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La découverte des animaux
L'histoire de la zoologie

Aperçu
La zoologie comme science a été fondée par Aristote; mais, après son disciple Théophraste, elle tomba pour ainsi dire dans l'oubli. Chez les écrivains romains, on ne trouve quelques observations zoologiques que chez Pline, Solinus, et les auteurs agronomiques; mais Pline, le plus important d'entre eux, n'est qu'un compilateur qui n'a fait faire aucun progrès aux connaissances. Il faut en venir à l'époque de la Renaissance, c'est-à-dire au XVIe siècle, pour voir la zoologie devenir un objet de recherches et s'enrichir de faits nouveaux. 

Cette rénovation doit beaucoup à des auteurs tels qu'Aldrovandi, Gessner, Belon et Rondelet. Au XVIIIe siècle, le nombre des faits s'accrut rapidement par les travaux de Swammerdam, de Bontius, de Fabio Colonna, d'Olina, de Moufett, de J. Ray et de Willoughby. Mais le XVIIIe siècle imprima un mouvement tout nouveau à la zoologie. Outre une foule d'auteurs, tels que Caleshy, Edwards, Brisson, Latham, Laurenti, le peintre animalier Roesel, Schneider, Daubenton, Artedi, Block, Pennant, Rumphius, Klein, Guettard, Adanson, Réaumur, Bonnet, de Geer, Fabricius, Trembley, Oth. Müller, Cavolini, etc., qui s'occupèrent plus particulièrement de certaines branches de la zoologie, celle-ci reçut un éclat singulier de deux chercheurs célèbres qui la considérèrent dans son ensemble et dans toute sa généralité : nous voulons parler de Linné et de Buffon, dont les grandes vues exercèrent une influence durable. 

C'est aussi au XVIIIe siècle que l'anatomie comparée s'impose comme la base fondamentale de ce qu'on appellera au siècle suivant la zoologie philosophique, et qui sera le lieu des débats entre créationistes et évolutionnistes. En fait, au XIXe siècle, ce sont toutes les branches de la zoologie qui seront étudiées avec une ardeur et une sagacité inouïes, en même temps que seront fondées la paléontologie, l'embryologie, la tératologie, etc. Avec les Cuvier, Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire, Audubon, Darwin, Haeckel, Huxley, Milne-Edwards, et tant d'autres,  les découvertes vont désormais enfanter les découvertes à un rythme accéléré, et celles-ci seront d'autant plus nombreuses que ces savants auront surtout porté leur attention sur des domaines qui avaient été négligés par les observateurs des siècles précédents.

Engagée dans le XXe siècle, par des chercheurs tels que De Vries, Tschermak et T. H. Morgan,  la zoologie marche dans un premier temps au pas que lui impriment d'une part le néo-darwinisme, et d'autre part les avancées des recherches en génétique, dans la théorie cellulaire, de l'embryologie, etc. L'étude des invertebrés continue de connaître un grand développement. De nouvelles espèces sont également découvertes. Après l'Okapi, découvert vers 1900, c'est le Coelecanthe, un "fossile vivant" qui est raméné à la surface en 1938. La collection des nouveaux insectes continue elle aussi à s'accroître à un rythme soutenu. Dans le même temps, cependant, la systématique s'essouffle, malgré les tentatives de rajeunissement successives de Heintz (1939), Vandel (1949), Guénot (années 1940-50) et P.-P. Grassé (1961). L'approche cladistique, inaugurée par Willi Hennig, déjà au milieu du siècle, commence à s'imposer dans les années 1970, et réussi à renouveler en profondeur à la fois la systématique et la manière de penser l'évolution. La zoologie, à l'image de la botanique, a perdu depuis longtemps à cette époque son statut de discipline de front. Mais, tout en restant à l'arrière des lignes tenues désormais par les bataillons de la biologie moléculaire et du général ADN, se trouve une nouvelle vocation, notamment dans la perspective de la question de plus en plus aiguë de la préservation de la biodiversité.

Dates-clés  :
IVe s. av. J.-C. - Aristote compose son Histoire des Animaux.

1554. - Etude des poissons marins par Rondelet..

XVIIe s. - Swammerdam étudie les insectes.

1735 - Classification de Linné.

ca. 1800 - Travaux de Cuvier.

1809 - Lamarck initie l'hypothèse évolutionniste.

1859 - Darwin publie l'Origine des espèces.

1938 - Découverte du premier Coelecanthe.


