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Les éléphants dans l'Histoire

Aperçu
Les mammouths cohabitaient avec les habitants de l'Eurasie et de l'Amérique préhistoriques. Leurs proches cousins de l'Inde et de l'Asie du Sud-Est, ainsi que les éléphants d'Afrique ont survécu. L'éléphant d'Asie a été domestiqué très tôt, et c'est lui que les Européens vont connaître en premier à partir de l'époque d'Alexandre. On l'utilisera dès lors en Europe comme on le faisait déjà en Asie : surtout pour la guerre. L'éléphant d'Afrique, qui subsiste encore au Nord de ce continent est également utilisé par la suite par les Carthaginois dans leurs guerres contre Rome, qui d'ailleurs admettra aussi pendant quelque temps des éléphants dans ses armées. 

Mais les éléphants sont une arme de dissuasion qui, à l'usage, montre rapidement ses limites. Et si en Asie, ils restent des auxiliaires utiles pour les transports ou l'agriculture, on les oubliera plus ou moins en Europe. Au Moyen âge, ce ne sont plus que des animaux exotiques, dont on voit un spécimen de temps à autre. La situation ne change véritablement qu'au XIXe siècle. La grande force des éléphants, leur intelligence, la facilité avec laquelle ils se prêtent aux désirs de leur maître, tout cela semble les destiner à en faire d'excellents agents de la colonisation; les Anglais promulguent ainsi des lois pour leur protection en Inde. En Afrique, c'est autre chose. Les éléphants y sont seulement vus comme les pourvoyeurs d'ivoire dont on fait désormais une consommation extravagante. Dans les années 1900, l'extinction menace déjà l'Éléphant d'Afrique, mais il faudra attendre encore soixante-dix ans pour que des mesures de sauvegarde soient prises.

Méconnus, maltraités, les éléphants n'ont été longtemps des objets de science que par épisodes. Après les naturalistes de l'Antiquité (Aristote, Pline...), on doit attendre les Buffon (1707 -1788)  et les Cuvier (1769 - 1832)  pour que l'on s'intéresse à eux de nouveau. Curieusement, les Anciens semblaient beaucoup mieux connaître ces animaux, que l'on va surtout apprendre à connaître, et auxquels on ne va véritablement s'intéresser qu'après la découverte des premiers mammouths et autres proboscidiens fossiles, qui placeront l'étude des éléphants dans une perspective évolutionniste.


Jalons
Des éléphants et des humains au fil des âges

La Préhistoire.
On trouve des figurations de mammouths dans de nombreuses  grottes ornées du Paléolithique supérieur (Combarelles, Font-de-Gaume, Rouffignac, Altamira, Ebbou, Pindal, Castillo, Pech-Merle, Bernifal, Arcy, Chabot, etc.). Ce sont même, avec les boeufs, et après les Bisons et les chevaux, les animaux les plus représentés. L'archéologie préhistorique nous révèle également l'emploi des ossements de l'éléphant pour la confection des ustensiles et des objets de luxe et de parure que l'humain savait déjà fabriquer. De nombreux ossements d'éléphants, remontant à cette période géologique, sont couverts de figures gravées à la pointe, parfois même sculptées, et l'on peut en voir de beaux spécimens au musée de Saint-Germain, recueillis principalement dans les cavernes du Périgord.

Peccadeau de l'Isle a retrouvé à Bruniquel (Tarn-et-Garonne) des défenses de Mammouth, sur l'extrémité desquelles un artiste inconnu nous a laissé les chefs-d'oeuvre les plus anciens que nous connaissions et une palme de bois de renne, sur laquelle est sculptée la figure même d'un mammouth. Les deux défenses de mammouth, rapprochées du poignard en bois de renne trouvé par  Lartet et Christy, ne peuvent être que des poignées d'armes semblables. Dans l'une, la lame du poignard partait du museau de l'animal, dans l'autre, elle partait de l'arrière-train. Tout fait supposer que l'ivoire employé par l'artiste l'a été à l'état frais, et non à l'état fossile. La preuve éclatante de la contemporanéité de l'homme de Bruniquel et de l'éléphant est la sculpture, sur une palme de bois de renne, d'un de ces animaux. C'est également un manche de poignard; les quatre jambes rigides et épaisses, terminées par de larges pieds plats, en se réunissant à leur extrémité, laissent entre elles un vide ou anneau de suspension. Quand il taillait l'ivoire, l'artiste préhistorique savait donc de quel animal cet ivoire provenait.
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En haut, poignards taillés dans une défense de Mammouth.
En bas, Mammouth sculpté dans un bois de Renne.
L'Antiquité.
Les mammouths des temps préhistoriques avaient disparu du centre et de l'occident de l'Europe à l'époque où remontent les plus lointains souvenirs de la civilisation occidentale. Homère, par exemple, ne connaissait pas encore les éléphants, bien qu'il parle de l'ivoire.

