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La découverte des animaux
L'histoire de l'anatomie comparée

Aperçu
Comme son nom l'indique, l'anatomie comparée se définit par l'étude comparative de l'anatomie d'espèces vivantes différentes. Celle-ci a commencé d'une certaine façon, à la fois implicite et très imparfaite, dès l'Antiquité quand, après avoir abandonné la pratique de la dissection des Humains, les médecins reportaient sur l'anatomie humaine les connaissances qu'ils avaient  acquises en étudiant celle des porcs ou des singes. Les erreurs auxquelles cela avait mené se propageront encore tout au long du Moyen Âge. On fait dès lors remonter la naissance véritable de l'anatomie comparée aux travaux de Vésale, vers le milieu du XVIe siècle. S'y rattacheront bientôt les noms de Belon, Eustachi, Aldrovandi, Rondelet, Fabrizio, etc.

Au début, il s'agit encore de rechercher dans l'anatomie des autres animaux quelque information qui pourra aider à l'étude du corps humain et au traitement de ses maladies. Mais à partir du milieu du XVIIe siècle, les travaux de Malpighi, Leeuwenhoeck et Swammerdam, notamment, donnent une nouvelle impulsion à l'anatomie comparée qui devient avec eux une science à part entière. Il n'y a désormais plus seulment une anatomie comparée des animaux, mais aussi une anatomie comparée des végétaux  (organographie).

Il ne faudra dès lors plus attendre longtemps pour que cette jeune science produise des résultats complètement inattendus. Et la plus grande réussite de l'anatomie comparée est sans doute celle qui lui a permis, en confrontant ses conclusions à celle de la paléontologie, la mise en évidence de l'évolution des espèces au fil du temps. Ce seront surtout Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire et Charles Darwin qui accompliront ce nouveau pas.

Dates-clés  :
1543. - L'Anatomie de l'Homme de Vésale.

XVIIe siècle : travaux de Malpighi, Leeuwenhoeck et Swammerdam.

1809 - Philosophie zoologique de Lamarck.

1859 - De l'Origine des espèces de Darwin.


Jalons
Fondation

Si l'on excepte l'apport d'Aristote, qui pendant longtemps n'aura pas d'héritier dans cette matière, l'anatomie comparée n'a véritablement esquissé ses premiers pas qu'en 1543, le jour où André Vésale publia son ouvrage sur l'Anatomie de l'homme. Ce célèbre anatomiste, rompant avec les traditions, délaissa Galien pour la nature et composa son livre d'après les dissections qu'il avait faites du cadavre humain; à chaque instant, il entremêle ses descriptions de remarques sur l'anatomie des animaux. Ambroise Paré, le père de la chirurgie moderne, suivit la voie qu'avait tracée Vésale il compara les trois squelettes d'un Humain, d'un autre Mammifère et d'un Oiseau. Toutefois l'anatomie comparée ne fut créée, ou du moins l'idée primordiale sur laquelle elle repose ne fut nettement et définitivement énoncée que le jour où Pierre Belon, en 1555, mit en regard l'un de l'autre le squelette d'un Oiseau et celui d'un Homme, en désignant par des noms communs les parties similaires et en plaçant les membres dans la même situation, afin de mieux faire voir les analogies. En 1563, Coiter, né à Groningue et médecin à Nuremberg, encouragé par l'exemple et les conseils de ses maîtres Eustachi, Aldrovandi et Rondelet, eut également recours, dans ses ouvrages, à la méthode comparative : il mit notamment en parallèle le squelette de l'Homme et celui du Singe. A la même époque, Fabrizio d'Aquapendente se livrait aussi à l'étude anatomique des animaux, non pour éclairer l'anatomie humaine, mais plutôt pour éclairer la physiologie : Fabrizio s'occupe moins du corps et des organes de l'animal en eux-mêmes que des phénomènes dont ils sont le siège; pour lui, la zootomie (c'est-à-dire l'anatomie animale) est au service de la physiologie. Les premiers progrès de la zootomie sont en effet bien plus l'oeuvre des médecins que celle des zoologistes.