Jalons
La Préhistoire et Antiquité

Les plus anciens documents zoologiques que l'on connaisse remontent à l'époque Paléolithique, quand nos ancêtres étaient tous cueilleurs et chasseurs, et que, partant, leur connaissance du monde végétal et animal était un élément essentiel à leur survie, autant qu'à leur culture. Ces témoignages, ce sont  des peintures qui recouvrent les parois de certaines grottes, des dessins gravés à la pointe sur os et sur ivoire, des sculptures sur bois de Renne qui représentent les animaux ayant un certaine importance : les bovidés, les chevaux sauvages, les mammouths, les rennes, les ours des cavernes, etc., beaucoup plus rarement les humains eux-mêmes et les végétaux. Les animaux, sauvages ou domestiques, ne cesseront par la suite d'intervenir comme éléments de choix dans l'art, et dans bien d'autres aspects de l'expression des cultures humaines. Ainsi, les hiéroglyphes gravés sur les monuments de l'ancienne Égypte nous montrent l'image exacte et facilement reconnaissable d'une foule d'animaux qui vivaient alors dans ce pays et qui y vivent encore aujourd'hui. En Égypte encore, les momies de quelques-uns de ces animaux conservées dans les hypogées de la vallée du Nil témoignent également à leur manière (Religion égyptienne) de l'importance attachée depuis très longtemps à la connaissance des animaux.

La Grèce.
Cette connaissance reste, certe, éloignée du type d'approche auquel correspond la zoologie.Celle-ci commence à se forger en Grèce au VIe siècle av. J.-C., et le plus ancien et le plus remarquable livre de zoologie que nous connaissions est l'Histoire des animaux d'Aristote. On peut dire que le philosophe grec fut à la fois le fondateur de la zoologie et le premier des classificateurs; il mentionne environ 400 espèces animales. Il divisait les animaux en deux embranchements : ceux qui sont pourvus de sang (ou à sang rouge), c.-à-d. les Vertébrés, et ceux qui sont exsangues (ou à sang blanc), c.-à-d. tous les invertébrés. Sa classification des animaux  (liv. I, c. 6) correspondait à ceci :
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Animaux qui ont du sang
(Enhoema).
Humains.

Quadrupèdes (Tetrapoda) : vivipares et portant des poils; ovipares et portant des écailles.

Oiseaux.

Apodes écailleux et terrestres : serpents.

Poissons.

Cétacés : baleines, etc.

Animaux qui n'ont pas de sang (Anhoema). Insectes (Entoma).

Malacostracés : crustacés, crabes, écrevisses.

Testacés (Ostracoderma) : huîtres, etc.

Mollusques (Malaca) : seiches, poulpes, calmars.

Les oeuvres de biologie, d'anatomie et de physiologie d'Aristote permettent de supposer qu'il avait disséqué, et il formule nettement la loi de la division du travail, appelée à rester durablement une des bases de la biologie.

Nous ne savons presque rien de ce que fut la zoologie dans la célèbre école d'Alexandrie, sous le règne des Ptolémées. Les élèves d'Aristote y continuèrent son oeuvre. Le Musée fondé dans cette ville par Ptolémée Soter fut la première de toutes les Académies savantes. Comme annexe, cet établissement possédait (vers 260 av. J.-C.) une magnifique ménagerie; la liste des animaux exotiques que l'on y conservait nous a été conservée par le récit d'une fête (le Triomphe de Bacchus en Inde) dans laquelle figurèrent tous ces animaux.

Rome.
Si des Grecs nous passons aux Romains, nous voyons que, sous l'ancienne République, on n'étudia guère les animaux que pour leur utilité pratique. C'est le point de vue de Caton, de Varron, de Columelle. Pline l'Ancien (mort en 79 ap. J.-C.) est l'auteur d'une Historia naturalis dont quatre livres sont consacrés à la zoologie. C'est une compilation sans critique et sans ordre véritablement scientifique où la fable tient plus de place que le concret, et cet ouvrage est en somme bien inférieur, sous le rapport de l'observation, aux écrits d'Aristote. L'Histoire des animaux d'Elien (mort vers 260) n'est qu'un recueil d'anecdotes dont le principal mérite est de nous avoir conservé de nombreux extraits d'auteurs anciens dont les écrits sont perdus. Les poèmes d'Oppiensur la pêche et sur la chasse contiennent aussi beaucoup de détails sur les animaux connus des Anciens. Il en est de même du Banquet des savants d'Athénée, un des auteurs auquel Elien a fait le plus d'emprunts.