Chez les anciens Égyptiens, l'éléphant paraît comme signe hiéroglyphique dès la Ve dynastie (Ancien Empire) : il représente le nom de l'île de d'Ab ou Éléphantine, au pied de la première cataracte. Mais dans les représentations sculpturales, l'éléphantine figure qu'à partir de la XVIIIe dynastie (Nouvel Empire), et il est au nombre des tributs en nature prélevés par les conquérants égyptiens sur la Syrie. Dans les bas-reliefs assyriens, l'éléphant asiatique paraît plusieurs fois, notamment sur le célèbre obélisque de Salmanassar III (857 à 822), où il figure avec des dromadaires et des singes comme tribut de contrées orientales. En Assyrie, aussi bien qu'en Égypte, l'éléphant est donc connu, mais comme un animal exotique et importé de contrées étrangères : il semble pourtant que l'éléphant ait vécu en Mésopotamie, et peut-être jusqu'en Arménie, à l'état naturel, à une époque peu antérieure à la constitution du grand empire assyrien, car le roi d'Égypte Toutmès III se vante d'avoir chassé l'éléphant en Mésopotamie : l'éléphant n'aurait ainsi disparu de cette contrée que vers le XIe siècle av. J.-C. Le bas-relief de l'obélisque de Sennachérib prouve qu'au IXe siècle avant notre ère l'éléphant était domestiqué en Inde et les contrées voisines. Ce fut seulement, d'ailleurs, dans ce pays de l'Indus et du Gange que l'éléphant revêtit un caractère religieux, et cela dès la plus haute antiquité. 

Les Grecs, pour leur part, ne se familiarisèrent avec les éléphants qu'après l'expédition en Asie d'Alexandre (vers l'an 325 av. J. C.). Les historiens de l'aventureux macédonien rapportent diverses anecdotes qui attestent combien l'imagination des Grecs avait été frappée à la vue de ces grands pachydermes qui, surmontés de tours, étaient de véritables citadelles mouvantes sur lesquelles les traits des arcs les plus forts n'avaient aucune prise. Après avoir vaincu et fait prisonniers les quinze éléphants de Darius III à Arbèles, Alexandre en reçut douze autres en entrant à Suse; le roi Taxile lui en amena toute une troupe; à la bataille de l'Hydaspe, il fit distribuer des haches à ses soldats pour couper les trompes et les jarrets des éléphants de Porus, et, à la suite de sa victoire, Alexandre consacra au Soleil l'éléphant qui servait de monture au malheureux roi indien. Il lui imposa le nom d'Ajax, le couvrit de somptueux ornements et fit garnir ses défenses d'anneaux d'or sur lesquels fut gravée cette inscription : 

Alexandre, fils de Zeus, offre au Soleil cet éléphant.
Dans le cortège d'Alexandre rentrant à Babylone, il y avait plusieurs centaines d'éléphants que le conquérant se glorifiait de posséder pour rendre sa cour plus imposante; on croit même qu'il fit son entrée à Babylone sur un char traîné par des éléphants. Dans tous les cas, ce furent des éléphants qui figurèrent dans son cortège funèbre et qui ramenèrent son corps en Égypte.

La déification d'Alexandre après sa mort contribua à faire confondre, dans l'imagination des Grecs, sa marche victorieuse sur les bords de l'Indus avec la conquête de l'Inde par Dionysos dans les temps mythiques. Ce fut à cette époque que l'on commença à raconter que Dionysos avait accompli ses fabuleux exploits sur un char traîné par des éléphants; des sculptures représentent le dieu accompagné d'une armée de ces animaux montés par des Éros, des Ménades et des Satyres. Dans la fameuse pompe dionysiaque organisée par Ptolémée Philadelphe (L'Égypte ptolémaïque) et qu'Athénée nous décrit, on voit une statue gigantesque de Dionysos chevaucher sur un éléphant chamarré d'or; suivent vingt-quatre chars traînés par des quadriges d'éléphants. 

Les rois de Syrie, particulièrement, s'enorgueillirent de posséder des armées d'éléphants. Séleucus Ier Nicator reçut comme cadeau de son beau-père cinq cents éléphants de guerre lorsqu'il épousa la fille du roi indien Sandracottus; on rappelait par ironie l'éléphantarque, et à Ipsus, en 301, il dut sa victoire au rôle que jouèrent ses éléphants. Un grand nombre des monnaies de Séleucus et de ses successeurs ont pour type soit une tête d'éléphant, soit un éléphant seul, ou bien encore un bige ou un quadrige d'éléphants, si bien que cet animal est devenu l'emblème de la dynastie des Séleucides. Chose étrange, certaines monnaies de Séleucus Ier et d'Antiochus Ier, son fils, nous montrent des éléphants affublés de cornes de taureau, symbole de la force matérielle. Sur des pièces d'Antiochus III, on voit un éléphant monté par un cornac; enfin, sur des bronzes d'Antiochus VI, des éléphants portent des torches avec leur trompe, allusion à des jeux qui furent alors célébrés à Antioche en l'honneur de Dionysos et d'Aphrodite.
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Angkor : statues d'éléphants.
Elephants stylisés, à Angkor (Cambodge). Photo : © Angel Latorre, 2008.

A l'imitation des premiers rois de Syrie, dont l'empire confinait à l'Inde elle-même, les autres rois successeurs d'Alexandre eurent leur troupe d'éléphants de guerre, de sorte que c'est à cette époque que commence le rôle important des éléphants dans les armées. Perdiccas, Eumène; Antigone, Ptolémée Ceraunus eurent leurs éléphants de guerre; les premiers, Antipater et Polysperchon, amenèrent des éléphants eu Europe. Antiochus Ier Soter ne dut sa grande victoire sur les Galates, en Phrygie, que grâce à ses éléphants. Antiochus III le Grand ramena de son expédition dans l'Inde une troupe considérable de ces animaux qui, en 217; à la bataille de Raphia; luttèrent contre la troupe d'éléphants africains qui formait l'avant-garde de l'armée de Ptolémée Philopator. Dans la lutte soutenue par les Macchabées contre les rois de Syrie pour l'indépendance de la nation juive, on cite le dévouement héroïque d'Eléazar fils de Saura, qui, au milieu de la bataille, ayant aperçu dans les rangs syriens un éléphant de plus haute taille que les autres et mieux caparaçonné, pensa que c'était l'éléphant royal; il réussit à se glisser sous le ventre de l'animal et à s'y suspendre; il l'abattit à coups de hache et périt écrasé par la chute de sa victime. Dans l'impossibilité où ils étaient de recruter leurs éléphants dans l'Inde, les rois d'Égypte s'étaient mis à dresser les éléphants africains. 

