreintes, villes, bourgs ou districts, qui jouissaient à cet égard de privilèges particuliers. Pour les petites gabelles, elles se divisaient en quatre fermes parfaitement distinctes, à savoir : la ferme des gabelles du Lyonnais, celle des gabelles du Languedoc, celle des gabelles de Provence, et celle des gabelles du Dauphiné. Chacune de ces fermes avait des règlements particuliers; dans les deux premières, dont le rayon était plus étendu que celui des provinces dont elles portaient le nom, le régime différait peu de celui des grandes gabelles, et l'égalait presque par sa rigueur; cependant, dans aucune des provinces de petites gabelles, la consommation du sel par les particuliers n'était obligatoire; chacun y jouissait du droit de s'approvisionner des quantités qu'il croyait nécessaires pour son usage, et même de les acheter dans tel grenier qu'il lui plairait, pourvu (et ceci était une bien forte restriction de cette faculté) qu'il ne les achetât que dans l'un des greniers de la ferme dans la circonscription de laquelle son domicile était placé. Il y avait, du reste, dans les petites gabelles comme dans les grandes, des localités particulièrement favorisées. Le régime des pays de salines était, s'il est possible, encore plus bigarré que celui des pays de gabelles, en raison surtout des précautions qu'on avait cru devoir prendre pour assurer aux fermiers de l'État le privilège de l'approvisionnement. Les pays rédimés ou exempts avaient encore, en général, malgré cette exemption nominale, quelques droits à payer ou quelques charges à subir, quoi qu'ils fussent en somme beaucoup mieux traités que les autres; il n'y avait qu'un petit nombre de lieux qui fussent réellement et entièrement exempts. La Bretagne était à cet égard la province la plus favorisée de toute la France. La gabelle ou l'impôt du sel, qui constituait sous l'Ancien régime l'une des principales sources du revenu public, et même la plus productive de toutes, était aussi l'impôt le plus exécré des peuples, tant à cause de ses. révoltantes inégalités et de la dureté de la perception, qu'à cause des fraudes, des délits et des condamnations sans nombre dont il était l'occasion; aussi dans le fameux compte rendu de 1781 l'administrateur général des finances avouait-il qu'un cri universel s'élevait en France contre cet impôt. Voici un extrait de ce même compte rendu, qui fait apercevoir quelques-uns de ses plus funestes effets : « Indépendamment des grandes divisions qui sont connues sous le nom de pays de grandes gabelles, de pays de petites gabelles, de pays de salines, de pays rédimés et de pays exempts, on voit encore, au milieu de chacune, des distinctions de prix fondées sur des usages, des franchises et des privilèges.Et si l'on veut se faire une idée des cruels résultats de cette contrebande intérieure sur le sel, et de la guerre intestine dont elle était l'occasion, on n'a qu'à s'arrêter un instant sur les chiffres et les faits suivants. D'après des dépouillements faits par ordre du roi, et qui avaient ainsi un caractère officiel, il paraît que le faux-saunage (c'est-à-dire la contrebande sur le sel) occasionnait dans le royaume, année commune, 3700 saisies dans l'intérieur des maisons; de plus, l'arrestation, sûr les grands chemins, de 2300 hommes, 1800 femmes, 6600 enfants, 1100 chevaux et 50 voitures. Il est vrai qu'un grand nombre des personnes arrêtées, particulièrement des femmes et enfants, étaient relâchées peu de temps après l'arrestation, la peine, à leur égard, se bornant à la confiscation des marchandises et à une courte détention; mais elles recommençaient bientôt après. Quant aux hommes, il y en avait communément de 1700 à 1800 dans les prisons, et plus de 300 envoyés aux galères. C'était à peu près le tiers du nombre total des forçats. Dans l'assemblée des notables, tenue en 1787, cet impôt fut étudié sous toutes ses faces, en vue d'une réforme réclamée de toutes parts. Monsieur, frère du roi, qui se trouvait présent, manifesta la plus vive indignation en voyant dérouler sous ses veux un état de choses dont il n'avait pas jusque-là soupçonné l'existence. Il déclara que la gabelle était un impôt irréformable, qu'il fallait l'anéantir et que le sel devait être affranchi de tous droits. Ce sentiment fut adopté, d'une voix unanime, par tous les bureaux de l'assemblée. La gabelle a été abolie par la Révolution française; mais après une courte période de franchise, elle a été remplacée par un impôt du sel, encore très lourd et très peu populaire; mais au moins plus régulièrement établi. (Ch. C.). |
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