Les observateurs qui s'occupèrent les premiers de l'anatomie des animaux avaient pour principal objet de comparer l'organisation de ceux-ci avec celle de l'Homme. On pensait que l'étude anatomique du corps humain ne pouvait mener à une connaissance suffisante de son organisation et on cherchait l'explication de la physiologie humaine chez des animaux présentant avec l'Homme une ressemblance plus ou moins directe. Cette méthode était, en effet, seule capable de renseigner exactement sur l'importance physiologique de tel ou tel organe, de telle ou telle fonction; en considérant ce que deviennent l'organe ou la fonction chez des êtres divers, on arrivait à distinguer ce qu'il y a, dans chacun d'eux, d'essentiel ou d'accessoire. Pierre Belon était venu trop tôt, sa conception géniale voyait le jour prématurément. A son époque, la zoologie se bornait encore à peu près exclusivement à la description extérieure des animaux, sans scruter les détails de leur organisation : comme nous venons de le voir, la zootomie n'existait pour ainsi dire pas. Belon lui-même doit être considéré comme l'un des fondateurs de cette branche de la science. Ses dissections du Dauphin et des Poissons sont au nombre des premières tentatives dans cette direction nouvelle, que Rondelet et Salviani suivaient en même temps que lui. Ces premiers anatomistes eurent pour émules Gyllius qui, en 1562, décrivit en partie les viscères de l'Éléphant : Fabius Columna qui, en 1616, disséqua un Hippopotame; Carlo Ruini qui, en 1618, fit paraître à Venise une anatomie du Cheval.

A leur suite, vint un nombre sans cesse croissant de naturalistes, dont nous ne pouvons songer à donner une liste, même très raccourcie; citons simplement quelques noms, parmi ceux qui contribuèrent le plus directement aux progrès de l'anatomie comparée. En 1645, Marc-Aurèle Severin publiait sa Zootomia democritaea : c'était le premier ouvrage exclusivement consacré à la zootomie; Severin estimait que le but essentiel de l'étude anatomique des animaux est de servir à la santé des humains, en contribuant aux progrès de l'anatomie et de la physiologie humaines. En 1672, Thomas Willis fit paraître son livre De anima brutorum, fort important pour la physiologie de l'époque; les observations sur le cerveau  des Vertébrés qui s'y trouvent consignées ont valu à leur auteur une légitime célébrité. En 1681, Geraard Blaes, dit Blasius, publia son Anatomia animalium et quelques années plus tard, en 1720, Valentini publia lui-même un Amphitheatrum zootomicum. Les ouvrages de ces deux auteurs sont importants en ce que, sauf quelques monographies trop étendues, ils résument ou reproduisent un grand nombre  de travaux antérieurs et fixent ainsi l'état de la science à leur époque. Nous devons mentionner encore la monographie anatomique du Chimpanzé, publiée par Tyson en 1699

Cristallisation

C'est aussi dans la deuxième moitié du XVIIe siècle que parurent en même temps trois auteurs dont les brillantes découvertes donnèrent à la zootomie une impulsion nouvelle. Il s'agit de Malpighi, Leeuwenhoeck et Swammerdam :

Contrairement à ses prédécesseurs, qui recherchaient simplement dans l'étude des animaux la réponse à des questions de médecine et de physiologie, Malpighi pensa que l'organisation animale méritait d'être traitée en science indépendante : ses recherches sur les Insectes sont fameuses; malheureusement il partait trop souvent d'une observation incomplète pour en déduire des généralisations trop hâtives. 

Leeuwenhoeck appliqua le premier les instruments grossissants à l'étude des animaux; il construisait lui-même ses lentilles; il découvrit les Infusoires (Protozoaires), les globules du sang, etc., et fit une foule d'observations anatomiques sur les animaux les plus variés, notamment sur les Insectes; il doit être considéré comme l'un des précurseurs de l'histologie. 