« La chasse des éléphants; remarque S. Reinach, leur capture et leur transport à Alexandrie préoccupèrent vivement les successeurs de Ptolémée Lagus, qui fondèrent, à cet effet; plusieurs établissements le long de la Troglodytique; les éléphants que l'on parvenait à prendre vivants étaient embarqués sur de grands bateaux d'une construction spéciale, dite elephantegoï. Suivant saint Jérôme, Ptolémée Philadelphe eut quatre cents éléphants de guerre, et son fils Évergète en opposa quatre cents à Séleucus Callinicus. Le commerce de l'ivoire continua, pendant l'époque romaine, à se faire par ces échelles du golfe Arabique que les Ptolémées avaient établies en vue de la chasse des éléphants."
Les Romains rencontrèrent l'éléphant de guerre dans leur victoire de Magnésie sur Antiochus III en 181 av. J.-C., puis dans leurs luttes contre les rois de Macédoine. Ils l'avaient vu déjà apparaître pour la première fois en Italie, à la bataille d'Héraclée en 280, et par eux, Pyrrhus terrorisa, mais, pour peu de temps, ses ennemis. Un quincussis de bronze, frappé à Rome peu après la bataille de Bénévent, porte pour type un éléphant qui rappelle que le consul Curius Dentatus réussit à capturer quatre de ces animaux et à vaincre l'audacieux roi d'Épire. De petites monnaies de bronze, frappées en Étrurie à la même époque, portent d'un côté un éléphant et de l'autre une tête de Noir qui prouve que les éléphants de Pyrrhus avaient des Africains pour cornacs. Les Romains eurent de nouveau à lutter contre les éléphants dans leurs guerres contre Carthage, soit en Sicile, soit en Afrique. Carthage, en effet, ne cessa d'avoir des éléphants de guerre qui contribuèrent souvent à ses victoires; elle en transporta en Sicile, en Espagne et même en Italie : les éléphants d'Hannibal franchirent les Alpes avec lui et contribuèrent à la victoire de la Trébie en 218. Après la bataille de Zama en 202, les Romains imposèrent aux Carthaginois de livrer leurs éléphants et de s'engager à ne plus en entretenir une clause analogue figurait dans le traité qu'avait dû signer, en 197, Philippe V de Macédoine. Les monnaies de Carthage, ainsi que celles des rois de Numidie et de Maurétanie, ont souvent pour type l'éléphant de guerre monté quelquefois par un cornac.

D'ailleurs, à l'imitation de leurs ennemis, les Romains introduisirent l'éléphant de guerre dans leurs armées, surtout pour leurs campagnes contre les rois de Macédoine et contre les Carthaginois; dans la dernière période des guerres puniques, les éléphants leur étaient fournis par leur allié Massinissa, roi de Numidie. Pompée s'étant emparé des éléphants de Hiarbas, voulut faire son entrée dans Rome sur un char traîné par quatre de ces animaux, mais la porte de la ville s'étant trouvée trop étroite, il fallut dételer. On croyait que le nom de César signifiait éléphant en punique; voilà pourquoi Jules César prit un éléphant pour emblème, et, en souvenir de sa victoire sur Arioviste, il fit frapper des deniers d'argent qui représentent un éléphant foulant aux pieds le dragon germanique. Après la bataille de Thapsus, Jules César, rentrant victorieux dans Rome, se fit précéder à la manière des Orientaux, dans sa marche au Capitole, par quarante éléphants rangés sur deux rangs et portant aussi des flambeaux avec leurs trompes. L'empereur Gallien en posséda encore dix au milieu du IIIe siècle. Tous ces éléphants étaient, sans aucun doute, tirés du nord de l'Afrique, et la preuve, c'est que les médailles romaines représentent toujours des éléphants africains; comme le montre la grandeur de leurs oreilles.

Après la conquête de l'Afrique par les Romains, on peut dire que l'éléphant cessa de figurer dans les armées de Rome, car les projets de Jules César, de Claude, de Didius Julianus d'équiper des troupes d'éléphants ne furent pas mis à exécution. On reconnut sans doute l'inconvénient de ces animaux qui, lorsque l'ennemi était parvenu à les effrayer, se retournaient et portaient le ravage dans les rangs de l'armée qu'ils avaient mission de protéger. Des batailles furent gagnées ou perdues par suite de cette trahison des éléphants affolés que leurs cornacs ou la troupe des guerriers montés dans les tours ne réussissaient pas à ramener contre le véritable ennemi. Les éléphants demandaient par ailleurs une intendance lourde; ils ne pouvaient pas être élever, car d'une part les mères ne portent que tous les quatre ans, et il fallait ensuite  très longtemps pour que le petit devienne utilisable à la guerre. Enfin, les éléphants au combat effrayaient assurément les adversaires à la première rencontre, mais l'effet de surprise passé, des parades étaient trouvées et ces pauvres animaux se trouvaient être en définitive bien vulnérables.