Le Moyen Age

La conception que l'on se faisait au Moyen âge de la place de l'humain dans le monde et du monde lui-même fut peu favorable à la zoologie. Les savants, les philosophes et les chroniqueurs ne s'en sont occupés qu'incidemment : les moines qui étaient les principaux écrivains de cette époque jusqu'à l'invention de l'imprimerie, cherchaient surtout à adapter la zoologie aux croyances du temps. C'est ce que montre l'ouvrage d'Isidore, évêque de Séville (mort en 636), intitulé les Origines, et dont le douzième livre traite des animaux. On doit à l'empereur Frédéric II (mort en 1250) un traité de fauconnerie ou les descriptions des oiseaux sont en général très exactes. Ce prince fit traduire Aristote en latin et fit venir d'Afrique des animaux rares, tels que la girafe et l'éléphant.

Albert le Grand, évêque de Ratisbonne (1280), a laissé un traité, Des Animaux, où il ne se contente pas de compiler les écrits d'Aristote et de Pline : il y ajoute ses vues personnelles et nous renseigne surtout sur la faune des mers du Nord (baleines, morses, phoques) et sur la pêche des cétacés à cette époque. Il suit l'ordre alphabétique comme dans un dictionnaire. Le Speculum Naturae du dominicain-Vincent de Beauvais (1264) est une sorte d'encyclopédie scientifique, compilée sur les ouvrages des anciens et d'Isidore de Séville, remplie de légendes et de fables. Les Bestiaires, manuscrits anonymes, dans lesquels ont dû largement puiser les architectes et les sculpteurs des cathédrales, ont un caractère encore plus fantastique ou symbolique. Le blason leur fit aussi de nombreux emprunts. A cette époque, ce sont les Arabes qui furent les continuateurs de la philosophiegrecque : Abd al-Latif (1231), dans sa Relation de l'Égypte, décrit les animaux de ce pays.

Les croisades furent sans grand profit direct pour la zoologie des Latins; les chevaliers chrétiens méprisèrent le cheval arabe qui leur semblait trop faible pour porter le poids de leurs armes, et l'introduction involontaire du rat noir (Mus rattus) dans l'Europe occidentale, peut-être celle du chat domestique qui en fut la conséquence, bien que cet animal fût déjà connu des Grecs, sont à peu près les seules "avancées" zoologiques qui se rattachent à cette période. Des voyages en Orient, plus intéressants au point de vue qui nous occupe ici, furent ceux de Benjamin de Tudèle, de Rubruquis et surtout de Marco Polo (1295).

La Renaissance

La découverte de l'Amérique, vers la fin du XVe siècle, ouvre la série d'une longue suite de voyages qui firent connaître aux savants européens des faunes jusqu'alors inconnues. Cependant les premiers navigateurs, plus pressés de s'enrichir que d'étudier les productions du sol, ne rapportent que peu de renseignements sur les animaux des pays qu'ils avaient visités, et il fallut près de deux siècles pour les connaître approximativement. D'ailleurs, l'Amérique, avec sa faune relativement pauvre en grands animaux, a longtemps reçu de l'Europe beaucoup plus qu'elle ne lui a donné : le Cobaye ou Cochon d'Inde et le Dindon sont les seuls animaux domestiques qu'elle ait fourni à l'Ancien monde en échange du cheval, du boeuf, du porc, du mouton, etc. L'Histoire naturelle du Brésil, de Marcgrave (1648), publiée en Hollande, est le résultat de la première expédition scientifique faite dans ce pays sous les auspices de Maurice de Nassau. Parmi les voyageurs naturalistes qui explorèrent l'ancien continent, il faut signaler Belon (1551), qui visita le bassin de la Méditerranée, Bontius, d'Amsterdam (1631), qui séjourna à Java, et dont la relation se trouve insérée dans la seconde édition des oeuvres de Pison et Marcgrave. Il en résulta pendant longtemps et jusqu'à l'époque de Buffon, sinon plus tard, une grande confusion entre les animaux appartenant à ce qu'on appelait alors les Indes orientales (Inde et Asie du Sud-Est) et les Indes occidentales (Amérique).

Quant aux naturalistes de cabinet, ils s'en tenaient à cette époque aux écrits d'Aristote. Cependant des oeuvres originales ne tardèrent pas à se produire. Guillaume Rondelet (1554) publia une Histoire des Poissons marins, surtout de la Méditerranée, avec des figures dont on admire encore l'exactitude. Gessner fit paraître (de 1551 à 1587) cinq gros volumes d'une Histoire des Animaux où l'érudition ne fait pas tort aux observations personnelles que l'auteur et ses nombreux correspondants avaient recueillies. Aldrovandi (mort en 1607) a laissé à la bibliothèque de Bologne 20 volumes in-folio de figures d'animaux peintes en couleur par les artistes les plus habiles et qui servirent de modèles pour les planches sur bois de son Histoire naturelle en 12 volumes, dont plus de moitié ne fut imprimé qu'après sa mort. Cet ouvrage est une compilation diffuse, mais qui est précieuse que par ses figures, très recherchées jusqu'à l'époque de Buffon.