C'est encore sur les Insectes que se porta l'attention de Swammerdam il étudia leur anatomie et leurs métamorphoses avec une précision inconnue jusqu'alors; le Biblia naturae est longtemps resté l'oeuvre la plus considérable sur cette partie de la zootomie. Malpighi et Leeuwenhoeck avaient contribué surtout à démontrer l'identité de l'organisation chez les animaux les plus variés; Swammerdam, par ses recherches sur la reproduction des Insectes, prouva une identité pareille dans le développement de tous les animaux. 

Ces trois savants ont donc fait faire à l'anatomie comparée des progrès considérables; par eux, les sciences biologiques ont brillé d'un vif éclat vers la fin du XVIIe siècle. L'impulsion donnée par eux ne se ralentit pas, mais les recherches dévièrent un peu de la direction qu'ils leur avaient imprimée : on délaissa l'étude des animaux inférieurs et l'attention se reporta sur les Vertébrés. En France, Claude Perrault, l'architecte de la colonnade du Louvre, Jean Méry et G. J. Duverney étudièrent avec succès un grand nombre de questions, en disséquant les animaux qui venaient à succomber à la ménagerie du Jardin du Roi, fondée par Louis XIV. Nous ne pouvons entrer dans le détail de leurs travaux: comme indice d'un retour vers l'ancienne manière de comprendre l'anatomie comparée, notons pourtant que l'étude de la circulation chez les Reptiles suggéra à Méry une théorie de la circulation foetale.

Avec Michel Sarrasin, qui étudia l'anatomie des Mammifères de l'Amérique du Nord; avec le célèbre chirurgien Garengeot, qui compara le système musculaire de l'Humain avec celui du Chien; avec Patrick Blair, Cheselden, le premier des Jussieu, d'autres encore, on arrive en 1744, époque à laquelle AI. Monro, le père, publia son Manuel d'anatomie comparée : un semblable ouvrage voyait le jour pour la première fois; malgré ses imperfections, son apparition marque une date importante dans l'histoire de cette science.

Buffon négligea l'anatomie comparée, mais son collaborateur Daubenton fit quelques études anatomiques. Vers cette époque, Camper en Hollande, John Hunter en Angleterre et Félix Vicq d'Azyr en France, attiraient également sur eux l'attention; le premier étudiait l'appareil respiratoire des Oiseaux; le second s'occupait des Poissons électriques et du squelette des Oiseaux; le dernier, professeur au Jardin du Roi, traitait avec une rare sûreté de jugement les questions les plus diverses. Partant de l'idée de l'unité dans la structure des animaux, Vicq d'Azyr comparait d'abord les organes d'animaux différents, puis les parties du même animal; ses recherches sur les muscles des Mammifères et des Oiseaux, sur le cerveau, sur l'anatomie des Poissons, etc., sont remarquables; n'oublions pas non plus que c'est à ce grand naturaliste que revient le mérite d'avoir décrit le premier l'os incisif chez l'Humain, - le premier ou l'un des premiers, puisqu'en Allemagne on attribue volontiers sa découverte au poète Goethe

Évolution

Vers cette époque parurent en France deux savants qui eurent sur la marche de la zoologie, et particulièrement sur celle de l'anatomie comparée, une influence décisive : Étienne Geoffroy Saint-Hilaire et Georges Cuvier. L'appréciation de leur oeuvre, le récit de leurs rivalités mériteraient de longs développements, dans lesquels le cadre restreint de cet article nous défend d'entrer. Professeurs l'un et l'autre au Muséum, membres tous deux de l'Académie des sciences, ils agitèrent au sein de cette assemblée les plus graves questions et captivèrent, pendant de longues années, toute l'attention du monde savant. On doit les considérer comme les rénovateurs de l'anatomie comparée; l'agitation qu'ils causèrent eut pour résultat de provoquer dans toute l'Europe, mais particulièrement en France et en Allemagne, un renouveau qui fit éclore toute une génération de jeunes zoologistes, grâce aux efforts desquels la zoologie et l'anatomie comparée firent de rapides et étonnants progrès : les régions les plus inexplorées du domaine zoologique furent fouillées sans relâche, les découvertes se succédèrent rapidement; on ne se contenta plus seulement d'étudier les Vertébrés, mais, à l'exemple de Cuvier, on comprit que rien dans la nature n'était négligeable et que l'étude de toutes les sortes d'animaux était fertile en enseignements. 