Sous l'empire romain, l'éléphant  devient donc un animal de luxe et de parade. Caracalla a des éléphants pour imiter Alexandre le Grand. On les réserve surtout pour les jeux du cirque, les fêtes publiques, les marches triomphales, et l'on ne songe pas à les rétablir dans l'armée, bien qu'en Orient les légions romaines eussent sans cesse à lutter contre les éléphants des Perses. Les empereurs qui triomphèrent des éléphants sassanides, comme Sévère Alexandre, Gordien; Dioclétien, Julien même, eurent des chars de triomphe traînés par ces animaux, ainsi que l'attestent, outre les textes; le revers de nombreuses monnaies romaines. 

Le Moyen âge et les Temps modernes.
Les Byzantins imitèrent les Romains; si Héraclius n'eut pas d'éléphants de guerre, il triompha de ceux de Kosroès et parut à Constantinople sur un quadrige d'éléphants. Les éléphants donnèrent cependant aux Perses la victoire à Koufah sur l'armée d'Abou Obéidah, en 661. Si les Byzantins se servirent surtout des éléphants que dans les cirques et les jeux publics, ils en introduisirent toutefois les images dans leurs oeuvres d'art et c'est par là que le Moyen âge occidental connut ces animaux. Sur l'une des étoffes de la châsse de Charlemagne à Aix-la-Chapelle, oeuvre byzantine du XIIe siècle, sont brodés de superbes éléphants. C'est une référence à une démarche du calife-Haroun al Rachid, qui sollicitait l'alliance de Charlemagne, et lui avait envoyé un éléphant qui arriva à Pise en 801 et que l'on conduisit à Aix-laChapelle, où il vécut jusqu'en 810. On voit quelquefois aussi des éléphants dans les bestiaireset les miniatures des manuscrits. On possède, au cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale, une curieuse pièce de jeu d'échecs, en ivoire sculpté, qui représente un éléphant portant sur son dos une tour crénelée, sur la plate-forme de laquelle est un roi hindou assis à la mode orientale. Conservé dans le trésor de la basilique de Saint-Denis jusqu'à la Révolution, ce roi d'échecs passait pour être un présent du calife Haroun al Rachid à Charlemagne : c'est, dans tous les cas, sûrement une oeuvre orientale du IXe siècle.

En 1222, Frédéric II, de retour de la Croisade et après avoir conclu la paix avec le soudan d'Égypte, ramena un éléphant, et saint Louis en eut un autre qu'il donna au roi d'Angleterre, Henri III. Trois siècles après, lorsque les peuples de l'Europe occidentale, et en particulier les Portugais eurent établi des relations avec le Sénégal et la côte de Guinée, on revit l'éléphant en Europe. En 1514, Emmanuel, roi de Portugal, en envoya un au pape Léon X. La France n'en reçut un qu'en 1668; il avait été rapporté du Congo et offert à Louis XIV par le roi de Portugal. Dans les décennies suivantes il en est venu dans plusieurs occasions; et l'Angleterre en a reçu plus fréquemment encore. Depuis son institution, la ménagerie du Muséum d'histoire naturelle de Paris a reçu six éléphants d'Asie (4 mâles et 2 femelles); et 4 éléphants d'Afrique (2 mâles tout jeunes et 2 femelles). Celui de ces animaux qui a vécu le plus longtemps, au XIXe siècle, est une femelle d'Afrique donnée en 1825 par le vice-roi d'Égypte, morte en 1855.

Les humains contre les éléphants

L'esclavage des éléphants.
Les menaces d'extinction qui pèsent sur les éléphants ne sont pas nouvelles. Et si aujourd'hui c'est surtout la survie de l'Éléphant d'Afrique qui préoccupe, c'est de la préservation de l'éléphant d'Asie dont on s'est d'abord préoccupé. La chasse des Éléphants a été réglementée en Inde par le gouvernement anglais dès le XIXe siècle, et c'est grâce à cette protection que l'espèce est encore représentée sur le continent, comme à Ceylan, par de nombreux individus. Mais, ce qui aura sauvé les éléphants d'Asie, et aura justifié leur protection, c'est leur utilisation pour les travaux de force. Il n'est pas négligeable aujourd'hui dans certaines campagnes; il était essentiel dans les siècles passés dans tout le Sud-Est de l'Asie.

On peut les dresser à tous les ouvrages qui exigent à la fois de la force et de l'adresse, à porter des fardeaux tels que des poutres, à traîner des chariots ou même la charrue, etc. Pour charger une poutre, l'Éléphant se sert de sa trompe et place ce fardeau en équilibre sur ses défenses, qui peuvent soulever jusqu'à 500 kilogrammes, mais non très longtemps. Sur le dos, un Éléphant peut transporter de 1000 à 1 250 kg sur un parcours de 60 à 80 kilomètres. 

Lorsqu'il doit transporter des voyageurs, on place sur son dos une sorte de palanquin solidement assujetti par des sangles et qui peut contenir deux ou trois personnes assises. Le cornac se place à cheval sur le cou de l'animal et le dirige de la voix en s'aidant d'un aiguillon fourchu, dont l'une des pointes est rabattue en forme de crochet. C'est une monture désagréable en raison du roulis que son allure ordinaire, l'amble, imprime au palanquin. Cependant tous les princes et les gens des hautes castes de l'Inde se servaient de cette monture; non seulement pour voyager, mais encore pour chasser le tigre, un de leurs plus dangereux divertissements. La hauteur de cette monture donnait aux chasseurs plus de sécurité que le dos d'un cheval. Au Siam, on leur faisait aussi remplir le rôle du bourreau en écrasant sous leur lourde patte le corps des condamnés à mort. 