L'Époque moderne

J. Ray (1628-1704), après Rondelet, rejoint cette pléiade de savants. Il fut le premier des classificateurs modernes, dans son Histoire des Oiseaux et dans celle des Poissons, dont les divisions n'ont guère été modifiées par Linné. Swammerdam (1637-1680) consacra sa vie à l'entomologie : son Histoire naturelle des Insectes (édition française de 1682) distingue ceux à métamorphoses complètes de ceux qui les ont incomplètes et décrit avec soin ces transformations. Citons encore Redi (1626-1698), qui s'occupa des reptiles et des insectes et s'éleva le premier contre les savants qui, sur la foi d'Aristote, faisaient encore naître les vers, sans germes préalables, de la putréfaction des animaux morts.

La découverte du microscope ouvrit, au commencement du XVIIIe siècle, une nouvelle voie aux recherches des naturalistes. Le plus célèbre des micrographes de cette époque fut Leeuwenhoeck (1632-1723), qui fabriqua lui-même ses microscopes et les fit servir aux progrès de l'anatomie et de la physiologie : il découvrit les animaux et végétaux microscopiques, que l'on appela d'abord des Infusoires, et il figura un très grand nombre d'entre eux.

Les zoologistes classificateurs. 
C'est de Linné (1707-78) que l'on fait généralement dater la zoologie moderne, bien que nous ayons déjà vu que le savant naturaliste (d'ailleurs plus botaniste que zoologiste) avait eu des précurseurs, tels que Ray et quelques autres. La nomenclature binominale ou binaire, qu'il imposera à ses successeurs et qui est fondée sur la notion du genre et de I'espèce, existait déjà avant lui, mais elle prit une forme plus arrêtée et plus scientifique dans les diverses éditions du Systema Naturae qui se succédèrent de 1735 à 1774; la 12e édition publiée, après la mort de Linné, par son élève Gmelin, parut en 10 volumes (de 1788 à 1798). Linné se contente de diviser le règne animal en six classes, dont les caractères distinctifs sont donnés dans le tableau suivant : 
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1. Mammifères (Mammalia). Coeur à quatre cavités.
Sang chaud et rouge.
Respiration pulmonaire.
Femelles vivipares, produisant du lait.
2. Oiseaux (Aves). Coeur à quatre cavités.
Sang chaud et rouge.
Respiration pulmonaire.
Deux pieds, deux ailes.
Femelles ovipares.
3. Amphibies (Amphibia). Coeur à trois cavités.
Sang froid et rouge.
Respiration pulmonaire.
Femelles généralement ovipares.
4. Poissons (Pisces). Coeur à deux cavités.
Sang froid et rouge.
Respiration branchiale.
Femelles généralement ovipares.
5. Insectes (Insecta). Coeur à une cavité.
Sang froid et blanc.
Téguments articulés.
6. Vers (Vermes). Coeur à une cavité.
Sang froid et blanc.
Téguments incrustés ou nus.

Chacune de ces classes comprenait un certain nombre d'ordres, réunissant eux-mêmes des genres dans lesquels étaient réparties les espèces alors connues. On peut dire que cette classification est inférieure à celle d'Aristote qui distinguait en outre les Mollusques et les Crustacés; mais, pour Linné, ce n'est qu'un système artificiel servant de cadre au catalogue des animaux connus de son temps.

Buffon ne fut pas un classificateur, et tourna même en dérision (Hist. nat.; t. I, 1er discours) les travaux de Linné