L'espace nous manque pour apprécier comme il convient l'oeuvre de cette pléiade. Nous manquerions du moins de justice à leur égard, si nous ne rappelions leurs noms. En France, nous signalerons Duvernoy, Blainville, Duméril aîné, Savigny, Audouin, Bory de Saint-Vincent, Breschet, Doyère, Marcel de Serres, Dujardin, Gratiolet, Paul Gervais, Charles Robin, H. Milne-Edwards, et, après eux, Quatrefages, E. Blanchard, Alph. Milne-Edwards, G. Pouchet, G. Balbiani, Lacaze-Duthiers, A. Giard, A. Schneider, Sabatier, Marion, etc.; en Allemagne, Kielmeyer, Goethe, Oken, J.-F. Meekel, H. Rathke, Blumenbach, Burdach, Ehrenberg, Fischer von Waldheim, Tiedemann, Bojanus, Ch.- G. Carus, E.-H. Weber, J. Müller, C. de Siebold, Semper, A. Kölliker, Rudolf Leuckart, E. Häckel, Gegenbaur; en Belgique, P.- J. et Ed. van Beneden; en Angleterre, Owen, Huxley; en Norvège, Sars, Danielssen, Koren; au Danemark, Steenstrup ; en Amérique, Agassiz, etc. 

Avec eux, à la fin du XIXe siècle l'anatomie comparée a extraordinairement agrandi son domaine. Elle ne se borne plus seulement à noter les différences ou les ressemblances que les divers organes des animaux supérieurs présentent avec ceux de l'Humain; elle compare encore les animaux entre eux, qu'ils appartiennent à des espèces ou à des familles différentes, voire même à des ordres ou à des embranchements distincts. Elle ne considère pas seulement l'ensemble de leur organisation, mais étudie séparément chacun des organes et recherche ses modifications diverses dans l'ensemble du monde vivant. Ces modifications reconnues, leur cause est elle-même l'objet d'une étude rigoureuse; leur point de départ et leur utilité sont discutés, et c'est ainsi, par ce puissant procédé d'analyse, que l'anatomie comparative a pu conduire des esprits éminents, tels que Lamarck, Et. Geoffroy Saint-Hilaire et, le plus connu de tous de ce point de vue, Charles Darwin, à l'édification de la théorie transformiste ou évolutionniste. Pour mener à bien sa tâche, elle fait appel au concours d'autres sciences, telles que la paléontologie, l'embryologie et la morphologie, qui sont aussi distinctes de la zoologie descriptive que l'anatomie comparée l'est elle-même. Elle conduit de la sorte à des idées générales, à des conceptions philosophiques dont, réduite à ses propres forces, elle eût été incapable de faire la découverte. Elle est devenue, pour ainsi dire, science expérimentale, au même titre que la physiologie qui, d'abord toute de spéculation et de raisonnement, serait désormais réduite à l'impuissance, si elle ne faisait appel tout à la fois à l'anatomie, à la zoologie, à la physique, à la chimie et même à la clinique. Le XXe siècle ne fera que confirmer ce qui apparaît déjà avec évidence dès cette époque : à savoir que c'est un caractère commun à toutes les sciences biologiques que, plus elles progressent et se spécialisent en apparence, plus elles deviennent en réalité solidaires les unes des autres. (Raphaël Blanchard).

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