Les éléphants se sont révélés très utile pour traverser les montagnes, car leur pied large et sûr leur permet de monter avec aisance; la descente est plus difficile, mais ils en éludent les difficultés en s'agenouillant des pattes de derrière et se laissant glisser avec adresse, le ventre contre le sol, jusqu'à ce que ses pattes de devant rencontrent un appui sûr. Tous les princes asiatiques, ainsi que la Compagnie anglaise des Indes orientales, entretenaient à l'époque coloniale un grand nombre d'éléphants dressés. 

Les éléphants ont eu, comme on l'a vu, dans l'histoire militaire de l'Antiquité un rôle considérable. Dans les temps modernes, ces animaux ont été utilisés à la guerre, mais seulement  pour porter des bagages et de l'artillerie. En 1868, l'armée anglaise marchant contre le roi d'Abyssinie, Théodoros, débarqua sur la côté occidentale de la mer Rouge quarante-cinq éléphants asiatiques qui permirent à cette armée de transporter ses munitions et sa grosse artillerie à travers les montagnes et jusque sur le haut plateau où Théodoros s'était retranché dans la forteresse de Magdala. Au début du XXe siècle, l'armée anglaise de l'Inde possédait encore mille éléphants d'artillerie; chaque pièce était traînée par deux éléphants attelés en flèche.
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On a bien sûr songé à utiliser les éléphants en Europe; on s'est dit, au XIXe siècle, qu'un seul éléphant traînerait les lourds omnibus et les tramways à travers les rues encombrées des grandes villes, avec autant d'aisance et beaucoup plus de sécurité que trois ou quatre chevaux. Mais la raison qui s'est opposée à l'utilisation de cette puissante force motrice était ici encore économique : l'énorme quantité de nourriture nécessaire à l'éléphant aurait rendu ce mode de locomotion très coûteux. De plus il aurait fallu ajouter le prix du transport depuis l'Asie, car l'élevage de l'éléphant sur place aurait été prohibitif; il est d'ailleurs exclu même en Asie. En effet, bien que l'on ait de nombreux exemples d'éléphants s'étant reproduits en captivité, les différentes espèces n'ont jamais été complètement domestiquées, et c'est parmi les Éléphants sauvages que l'on va toujours chercher les individus que l'on utilise ensuite, en Inde, comme animaux domestiques. L'éléphant est pratiquement le seul animal domestique dont l'humain n'ait pas complètement détruit la souche sauvage originelle. Cette exception s'explique par la croissance très lente de l'éléphant, l'énorme quantité de nourriture dont il a besoin et la facilité avec laquelle il se laisse apprivoiser. Il est donc plus économique de laisser à la nature le soin de son élevage et de n'enlever l'animal à sa forêt natale que lorsqu'il est d'âge à rendre des services, c.-à-d. lorsqu'il est à peu près adulte, vers l'âge de vingt ans. Il peut d'ailleurs vivre soixante-dix ans et plus.
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Eléphants en Inde.

Lorsque l'on veut se procurer de ces animaux, on opère de grandes battues dans les forêts qu'ils habitent en poussant les éléphants vers un enclos formé de solides palissades et ouvert d'un seul côté. Lorsque tout le troupeau, ainsi cerné, s'est jeté de lui-même dans cette enceinte on en ferme l'ouverture et l'on y fait entrer des éléphants domestiques spécialement dressés dans ce but et qui, montés et dirigés pas leur cornac, savent avec une adresse et une astuce véritablement surprenante, aider à la capture de leurs frères sauvages. On passe à ceux-ci un noeud coulant qui leur serre solidement l'un des pieds de derrière et on attache solidement au tronc d'un arbre : la faim, les privations, les brimades diverses font le reste, si bien qu'au bout de six mois l'animal peut être monté et employé aux mêmes travaux que les éléphants réduits en domesticité depuis de longues années.

Le commerce de l'ivoire.
Dans son malheur, l'éléphant d'Asie aura eu plus de chance que celui d'Afrique, qui a déjà disparu depuis longtemps du Nord de l'Afrique, où les Égyptiens et les Carthaginois l'avaient domestiqué, comme nous l'avons dit, avant l'ère chrétienne. Il a disparu de l'Afrique australe, où les colons hollandais et anglais n'ont pas su tirer parti de ses services, malgré l'exemple des Anciens et de l'Inde moderne, et n'ont vu en lui qu'un animal malfaisant et bon à détruire. Et même si au cours des deux dernières décennies du XIXe siècle, à l'époque où les Européens cherchaient  à fonder des établissements sur tous les points de l'Afrique, on a encore envisagé (en particulier au Congo belge) de reprendre les essais de domestication, appliquant le régime qui a toujours réussi en Inde, les résultats n'ont pas été concluants. En fait dès cette époque, l'espèce avait un autre intérêt, qui entraînait l'énorme destruction que l'on faisait chaque année de celle-ci, uniquement pour se procurer l'ivoire de ses défenses. Chacune de ces défenses cependant pèse, en moyenne, 30 à 32 kilogrammes.