« Il n'existe réellement dans la nature, dit-il, que des individus, et les genres, les ordres et les classes n'existent que dans notre imagination. » 
On peut remarquer qu'il évite ici de parler des espèces, et, en fait, son Histoire naturelle tout entière prouve qu'il accepte la notion d'espèce, bien qu'il lui donne une acception beaucoup plus large que les naturalistes modernes, comme lorsqu'il dit que toutes les formes de pigeons sauvages connus de son temps peuvent être considérées comme de simples variétés du pigeon biset, souche commune de nos races de pigeons domestiques. Buffon affirme l'unité de plan de la Nature; après Aristote, il admet une échelle continue du règne animal, idée en contradiction avec les faits. Il est plus heureux lorsqu'il parle de la subordination des organes et des parties externes aux parties centrales. Il fut un des créateurs de la géographie zoologique, en montrant qu'aucun mammifère n'était commun à l'Ancien continent et à l'Amérique du Sud.
Malgré les critiques qui lui ont été faites, la classification méthodique de Linné, et surtout le mode de nomenclature qu'il n'invente pas (on le doit à Belon), mais qu'il popularise, séduit les naturalistes. La base de la méthode linéenne était l'établissement de genres. Une fois formé par la réunion des espèces les plus semblables à tous égards, le genre reçut un nom et chacune des espèces dut être désignée très clairement par le nom du genre suivi du nom de l'espèce. Tantôt cette seconde désignation est un nouveau nom apposé au premier, tantôt c'est un simple adjectif. Ainsi le lion a pour nom méthodique Felis leo (genre Felis, espèce leo); le tigre, Felis tigris, le phoque commun, Phoca vitulina (g. phoca, esp. vitulina); le paon, Pavo cristatus, etc. Ces noms énoncés en latin avaient l'avantage d'être intelligibles par tous les naturalistes, malgré les différences de langues. 
Avec Cuvier (1769-1832) commence une ère réellement nouvelle pour la zoologie. Sa classification, à laquelle il travaille dès 1795 en remaniant les classes jusque-là bien confuses des insectes et des vers, est essentiellement anatomique. Les grandes divisions (ou embranchements) du règne animal qu'il donne dès 1812, au nombre de quatre  : Vertébrés, Mollusques, Articulés, Rayonnés. Il ne fera ensuite que perfectionner ce schéma de base, fixant sa méthode de classification des animaux. Il donne ainsi dans son Règne animal distribué d'après son organisation (2e édition, 1830), le tableau suivant :
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Vertébrés. Mammifères
Oiseaux
Reptiles
Poissons.
Mollusques. Céphalopodes.
Ptéropodes.
Gastéropodes.
Acéphales.
Bracchiopodes.
Cirrhopodes.
Articulés. Annélidés.
Crustacés.
Arachnides.
Insectes.
Zoophytes. Echinodermes.
Vers intestinaux.
Acalèphes.
Polypes.
Infusoires.

Cuvier est partisan de la fixité des espèces; pour expliquer l'existence des fossiles, il admet des cataclysmes subits, détruisant par intervalle toute la population du globe et nécessitant une nouvelle création. Sa classification et ses idées ont prévalu jusque dans la seconde moitié du XIXe siècle. Quelques-uns de ses élèves ou de ses contemporains, cependant, ont proposé des classifications qui différent de la sienne. De Blainville, en 1822, a formulé une classification qui remet en honneur l'unité de plan du règne animal, contrairement à l'opinion de Cuvier qui considère les quatre types de ses grandes divisions ou embranchements, comme tout à fait distincts et séparés. La classification de Blainville est résumée dans le tableau suivant, montrant le passage des Ostéozoaires aux Actinozoaires.
 

Sous-règne I. Artiozoaires ou Animaux pairs

Type I. Ostéozoaires ou Vertébrés.
Anostéozoaires
Type II. Entomozoaires    Type III. Malacozoaires
Sous-type (intermédiaire).
Malentozoaires
(Cirrhipèdes et Oscabrions).

Sous-règne II. Actinozoaires ou Rayonnés.

Sous-règne III. Amorphes.

Parmi les autres classifications proposées au XIXe siècle, nous citerons encore celle de Henri Milne-Edwards (1855) qui admet, comme Cuvier, quatre embranchements : Ostéozoaires, Entomozoaires, Malacozoaires, Zoophytes. Dans son Cours élémentaire d'histoire naturelle (1863), il donne le tableau suivant : 
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Ostéozoaires ou Vertébrés.
Allantoïdiens Mammifères.
Oiseaux.
Anallantoïdiens Reptiles.
Batraciens.
Poissons.
Entomozoaires ou Annelés.
Arthrodiaires
(ou Articulés)
Insectes.
Myriapodes
Arachnides.
Crustacés.
Vers Annélidés.
Helminthes.
Turbellariées.
Cestoïdes.
Rotateurs.
Malacozoaires
ou Mollusques.
Mollusques
proprement dits.
Céphalopodes.
Ptéropodes.
Gastéropodes.
Acéphales.
Molluscoïdes Tuniciers.
Bryozoaires.
Zoophytes.
Radiaires
(ou Rayonnés)
Echinodermes
Acalèphes.
Polypes.
Sarcodaires Infusoires.
Spongiaires.

Signalons enfin la classification de Claus (1889), qui porte le nombre des embranchements à neuf en commençant leur étude par les animaux les plus simples : Protozoaires, Coelentérés, Echinodermes, Vers, Arthropodes, Mollusques, Molluscoïdes, Tuniciers, Vertébrés.

Toutes ces classifications dérivent de celles de Cuvier. Au contraire, celle de Lamarck (1815-22), le premier des transformistes, cherche, non plus simplement à contempler ou étudier les êtres vivants, mais à expliquer leur origine. Cependant, dans sa forme, elle aboutit au même résultat et diffère peu au final de celle de Cuvier, et montre même par rapport à celle-ci quelques signes de faiblesse, avec l'introduction de catégories bien vagues telles que "apathiques", "sensibles" et "intelligents", pour y répartir les différentes classes d'animaux. Barbançois dessine peu après le premier "arbre généalogique" du vivant, qui en même temps place la systématique dans la logique évolutionniste qui sera la sienne à partir des travaux de Darwin

A partir du moment où l'on comprit l'importance de l'embryologie, on chercha à édifier des classifications basées sur ces deux sciences. Telles furent celles de Koelliker (1844), de Karl Vogt et de Thomas Huxley (1874). Les principaux groupes de cette dernière sont indiqués dans le tableau suivant :
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I. Métazoaires
Gastréades
Monostomes Deutérostomes.

Archéostomes.

Polystomes (Spongiaires).
Agastréades (sans cavité digestive).
II. Protozoaires.

Les Monostomes comprennent tous les animaux n'ayant qu'une bouche; les Deutérostomes comprennent les Vertébrés, les Arthropodes, les Mollusques, les Echinodermes, etc.; les Archéostomes sont les Vers, les Anthozoaires, etc.

Une des dernières classifications proposées au XIXe siècle est celle d'Edmond Perrier (Traité de Zoologie, 1890), qui admet trois degrés d'organisation (groupe supérieur aux embranchements) et les dix-neuf embranchements indiqués dans le tableau suivant :
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I. Protozoaires
Rhizopodes
Mégacystidés
Sporozoaires
Infusoires
II. Mésozoaires
Mézozoaires
III. Métazoaires
Spongiaires Eponges calcaires
Eponges siliceuses
Polypes Hydroméduses
Anthozoaires
Cténophores
Echinodermes Anangiés
Angiophores
Chitinophores Arthropodes
Némathelminthes
Néphridiés Lophostomés
Vers
Mollusques
Tuniciers
Vertébrés

Tendances de la zoologie à la fin du XIXe siècle

Pour compléter ce tableau historique, très abrégé, il nous reste à donner une idée de l'état de la zoologie au seuil du XXe siècle et des moyens dont elle dispose alors pour se développer. 

Le sociétés savantes. 
La création de ces associations scientifiques a aidé puissamment aux progrès de la zoologie, en permettant aux naturalistes de tous les pays de publier, rapidement et à peu de frais, le résultat de leurs recherches dans les Bulletins et Mémoires périodiques de ces Sociétés. Parmi les Sociétés zoologiques libres les plus anciennes et les plus florissantes, il convient de citer la Zoological Society de Londres qui date de 1827, et à laquelle appartiendra le jardin zoologique de cette ville. Elle publie chaque année des Proceedings (ou bulletins) et des Transactions (mémoires) très recherchés des savants. Une autre société anglaise (Ray Society), fondée en 1844, publie chaque année un volume consacré à la monographie d'un groupe zoologique appartenant à la faune des îles Britanniques. C'est surtout aux États-Unis que les publications zoologiques ont pris une grande extension, grâce à la libéralité de James Smithson, qui permit de fonder à Washington le Smithsonian Institution, et, à son exemple, des musées, des bibliothèques, un grand nombre de publications périodiques, le grand Parc zoologique national, et d'organiser le service des échanges internationaux qui envoie gratuitement dans tous les pays du monde les publications des naturalistes américains.

Les musées et les ménageries. 
Les premiers musées furent des collections où les amateurs réunissaient sans ordre et sans méthode toutes les curiosités de la nature ou de l'art. De tels musées devaient ressembler aux boutiques de bric-à-brac de nos revendeurs modernes. C'est seulement en 1793 que fut créé le Muséum d'histoire naturelle de Paris, qui prit la place de l'ancien Jardin des plantes, organisé en 1626 par Guy de La Brosse. L'ancienne Ménagerie du roi, qui se trouvait à Versailles a préfiguré celle dont le muséum sera enrichi ensuite.
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Les ménageries

Le mot de ménagerie désignait autrefois le lieu, attenant à une maison de campagne, où on élevait de la volaille et des bestiaux. Ce nom fut appliqué tout naturellement à un vaste emplacement attenant au parc de Versailles et situé au midi du Grand Canal, où Louis XIV, sous l'inspiration de l'Académie des Sciences, réunit, dit Saint-Simon, toutes sortes de bêtes, à deux et quatre pieds, les plus rares. Depuis lors, ce mot désigna surtout les établissements où l'on entretient des animaux vivants, rares ou intéressants. La Ménagerie de Versailles tomba sous Louis XV dans un triste abandon. Mieux soignée sous Louis XVI, elle fut mise au pillage à la Révolution, puis supprimée comme inutile et dangereuse pour une grande ville. 