Le Sénégal, les rives de la Gambie et la côte du Grand Bassam étaient les points où le commerce avait le plus d'activité, et il provoquait les chasses actives que l'on faisait aux éléphants de ces contrées. L'industrie du travail de l'ivoire  a été très florissante en France où Dieppe était un des centres de cette industrie, et surtout en Angleterre : la seule ville de Sheffield reçoit chaque année à la fin du XIXe siècle quarante-six mille défenses, représentant vingt-trois mille éléphants, 

Les molaires de l'éléphant étaient sciées en plaques minces et employées par les peintres de miniatures. Quant aux sculptures sur ivoire, c'est avec les défenses qu'on les exécutait. Pour la confection des dentiers artificiels, l'ivoire des canines de l'hippopotame, celui des grandes défenses du morse, étaient plus estimés que celui de l'éléphant; ces ivoires sont durs et serrés de grain, mais si celui de l'hippopotame ne jaunit pas, celui du morse jaunit au contraire très vite. En calcinant l'ivoire en vase clos on en faisait un corps noir velouté, qui est du charbon très fin, connu sous le nom de noir d'ivoire ou noir de velours. Les Arabes, en le calcinant en vase ouvert, en tiraient une substance blanche, nommée spode ou spodium, qui était du phosphate de chaux presque pur. Les os compacts étaient aussi employés pour les objets communs aux mêmes usages que l'ivoire; c'est-à-dire pour la confection des manches de couteaux et de menues brosses, des ronds de table, chapelets, peignes, petits objets tournés. Les boules de billard, les jeux d'échecs étaient presque exclusivement faits en ivoire.
Dès cette époque, quelques esprits se sont montrés effrayés de cette rapide extermination atteignant un animal dont la croissance est si lente et dont la femelle ne reproduit que tous les quatre ans. On en appelait déjà à réglementer la production de l'ivoire, qui n'était que du gaspillage, car, expliquait-on, les procédés en usage conduisaient fatalement et rapidement à la disparition complète de l'animal qui le produit. Cette première alerte n'a eu aucun écho. Au cours du XXe siècle, la chasse intensive n'a fait qu'accélérer la mise en danger l'éléphant d'Afrique. Dans les années 1970, un braconnage sans frein a accentué encore cette menace, et a conduit à limiter, puis interdire complètement, sous les auspices de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction) à partir de septembre 1989, le commerce international de l'ivoire. Une interdiction efficace, mais qui a connu des entorses depuis 1997, avec l'autorisation de vente au Japon de l'ivoire collecté (légalement) au Zimbabwé, au Botswana et en Namibie, puis en Afrique du Sud. 
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Photo d'éléphants en Inde.
Une procession d'éléphants à Delhi, au début du XXe siècle.

La science des éléphants

Beaucoup de voyageurs et même de naturalistes, heureux d'avoir à parler d'êtres aussi merveilleux, ont adopté trop facilement les récits mensongers ou exagérés qu'ils avaient recueillis, et longtemps l'histoire des éléphants a tenu du roman plus que de la vérité.

Les Anciens et les Modernes.
L'ivoire des éléphants a été connu bien avant que l'on sût de quels animaux il provenait. Il en est plusieurs fois question dans la Bible, où il est désigné sous le nom de sissabim (les Rois, liv. III, chap. x). Hérodote est le plus ancien des auteurs grecs qui aient parlé des éléphants. Il les cite, ainsi que les lions et quelques autres animaux, parmi les productions de la Libye orientale; toutefois ce ne fut guère qu'à l'époque d'Alexandre que les Européens eurent à leur égard des renseignements un peu exacts. Aristote parle longuement des éléphants. C'était l'éléphant de l'Inde (Elephas maximus) qu'on découvrit donc d'abord en Grèce, dans la deuxième moitié du IVe siècle avant notre ère; il était (jusqu'à l'époque de Cuvier, qui distinguera l'Elephas indicus et l'elephas africanus), regardé; comme identique avec l'éléphant africain (Loxodonta africana). La description qu'en fait Aristote est, au jugement de Cuvier, plus exacte que celle que fera beaucoup plus tard Buffon. Ce qui le frappa d'abord, c'est ce nez allongé qu'on appelle la trompe.

« Le nez de l'éléphant est, dit Aristote, fait de manière et tellement allongé qu'il lui sert de main; il porte ainsi à la bouche son boire et son manger; en le relevant, il le tend à son conducteur comme une main; il s'en sert pour arracher des arbres, et lorsqu'il traverse un fleuve, il le tient élevé au-dessus des eaux pour respirer; étant cartilagineux, ce nez se courbe facilement par son extrémité. » (Aristote, Histoire des Animaux, II,I) .
C'est ce qui fera dire à Buffon que 
« l'éléphant a le nez dans la main, et qu'il est le maître de joindre la puissance de ses poumons à l'action de ses doigts.  »
Aristote a manqué de faire mention d'une sorte de doigt qui termine la trompe et qui permet à l'animal de toucher et de saisir les plus petits objets. C'est avec raison qu'il donne le nom de dents, et non celui de cornes, aux deux défenses qui sortent de chaque côté de la trompe et qui sont de véritables incisives. Hérodote a dit le premier que l'ivoire est la matière fournie par ces dents. Aristote est encore dans le vrai quand il dit que l'éléphant a cinq doigts à chaque pied, que leur division est peu sensible et qu'on n'y remarque pas d'ongles. Son aspect rugueux lui fit dire que l'éléphant est le moins velu des quadrupèdes (mammifères).