En vain Bernardin de St-Pierre, alors intendant du Jardin des Plantes, exposa-t-il la nécessité d'adjoindre une ménagerie à cet établissement. Ce voeu ne fut réalisé qu'en 1794, par l'initiative d'Étienne Geoffroy St-Hilaire, sous les auspices de Daubenton, alors directeur du Muséum d'histoire naturelle, récemment régénéré. La zoologie, comprenait-on alors, ne saurait en effet se contenter de l'étude des dépouillés des animaux morts ou des observations rapportées par les voyageurs; elle avait besoin que, "sous l'oeil des savants, passent des animaux vivants, dont les fonctions journalières, le caractère, l'intelligence ou l'instinct, et même les changements progressifs avec l'âge ou les saisons, sont des sujets d'observation très-précieux". 

La première idée des ménageries, et des observations et expériences que l'on y peut poursuivre est développée par Bacon dans sa Nouvelle Atlantide, et, selon lui, elles doivent servir au zoologiste, au physiologiste, à l'agriculteur. Réalisée en France cent ans plus tard, cette idée fut mise en oeuvre, à Londres, dans la première moitié du XIXe siècle, par la création du Jardin zoologique de Regent's Park, fondation d'une association particulière. Peu après se forma le Jardin zoologique d'Anvers, puis ceux d'Amsterdam, de Gand, etc. Enfin, sous l'inspiration d'Is. Geoffroy St-Hilaire, fils du fondateur de la Ménagerie du Muséum d'histoire naturelle, Paris vit s'ouvrir, le 9 octobre 1860, un Jardin d'acclimatation, oeuvre d'une société particulière, et destiné à compléter la Ménagerie du Muséum, en provoquant spécialement l'acclimatation des animaux et des végétaux jugés utiles.

Les nombreux voyages scientifiques entrepris au commencement du XIXe siècle augmentèrent rapidement le nombre des spécimens zoologiques exposés aux yeux du public dans les galeries de ce vaste établissement. En même temps, les progrès de la taxidermie permirent de substituer à des peaux bourrées de foin ou de paille, telles qu'on en voyait au XVIIIe siècle, de véritables oeuvres d'art dignes d'un sculpteur. Le mannequin qui sert de support à la peau d'un animal est désormais une carcasse de fer, de bois, de plâtre ou de carton-pâte, où toutes les saillies musculaires se trouvent reproduites avec le plus grand soin. En même temps, la détermination des espèces est devenue plus facile, et l'on ne voit plus, comme autrefois, dans les musées, de longues séries de spécimens dépourvus d'étiquettes et, par suite, sans intérêt pour le visiteur.

Mais les collections exposées aux yeux du public, qui n'a besoin de connaître que les principaux types dans chaque classe du règne animal, se doublent d'une autre collection plus nombreuse et plus intéressante pour le naturaliste de profession. A côté des animaux montés dans les galeries, tous les grands musées possèdent dès le XIXe siècle des collections d'animaux non montés, et qui, par suite, occupant moins de place, peuvent tenir dans des tiroirs ou des cartons. Ces collections, dont les spécimens peuvent se multiplier presque indéfiniment, sont celles que le naturaliste consulte de préférence comme étant plus faciles à manier et se prêtant mieux à une étude comparative, lorsqu'il s'agit d'établir les différences que le climat, les saisons, l'âge, la distribution géographique, apportent aux caractères distinctifs des divers types spécifiques. Les collections ostéologiques, celles d'animaux conservés entiers dans l'alcool, se sont aussi multipliées à la même époque.

Les ménageries d'animaux vivants et les jardins zoologiques ont surtout profité des progrès de l'hygiène. Non seulement les animaux exotiques vivent plus longtemps et s'acclimatent dans les ménageries, mais encore ils s'y reproduisent. La création à la fin du XIXe siècle d'un Institut psychologique, comme annexe du Muséum de Paris, permettra d'étudier de plus près les moeurs, l'instinct et intelligence des animaux en introduisant dans les ménageries la méthode expérimentale.

Les publications scientifiques.
Les ouvrages de zoologie, qui ne peuvent se passer de figures, sont devenus, à la fin du XIXe siècle, de véritables oeuvres d'art, grâce aux progrès de la gravure, de la lithographie, de la chromolithographie, de la photographie et de la photogravure. On est alors loin des planches enluminées à la main dont se délectaient les naturalistes du XVIIIe siècle. Les ouvrages de grand format avec planches coloriées éditées avec luxe ont eu leur apogée dans la première moitié du XIXe siècle. Après ceux d'Alexander Wilson et de Jean-Jacques Audubon représentant les oiseaux et les mammifères de l'Amérique du Nord, les magnifiques planches de John Gould doivent être citées comme le type le plus parfait du genre. Les mammifères et les oiseaux de l'Australie, les oiseaux d'Asie, les Oiseaux-Mouches de l'Amérique néotropicale, sont reproduits en chromo-lithographie d'après les aquarelles de Mme Gould, de grandeur naturelle et dans des poses d'un naturel exquis, au milieu des paysages de leur pays natal, près des plantes, des fleurs et des insectes qu'ils fréquentent de préférence ou qui leur servent de nourriture. Grâce à l'emploi de poudres métalliques délayées dans l'eau gommée, les reflets irisés de la gorge des Colibris sont imités avec une rare perfection. 

Ces beaux livres, dont le prix atteint parfois des fortunes, ne pourront malheureusement figurer en général que dans les bibliothèques publiques ou dans celles de quelques riches particuliers. Leur plus grand défaut était leur format in-folio qui les rendait peu maniables et encombrants, aussi les éditeurs préfèreront-ils par la suite le format in-quarto, qui comporte le même luxe d'illustrations artistiques, mais avec des dimensions plus réduites et d'ailleurs suffisantes. De nombreux artistes de talent se sont voués, encore au début du XXe siècle, à la peinture des animaux, mais l'avenir, comprend-on déjà, est surtout à la photographie qui permet de saisir ces animaux dans toute la variété de leurs mouvements et de les reproduire avec une exactitude parfaite. La microphotographie, de son côté, commence elle aussi à se montrer d'un grand secours aux naturalistes en se substituant au dessin à la chambre claire, procédé long et fatigant, peu à la portée des dessinateurs de profession. Quant à la cinématographie, elle attendra 1904 pour avant qu'on commence à comprendre tout le parti qu'on peut en tirer.

La « philosophie zoologique  ». 
La théorie de l'évolution, qui sert de charpente à ce que l'on appelle à l'époque la «-philosophie zoologique », a été inaugurée par Lamarck, qui avait donné à un ouvrage ce titre (1809); elle a été ensuite  développée et imposée par Darwin (1859), et ses continuateurs immédiats, tels que Haeckel et Huxley. Après s'être heurtée à beaucoup de résistance de la part des naturalistes fixistes (Cuvier, Agassiz, etc.), règne en maître à la fin du XIXe siècle sur toute la zoologie et forme un lien puissant entre toutes les branches de l'étude des êtres vivants. 

A l'époque où la théorie transformiste n'était encore considérée que comme une hypothèse plus ou moins vraisemblable, elle avait suscité une si grande masse de travaux que l'on peut dire qu'elle avait ouvert, avant même d'être acceptée, une ère nouvelle pour la zoologie. On y verra désormais la base indispensable de l'étude de la nature, car elle est la seule, comprend-on maintenant, qui puisse donner l'explication des phénomènes qui se passent dans l'évolution des êtres vivants.

On pourrait résumer le mot d'ordre de la philosophie évolutionniste à cette époque par la célèbre loi de récapitulation d'Ernst Haeckel et d'Etienne Serres («-l'embryogénie d'un animal n'est qu'un abrégé de sa phylogénie », dans la formulation de Serres, reprise par Perrier). L'embryogénie et, plus largement l'ontogénie, expliquent ces auteurs, montre comment les êtres vivants se sont développés à travers les âges géologiques; elle fait comprendre les métamorphoses qui sont incompréhensibles en dehors de la théorie transformiste; elle relie étroitement la paléontologie à la zoologie et révèle aussi que ces deux sciences se confondent et ne peuvent se passer l'une de l'autre. 

Enfin, l'importance des sciences biologiques est si bien reconnue désormais que les livres de philosophie eux-mêmes se révèlent de plus en plus basés sur les recherches des physiologistes. En effet, demande-t-on, est-il possible d'étudier l'intelligence humaine sans connaître la structure et les fonctions du cerveau de l'humain et sans le comparer à celui des autres animaux? (E. Trouessart / A.F.).

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