Buffon admettra, sur le rapport des historiens et des voyageurs, que

« les éléphants ne produisent jamais dans l'état de domesticité. » 
Cette assertion est absolument contredite par l'expérience, déjà comme des Anciens;
 Elien (liv. 11, chap. XI), Columelle (liv. III, chap. VIII) disent positivement que du temps du Néron on possédait à Rome des éléphants nés dans cette ville en domesticité et qu'on profitait de leur jeune âge pour les dresser à mille tours d'adresse. Ce que Buffon dit de la pudeur des éléphants qui 
« en se livrant à l'amour craignent surtout les regards de leurs semblables »,
est évidemment une pure fiction poétique. Aristote avait déjà fait remarquer que l'incertitude qui règne sur certains détails vient de ce que ces animaux s'accouplent dans des lieux solitaires. Contrairement à l'opinion d'Aristote, Buffon et ses collègues de l'Académie ont affirmé que l'éléphant nouveau-né tète avec la trompe et non avec la bouche. Cependant Aristote avait raison : des observations postérieures à celles de Buffon et de ses collègues ont démontré que l'éléphant nouveau-né tète avec la bouche et non avec la trompe.

Les Anciens ont également raconté des faits nombreux des l'intelligence des éléphants et en cela ils n'ont pas été contredits par les modernes, qui ont repris la question de plus haut. Ils ont montré que, si l'on compare le cerveau à le masse du corps, l'éléphant est de tous les mammifères celui qui a le cerveau le plus petit, et que la souris est celui qui l'a le plus grand. Certainement si l'on compare cerveau à cerveau, on trouve que l'éléphant est le mammifère qui a le cerveau le plus grand (le cerveau de l'éléphant est à peu près le double de celui de l'humain). 

« Mais, disait Flourens, ce n'est ni l'un ni l'autre de ces deux modes de comparaison qui donne le rapport de l'intelligence aux autres facultés. Pour avoir ce rapport, il faut comparer le cerveau proprement dit, organe exclusif de l'intelligence, aux autres parties de l'encéphale. » (note de Flourens, dans son édition de Buffon, t. III).
On avait traité de fable ce que Pline avait dit de la crainte que l'éléphant aurait des rats. 
« Le fait, affirme Cuvier, est très exact; nos éléphants de la ménagerie tremblent à la vue d'une souris. » 
Aura-t-on, après cela, des doutes sur l'intelligence des éléphants? car ne pas jauger un adversaire à sa taille, c'est déjà plus que de l'intelligence, c'est déjà de la sagesse!

Les éléphants fossiles.
On trouve en Europe et dans le nord de l'Asie un grand nombre de débris d'éléphants fossiles qui appartiennent à diverses espèces perdues. Pendant longtemps ces ossements ont été attribués à des géants des temps héroïques, que l'imaginait avoir précédé les temps historiques, et l'on a ainsi trouvé des os d'éléphants suspendus dans les églises comme des reliques de ce genre; ces fables n'ont cédé que peu à peu à une connaissance plus exacte des faits. G. Cuvier (Ossements fossiles) a fait une longue et minutieuse étude des débris de ce genre. Il a reconnu qu'on trouvait abondamment des ossements d'éléphants fossiles dans toutes les parties de l'Italie, en Grèce, sur presque tous les points de la France, dans toute la vallée du Rhin, par toute l'Allemagne, dans les îles Britanniques, en Scandinavie, et la Russie européenne et asiatique en est véritablement couverte.

On doit à l'illustre naturaliste Simon Pallas, d'avoir fait connaître en Europe les mammouths, à la fin du XVIIIe siècle. Les restes fossiles de ces animaux ont été trouvées d'abord en Sibérie dans le pays des Ostiaks, des Toungouses, des Samoyèdes et des Bouriates, sur les bords de l'Obi, de l'léniséi et de la Léna, entre le 58° de latitude nord et la mer Glaciale. Lorsque des plages sablonneuses dégèlent, on découvrait (et on découvre encore) des montagnes entières de dents gigantesques, auxquelles sont mêlés d'énormes os. Parfois, ces dents étaient solidement implantées dans les mâchoires; on en a même rencontré qui étaient entourées de chair encore sanglante, de peau et de poils. 

Les Ostiak nommaient cet animal mammont, mamnout ou mammouth; ils disaient qu'il était de taille énorme, haut de 2 à 3 mètres; qu'il avait une tête longue et large, des pieds semblables à ceux de l'ours; et, comme ils n'en avaient jamais vu de vivant, ils ajoutaient qu'il habitait sous terre; que dans ses promenades souterraines il sortait, parfois sa tête et la retirait immédiatement, parce que la lumière lui était nuisible; qu'il se nourrissait de vase, et mourait dès qu'il était sur un sol sablonneux; car il n'en pouvait retirer ses pieds; qu'il périssait aussi dès qu'il arrivait à l'air. C'est ce qu'écrivait  d'ailleurs déjà Ides, qui, dans une ambassade en Chine, en 1692, entendit parler de ces dépôts d'ossements.

La première découverte véritablement spectaculaire dont les mammouths ont été l'objet, fut faite par Adams, à l'embouchure de la Léna. Ayant appris que l'on avait trouvé un mammouth avec sa peau et ses poils, Adams partit aussitôt pour aller sauver ces débris précieux, et se joignit au chef toungouse à qui la trouvaille était due. L'homme avait découvert l'animal en 1799, mais il n'y avait pas touché, car les Anciens racontaient que sur la même presqu'île on avait autrefois trouvé un pareil monstre, et que ce fut un malheur pour la famille de celui qui le rencontra elle périt tout entière. Ce récit effraya le Toungouse au point qu'il en fut malade. Cependant les énormes défenses de l'animal excitaient sa convoitise, et il résolut de se les procurer. En mars 1804, il les céda toutes deux et les échangea contre des marchandises de peu de valeur.

Adams fit son voyage deux ans plus tard; il trouva l'animal à la même place, mais déchiré. Les Iakoutes en avaient enlevé la chair pour en nourrir leurs chiens. Les isatis, les loups, les gloutons, les renards s'en étaient nourris. Le squelette, à l'exception d'un des pieds de devant, était entier. Une peau sèche recouvrait la tête. L'oeil et le cerveau existaient encore. Les pieds avaient leurs callosités. Une oreille, recouverte de poils soyeux, était également bien conservée. Les trois quarts de la peau existaient. Cette peau avait une couleur gris foncé; le duvet en était roux, les soies noires et plus épaisses que des crins de cheval. Adams ramassa ce qu'il put. Il dépouilla l'animal, et dix hommes purent à peine enlever la peau. Il fit ramasser tous les poils qui se trouvaient à terre, et en obtint ainsi 17 kilogrammes Le tout fut envoyé à Saint-Pétersbourg, et n'y arriva pas sans dégradation, la peau avait perdu tous ses poils; néanmoins, grâce aux soins et à la persévérance de ce naturaliste, le fait était mis hors de doute. Les plus longs poils étaient ceux du cou; ils mesuraient plus de 70 centimètres de long. Tout le reste du corps était couvert d'une fourrure abondante, preuve irrécusable que le mammouth était destiné à habiter un pays froid. Ses défenses étaient bien plus recourbées que celles des éléphants actuellement vivants (il en est qui représentent les trois quarts d'un cercle). Adams en vit qui avaient 7 mètres de long.

D'autres proboscidiens fossiles, plus différents des éléphants actuels que les  mammouths ont également été trouvés. Parmi eux, les mastodontes. C'est surtout en Amérique que l'on a découvert des débris de mastodontes, dont certains sont d'ailleurs plutôt des mammouths. Une espèce, l'animal de l'Ohio (Mastodon giganteus), est connue depuis le XVIIIe siècle. Baston raconte qu'en 1761, des Indiens trouvèrent cinq squelettes de mastodonte ayant, d'après leur récit, 

de longs nez et une bouche au-dessous de celui-ci.
Kalm parle d'un autre squelette trouvé par un Indien, et auquel on pouvait encore reconnaître la trompe. Ces faits purent faire croire quelque temps que le mastodonte vivaient encore en Amérique. Il n'en est rien, mais chez les Amérindiens, plusieurs mythes ont eu cours au sujet de cet animal gigantesque. On l'appelle le Père des boeufs, on croyait qu'il avait vécu avec des hommes d'une taille proportionnée, et que les uns et les autres avaient été tués par les foudres du Grand-Esprit. Les indigènes de la Virginie, avant même l'indépendance des États-Unis, racontaient que 
le Grand-Esprit frappa de sa foudre tout le troupeau de ces êtres gigantesques, car ils détruisaient les cerfs, les bisons et autres animaux destinés à servir à l'humain; l'un d'eux reçut plusieurs traits de feu sur sa tête et les secoua, mais enfin il fut atteint au flanc, et il se précipita dans la grande mer, où il vit éternellement.
Avec le temps, les paléontologistes ont disposé de bien d'autres sortes de fossiles liés de près ou de plus loin aux éléphants actuels. Le dinothérium, par exemple, est genre de proboscidiens fossiles introduit par Kaup, en 1837, sur un crâne de dimension colossale (plus de 1 m de long), découvert dans le miocène supérieur d'Eppelsheim, près de Darmstadt. Cette découverte permit de rapporter à ce nouveau genre des molaires isolées précédemment décrites par Cuvier sous, le nom de Tapir gigantesque. Les naturalistes ont longtemps hésité sur la véritable place de ce type dans leurs classifications, et certains caractères du crâne (dépression de l'occiput, large ouverture des fosses nasales, forme des os incisifs et des fosses oculaires et temporales, disposition des défenses de la mâchoire inférieure, etc.), avaient porté Pictet et d'autres naturalistes à rapprocher ce genre des Lamantins et à le classer dans l'ordre des Siréniens ou herbivores marins. Mais la découverte des os des membres, dans les mêmes couches géologiques, est venue prouver que le Dinotherium avait les pattes conformées comme celles des Mastodontes et des Éléphants, bien qu'on puisse le considérer comme un animal amphibie à la manière de l'Hippopotame. 

Quand les conceptions évolutionnistes ont été admises, parallèlement au travail d'inventaire déjà bien avancé des espèces apparentées aux éléphants, l'étude de leurs rapports généalogiques a été abordée. Cope, dans les années 1870, donnait ainsi pour le groupe des proboscidiens le tableau phylogénétique suivant (les actuels genres Mammuthus et Loxodonta étant regroupés au sein du genre Elephas) :
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L'arbre généalogique des éléphants s'est considérablement perfectionné au cours du XXe siècle. On ne peut entrer ici dans les détails, mais on notera simplement que les Mastodontes ne sont plus considérés comme des ancêtres directs des éléphants, mais comme formant (à l'instar des Dinothériums) une série séparée; et on soulignera par ailleurs que l'on a renoué finalement avec certaines des anciennes idées agitées à l'époque de la découverte des Dinotheriums, qui avaient conduit à rapprocher les proboscidiens des Siréniens, deux ordres, qui avec celui des Desmostyliens (disparu au Miocène) forment le groupe de Thethythériens. (E. Babelon / F. Hoefer / A.-E. Brehm).

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